Aux nuits impossibles.
Il y avait longtemps que ce cœur
noueux, aux artères noircies de fureurs, n’avait pas frémi d’un souvenir
humain. Qu’un visage tout centré dans le réel, sans les trucages de l’alcool,
sans les audaces incertaines d’un corps tendu de vilenie, n’avait pas
ému ma fatigue, n’avait pas débordé ma torpeur. Si longtemps qu’il me
souvient mal mes conjugaisons, le temps y a creusé des morsures clapotantes comme la pluie au pavé des visages.
Si longtemps que mes lèvres ne
fredonnaient plus que des habitudes, jusqu’à, jusqu’à ce que toute l’infernale
machinerie, émue, se dissimule et tapisse ses rires dans les rimes qui
se marient à la nuit qui les fait naître. Yeux bleus, j'aime les rivières qui chantent dans vos iris.
J'aime d'avoir le corps promis à une destination de l'écho de félicité.
De vous chasser vous, souillures, vous étrangères, inconnues,
demie-femmes, fioles et folles. J'ai un amour qui ne le sait pas, qui ne
le devine pas, et qu'il est bon le sang qui chauffe avec entrain dans
l'artère, et son concert qui remue. J'ai un amour de loin, que je frôle
avec la voix. Toi.
Je suis de ces maisons indolentes,
qui flottent sous les arches que sont les tropiques, qui ceinturent à trois
moments du monde les routes d’aubes. Qui découpent l’eau en part scélérates
pour former océan et mers.
J’ai passé du temps à dériver
d’esquifs en esquifs répondant selon des reins féminins, les
bateaux d’aventuriers remuent toujours de l’œil bleu et souverain d’une
belle. Deux mains dans l’écume ont creusé l’Amérique, Collomb et son
corps de matière et son odeur de musc ; Santa Maria pleine d’échardes
à l’haleine ivre de rhum. L’aventure prolonge le corps des hommes et
débute à l’ombre des femmes. Je dérive dans le rein fragile, sur la côte
taillée en presqu’île de mes amantes. L’amour est chose unique et réunit
tous les délires, toutes les ambitions, ce frémissement que c’est qu’être
en une passion, en une violence. C'est aimer qui barre le souvenir du reste, et éboule sur la mémoire le miracle du présent.
Qui me nourrit, qui
m’inspire,
qui réveille la faim en moi, qui donne à la soif l’envie de puiser dans
les mirages l’eau soudaine et vive, n’est ce pas la rupture entre les
fictions ; la fusion dans mes nerfs des yeux pâles et de ma colère
chaste? N’est-ce pas de savoir défaire avec les doigts qu’il y a dans la
voix les ronces de mes cheveux où les images dansent comme des pendus ?
Qui lève en moi la douceur insoumise et chasse l'indifférente d'un
baiser
brisé ? Je ne peux plus toucher d'humaine matière, un temps, le temps
que
tout mon être convergeant d'une audace n'aura pas apaisé son cri
d'aimer. Le parler sentencieux au prieuré. C'est que je t'aime toi, dans
tes voiles pudiques.
J’ai aimé les yeux clairs de croire
toujours que ceux-là m’attendent de l’autre côté de mes nuits insoutenables,
où dans mon corps le crépuscule se purge et le jour se tarit. Je les ai
souvent rêvés les yeux bleus et gris tendus dans la nuée, avec toute la
promesse du sursis et le sommeil ne venait pas. Je ne remuais pas, et j’attendais
qu’il roule dans ses doigts indifférents toutes mes usures, que sa bouche
panse mes nerfs vifs, aigus comme des psaumes. Je ne peux devenir que depuis la lumière qui gronde, tumultueuse,
dans le roulis capricieux du jour qui taille dans la nuit les meurtrières
de l’aube. N’est-ce pas ces chemins emplis de mystères, dans le creux
d’une forêt, que moi ? Où les mythes mordent la terre et la foule. N’est-ce
pas moi, que le silence la nuit, d’entendre le clairon des villes un à
un tituber dans l’ombre jusqu'au néant? J’ai vu le visage humain du jour se lever du
tombeau du soir, vu ses guenilles et ses épines. J’ai vu le visage du
jour qui ne me ressemble pas disperser les restes de la nuit dans des vêtements
chinois de deuil.
J'attendais que le silence en finisse de moi, qu'il achève de railler
mes fragiles scansions, que son rythme de soldat taise, taise, taise le
sommeil ennemi. Celui-là qui me fuit, qui se trouve un complice pour le
masquer. J'ai toqué à des portes, cherché dans les sexes des filles un
peu de la part du sommeil qui me revenait. J'ai trouvé l'ennui dans les
bras des amantes déguisées en feu. Je crois l'avoir cédé, le sommeil,
confondu avec de l'âme. Je l'ai cédé une nuit de mars, il est longtemps,
j'ai oublié. Oublié sa forme, oublié sa voix, oublié ses hymnes. Je ne
sais pas. Je retourne le nulle part.
Que ce corps fragmenté en dix corps
et sept prénoms que sont les amantes se trouvent une retraite. Qui sont des remèdes à la nuit ronde,
amère, que j’avale comme un cachet d'aspirine. N’en faut-il pas des
anesthésies pour bander le délice d’être ? N’en faut il pas des entraves
au cri, en attendant d’aimer il fallait déjà brûler. Ne m'en voulez pas. Les yeux noircis comme des craies.