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17 juillet 2011

Mes rimes ont les cheveux blancs

Je n’ai jamais eu peur de la mort. Malgré tous les attributs dont on la pare ; ni sa voix qui résonnait dans les contes avec des râles de cauchemar, ni la soie livide qui déguisait son visage, ni son pas pesant de soldat haineux. Je n’ai pas peur d’elle. Ni de son arrivée imprécise, ni de son imminence. Depuis petit je me suis habitué à elle, j’ai appris son pouls régulier, son geste imparable, sa démarche de marée, ses cernes. Pourtant, quoi que sans crainte de son apparition je ne veux pas mourir tant que l’illusion de n’avoir pas tout organisé de mon désordre ne se sera pas dissipée. Je suis trop bien élevé. Je ne sors pas sans avoir rangé ma chambre ; je ne meurs pas avant d’avoir mis mon existence en ordre. J’ai une œuvre à faire endurer au monde.

I



Je suis un échoué, j’ai du sable plein la bouche. Aucun des bancs ne me permet le repos. Chaque fois que je m’assieds sur un siège qu’on dit à plaisir, qu’on dit à profit,qu’on dit à ennui je n’y rencontre qu’une absence. L’absence de moi. Je ne me rencontre ni par-delà le sommeil, ni par delà la conversation. Mon corps est une chose impalpable, irréelle, absente au monde et que les autres, pourtant observent; rencontrent, affrontent, il est autour des épithètes d'individus qui s'y viennent trouver de quoi se former jusqu'en phrases. Ce corps, cette absence de corps me fait une névrose qui me sert d’interface aux autres, c’est à travers une déraison que je me manifeste, je deviens concret de la médiation d'une folie. Je me prétends toujours un destin d’écrivain, je l’imagine gai s’inscrire dans toutes les bibliothèques, j’ai vu déjà cent fois mon geste se crisper avec scrupule sur un billet offert de félicitations. Je sais déjà le sort que je réserve à ma gloire, tous les soirs je m’endors de ce crime dans la pensée. Je la sais cette vestale incréée prête pour moi à toutes les crémations, j’ai déjà creusé dans ma paume les caresses à lui nouer, les ailleurs à lui montrer. Je cultive dans l’intime, le houx et les ronces à attacher à sa gorge, le matin du poète pour faire frissonner ce que j’imagine demain ses boucles de soir. Je me sais déjà une gloire plus grande que la gloire permise par les sociétés littéraires, par les qualités toussantes des particules du prix. Si l’on me fait un honneur, demain, je monterai à la tribune. Je déchirerai toutes les pages du discours. Je scruterai l’audience, je déchiffrerai bien tous ces corps, et j’en désignerai un, celui-là le plus certain, le plus égoïstement regroupé sur lui-même, parce qu’il prendra le mieux à l'incendie. Je le regarderai et je m’adresserai à lui. Je lui dirai « M., ce discours je vous le dédie, ce prix je vous le dois. Ecoutez moi, avant de vous rider d’un sourire, écoutez moi. Votre prix je n’en veux pas, pourquoi m’en soucierai-je, moi que l’Histoire attend. Elle serait bien fâchée d’apprendre que vous fûtes de mon entourage, que vous désignâtes mon être de ces lèvres tombantes dont elle n’aura retenu ni la voix, ni le prénom, ni le vulgaire. » En attendant la gloire, tous les jours on m’appelle pour faire se disperser ma solitude, pour me mélanger à la fureur des corps qui se choquent et se bousculent. J’ai le bonheur silencieux, un bonheur de messe, un bonheur sacré, qui a des pas limpides et légers. Mes amis ou plus justement, les gens que je fréquente ne peuvent l’entendre. Ils aiment à me voir dans ces endroits où je deviens, avec la fatigue, avec le péché d’ivresse un autre que moi, ou d’un pas audacieux je peux soudain me rapprocher de leurs certitudes aux cheveux lisses, plaqués en mèche sur le front. Mon comportement devient de leur ordinaire, ma grâce timide se scelle sous les baisers de l’orgie. Il m’est arrivé dans ces nuits imprécises de me découvrir, au matin, l'encre d'un prénom féminin à demi-effacé d’angoisse et de sueur. Un prénom de n’exister plus qu’à peine d’avoir toute la nuit vidé dans le cri son existence, son plaisir et sa honte. J’ai sur le drap de mon corps des taches de couleur, des restes d’yeux bleus coulés là dans un murmure. Je me réveille avec un parfum qui semble réciter une prière d’abandon, une incantation vieille de trois millénaires pour clore la bouche des fantômes qui la nuit sur un lit se sont trouvés des rires ou des joies. Le dimanche l’angélus ne vient pas changer les couvertures que je dérange. J’ouvre la porte lentement, je ne fais pas de bruit contre les portes encore battantes de la nuit. Dans le ciel le rouge n’a pas encore tout bu du sombre, il reste dans le fond du ciel de cette couleur mignonne qui force toutes les audaces. J’ouvre la porte, toujours du même geste insatisfait qui n’a vidé de moi aucune horreur. Tous les monstres, je veux dire toutes les pensées, toutes les forces avec lesquelles je suis venu au matin se distraient toujours sous mes paupières. Je recoiffe mes cernes dans le reflet incertain que me propose la vitrine des premiers commerces. Je veux aller dans cette nouvelle journée avec tout le charme de mon désespoir, avec toute l’élégance possible de mes manières de déshérités. Là, voilà, le maquillage de la détresse, cette lèvre fendillée par les dents de la nuit, ces yeux profonds d’avoir pris au cauchemar son hurlement.

II



Je vais pouvoir me rendre à la rue heureux de mes dépits, et fondre ma voix dans le chant des cloches matinales.

J’ai l’angoisse des années qui passent. Je regarde mes vingt-ans, je les poudre, je les parfume. Le matin je passe le rasoir sur les poils trop drus pour me garder la douceur innocente d’une puberté neuve. J’ai peur dans le miroir de mon visage qui se brise, des traits qui de lassitude s’estompent et se durcissent, forment des lignes fières, entières, comme les frontières barbelés d'un Etat militaire. A la sortie du lycée je viens regarder les dix-sept ans des adolescents avec des yeux jaloux. Je me trouve partout des parodies. Je murmure dans moi-même « voilà ce qu’on en fait de mes dix-sept ans ; une parodie ». C’est avec mes gestes de dix-sept ans que je vais ramasser dans mon corps de vingt les jolies enfants qui toussent leur cigarette sous le porche du lycée et étouffent comme dans une mer profonde, dans l'écume de la bière. Elles ont toutes mille histoires à raconter et que j’aimerais leur faire vivre, donner à leur bouche menteuse, l’amertume de la vérité. Plutôt qu’offrir, quand nous fuirons le groupe de ces demies-innocences, des roses, des fleurs, des parfums, je lui donnerai à sucer l’aubépine en fleur, et mâcher l’écorce difficile des racines exotiques. C’est le goût de la vie, c’est l’odeur de tourment que tu trouveras partout, après que ton âge ne te sera plus l’excuse de rien. O. est une toute petite que j’ai déchirée avec les dents. Elle portait ses yeux bleus comme on porte le scandale. Le premier jour que je l’ai vue, dans la rue A., elle lisait Dostoïeveski avec toute la concentration possible de ses yeux angoissés, ses genoux se touchant pour faire au livre un support, et son dos plié, faisant deviner une bosse dessous son cou replié. A ses joues d'avoir, comme les jolies filles, de le pratiquer régulièrement, souri au crime, ses joues se paraient d'un écarlate coupable. Ses yeux, relevés de sa lecture, des petits caractères en désordre, disaient la culpabilité, le remords, l’angoisse du vivre et cette prison intérieure qu’avant même que la police ne vous entrave les poignets, que les juges ne vous jettent dans leurs officielles cellules, vous garde et vous retranche du monde.

O., ô tes larmes, fontaine de jouvence. Merci pour tes dix-sept ans, je les ai tout bus. Si tu fanes de sécheresse, si tu sens tes cheveux qui cassent comme l’algue des basses marées, c’est d’avoir vieilli. Le temps de tes sortilèges doucement s’éteint. J’ai bu ta liqueur, j’ai fait rouler toutes les gouttes de ton âge dans moi, j’ai pris à tes maladresses des forces et des formules, sur ton corps sans douleur j’ai puisé le repos, les forces, les scintillements de moi si rares qu’on les dit éteints. Je me suis baigné de ton âge. Ma colombe éventrée.


III



J’entends dans l’escalier ce pas qui au matin m’éveille en joie. Qui diminue discrètement quand je mime de ne pas l’entendre, ce pas qui se dépose sans poids au parquet, qui enjambe les grincements du bois. Ce pas toujours couvert de la discrète inquiétude des amoureuses. Je l’entends, et j’en sais toutes les variations, je le connais mieux encore que la parole qui, de fatigue, s’étiole en murmure. Je le sais dans son intensité maladroite des joies à partager, je le sais mieux que tous les sons de la ville, de ne l’avoir qu’à moi dès huit heures du soir, et d’en apprendre le silence quand l'ampoule du salon balbutie moins intensément.

J’entends ce pas que trop souvent j’alourdis de pleurs ; j’entends la minutie avec laquelle elle déplace son corps jusqu’à l’entrée. Je ne quitte pas la chambre, je suis à demi-couvert, j’imite la posture du sommeil. J’entends la porte qui s'entrouvre, la ferrure qu'on claque délicieusement. Le jour qui se retire de la chambre. Ses talons qu’elle déchausse. J’entends ses soupirs, la fatigue d’une journée inutilement gâchée au dehors, pour quoi déjà ? Elle n’en sait rien, elle a rencontré des hommes, des femmes, elle a feint l’engouement quand ses interlocuteurs balançaient les bras et les idées, quand les chiffres dans leurs bouches s’animaient avec plus de vigueur que le baiser des jours de mai. J'entends. J'entends. A mes sens musique charmante, plus encore que l'opéra à l'ouïe du musicien.

Elle entre dans la chambre. C'est la nuit.

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Commentaires
V
"Je suis trop bien élevé. Je ne sors pas sans avoir rangé ma chambre"<br /> <br /> Menteur.
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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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