Papa est mort.
Papa est mort. Il a avalé cent huit somnifères. Le réveil est éteint. Papa les a accumulés au fond du verre. Le whisky ne dissout pas la solitude. Ni la douleur. Papa est mort. On m'a appelé. Je buvais soutenu par la nonchalance, un peu de légèreté. J'ai demandé cinq verres de fête, pour infuser la nuit dans mon corps, qu'elle recouvre la surprise et l'étouffe. Cinq petits verres à renverser mettant un bandeau au regard de la douleur. Je n'ai qu'un permis pédestre. Une autorisation d'errance. Ok, Papa est mort. Et après. Cent mille licenciements prévus. Cent mille morts à crédit, cent mille désespérés et combien de pendus à dix huit pour cent taux variable selon la conjoncture économique, dans nos châteaux blindés, nos coffres tremblés. La rue s'allonge et le soir grogne. C'est le crépuscule qui s'annonce dans le ciel délayé, les couleurs affadies, la foule vomie, étourdie. La nuit enveloppe déjà tous les bruits de la ville, déploie ses divertissements au néon dans les cafés et les bars. La musique gronde. La lumière compense On ne s'entend pas, se voit pas à peine. Les gens s'endurent et ne se supportent pas, s'effleurent sans se toucher. Les contacts sont gantés, hygiéniques. Je m'assieds. Pour capter le bruit. Ce sera ma cartouche. J'écoute. On formule du bruit à gauche. A droite aussi. Le langage c'est un bruit qui ne pense pas, une excuse pour meurtrir le silence, qui effraie. La musique s'interpose. Juste au cas où. Mauvaise. Mes jambes en terrasse. Chauffée. Faut bien entretenir toutes ces petites usines humaines qui fument, expirent. Ca rassure sur l'état économique. Demain on aura qu'à titre "La relance en terrasse". Je suis tout seul, à vomir des lettres. J'aurais aimé voir à quatre yeux, autour de moi que du bruit. Mes lunettes sont perdues. Merde. Peignons myope. On danse je crois. Une vieille croute montmartienne, musette en mini-jupe. Les solitudes ricochent, pas de deux, l'oubli se ménage. Il faut bien vivre. Je suis rue Descartes, maintenant. Pour causer aux grands hommes. Chacun son tombeau. Rousseau. Il en a des choses à raconter depuis l'enfer. Maman veut savoir où je suis. Sur répondeur. Dommage, ici le parfum de l'Histoire, du bois pourri. Personne pour fouiller le creux de la nuit. Quand elle remonte sa braguette, qu'elle éjacule ses flèches argentées, personne pour voir. La nuit tien des prisonniers. Les gens passent sans les voir, les meurtris. La symétrie est la beauté des architectes. Faut croire qu'ils sont tous un peu oeuvres, bâtiments, tous parallèles à coïncider. Sourire, maquillage, jupe, jeans, pantalons. Ce doivent être des esthètes, pas moi. Je garde le cheveu fou. Ca évite de se confondre, de s'esquinter. Ca préserve un peu de toutes les renonciations commodes, de toutes les habitudes à l'échec.