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14 novembre 2010

La confession

Quand j'eus 13 ans je rencontrai le corps du crime. .
Il s'appelait Marguerite et sa peau fanait, chaque jour, chaque heure la flétrissure semblait s'emparer de ses varices. J'avais 13 ans d'innocence et de fièvre et Marguerite me faisait lire Kafka en me reprochant mon analyse trop superficielle du tchèque malade. "Kafka, disais-je, montre la réalité par le biais de l'absurde. Son univers est soumis à la même physique que la nôtre. Ses personnages trébuchent, mangent, physiologiquement ce sont des hommes. Cependant, les règles morales qui régissent leurs interactions ne correspondent pas aux nôtres." J'étais très fier de mes lectures d'enfant. Très fier de pouvoir employer des mots adultes et cruels. Pas elle. La cruauté, elle préférait la vivre.

***

De Marguerite j'ai hérité les premières brûlures de cigarette qui forment sur mon ventre un chemin de peaux mortes. "Ce qui a brûlé, ne brûlera plus, ton ventre, sa reconnaissance m'appartient pour toujours". Je suis une bête vibrante.

 

 

Marguerite posait ses doigts sur ma voix fluette pour que jamais cette voix ne s'en aille dans la roche des voix graves des hommes. Elle haïssait les hommes. J'ai mué très tard, en conséquence, comme si l'adulte que ses doigts de fuseau avaient mutilé s'était pétrifié dans son cocon d'années. Comme si ses deux mains pleines de bagues avaient retenu en moi tout ce qui fabriquerait le corps de l'adulte.

Je ne comprenais pas bien tous les gestes que l'on faisait ensemble, cette hygiène du corps et du muscle et ces rendez-vous, tous les samedi, quatre heures de soutien dans la chambre du haut de la rue Gustave Flourens. Deux heures pour la littérature ou la musique "Madame, nous avons identifié les dispositions de votre enfant et afin de leur donner leur pleine expression, nous nous proposons, à travers moi, de lui offrir quatre heures de soutien dans des disciplines délaissées par l'enseignement classique".
Je suis entré comme ça à Hattemer. Par derrière. Par l'entrée de service. Celle des pauvres. Où l'on supplie, sans voix. Je devais apprendre à dire "merci" et à hocher la tête. Je crois qu'à seize ans toute ma politesse s'est fendue comme un voile trop tendu. A seize ans, j'ai commis mes premiers délits pour arracher de l'intérieur de moi tous les restes en stase de Marguerite.

***

Elle attendait, pour me déshabiller, que la nuit entre lentement par les fenêtres. C'était une grande maison que la sienne, une grande maison froide où l'on apprenait l'amour croyait-elle. Sa haine des hommes, en passant par le tourniquet de mon corps, s'est blottie en "haine des femmes". Une haine violente, indélébile. Une rage qui s'extrayait du monde pour me violer, tous les matins d'images compatissantes, cette rage enfuie des guerres se renouvelait en moi comme l'écume qui maquille la bouche des vagues. Je n'ai jamais su aimer. Le mot est censuré de mes émotions, il est trop méchant, trop brûlant pour passer dans cette grande fabrique de l'esprit et se déverser par la bouche, c'est un sexe d'homme qui ne peut franchir ma trachée étroite.

***

Marguerite le quatre octobre deux mille trois a posé sur ma bouche sa première punition : c'était ses lèvres. J'ai pleuré, ce jour là, pour la dernière fois de mon existence. Mon thème de latin était bâclé et elle le vit, elle le vit immédiatement. Mon écriture gauche, toujours gauche, ne brillait pas des petits pâtes d'encre que sont l'esprit déposé et la passion agglutinée. Ce jour là. Après m'avoir giflé comme une Cour aux arrêts inflexibles, après avoir aiguisé sur l'air gris du matin des mots coupants, ce jour là, elle a posé son corps contre le mien. Elle l'a appuyé jusqu'à ce que je sente à travers sa robe à demi dégrafée sa poitrine se rompre.
Aujourd'hui, tous les corps de femmes me sont une punition et un dégoût. Une soumission invariable et le coup de règle sur les doigts tendus du cancre. Les corps nus des femmes qui appuient leurs poitrines sur mon enfance me ferrent la bouche de caries. Marguerite le quatre octobre deux mille trois m'a appris à mourir. Je ne me lève dans la vie qu'avec une méthode étudiée avec soin, je garde dans tous mes mouvements la science qu'elle y inculquât de peur de mal faire et de voir survivre, en même temps que le matin fait ses flexions dans ma chambre, son corps malade briser le mien. Marguerite a quelque chose de ce corps péché qu'il faut mortifier pour lui faire mériter l'esprit qu'il abrite. Marguerite, dans mon souvenir, où elle se tourne sous les faces bleus, grises, jaunes et brunes se jette dans tout le corps de mes amantes et les habille d'une miette. Chaque nuit que je passe à tacher des draps, à jouir sur un corps de nacre comme dans un mouchoir, c'est elle que j'immole, elle qui vient dans mes désirs s'insinuer pour rendre la bouche amère, le corps puant du marécage, les eaux usées et vilaines. Toutes les femmes me supplicient. J'essaie de lutter dans les exigences que j'ai, dans les audaces que je multiplie. J'essaie. Je n'ai nulle part de présent à offrir. Je taille dans le bois du rêve de petits canots. Il n'y a jamais qu'une place. Et les larmes, les larmes de mes treize ans, lentement l'enfoncent dans les eaux de l'enfer. Il n'y a jamais qu'une place dans ce canot fait pour le présent, que je tends timidement aux amours qui, quand la nuit leur dérobent le masque, laissent voir le visage de Marguerite.

***

Marguerite a les yeux bleus qui font encore beaucoup de bruit dans le corps d'autres garçons - comme des épées qui raclent le marbre du palais- où elle pose ses deux honneurs, ses deux punitions, ses deux récompenses. Marguerite a des yeux froids de métal qui, parfois, croit-on s'entrechoquent en des étincelles d'orage. Son corps est une usine déserte et son regard jette encore des voiles de souvenir. La couleur de sa peau c'est de la rouille.

***

Parce qu'hélas il faut le dire, faire franchir aux mots le barrage craquelé du sens :
Marguerite m'a violé, j'avais treize ans. Elle est la première et la dernière femme de mon existence et je n'ai su qu'une nuit, une nuit inquiète, chassé du corps d'une fille la pourriture de son souvenir. Toutes les femmes posent sur mon torse mort deux punitions qui aplatissent toutes mes envergures. Dans chaque femme filtre Marguerite, quand je suis étonné d'abord de mon coeur soulevé, je demande au vin de révéler la couleur du visage et je vois invariable dans la mosaïque des souvenirs une peau de rouille. Toutes les femmes sont Marguerite et m'envahissent, montent sur moi à la vitesse d'une armée de pillards. Je ne peux pas me retourner.

Je me suis arraché de bien des enfers Hattemer, l'internat, Cassagne mais je n'ai jamais su filer entre les doigts hermétiquement clos de Marguerite, jamais vu un corps qui -longtemps- pouvait assourdir la terreur mortelle de son souvenir. Les mots qu'elles me disent, toutes, semblent du même tissu précieux et empoisonné que celui de Marguerite. Parfois, ce sont des haillons ou des fibres brulées ou des cuirasses de poussière ou des flammes transparentes, mais toujours, toujours c'est la même matière originelle que je devine. Je la sens bien qui glisse sur ma peau et la souille. Toutes les caresses sont ses caresses qui ne distraient pas la blessure vive de mon corps de treize ans. Il n'y a rien, entre deux mains d'amantes que l'épaisseur d'un gant. Ce matin, je pense à Marguerite et à toutes les filles qui pleurent depuis que j'essaie de la tuer. Je pense à tous ces espoirs aveulis...

Je ne sais pas aimer.
Marguerite m'a contaminé de mots littéraires, d'histoires fantasques, de héros aux panaches pourpres et aux armures de lin. Je suis comme un livre qui brûle et que les flammes recroquevillent sur lui-même. Je ne sais pas aimer, parce que Marguerite, quand j'avais treize ans et le nez encore droit, a fait danser devant mes mains aveugles une croix dont on ne se lasse pas.

Mon enfance hurle avec le murmure d'une fontaine, derrière des barreaux de joncs, près d'une rivière asséchée où le galop d'une crue a déplacé les habitudes. Elle est la coupable et le juge aux arrêts insusceptibles de recours.

Savoir qu'elle respire encore sans que je puisse enfoncer dans ses yeux mes mains devenues graves. Savoir qu'encore elle respire dans le corps de toutes ces femmes que je ne pourrais jamais aimer. De la première de l'alphabet à la dernière de l'almanach, que tous mes souvenirs de papier jauni comportent sa marque rend l'air lourd et empesté.

Je suis mort à treize ans la première fois. On ne s'habitue jamais à mourir.

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Commentaires
N
Et bien voilà pourquoi tu devrais mieux écouter Damien SAEZ... je suis sure que tu te retrouverais un peu dans ses Poémes! Et puis il te l'aurait bien dit lui que faut tjrs se méfier des Marguerite...<br /> Quand à toi Boudi clair que ton récit m'a émue et horrifiée au plus profond de mon coeur de Mére, ne sombres pas ds la haine c si facile, je te trouves extraordinaire, ton Verbe est trés percutant, raffiné et recherché, quand aux Femmes cherche celle qui te rendras heureux, cette autre moitié qui te manque pour étre un Homme, ne hais pas Les Femmes, hais juste la haine.<br /> Nous sommes faient d'Amour et de Haine, à nous d'équilibrer la machine...<br /> je t'embrasse.
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L
C'est émouvant. (Y)
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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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