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29 janvier 2021

YouTube - expropriation

Au printemps 2017, dégoûté par l’écriture lyrique que j’ai pratiquée pendant 15 ans, j’ai eu le bonheur de rencontrer les objectivistes américains. J’ignore franchement ce qu’a été précisément leur esthétique, s’ils écrivirent ou non un manifeste conceptualisant une démarche, l’inscrivant dans le blabla généalogique. 
Je les interprétais librement par les bribes lues, et faisant, surtout, de leur nom la base de ma démarche.
L’objectivisme s’oppose, littéralement, dans sa dénomination même, au lyrisme. Processus de décentrement, de mise à distance du sujet, repoussant le je - le suspendant à un croc de boucher - aussi loin que possible. Je qui n’a eu cesse de pourrir de ses misérables affects dont il imaginait les miasmes de la dernière importance - il fallait partager la puanteur et Dieu jamais je n’ai été aussi prodigue de ma vie. Alors. Les objectivistes. Pound (qui n’en était pas) Reznikoff (qui en était) me permirent de brûler ce que j’avais aimé - la fougère surréaliste - et, surtout, résidu de feu lyrique et de l’histrion en moi qui ne laissera jamais ses habits de cirque, l’utiliser pour mener la guerre contre les autres auteurices du forum. 
Il était temps de faire feu, j’assemblais en un petit bûcher les gares où les trains ont des mines tragiques et les bagages toujours lourds de secrets et de mensonges - toujours le poème trébuche sur le quai et la valise révèle son imbécile excès - j’ajoutais pour combustible les métaphores insipides - transparentes jusqu’au trouble-ment - qui agissaient comme les bonimenteurs. On fait croire à la foule impressionnable je ne sais quoi, le miracle du produit, le ressenti, puis on réussit la vente, le poème a plié bagage, on s’est fait arnaquer, on fait comme si non - comme après un mauvais spectacle auquel on trouve toujours du miracle parce que la place était chère. Poèmes-trucages. 
L’objectivisme m’offrait aussi - plaisir des vaniteux - le prestige de la nouveauté qui ne va pas sans risque - autre prestige. L’accusation de moderniste - cocasse pour un mouvement du milieu du 20ème - pèse toujours sur les expérimentations, on les disqualifie à cause de ce qu’elles jurent trop, toute l’incrédulité que l’on devrait avoir pour le bonimenteur s’exerce ici. 
Moi, j’adoptais la posture du minoritaire, je dessinais les positions, je traçais les frontières, je plaçais les termes du débat. C’est le luxe du dominer de pouvoir découper l’espace, il manifeste et pose les termes de la discussion, c'est lui qui nomme le eux et nous qui, aux yeux des dominants, est toujours caché, implicite. Le dominé sert de révélateur. La frontière est tracée on ne peut plus l'ignorer. La guerre commence. 
Puis j’ai fait feu. On a aussi fait feu. 
Mon frère l’année précédente m’avait offert un recueil d’un poète que je ne connaissais pas : Xavier Bordes. J’avais négligé le livre dont le titre, dans mon souvenir, était une sorte de parodie involontaire de Celan, quelque chose comme Pierre de Personne - dans ce genre de poésie tout devient Nom Propre comme si Dieu toujours rôdait pas loin et qu'il fallait, par anticipation, préparer la louange.
 
 L'objet tombait à pic.
Pour augmenter le feu objectiviste - crépitement silencieux du pixel - je m’étais filmé lisant certains poèmes de son recueil. Je me tenais très droit, adoptant la posture des lectures officielles, et après chaque poème je déchirais la page qui l’abritait et chaque lecture entraînait une déchirure plus rageuse jusqu’à ce que je me débarrasse par la fenêtre du recueil tout entier. Cette vidéo je l’avais publiée à l’été 2017 sur youtube, accessible depuis un QR code semé un peu partout, y compris sur le blog de xavier bordes. J’écris ceci alors que l’affrontement, ici, sur le forum a expiré - lien mort. A cette violence a fait suite l’hybridation, la synthèse des esthétiques, en somme je suis intégré au canon, on discerne encore la marque de la frontière mais, disons, que désormais nous sommes de la même nation et de régions différentes - frontière comme cicatrice, nous nous souvenons.
J’écris ceci parce que j’ai reçu une notification de YouTube m’annonçant que, parce qu’elle incitait au harcèlement, ma vidéo allait être supprimée sous sept jours, qu’elle avait quitté son statut public pour n’être visible pendant ce temps que par moi. Une sorte de procédure d’expulsion, en somme, on me permet de ramasser mes affaires avant que je ne doive débarrasser le plancher - se pose la question de notre dépendance à des plateformes omnipotentes, juge et partie. Ceci me donne aussi l’occasion de réinterroger, explicitement, mon rapport au je qui, par haine de ce je lyrique, avait contaminé toutes les écritures de soi qui me paraissaient toujours insupportables et bonimenteuses.
"mise en garde"
"supprimé
"cyberharcèlement intimidation"
les termes me terrifient
je suis celui-là rrr
Aujourd’hui, des esthétiques du je peuvent me parler et me saisir. Je n’ai pas encore lu Annie Ernaux qui, si j’en crois ce qui se raconte - et de conteuses fiables - appartient à cette trempe. J’ai lu Marie Calloway et je lis actuellement Maggie Nelson qui rendent au je à l’écriture de soi, quelque chose de vrai, à quoi et qui je peux faire confiance. Le je lyrique est un jeu menteur qui n’a pas la grâce du je rimbaldien, vrai travail, vraie question sur la langue. Pour les lyriques Il ne s’agit que de faire semblant sans l’admettre, de jouer très sérieusement à faire semblant, donc à tromper. Le bobard métaphysique des ronces et des rossignols. Le but c'est d'impressionner et de se flatter soi-même d'être si sensible.
Ce que j’admire chez Mary Calloway autant que chez Maggie Nelson c’est que quelque chose va m’atteindre, m’être absolument intelligible malgré ce qui devrait nous séparer (Maggie Nelson cite une phrase de Wittgenstein qu'elle habite tout au long de son livre "l'inexprimable est contenu dans l'exprimé, elle s'arrange tout au long du livre avec cette phrase). Leur écriture, au delà de sa beauté, fait signe vers moi, va, clémente, jusqu’à m'atteindre moi qui me trouve pourtant de l’autre côté du genre, donc de leur expérience, moi même qui écrit en une autre langue et, parfois, à une autre époque (mediums, au sens mystique?)
Il y a autre chose encore, encore. Ces écritures pensent et se pensent. Se pensent au delà du simple travail formel, se pensent à l’intérieur d’elles-mêmes et se pensent dans le monde, en interaction avec lui. Ecritures responsables (?). Elles questionnent le narcissisme inhérent à toute écriture de soi, elles posent la question, le problème si on peut dire, de la culpabilité intrinsèque liée à cette écriture. 
Quant à s’écrire soi pèse toujours le pénible poncif d’Adorno après Auschwitz fin de la poésie question réglée, au suivant. 
Pourtant quelque chose de juste, de nécessaire, se tient ici, dans cette question, dans ce poncif quelque chose qu’on doit interroger, pour le surmonter ou non. Est-ce que j’ai le droit de m’écrire quand d’autres souffrances, des souffrances qui touchent la vie même, qui touchent la durée immédiate d’autres individus, cohabitent avec moi - ou, même, surtout, ne cohabitent pas. 
ce ?
de la question
le
?
a la forme d’une oreille
(je joue)
il est entente
écoute
?
cette question
écoute
bienveillante
me fait place
?

Camille traite, d’une certaine façon, cette question dans l’un de ses textes sur le forum. Elle travaillait je crois dans une association accompagnant des personnes précaires, d’une précarité extrême touchant, au delà de leur existence purement matérielle - se vêtir, se nourrir, s’abriter - leur présence ici, sur le territoire. Présence réelle, concrète, présence sur laquelle pèsent les centres de rétention, les vols charters, les décisions administratives obligation de quitter le territoire français sous un mois. Non pas la Présence de Xavier Bordes. 
 
(si P majuscule
P de Pré-fecture de Police)
Face à ces situations l’écriture, l’art, au delà du terme un peu stupide d’indécence, se présente dans toute son absurdité. Commettre ce geste, d’écrire, de commenter, de parler de soi quand d’autres, leurs gestes, se dirigent exclusivement vers la survie, la durée, la fuite, quand le sentiment premier, manifeste c’est toujours la peur, la peur primordiale. Et pourtant…pourtant immédiatement après avoir écrit ceci, parler de leurs peurs, les rendre, eux des autres je dis, suis en train d'avouer, dans toute sa totalitaire puissance ma (notre) position de privilégiée. Ces personnes conservent une intériorité intacte - menacée - des rêves, de la colère, la vie toute puissante - attaquée.
L’administration ne parvient jamais tout à fait à les en dépeupler. Même à Auschwitz. Même à Auschwitz. On a pas exproprié la vie et donc le poème. 
 
Ces questions nous concernent bien davantage qu’elleux, nous nous les posons à nous mêmes, c’est nous qu’elles animent et qu’elles déterminent dans, entre autre, notre rapport à l’écriture. Ces questions comptent absolument. Elles sont primordiales, au sens strict, elles précèdent le reste, c’est le je qui en résulte qui nous conserve notre humanité, qui nous distingue du je lyrique, inerte, méchant.
Maggie Nelson traite cette question dans les Argonautes. Elle ne la prend pas directement, en charge et fait parler d’autres autrices. Elle l’énonce de biais, par la voix d’autres femmes, sans qu'il fasse aucun doute qu'elle en soit à égalité l'énonciatrice.
Chose intéressante, ce sont toujours des femmes qui parlent de ces choses, qui les abordent en tant que ce qu’elles sont, là, des choses, matériellement, devant nous, ces vies en périls et font face à notre (leur?) énonciation de soi, de nos (leurs) problèmes, de nos (leurs?) peurs et nos phobies- est ce que cet enfant me ressemblera (elle pose la question), est-ce que j’ai le droit d’aimer quelqu’un du même genre, Trump ou Biden etc - (leurs.)
Derrida a beau conceptualiser, de façon très belle et pertinente, le concept d’Hospitalité, il ne peut s’empêcher d’y ajouter la majuscule qui en fait un lieu inhabitable, inhospitalier qui perd sa réalité. 
 
(Maggie Nelson, lorsqu’elle convoque des Concepts s’appuient essentiellement sur des hommes.)
L’enjeu tient dans cette question, le fait de nous la poser, elle qui nous sidère, qui nous offre le doute, nous épargne la chose la plus toxique : l’évidence. 
Si la question sidère
L'évidence fige rigidité
des morts.
On ne la dépasse pas, la question, on vit avec, comme une conscience, ni mauvaise, ni bonne. C’est ce doute, je crois, qui me donne à vivre leur écriture comme vraie. Qui me fait saisir l’universalité de leur position, de ce qui ne pourra jamais me concerner directement, être enceinte, être harcelée, avoir peur du viol, être libre en étant enceinte, vivre avec le paradoxe de vouloir être libre et vouloir un gosse - question omniprésente. 
C’est ce doute qui donne à ces écritures un je véritable. 
je n’a pas la forme d’une fougère engourdie sur le divan du psychanalyste. 
Je pense ici à 
La phrase de Valéry que cite Miyazaki dans le vent se lève. 
Le vent se lève, il faut tenter de vivre
Je crois que ces écritures, et donc ces écrivaines, tentent de vivre. Les deux verbes comptent à égalité tenter et vivre. 

ici, je suis saisi par mon intellectualisme forcené, l’envie soudaine de produire une analyse de ce qu’un verbe, tenter, est précédé d’un auxiliaire et l’autre infinitif radical. 
Une interprétation qui ne répondrait pas aux règles strictes de la grammaire réelle mais davantage d’une sorte de logique de psychanalyste. C’est à dire extorquer un sens possible et délirant d’un corps qui ne demandait pas grand chose. C’est à dire que je suis un homme et que je ne peux m’empêcher d’écrire Vivre.  
La question, le doute, ne s’expose pas explicitement, à chaque page. Ce doute n’est pas le sujet de leur écriture.
L’une des façons de la dépasser, qu’on observe chez Maggie Nelson - et qu’on trouve chez Foucault qui est aussi un être de majuscules ; les siennes plus pertinentes et Foucault, de façon citée ou non, irrigue Maggie Nelson - c’est d’admettre qu’on ne fait jamais que l’expérience de sa propre subjectivité et, par là, de sa propre douleur ce qui nous mène à la traiter avec le dernier des sérieux. La bienveillance que l’on s’impose n’est pas une discipline moins difficile qu’une Hospitalité abstraite et, ce souci de soi, est, je crois, la meilleure école de la bienveillance et du souci des autres, le laboratoire, en quelque sorte, de notre humanité que l’on répand, ensuite, dans nos livres, nos paroles ou nos gestes. A la fois aux guichets devant la CAF, dans nos rêves et dans notre propre durée qui a, aussi, la valeur la plus absolue.

S’il y a une honte, je ne démords pas, au fond, de ma colère antilyrique, ce serait de ne pas poser la question. Ne pas la poser c’est considérer, au fond, que n’existe réellement que notre propre subjectivité, que notre propre expérience est la seule réelle et valable. 
Je crois, au fond, que je développe une certaine jalousie pour ces écritures, pour ces finesses, pour ces majuscules abolies. Elles me renvoient à ma position qui ne peut qu’interroger abstraitement sans toucher pour de vrai et me contenter de tricher, de donner le change, au fond, ne me distinguant des lyriques que par une lucidité de dernière minute. Parce qu’hélas la conscience de ce qu’on porte de gestes ne nous empêche jamais de les commettre. Je fais l’expérience, douloureuse je crois, de ne pouvoir dire ça. Ou plutôt ça. 

 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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