Quand tu parlais de suicide.
Wendy me disait, il y a une dizaine d'années maintenant, que jamais je ne me suiciderai. Par cette assertion elle entendait que mon désir de suicide - j'en parlais souvent - ne reposait que sur une superficielle intention. A se yeux, sûrement, je ne souhaitais guère vraiment mourir mais être suicidé et, quelque part, jouir, vivant, de cet état là : suicidé. Comme s'il portait en lui le plus insigne des honneurs et qu'aucun autre statut vivant ne pouvait l'égaler. Ma détresse, réelle, et la maladie, déjà (inommée, alors, mais présente et contagieuse à moi-même), me rendaient inaudible la justesse de son argumentaire. Parler de suicide, alors, c'était se souhaiter des ressemblances avec d'illustres prédécesseurs (négligeant par là le grand nombre des anonymes qui périssent atrocement, sans faire d'éclats, dans les baignoires, les draps, les lits d'hopitaux, les fleuves et les coups de feu) ; ce n'était pas souhaiter mourir.
A mon désir, artificiel, de suicide elle opposait celui plus réel et convainquant de Jean-Baptiste (que nous appelions Jibé). Non, parce que son désespoir était le plus impressionnant ; presque à l'inverse ; parce que la vie lui paraissait indifférente, qu'il la négligeait, s'y promenait avec un certain bonheur et assez peu de réussite. Ce n'était pas, dans son cas, le malheur qui rendait crédible la possibilité du suicide mais ce détachement face à la vie - recelè-ce une douleur ? Wendy l'imaginait bien, un jour d'ennui, saisissant son coupe-papier pour ouvrir, comme tous les jours, son courrier ; voyant la boite aux lettres vide ; continuer son geste et l'adresser à son poignet pour que lui, Jibé s'achève dans un flot de sang indifférent.
Jibé, aujourd'hui, n'est pas mort. Il écrit dans différentes revues. J'ai connaissance de son actualité parce que nous sommes amis sur facebook. Il aime la musique et en vit.
Wendy avait raison, sauf peut-être, dans l'éternité proclamée de son jamais. Celui que j'étais, s'il s'était maintenu dans son obscure fièvre, alors peut-être, oui, jamais n'en serai-je mort. Mais j'ai changé. Et j'ai changé encore, aujourd'hui, dans l'amour toujours renouvelé pour Marie-Anaïs qui me préserve de cette mort ennuyée.