Meurtre en moi.
Je suis un cliché.
Un tueur en série avec toutes les règles du tueur en série.
Son intelligence.
Ses misères.
Ses manies.
Ses douleurs.
Ses hontes.
Je sens remuer en moi ce monstre de pierre et de vices. Que je
croyais être le talent, qui n'est que du meurtre.
J'ai peur de tuer.
Ca arrive.
Je l'entends qui monte
Le meurtre.
Sur la soie de moi
Comme une odeur
Sainte
Comme l'onction des baptêmes
Qui engloutit
La puanteur
De la raison
et
De l'athéïsme.
Bientôt je ne serai plus, tout comme mes victimes.
J'ai peur et mon ventre friable, mon ventre inquiet.
Peur.
De ce que ces mains faibles peuvent faire.
Des respirations qu'elles peuvent capturer
Des fleuves qu'elles peuvent enfanter
pour noyer des passantes.
J'ai peur de raréfier sous mes pas
L'oxygène des filles de joie.
Un, deux, trois
Et je compterai les miasmes
Qui se mélangeront au vin
Je nouerai les crimes
A l'esthétique.
Pour faire
Naître des germes
Incendiées, des racines
Enchevêtrées
Un poème
J'ai ce monstre de pulsion, de gestes, d'envies, cette veine, ce
sang qui bout, et bientôt je ne serai rien d'autre que cette pulsion,
ce geste, cette envie, cette veine et ce sang qui bout. Ce jour là,
gardez vos filles et, puisque je suis un cliché, dites leur de ne pas
couper par les parcs que le jour oublie. Et vous, mères, n'oubliez pas,
dans vos ivresses, les sandales qui vous écarteraient de la foule. Je
serai là, indistinct des ombres, sous les
lampadaires qui ne s'allument plus. Je serai là, dans le creux de la
ténèbre ensommeillée.
Je le sais, que je tuerai. J'aime tellement qu'on me supplie
d'arrêter.
Je suis un cliché.
Qu'on arrêtera
Puis qu'on violera
Qui se pendra.
Je ferai des morts qui seront comme les alexandrins d'un sonnet, je choisirai leurs prénoms pour qu'ils fassent des rimes françaises, qui s'embrasseront, qui se répondront, qui s'entremêleront. J'en ferai quatre le premier mois, j'irai à la ligne le second quatre le troisième, et je respirai le quatrième, trois le quatrième, et je dormirai le quatrième, trois le cinquième. Mes morts seront une oraison.
J'oublie qui je suis.
Je suis hanté par un crime.
Je ne peux le dire à personne que le plaindre sur un blog, que l'articuler ici, péniblement. Sans images, sans couleurs. Je dis, que je tuerai, parce que je le sens en moi avec le sac ouvert des vipères qui enveniment mon être, avec les rameaux de la folie qui barbouillent d'ombre la toile de logique.
Je ne peux pas en parler ni à mes amis, ni à ma famille, je ne peux rien
murmurer de ce qui occupe mon coeur, de ce qui leste mes humeurs, je ne
peux rien dire de la couleur que je vois à la nuit. Qui était brune,
qui était tendre, qui a transmuté en possibilité. Quand je vois les
passantes, je veux me déguiser en façades, je veux surgir de
l'indistinct pour leur mordre les paupières.
Je les déchiquetterai, et j'ai peur de cette voix qui le dit, j'ai peur
du métal qui enroue mes cris, qui fait jaillir ma peur et puis leur
sang.
Je vais tuer.
Quand ?
Un jour.
Mes ruptures amoureuses étaient des brouillons de crime
en brisant des amantes, je m'habituais aux remords et à la peur.
Je ne tremblerai pas, au moment d'abattre sur le cou mes mains
mortifiées, gantées par l'usage de briser en pleurs, en eau, des âmes.
Je m'habitue à la culpabilité pour que le jour où le sang tâchera
mes mains, où la mort envahira leurs yeux, ce soit doux en moi comme
une larme tiède.
Putain.
J'aimerais que tout ça ne soit que pour rire.
Que ce soit une farce.
Que je cherche de la folie dans ma raison.
Pourtant je sens cette vague brutale qui m'envahit.
Cette marée qui ne sait plus descendre de mon corps devenu grève devenu
plage recouverte d'un voile d'écume séchée.
Oh, cette mer qui monte me chausse le pied.
M'habille de crime
Oh.
Je vais tuer.
Comme je suis intelligent mais pas trop je me ferai avoir, un jour,
parce que je parle beaucoup, aussi. Parce que j'ai besoin de savoir que
l'on sait qu'entre mes doigts roulent les péries amoureuses.
Le procureur dira de moi des choses,
des trucs, avec des rires, et des éclats de voix, il se fera briller,
grâce à la lumière de ma cellule à venir. Pauvre procureur que les
plaidoyers ont usé, pauvre procureur dont l'habitude a fait une ride à
l'émotion. Ride primordiale, sillon d'où rien ne germe que l'ennui.
J'aurai le corps luisant qui
se réfléchira dans ses yeux éteints par la compassion. Il n'y a de
lumière que des cyniques, lumière sombre, offrant au crime le repos.
Je prendrai mon temps. Je déglutirai comme on se prépare à rentrer sur
scène. Peut-être ferai-je des vocalises pour bien donner de la
contenance à ce corps qui ne m'appartient plus.
Lui, mon rival, celui qui veut l'assentiment du jury, ten,tera de lui
donner des
larmes, il énumérera les victimes, il leur donnera un nom, un
corps, une famille pour qu'elles ne soient pas des taches de sang
anonymes, quelconques, pour
qu'ils en sentent le souffle finissant que j'arrachais, avec mes petits
doigts,
avec mes petits yeux.
Il dira qu'il y avait douze victimes, s'il y a douze corps. Alors je
tousserai pour le reprendre. Je n'objecterai rien, je dirai simplement
qu'elles sont treize, que cette chose qui grandissait dans mes
poumons, qui y prenait la place de l'oxygène, fit de moi, de mon corps,
de mes muscles, de mes facultés la première victime. Je dirai, que je
suis le corps du crime.
Que je n'ai rien souhaité. Rien voulu. Rien bandé. C'était un autre, un
fantasme, avec mes traits, avec moncorps, avec ma voix, qui abattait les
corps de filles. Ce n'est pas que je veux ; c'est que je dois. Et, sur
le pas de ma cellule, sur la paillasse de pierre, se tiendront douze
crimes pour me tenir chaud. J'entrerai dans ma cellule grave comme un
roi et j'en sortirai souillé comme une pute.