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22 février 2020

Roman 3 : HSBC

Mon Master 2 se déroulait en apprentissage. Du lundi au mardi cours à l'Université ou à l'ESSEC, mercredi, jeudi et vendredi et toute la semaine lors des vacances scolaires : HSBC.

Je bossais dans la finance, sur les champs Elysées dans l'ancien bâtiment du CCF. 

La vie qui se dessinait devant moi m'horrifia un jour / La maladie prit sur moi son avantage silencieux. Et plutôt que me rendre au travail, j’avais pris une place dans un des cinémas du 5e. C’était un film de Fassbinder, je ne me souviens pas le titre. Par un amusant hasard le personnage, lui aussi, quittait son travail qui lui promettait, tout comme à moi j’imagine, le désespoir, l’assèchement interne et pas mal de fric.

La maladie, que je nommais à l'époque, avec négligence, petite dépression, fut bien sûr la cause principale de mon abandon de poste.

A la suite de mon départ, l’un de mes professeurs qui se pensait littéraire et spirituel, avait choqué tous mes camarades en s’esclaffant « s’il préfère se faire enculer en lisant Rimbaud »

Son rire, cette sorte de rire de traître, je l’imaginai parfaitement de le lui avoir si souvent entendu. 

Ce type appartenait à la catégorie fort répandue des médiocres qui, pour paraître brillants, humilient les autres, souvent plus jeunes, plus timides en somme plus faibles.

Sa carrière académique ne valait pas grand chose. Il avait pu obtenir un poste de MCF en droit, accomplissement tout à fait honorable en soi. Ceci ne lui suffisait pas. Dans sa discipline il demeurait un inconnu, personna nullius.

Spécialiste de rien, bavard de tout. Incapable de la moindre hauteur

Il était, chose honnie par lui, banal. Alors, pour s’en consoler, comme souvent les frustrés, il humiliait les autres, passait ses nerfs sachant son autorité et son magistère sur les étudiants.

Ses bons mots ne valaient pas grand chose ; blessants, cruels…ouais. C’était tout. Il faisait rire l’assemblée, parfois, non de bonheur mais de terreur. On riait de la flèche évitée.

Ni Voltaire, ni Foucault…lui uniquement lui ce qui le satisfaisait au plus haut point et tout autant le désespérait.

Lorsque j’appris son injure (qui se doublait, belle grâce, d’homophobie) nous échangeâmes. 

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Que savait-il au fond ? Son mail, tout empli de cuistrerie, mon dieu. Que savait-il au fond de ma détresse profonde, de l’envie de crever, l’impression chaque matin de me lever les yeux crevés devant les peindre, croûte imitant la vie. Que savait-il lui qui avait raté ce qu’il convoitait, raté, expert en ratage, mesurant tout à l’aune de son ratage, docteur honoris causa de la nullité.

Lui, qui ne savait rien de ma détresse à moi et m’insultait tandis même qu’il savait ma maladie. J’avais déclaré, ignorant les subtilités du mal m’abîmant, une dépression. Sa basse cruauté, il devait encore l’exercer contre moi. Elle ne m’affecta pas. Le ridicule de sa rédaction, son style laborieux, qui se voulait élégant, le disqualifiait. Il ne pouvait rien contre moi - et pourtant faisait planer une menace si lui avait pu décider contre moi alors j’aurais vu ce que j’aurais vu.

L’enfer, c’était la banque. Les petits rituels grésillant en moi, malgré moi, négateurs de moi. J’avais les cheveux longs, broussailleux, assez peu admissibles dans ces lieux là. Tous les matins, je les passais sous l’eau pour leur donner une forme à peu près conforme. Tous. Les. Putains. De. Matin.

La banque inventait d’autres rituels, traçait dans notre journée des points de passage.

En arrivant les employés étaient soumis à une procédure de sécurité très semblable à celle des aéroports. Je déposais mon sac sur un tapis roulant. Un agent de sécurité contrôlait son contenu grâce au scanner à rayons X.

Puis je passais sous le détecteur à métaux. 

Par lassitude et parce que tout ceci m’apparaissait ridicule, je glissais souvent dans mon sac des sex toys et un coupe papier qui, sous le scanner, avait l’apparence d’une lame affutée. Rituels discrets, abêtissants. Le pire, comme pour toutes les soumissions, on s’y habitue. On s’habitue à cette discipline. Je ne sais à quoi elle nous prépare ni si même elle y parvient. Mais elle le fait.

Le déjeuner se donnait dans un autre bâtiment, à une dizaine de mètres. Le principe voulait que le repas soit pris en commun. Je ne crois pas que les notions de team building ou de corporate culture furent évoquées. Elles transparaissaient, s'avouaient de notre simple présence dans ce lieu ; comme la maladie mentale dans l’hôpital psychiatrique.

A ce déjeuner commun, je ne parvenais à m’astreindre. Les conversations me coupaient l’appétit, l’angoisse, terrible, toujours me saisissait. Alors, très vite je me suis abstenu. J’errais les rues, les cafés. Souvent je prenais le métro dans un sens, puis dans l’autre pour lire. Tout ce qui me séparait de la banque me sauvait. Me refusant à cette discipline du repas commun, on me regardait comme un paria, un étranger, un type bizarre ce qui, à n’en pas douter, j’étais. 

Les vendredis nous devions faire un reporting de l’activité financière de la semaine. Je m’y collais. Il fallait imprimer des documents pour les ranger dans une immense salle où dix années de documents s'accumulaient. C’était une obligation légale, on disait. Ce reporting. Il fallait tenir à la disposition du régulateur des marchés financiers, l’AMF, ces reporting. Sans tenir de registre, sans savoir à peu près ce qui figurait dans chaque classeur, je voyais mal quel type de surveillance pouvait être exercée. Un alignement de classeurs, de chiffres au sens perdu, de nombres égarés. Une bibliothèque d’absurde, constituée par les gestes répétés par des juniors, des stagiaires, des intérimaires. De ceux qui ne sont pas encore tout à fait comme il faut. Lieu, sûrement, de la discipline. Accomplir une tâche sans sens. Gestes fantômes, ayant laissé ici la trace de leur soumission. Moi-même je m’y trouve. Avec ma nombriliste lâcheté

Discipline et contrôle. C’est le maître mot du travail. La devise. Discrète, invisible, habituelle. Dès l’entrée. Dès le premier geste. Les cadres ne pointent pas. Payés au forfait il n’est nul besoin de mesurer leurs temps de présence. Mais la banque ne pouvait abandonner son pouvoir de contrôle sur les corps. Alors elle installa ces portiques, ces reportings, ces mots de passe - mots de passe à changer de façon régulière pour donner de l'importance à sa tâche, les déjeuners en commun. Ecrasés, définis par les objectifs, le rétro-planning ces mots réservés à ces lieux là que les open space engendrent et répandent ; ces mots là se diffusent, comme des virus, de boites mails professionnelles en boîte mail professionnelle. 

Ce dont je me souviens, soudain, c’est ma directrice de Master son époux, banquier chez Lazar, l’habituait aux réceptions et au luxe. Avenue Victor Hugo, elle portait aux oreilles de petites pierres précieuses. Son titre universitaire lui conférait aussi de sérieux avantages matériels, elle invitait ses étudiants à déjeuner. Enseignante-chercheuse, elle ne cherchait désormais que des tables où déjeuner et des apprentissages pour les étudiants. 

 

Mon boss, chez HSBC, Benjamin, incompétent notoire traînait sa misère dans son bureau. Il avait sept enfants, s’était retrouvé là à force d’échecs et de copinages. Ma présence, ici, disait aussi un échec. Mon absence, là-bas, dit encore l'échec. D'une autre nature.

Les employés des boutiques de luxe, des parfumeries, des galeries prestigieuses lorsqu’ils quittent, à la fin de la journée, leur poste sont passés à la fouille. On s’assure qu’ils ne dérobent rien et, dans le même temps on leur rappelle leur position éminemment subalterne. Le soupçon intangible pesant sur les pauvres « vous êtes des voleurs, nous le savons et nous agissons en conséquence, ne le prenez pas contre vous, vous n’y êtes pour rien en tant qu’individu c’est votre nature on ne dira pas classe, classe ça n’existe pas vous savez, c’est fini ce temps là des classes » langue des signes, les mouvements du vigile sur les corps.

Devant le client leur est imposé un style distingué, un dress code sévère qui les fait paraître, de l’extérieur, du dernier raffinement. La boutique close, sous les mains attentives de l’agent de sécurité, leur condition leur est rappelée. Brutalement. Sèchement. On les dépouille du chic artificiel. Les voilà, si tôt la journée achevée, renvoyés à leur condition de pauvres, de suspects ; renvoyés à leur salaire de misère. Renvoyés, pour les employés parisiens, à la grande banlieue. Tout signifie « vous n’êtes pas d’ici » vous êtes tolérés 35 heures par semaine. Pas une minute de plus sauf si elle est gratuite.

On les revêt un instant des atours du pouvoir et certains d’entre eux se prennent au jeu et agissent, dans la boutique, avec l’attention exquise qu’on leur exige. On les paie en symboles. La petite broche dorée de Sephora ou de Nespresso coûte moins cher qu’une augmentation de salaire, qu’une prime de fin d’année, qu'une réduction de l'amplitude horaire à salaire constant.

Il existe maintes formes de contrôles. Celui double, ici, du tailleur et de la fouille.

J’ai tenté de me prendre au jeu, et les premiers jours sûrement y parvins-je. De l’argent, quelque chose de présentable à montrer aux autres. Cadre supérieur à HSBC ou UBS ça en jette. Au moment de faire valider mon contrat d’apprentissage à l’Université mon interlocutrice, voyant l’entreprise où j’étais affecté, siffla d’admiration, elle a dit « c’est la classe, c’est pas La Poste ça ». Ou le LCL. Je ne sais plus exactement ; l’une des deux banques, c’est sûr.
Alors, pris au jeu, cherchant à rattraper je ne sais quel temps perdu, cherchant à légitimer ce qui m’arrivait - que je désirais aussi - je me conformais, je me rendais aux after-work notamment celui des champs elysées. L’Ice Bar, c’était je crois. Il y avait un open-bulles pour 15 euros. De 20h à minuit. De la bouffe aussi. Gratuite. De la musique, des gens en costume. Des gens qui se surveillent mutuellement, qui se sous-pèsent tentent de se deviner, de se mesurer, de se reconnaître ou de se méconnaître.

Oui, avant que nos organes ne se tordent, ne se déchirent, avant que l’air trop rare nous fasse s’évanouir l’âme ; on jouit. Danger commun, tous les plus âgés te le racontent, l’argent c’est un piège, c’est le confort. Plus vite qu’on ne croit on se change en chiens de garde, on peut garder des habitudes de loup. Sûrement, même ainsi, c’est pire. On devient alcoolique pour ce qui nous reste d’exercice de la liberté, d’hors-champs de ce champ clos.

dans certaines boites de nuit qui se veulent select les mêmes yeux se penchent sur soi. Au Silencio, j’ai pu faire l’expérience de ces regards là. Mêmes yeux, mieux habillés, parés d’un maquillage plus élégant. Les femmes plus belles, les hommes plus connus. Voilà.

 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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