Lettres à la haine : n°1 - Mot pour Emilie D.
En moi tu remues les haines de celui qui a eu faim. Il y a tous ces corps perdus, brisés de supplications qui prennent le mien pour amplifier des plaintes. Je ne t'écris pas ; je t'outrage. Tout ce que tu es je le maudis en des prières inventées pour le sacrilège des fortunes. Mon sang te renie dans son lent murmure qui chante des cantiques d'enfer. Le monde me semble un poème trop étroit pour deux bassins si ennemis que les nôtres. Je te hais. Je hais toi et tous ceux de ta race qui savent survivre dans leurs démesures d'insignifiants. Pour moi. Vous êtes le meurtre. Le meurtre fier et angoissant, tapi dans les replis des lois, agissant toujours avec le secours des autorités crânes et odieuses. Vous avez à vos crimes, mis les grandes robes des lois et des soirées.
La richesse vous marque de son sceau invincible, c'est le péché originel du siècle que de naître riche. Il faut des baptêmes de misère, des douches de soufre, des maquillages d'angoisse pour espérer faire tressaillir sa peau de ce crime primitif.
Mais tu pleures, tu pleures ? tu as l'orgueil de la tristesse ! Hé ! Ne touche pas nos luxes de tes mains gantées d'argent, tu es déjà riche, laisse nous les cris, ils ont suffisamment à faire pour nos gorges, les cris, suffisamment à faire pour nos corps meurtris, suffisamment à faire pour occuper la place de l'espoir et de la faim dans nos chairs. Je te hais Parce que c'est le moyen que j'ai de briser le sceptre honni des pouvoirs et des riches capricieux. Quand je te hais c'est un milliardaire de fantasme qui meurt, son corps de carreaux brisé des pavés d'enfant.Je te hais, de la haine de celui qui a eu faim, la nuit, quand la tienne s'abimait de lumières exotiques. Je te hais de celui qui a eu faim quand tes yeux s'armaient d'aurores. Je te hais de celui qui a eu faim quand ton corps joyeux riait sur des tables pleines de gâchis. Je te hais avec la main du mendiant qui se tend plein de peine vers tes yeux moqueurs. Dans ma haine il y a trois quart d'orgueil et un quart de damnation que je te promets.J'ai fait des études pour donner à ma haine une profondeur et un paysage. J'ai fait des études pour donner à ma haine des raisons. Je n'ai pas cherché de tempérament à l'ardeur. L'ardeur ne vaut qu'audacieuse, violente, toute farouche de chaleur, je n'ai cherché qu'à la motiver et la faire durer. C'est un brasier allumé sous un pont, mais le pont,vois-tu étais-là, et il se serait mis en branle, avec des muscles de miséreux galériens, il aurait avancé. Quoi qu'il advienne jusqu'à renverser vos fortunes et vos corps. Je te hais pour ce qui transparait du monde à travers le véhicule de ton corps. Je te hais et je voulais te le dire. Pour que tu saches que ceux de ma race extermineront jusqu'aux derniers de la tienne. Si vous êtes plus forts nous sommes plus nombreux. Si vous êtes mieux armés nous serons plus braves.Nos rangs tremblent de fatigue de n'avoir le soir que des trous de verdure où coucher la haine mais n'oublie pas, n'oublie pas que nos ventres sont vides, que les armées d'affamés vainquent toujours les soldats repus. Tu seras Rome ; je serai les Huns, les Vandales, les Francs, je serai le déferlement de la faim. Nous jeunons tous les jours déjà pour que l'appétit frustré aiguise nos colères. Fais attention le matin aux premières formes qui se soulèvent des cendres de la nuit. Ce peut être mon frère qui tue l'un des tiens. La lumière qui s'arrache du gris parisien ce peut-être le muscle phosphorescent d'un impatient de la rage. Le clapotement de la fontaine, place de la Sorbonne, méfie-t-en comme du pas d'un de nos éclaireurs cavaliers. Nous avons des haines qui ne sont jamais rien d'autre que le nom de nos dignités et de nos fiertés .Nous avons refusé votre réel insuffisant. Refusé nos ventres gonflés de vos odeurs.Nous avons dit, d'une voix fêlée comme la cloche d'une Eglise, notre refus de vos existences. Vous aurez beau veiller. La nuit est un complice patient. Toutes les dates des calendriers elle fera le guet au dessus de nos gestes maladroits. Tous les crimes elle couvrira nos fuites de ses langes de soie. Fais attention. A toi. Parce que je te hais.Que demain, ou les fêtes à venir, l'un des miens emportera l'un des tiens, jusqu'à ce que ce soit toi.Nous sommes plus nombreux, nous sommes plus courageux, nous n'avons plus peur.Je t'enseignerai jeune fille qui vit dans le luxe et l'espace, l'étroitesse d'un tombeau, creusé pour un, où l'on se jette à deux. Je ne prendrai pas de place, parce que j'ai faim. Le cadavre de ton crime gésira tout près de l'innocence du mien. Je te hais Petite.
Tu verras la douceur meurtrière des ailes d'un utopiste quand au sortir de ton cours de russe une voix de révolution t'emportera la bouche. Tu apprends une langue dont je t'enseignerai un mot : goulag.