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13 janvier 2021

L'homme périmé

Je voulais rédiger le manifeste de l’homme périmé, homme passé-simple dépourvu de langage
l’homme périmé a des douleurs
qui n’ont plus de nom
Je voulus les dire avant de me rendre compte
que je n’avais encore
de colère que contrite. 
J’extrais des fragments de ce manifeste non-né. 
Je me souviens de la violence forcée, ce qu’on exigea de mes poings. Tommy, Nicolas, Guillaume souhaitaient me mettre en miettes, il y avait un jeu, l’humiliation dont le prix, sûrement, était ma peur. Ma peur, je la vendais cher mais trois bourgeois ont beaucoup de moyens. Ils m’usèrent, longtemps. Se distrayaient ensemble et je résistais seul. Un jour, je cédai à la violence physique et j’eus la paix. Il me fallait prouver, pour avoir la paix, que j’étais un homme. A priori on me déniait la qualité de mon genre et, par voie de conséquence, ma qualité d'être humain. Soupçonné de contrefaçon, en quelque sorte, je devais apporter d'épuisantes preuves, sonnantes et trébuchantes comme un coup de poing. 
 
cette douleur c'est le
moi-même
qu'on tente de tordre
et qui ne peut ni plier
ni rompre
qui fait mal
Ce que tu perds ici, à ces moments là, dans leurs tentatives de négation de ton je, de ton je singulier, aussi singulier que possible, de ton je en dehors de considérations raciales, ce que tu perds en dehors de ça, ce que tu perds au moment de cette atteinte à ton je c’est la possibilité d’entrer en relation avec l’Autre. La possibilité de comprendre les règles qui commandent aux usages. L'impossible lien avec le monde, avant le moment de la dispute. Pour rompre il faut déjà nouer une relation. Alors, tu n'apprends jamais le bon usage, les bonnes manières des êtres humains ; plus difficiles encore que les bonnes manières des classes très méprisantes. Au final, on te prive de la société, toi, ta force tu l’emploies à résister, à te défendre, à te battre eux…à savoir. Tu es contaminé par la méfiance. C’est important, on s’en servira contre toi.
Le temps passe, tu échappes aux premières négations :
Tu discernes des mots, ils dansent devant toi, sans former de blocs de sens. Te manque la grammaire secrète des gens populaires. Longtemps tu ne comprendras pas l’ordre des mots de ces phrases là. Tu as le parler préhistorique.
le long du majeur court
la cicatrice remonte
de l’os carpien à la dernière pliure 
du majeur
la cicatrice tourne ici 
à la droite du majeur gauche
insensible au froid
au chaud
au reste
écho ma chair
la plaie du monde 
Tu manques de subtilité, de doigté. Avant de t’exprimer il y a toujours pour toi une opération de traduction, un temps de réflexion qui ôte tout naturel à ton attitude. Te voilà au milieu du monde ta main enrouée d’une impardonnable maladresse, tu es gauche, empâté. Tu as beau mieux connaître la grammaire tu parleras toute la vie cette langue, leur langue, avec un inexcusable accent. 
Ce n’est pas au niveau de la classe. C’est plus profond. Plus profond ton inaccès à l’humanité. Plus profond tu n’en sauras jamais la raison sinon qu’on ne te sent pas. On ne te sentira jamais vraiment. Même après la guérison. Il reste une cicatrice impardonnable. La cicatrice agace le bourreau.
Je me souviens avoir admiré l’aisance sociale de certains, leur inimitable sens de l’orientation. Ils ont passé leur vie à arpenter les lieux dans lesquels ils parlaient la bonne langue. Ils y ont vécu mille expériences désormais sédimentées en eux, de là vient leur succès en tout, leur façon de commander et de savoir, toujours, qu’ils seront exaucés. Leur langue ignore le doute, ils ont arraché à leurs mains le tremblement.
moi 
fracturé 
je
forcé
mis en vrac avant 
de se former
je
recomposé depuis
mal 
à toute allure
matériaux trop bon marché
pour durer
je
effondré
on t'en veut de pencher 
de côté là
ou d'un autre
toi on ne te passera rien
tu ne sais pas quand arrêter
de faire des blagues
de l'ironie alors on se dit
il est odieux ce type
Je pense à Mickael et je pourrais ici penser à moi. Bien plus que moi, Mickael a été mis a la marge et aux décharges. C’est un garçon qui se montre toujours odieux, se contentant toujours du pire. Je le vois mal dégourdi, il fait ce qu’il peut. Souvent, à ces gens, au lieu de seulement refuser de les fréquenter, on prête des essences. Ces essences sont ce que la vie leur a fait.
Les sutures ne me font plus mal
les points de contact autour de ces brisures
les milliers de points de contact
forment amas
de peau 
insensible
Gauthier qui parvint presque à prendre serrer casser entre ses mains mon être et que je sus chasser à son grand désespoir. Violence et j'étais à ses yeux le traître. Violence contre ceux qui m'ayant déterminé une biologie séparée de la leur croyait avoir en même temps établi entre eux et moi une indiscutable hiérarchie. 
Je frappe Thomas dans le plexus qui se courbe en deux de douleur. Je frappe Milan dans les tibias de mes grosses Timberland, je frappe à coups répétés. Jamais la paix, toujours le cessez-le-feu.
Ils ne parvinrent pas à leur fin déclarée, je n’avais pas peur d’eux et je savais me battre. Si…j’ai eu peur parfois, si, j'ai eu peur, j’ai été épuisé, j’ai tenu bon. Ils parvinrent à une autre fin, celle qui met au dehors, en quelque sorte, du genre humain. Celle qui met au dehors pour bien longtemps après leur passage. 
On te met hors du lieu humain où s'apprennent les gestes de la vie. Là-bas ils répètent le rôle à tenir et moi je me cachais le plus loin possible de la scène. Ils répètent et quand tu entres, on finit par entrer, un jour, on te blâme de si mal connaître ce qu'ils répètent depuis la naissance. Il y a pire. On te blâme aussi de ne jouer à la perfection le rôle qu’ils voulurent pour toi. Ta liberté, comme ta révolte, sont coupables et le demeureront.
Subissant la cruauté et croyant que ma propre humanité était à ce prix je suis devenu cruel et cette cruauté me procura du plaisir et me donna du pouvoir ; j’ai joui de ce pouvoir par quoi je me reconnaissais enfin un homme comme les autres. Plaisir fade, pour rien, plaisir qui disait encore le triomphe du monde-qui-brise sur moi-même. Je me croyais au terme du succès en devenant le briseur ; fort de ce côté là de la fissure et de la force.
J'ai désormais quitté ces lieux d’échouage, je crois. Peut-être je me suis trouvé d'autres pays, d'autres mers et peut-être un peu de moi-même.
Tu n’es pas mis en morceaux à ce moment là, quand on t'empêche d'entrer dans le monde, on ne brise pas tant qu’on ne t'empêche, qu’on ne t'immobilise. On te laisse à la traîne et quand tu crois rattraper ton retard, on soupire de te trouver ainsi essoufflé. Tu caches la douleur du point de côté et on t’en veut de ta grimace. Tu entends les mots à voix basse qui disent encore ta mauvaise biologie. Tu ne dissipes jamais tout à fait le soupçon. Je me souviens d’une soirée chez moi, un an déjà, un ami et moi jouions à nous vanner. Quelqu’un intervient, quelqu’un dont la gentillesse et la douceur ne font aucun doute, et me reproche à moi une sorte de mal-essence. Je ne me souviens plus des mots exactement, je me souviens du reproche ontologique, disons, qu’ils contenaient. Quelque chose qui voulait dire qu’à ses yeux, c’était sûr, moi je ne jouais pas vraiment. Plaie, ouverte. Elle a dit peut-être, je ne te sens pas. Elle a sûrement oublié depuis cette parole-en-l’air.
on lit en petites lettres
le mot je
formé
autrement
aujourd'hui
je
qui touche à son but
détour par d’autres apnées
La sueur après la course, le sang caillé de la main juste cicatrisée, l’accent à l’haleine douteuse, toi
je
je moment de dire je
tu es revenu de bien des misères
et quand tu crois enfin qu’on ne te reconnaîtra plus
ains plâtré
poudré
On finit par dire de toi
je ne le sens pas
c’est le contraire 
je sens trop
je sens
la peur
et le pus
qui fuit encore par
moments
d’entre les sutures
les gens les plus tendres
disent et pensent
je ne te sens pas
qu'importe
Si tu fais de ton mieux ou
non
Tu pues du plus profond de toi
de la chose végétale morte née
son interminable pourrissement
Alors j’exhale la plante morte
la vie non-vécue.
les personnalités avortées
les je mis au néant
non en raison
de classe
race
genre
etc

 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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