Marie
Certaines choses s’achèvent sans
qu’on le voit ni ne le sente. Il suffit d’un geste, parfois, pour chasser
l’alizée, et vider le ciel de ses attributs de victoire. J’ai le cœur
excisé, il se porte déjà ailleurs. La mode de mon corps a changé, Marie
est un nouveau prénom qui y fleurit et Lucie continue de porter sa voix
de mort. Elle me complète : j’en suis l’odeur, de la mort.
Dans tous les pays, les empires,
les Républiques, dans tous les corps et les cerveaux de femmes, c’est
la même chose paresseuse, qui m’ennuie.
Je suis déjà plus loin que ça mais
personne ne peut l’observer, il faudrait plisser l’émotion jusqu’à la
rendre chinoise et demain j’irai pour toujours de l’autre côté des vies,
j’aurais des ivresses en chapelet, religieuses ivresses où des saintes
se dénuderont, où la bouche de Marie me fera oublier les cœurs frivoles.
Je parlais d’Hongrie et s’assembler dans ma tête les images de la Berbérie,
j’entends des voix –le ressac de la mer- qu’est l’accent amazigh. Des
proverbes qui sont des pas armés, et me bercent de leurs mélodies, je sens
des feux oniriques qui crépitent et se nourrissent d’un bois de rêve,
enfoncent des passions et disent « voilà la vraie forme d’une flamme,
elle a le cœur d’une étoile, la chaleur d’une abysse, et la trahison
d’une femme ». Là bas ce seront des montagnes kabyles et des déserts qui
nous rendront fous, en pénétrant pieds nus sur le sable chaud, on laissera
la raison, et on dansera pour avoir soif dans une union de damnés. Chaque
respiration prendra des vapeurs de l’enfer qui se recracheront en souvenirs,
avec Marie, on évoquera les souvenirs et les amours déçus, ceux là qui
avaient dans le ventre des chênes pourris et des dieux païens. On pleurera
de larmes de sable, on fera s’écrouler du verre de nos yeux détrempés
par les oasis imaginaires. Nous n’aurons qu’à boire des souvenirs, dirons-nous,
et nos rires craqueront dans le ciel pour faire naître le premier orage
du Sahara et nous aurons soif ensemble, alors, blottis dans les plaies
mystérieuses, ces grottes creusées par le temps, à travers nos os et ces
bouches qui en nous poussent des plaintes. Les caravanes passeront comme
des fantasmes, dans des habits de poils et de lait de chèvre, elles passeront,
indifférentes, comme le serpent qui passe sur la roche et attend que le
soleil excite son sang.
C’est trop tard, je ne sais plus
jouer mais les dés et les dominos ont laissé sur les mains leurs chiffres
et leurs amusements. Je suis devenu ce jeu, énorme, qui tue, rachète, saborde.
Mais je ne jouerai pas, alors j’abandonne les âmes stériles, je les laisse
à leurs amours souillés, aux jeux initiaux, primaires, et je retourne aux
prénoms éclatants de volupté, drapés dans du lin.
Marie a le cœur vierge des blessures
intelligibles, c'est-à-dire qu’on les saisit du coin de l’œil, et qu’elles
s’empilent en soi, les blessures.
Prénom de sainte, corps de putain.
Marie, demain, j’ai des ongles
pour toi qui te feront des ravages sur la peau, je sens toutes tes eaux
et toutes tes lassitudes qui se cherchent une maison close.
Je n’ai plus que des promesses
de vérité que les autres, les amours, souillent de leurs légéretés. J’aime
sans gravité, bien sûr, j’aime sans une pensée, c’est déjà trop penser
ses amours, j’aime sans sérieux, avec la bouche amusée de ce baiser virginal
qui l’interdit. Mais j’aime pour de vrai, avec tous les élans fracassés
du souvenir, tous les départs, et tout l’absolu qui me déborde des hanches.
JE PORTE UN ENFANT DANS MA GORGE
ET VOUS VOUDRIEZ M’AVORTEZ ? ET CE CRIME VOUS HANTERA JUSQUE DANS VOS
JOURS CLAIRS DE JOIES IL PENETRERA SANS CONSIDERATION POUR LES INTERDICTIONS
MATERIELLES ET SENSUELLES PARALYSERA VOTRE DESIR FIGERA VOTRE FATIGUE
Lucie est morte, elle ne le sait
pas, et demain je la verrai sur une stèle de marbre qui me dira « je ne
le savais pas, mais je dormais dans ce cercueil anonyme, je dormais au
milieu du bois maigre. J’avais la mort inconfortable, alors je me suis
levé et je t’ai trouvée, c’est ton odeur qui m’a attirée, elle me
rappelait
quelque chose. Chez moi. Aujourd'hui que je veux me rendre dans ce foyer
aux lumières anéanties, j'aimerais que tu m'y joignes, qu'on aille se
mettre sous les yeux ma même noirceur languissante dont tu te pares
quand tu veux dire je t'aime ».
cette invitation m'ecartèle.
Il y a Marie, il y a Margot, il y a les fantômes ignobles, il y a le
coeur pur et les rosiers merveilleusement justes qui m'ont poussé sur le
torse, il y a l'appel médian du soir, il y a, les promesses que j'ai
faites, et la voix de Marie qui n'en peut plus de soupirer d'attente, de
l'autre côté de la rue, au creux d'un abîme de foutre. Elle attend, que
je vienne, que je sois débarassé des amours faciles qui sont des
matières composites, constituées des purges d'avant.
Il y a des désespoirs qui saillent de moi et ces tombereaux de larmes qui s'échappent de mes mains.
Je ne peux pas supporter un amour qui se disperse, qui soit fabriqué dans des forges de vent, où le soufflet remplace le fer.
Plus jamais je ne serai sale.