Dangereux et transparent.
C'est facile de devenir celui dont tout
le monde parle. On dit dans la rue que je suis l'ombre de F. Qu'il
était la lumière. Et quand je tiens le manuscrit dans
ma main, tout me revient.
L'échelle de l'abandon. Le
sous-sol interdit. La racine sous la pierre. Le ventre sous langue.
Tout me revient. J'ai huit ans et je
connais déja. Les origines de la peur. Le calme de mon corps.
Je suis déja dans le corps humide. Le fond sec. Le corps
suant, rivière musical. Je suis déja l'enfant qui
coule. Transparent. Blanche priére. A huit ans, pas encore
percé d'ordres, la seule force dans la faiblesse. Je suis
déja, une cachette infinie. Je suis une fille à la
fente close. Verrouillée. Une tentation dans le miroir. Maman disait que j'étais
dangereux quand je vomissais Rimbaud devant la glace en pleurant,
comme pour atteindre mon corps. Tu es dangereux. Dangereux et
transparent. L'enfant sans peine. Dans la richesse de l'harmonie. Un
coquillage minuscule qui respire sous le sable. Sans boulversements.
Un muscle indien
Et puis, il y'a eu la confidence. Celle
qui s'aggripe au cou. La premiére. Je te garde sous les
ongles. Mon début de nuit. Ton visage doux. Où tout se
passe. Un lieu où il faut tout construire. Un visage colérique
et calme. Un alcool. Un visage qui vient loger dans le corps. Tu dira demain,
avec le recul "tout se passait dans la mâchoire".
C'est que je ne sais pas écrire, c'est que je n'ai rien à
raconter. C'est qu'il me faut une scène, qui gronde en moi.
huit ans, le pouls acéré. Le sommeil paisible. Le coeur
obèse. L'haleine tiède. Nuque. Course. Pieds. Route.
Bruit. Tu ne t'effondreras jamais. Et je défile, devant toi,
sur la place de l'enfance. Carnaval, je suis plein d'étages.
L'enfant armé qui ne sait pas se servir des fusils.
L'innocence effrayée par elle-même. Tu aimes,
confidence. Mes bras aux blessures, et quand je saute dans l'eau
qui n'existe pas j'éclabousse quand même. Je ne laisse
rien sur le passage. Je ne frappe sur rien. Parfois les vitres, le
plexiglas, parfois mon ventre. Je fonds en moi. Je vais:
je vais te, maintenant que j'ai vingt ans, maintenant
que je sais l'impact de la peau, maintenant que mon parfum colle aux
arbres, maintenant que ma violence est dans le secret. Maintenant,
que j'ai les yeux profonds et inutiles,un corps grand comme le
monument, la tristesse dans la créche, l'enfance en miettes
dans les creux. Tu as des tresses trop courtes. Je tire. Dans ma
chambre J'entends encore maman dire non. Aujourd'hui maman dit la
même chose quand elle me lit. Je fais le rapport. Confidence.
Tout me revient. On va te reconnaître, ma confidence. Tu étais
inquiéte. Tout me revient. J'aime ton rire. Maman dit non, et
nous sommes juste à côté. Tout me revient, quand
je tiens le manuscrit dans mes bras. Et c'est trop brusque. Je dois
placer mes idées. Je cherche le corps de l'écriture
dans toutes les rues. Aucun ne correspond à ce vertige. Je dis
ton prénom. Tout me revient. Mes huit ans. La maîtresse
qui croise les jambes et ma tête qui tourne. Hier soir, j'étais
dans tes bras, et je me laissais caresser. Et là, il faut que
je fixe mes idées. Brouillon. J'ai l'écriture
brouillon. Comme un raz de marée. Rien ne se fixe. Je dois
fixer mes idées. Tout me revient. Ton heure et ces murs qui
tombaient lentement, lentement. Pardon si tu lis ça. On va te
reconnaître. J'avais déchiré mes collants en
laine de huit ans, et ouvert la porte. Je suis arrivé, j'ai
ouvert la porte et je suis entré, tu es venue dans cette
chambre. Tu as déposé ton odeur. Tu me fais peur quand
tu as un regard de poupée de plainte.. Hier soir, j'étais
dans tes bras, je crois. Monsieur, sortez, je ne veux plus écrire,
laissez-moi tranquille. J'arrive avec un corps comme une adresse.
Aujourd'hui, je suis presque propriétaire. J'entends une voix
à l'intérieur me dire "je n'ai pas mes propres
pensées, parce que je n'ai pas mon propre corps". C'est à
ce moment là, que je loge en moi. Que je m'installe dans cette
peau. A huit ans. J'entends encore les autres dire « il
est dérangé, il me fait peur, avec ses yeux, ses yeux,
ses yeux ». Dérangé. Non, occupé.
Oui. Pas dérangé. Rien ne me dérange. Tout
m'occupe. Je suis occupé. On m'occupe. C'est si simple d'être
celui dont tout le monde parle. Je refuse. Je suis arrivé
brûlant comme un soleil timide. huit ans. Tu disparais sous les
draps. Réapparais en ombres. Je veux. Je suis si gros. Tu es
si mince. Tu es l'eau du bain trop froide. Je suis entré. J'ai
jeté tes poupées sur ton lit. Et je suis monté
dans ton lit. Je suis monté. Monsieur, je veux allez jusqu'au
bout de l'écriture, ce qu'on imagine pas encore. J'entends
encore Maman expliquer « non ». Je te griffe.
Ce n'était pas dans la violence. Non, c'était autre
chose. Une panique. Et je t'ai dit, là je t'ai dit ça,
la confidence. Là, oui, je t'ai dit, sur toi, sur l'étouffée
: « je veux t'arracher la peau ». Je t'ai dit
ça, et je ne voulais plus que tu sortes des draps, je me suis
allongé sur ton ombre. Pardonne-moi. C'était avec toute
la violence de l'enfance trop mouillée. C'est si facile,
d'être comme tout le monde veut. Monsieur, laissez-moi allez au
bout de l'écriture. L'enfance glissante. Sans matiére.
L'enfant pendant sous les mains. Je veux t'arracher la peau. Tout me
revient. Et c'est ça ma confidence. Tout me revient quand je
tiens le manuscrit dans les mains. Il me faut une scéne. Ne
pas publier, ne pas dire, je publie depuis toi. Je dis ça. Toi
et moi l'écriture secréte. Il y'a des débuts
partout, sur nos corps. Pardon d'ouvrir la scéne. Ca aussi
c'est ma confidence : la naissance de l'écriture. Marion des
vents, ne pars jamais, depuis j'ai 20 ans. Je serai là,
encore, dans la répétition, des choses qu'on lit déjà.
Des terres qui nourrissent comme ce que je tiens dans les mains. La
louve sans pattes.
J'entends aujourd'hui ma mère qui me lit et qui dit « non ». Mais ça elle ne sait pas, tout ce qui me revient.