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27 septembre 2020

Et ma haine est immense.

Vendredi, l’ophtalmologue a procédé a tout un tas de mesures de ma vision, s’est intéressée à l’état de ma cornée, à la qualité de ma correction. Puis m’a été remis le résultat de ces examens. Des feuilles imprimées, en couleur, incompréhensibles et belles. Images, chiffres, mot, langage non-vu, non dit.

 

Corrigée ma vue s’établit à 7/10, 14/20 (et je me demande ce que signifie une vue de 20/20, une vue avec la légion d’honneur et les félicitations du jury)

 

 

En rentrant, les documents, je les ai rangés avec d’autres documents de nature semblable, ces papiers qui vous objectivent, vous identifient et vous assignent. Le test, aux grands yeux ronds, affirmant mon absence totale de MST tout en indiquant « douleur à la miction » parce que j’avais précisé combien c’était douloureux de pisser ; le compte-rendu établi à l’hôpital Bichat suite à mon agression indiquant « trois agrafes posées » (puis retirées, à Tours, par une infirmière) et « non admission ». Donnant à ma blessure et mon état une sorte d’évaluation, un 7/10 de la non-douleur.

 

 

Foule documentaire, scrutatrice. Foule critique, mesurant, comparant. Salle bondée nous archive et nous dédouble. Quel formulaire ma bouche ? Quel imprimé mes yeux ? Quelle ligne mon ventre, ma merde, mes couilles ? Où mes douleurs ? Dans le niveau de TSH inquiétant ?

 

 

Il y a l’ordonnance pour mon traitement et ce mot, affection longue durée, qui précède l’énumération des médicaments ; ce mot qui dit : pour la vie ou presque. Qui dit, pour longtemps. Tu vas pas t’en sortir tout de suite.

Mais ça dit, aussi, ALD, ça dit, ce sera gratuit, t’en fais pas mon petit gars, la France c’est toujours la France, le CNR et la Sécurité Sociale. 

 

Et de porter ALD sur mon ordonnance me distingue des autres malades, d’une certaine catégorie de malades, de tous ceux pour qui être malade caractérise un état ponctuel, et passager. Les ordonnances de ce type de malade comportent, en quelque sorte, l’anéantissement du mal qui les habite. A côté de chacun de ces outils chimiques est indiquée une durée. La durée maximale de la maladie.

 

Je me trouve ordonné ALD, myope, TSH élevée normale. J’imagine, alors, un graphe énorme où nous tous, postillons, petits cratères nous inscrivons. 

 

J’ai retrouvé, dans cette paperasse objective, mon acte de naissance. Je l’ignorais mais l’acte de naissance au-delà d’indiquer lieu, date, heure, parents etc rapporte la profession des parents. 

 

 

maman profession : femme de ménage

papa profession : agent de sécurité

 

 

alors en lisant

j’ai senti tout ce qu’il y avait d’immigré, de pauvre, d’indésirable en moi et plus loin que moi dans mes parents, grands-parents, dans ce grand silence d’où l’on vient, nos origines muettes, la coupure avec notre histoire, le silence de leurs hontes, le silence de leurs peurs.

 

 

 

Je pense à la vie de mon grand-père dont il ne parlait pas. En France, vivant dans les bidonvilles, avant la libération de 1962. La misère, le travail acharné. Le silence. En 1962, il est rentré en Algé-Rien. Comme il ne disait pas.

 

agent de sécurité & femme de ménage

 

 

 

 

les métiers, les derniers des derniers, ceux que font les arabes et les noir·es (et aujourd’hui les bengali·es et les philippin·es et toujours les arabes et toujours les noir·es, réparti·es selon leur genre) les métiers dont les français ne veulent plus. On dit, non, ce n’est plus pour nous. 

 

 

Ecrivant, ici, à propos de cet acte de naissance des larmes montent, les mêmes larmes que lisant, découvrant, l’acte de naissance.

 

Des larmes de colère qui, plus jeune, étaient des larmes de honte, honte lorsqu’il fallait dire, devant mes amis bourgeois, le métier de mes parents, honte non de le révéler, honte pire, honte d’avoir honte et de le taire, de changer femme de ménage par femme au foyer, de changer agent de sécurité par je ne sais quoi DRH ou ingénieur informaticien. 

 

A ce moment je pense au racisme de l'extrême centre, j’y pense avec haine. Une haine imprécise, incertaine mais juste. Baldwin, dans l’homme qui meurt, fait éprouver au narrateur la haine irrévocable, indiscutable du noir contre les blancs. Cette haine, exactement. Cette haine qui doit aussi être la sienne, celle de Baldwin, et que nous avons en partage. 

Cette haine, exactement celle-là. Quand. Je lis à l’encre noire « femme de ménage » quand je lis « agent de sécurité » sur le fond blanc de mon acte de naissance. La haine, cette haine inexprimée toute la vie cette honte bue tout ça monte, impuissant. 

Je lis,

les derniers des derniers

en-dessous il n’y a rien

(ou les prostituées, les toxicomanes, les SDF) 

et avec

je le sais aussi

il y avait le préfixe

sales arabes

qui fonctionne aussi comme suffixe

 

 

je lis

je sais bien ce que je lis

tout ce qu’il y a dans ces mots -

qu’on ne sait pas - ce qu’ils signifient

au-delà de ce qu’ils statuent

je repense à maman

qui faisait le ménage dans des hôtels je crois

ou à la poste peut-être

enceinte de moi

me trimbalant moi et la honte

et la haine qui grandissaient

en moi maman

et tombant, vomissant

qu’on renvoie 

de son poste de femme de ménage

il y avait

femme de ménage

sale arabe femme de ménage

sale arabe femme de ménage au chômage

derrière ce mot là

de femme de ménage je lis ceci

 

 

Et tout ceci.

 

Rien.

Un document de plus

m’objective

me raconte

Ecrit sur l’ordinateur

on ne lui trouvera même pas

la sueur des pleurs. 

Voilà. 

 

 

 

 

(et je me souviens ce voisin qui avait dit à ma mère retourne dans ton pays et je crois qu’il est mort peu après en tombant dans les escaliers et je ne sais pas si je l’avais souhaité très fort et si Allah en quoi je croyais alors m’avait exaucé je ne sais pas mais je continue à souhaiter très fort ces choses là)

 

 

 

 

$$$$

 

 

 

 

Tirerais-je si je devais un jour tirer ? Tirerais-je sans remords ? Oui, j’en suis sûr. Et ma crainte ce n’est pas tuer ou pas tuer, c’est me préserver du plaisir que je risque d’y prendre. C’est me refuser la jouissance de ce qui ne peut être qu’un devoir de dernier recours. 

Tirer :

 

 

Il y a des pardons qu’il faut avoir le courage de refuser. 

 

 

 

et je pense à ceux qui croient qui disent que ça pleurniche les gens les autres que femme de ménage oui agent de sécurité certes c’est mieux que rien mieux que crever de faim ou quoi oui bien sûr mais ça ne change rien ça ne change rien celleux qui pourtant n'occupent pas ces postes je pense à ma belle-mère encore qui disait ça quand sa femme de ménage la lâchait pour je ne sais quels motifs j'en image dix tous raisonnables qui disait pourtant elle travaille c'est bien et bien non récure tes chiottes avec ton époux ma soeur 

 

 

 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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