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12 mars 2020

Prank me not.

     Au bar, il demande un verre. Une liqueur amère, dense, noire comme du pétrole. Petit goût d’amande sur la finale. La première gorgée endolorit les lèvres. On ne sent plus ni la morsure ni le baiser. Sur le comptoir, quelques gouttes de sang. Celui, qui se mâchonne les lèvres ; les coupe avec les dents. 

 

          C’est un bar d’une autre sorte on y sert le sommeil et non l’ivresse. C’est là bas qu’on vient le trouver, toujours. En disant encore. Tu es encore là. En protestant mollement. Par devoir. Garder les apparences de la colère quand la colère a passé. Ca aussi, c’est un devoir.

 

 

          J’aime me confondre, liquide, sableux dans la substance somnifère. Sentir, s’engourdir, chaque morceau de moi et devenir mon tout dans la narcose. Adieu, les désensoleillés ; les sibériens ; adieu la toundra et l’herbe sèche. Ah, laissez tranquille mon être mortel. Ah, vers grouillants. On ne prête pas attention aux vers solitaires.

 

 

          On l’appelle, désormais, narcotique. Ca ne fait rire personne. C’est pour lui conserver une identité sociale. Le reste de lui, progressivement, s’est défait. Son prénom, même. Il y aurait quelque chose d’indécent à le nommer, comme s’il était le même.

 

Il est cet autre somnambule qui se déshonore lui-même.

 

          Saviez-vous, vous, que les êtres humains ça pouvait se rétrécir comme ça, jusqu’à ce point. Se plier, une fois, deux fois, puis quatre et huit comme des feuilles de papier. Un être humain ça peut diminuer comme le papier d’Arménie sous la flamme.

 

          Le costume nous rappelle ta forme passée. Tu t’es rapiécé bien avant lui. Tu ne te ressembles plus. La main, peut-être, quand tu redresses sur ton nez tes lunettes neuves. Je me demande quand tu les as achetées, ces lunettes neuves. Quand les as-tu achetées tes lunettes ?Elles sont neuves.

 

          Je ne sais pas combien de fois tu as cherché cette brume. Tu as fini par la trouver, hein. Le néant, cet aspect du sommeil même dans la vie. Toujours tu t’es tenu au rebord de quelque chose. Ton appétit démesuré ; à combien ne t’es tu pas essayé…Les drogues, les filles, les garçons, la musique…quelle erreur on a faite. On s’est dit. Voilà, un ogre vorace et féroce.
C’était l’inverse. Tu étais, l’inverse, exactement, narcotisé depuis le premier jour tu te mouvais pour échapper à la gerçure de ta nature. On s’était trompés. On t’a pris pour un autre. On a pas aidé.

Oui, tu étais un puits sans fond. De vide et non pas de désir.

 

          Je vous fais peur et j’aime vous faire peur. Quand j’appuie mon être dégoûtant contre ta poitrine ; je me laisse tomber, répulsif, sur toi. Je vomis Ton sourire qui vomit.

 

 

          Quand tu parles, on ne comprend rien. Tu bredouilles ou tu marmonnes. On ne peut guère dire que c’est parler, ça.

          Oui, le souvenir des petits poings serrés dans le lit  d’enfant. 

Tourne, sur le côté. L’un, puis l’autre. Le retour en arrière. 

La première forme ; l’attitude primitive ; la dernière apparence ; la mort.

 Oui, tu me charmes, quand tu dis comme ça. 

Mais c’est du vice. Je ne suis pas d’accord. Pas besoin d’être saint. Humain, voilà. Durable. Ferme.

 

          Maintenant, c’est dans la vie ; l’éveil que tu joues au défunt. Je ne savais plus même que c’était la mode, ça. La cyanose, on savait, les lèvres bleues ça a du style et le mot il en jette ; on pourrait se retenir de respirer de longues minutes pour le plaisir simple de dire : je suis cyanosé, oui, regardez mes lèvres 

« coloration bleutée des muqueuses lorsque le sang contient 

plus de 5 grammes par décilitre d’hémoglobine désoxygénée ».

 

La cirrhose 

« du grec ancien roux est une maladie du fois résultant d’agressions biochimiques 

répétées le plus souvent par la consommation chronique d’alcool »

on connaissait oui, c’était d’un banal. Ca on comprend que tu n’aies pas essayé. Enfin, un peu tu diras. Par accident.

 

          Mais la narcose, ça. On aimerait dire : c’est épatant. Ca l’est pas du tout. De te voir traîner là en ta forme périclitée.

Voilà, à quoi ça ressemble une noyade de plein air. 

Un échoué, c’est.

 

          Je les vois et je m’étonne de tant d’agitation. Je tente, souvent, de m’exprimer d’un geste simple de la main dont le sens dépend du contexte. Il ne signifie pas toujours l’extrême lassitude. Ils défilent devant moi. Lentement, comme des diapositives, ils m’ont l’air plus vieux que le cinéma muet. Chameaux ils ne peuvent pénétrer ici. Il y eut un temps jadis où l’évanouissement valait bien des succès ; c’était le tout du monde sa façon de tomber. Les tapis persans accueillaient la chute ; les corps très humains s’épanouissaient mandragores muettes. Peut-être on finissait par mourir mais on finit toujours par être le repas des vers ou du vent…Alors. J’aimerais bien qu’on me demande, et toi, comment tu tombes ? et non plus « que fais-tu dans la vie » ou alors qu’à cette question on puisse répondre, moi, je tombe, j’ai la chance de tomber et qu’on me regarde ébloui comme si j’avais dit j’ai fait HEC ou l’ENS. 

 

Moi je dis, je suis Monsieur Morphée. 

 

 

 

          Ils souhaitent le sauver malgré lui et cherchent sur Internet un thérapeute spécialisé. Spécialisé en quoi…C’est une addiction, ça le sommeil ? Une addiction sans substance. Le bar…même sans lui il parvient sans peine au néant. Le bar, c’était comme pour parachever le mouvement. Pour signifier sa défection totale et irrévocable. Il a déménagé de ce côté de la vie, traversé une rive mais d’un autre mode. Ils s’interrogent. Certains sont fatigués ; se rattrapent par une blague ; ne t’endors pas…on a déjà assez à faire. Un s’écarte du groupe, ne comprend plus bien à quoi bon. Deux fois par mois, cette réunion dans le petit salon de l’avenue Jean Jaurès.           

 

          C’est comme s’il était devenu le dernier prétexte à leur amitié. La bave du sommeil devenue ciment. Le temps passe. On s’éloigne. C’est normal. Certains deviennent de droite. On les oublie. D’abord en prétendant se faire une trop haute idée de l’amitié pour leur en tenir rigueur. Mais ça ne dure qu’un moment. On se sépare. Il se dit « tiens moi je suis fatigué, vraiment fatigué ».

 

          Tu devrais me rejoindre, tu sais. Je ne parle pas souvent. Pas beaucoup. Si tu comprends ça, ces signes là, si tu déchiffres quand je bouge de droite à gauche. Si ce langage moins lisible encore que le morse tu le comprends sans peine ni atermoiement s’il t’éclate à la figure comme un b.a.ba alors…viens essaye, toi aussi. Je ne te dis pas pour toute la vie…tu sais ce que j’en pense à la fin…il ne s’agit pas de se convertir. Tant qu’à faire. Je veux dire, tant qu’à faire, depuis combien de temps deux ans, cinq ans, j’ai perdu ces notions là moi, vous parlez de ça comme d’une chose étrange et dangereuse et moi j’en suis le repoussoir ; le totem c’est pour ça qu’on me garde ; on m’entretient comme un mauvais diable ou une mise en garde, la bonne action sous le coude, la bonne excuse quand ta meuf ou ton merde t’emmerde tu dis « j’ai monsieur narcose » comme on va au chevet d’un mourant. Alors…pas…joins toi, mais tente. Si tu comprends, c’est déjà que tu as pénétré le périmètre. La chute, c’est le vertige. Tu vois, la chute, on néglige, cet aspect là. Cette chute elle dure toujours…tu ne finis pas écrabouillé. C’est ça la vérité, tu vois…Ils l’ont choisi la chute. C’est le grand mensonge depuis 5000 ans. La chute, c’est un choix.

 

Deux, ils sont deux maintenant…

 

Oui ça n’a plus aucun charme si on est deux, ça se fissure.

 

C’est trop d’énergie, et puis pour quoi faire, à quel titre.

Haha, oui quand c’était singulier ça avait un air de sacré et de sacrifice. Mais deux, deux on dirait une contamination. A qui le tour, maintenant. Ce n’est plus pour rire. L’effroi il est pour de vrai.

 

J’ai ma vie, pourquoi de toutes les façons les gens changent, voilà, on ne les abandonne pas ; ce sont eux avant tout qui nous ont quitté.

 

Tu te dis, j’ai fait de mon mieux, franchement, je me suis bien battu mais s’il ne veut pas être sauvé. Mais depuis le départ il n’y avait rien à sauver.

 

Si ça leur plaît la merde…je n’ai pas à juger des préférences des autres.

 

Tu es tolérant tu te dis « chacun sa merde ».

 

 

          Lui se dit, à la fin, que tout ceci était un bien piètre artifice. On tente de donner du sens à sa vie en prenant des poses christiques. Deux fois par mois on a accompli son devoir de charité et nul besoin de Dieu, d’enfer ou de paradis pour ça. L’ego, sans aucun problème, supplée et condense ces trois-là. Il ira, les voir. Parfois, sans régularité. En silence. C’est donc ça l’amitié. 

 

          Parfois, tu viens nous rendre visite. Ce n’est pas ta vie et sans mépris ni violence tu te risques à nous puis tu te dis le non-vertical que ce n’est pas pour toi. Un jour de grande douleur ou de grande joie, tu tentes le coup, mais c’est temporaire. Le temps d’une nuit, une visite, ça fait plaisir. Ca me fait plaisir de partager ça avec toi. Les autres…ça finit toujours pas révéler sa vraie couleur et c’est moi qu’on croyait du vide et du néant ? Les narcotiques ce sont eux ; la contagion de tout ; leurs gueules pandémiques.

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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