Je poste, régulièrement, des chapitres de mon roman en cours d'écriture. Celui-ci s'appelle Le livre en trop ou la littérature surnuméraire. 
La bande d'amis qui se retrouve ici n'a pas besoin de contextualisation me semble-t-il. 



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Oeil - Vue de Profil -
 Nathalie Quintane – 2017 – 
l’art et l’argent – promotion publicitaire et médiatique – 
Mediapart – un an avant les événements




L’autrice en goguettes :


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Albane nous parle, avec une moue de dégoût, de Quintane, elle a lu Un oeil en moins un mauvais livre, plein de pathétisme, poème à la gloire des pauvres, dédié aux damnés de la Terre.
Le livre met en scène une demie-bourgeoise. Elle peint, dans les bas-fonds de l’Auvergne ou je ne sais quelle localité rurale, des pancartes, en gilet jaune, pour dire à Macron que ça suffit.



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L'Artiste en goguettes



C’est autobiographiqueQuintane raconte son parcours effectif, réel, parmi les vilains, les sans terres et les sans dents. durant le mouvement des gilets jaunes qui débuta à l’automne 2018. De Quintane le moment d’intrusion (d’incruste? d’entrisme?) demeure flou, je la soupçonne, à tort peut-être, d’avoir d’abord regardé la jacquerie avec un peu de morgue, genre le rassemblement des fascistes, les nouveaux bonnets rouges, les buveurs de diesel et de picon bière. Avant de se dire, les larmes aux yeux (évidemment) c’est le peuple. ou voilà le Peuple.



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Dents Parfaites – Nathalie Quintane – 2017 – l’art et l’argent




Dans le livre, Quintane rapporte les paroles des pauvres avec une fascination béate, tout ce qui sort de la bouche des pauvres, semble l’émerveiller. Elle paraît s’étonner même que ces hurluberlus soient doués de parole. Face à l’enfant précoce, articulant (3 ans 1/4) sa première subordonnée conjonctive, j’ai connu moi aussi cet émerveillement.
Elle attife son style de zozotements, craignant sûrement de parler trop compliqué, d’avoir l’air d’une bourgeoise, d’une pas-comme-eux. Elle doit soigner la présentation d’elle-même mieux, plus encore, qu’au bal des débutantes, la toute jeune fille commençante. Elle écrit dans un style idiot, simple elle doit se dire, vrai comme la langue du peuple. Albane n’y voit que mépris et je partage son avis.


Albane et moi nous prenons de passion pour défoncer Quintane. J’ai la passion de l’agon de la lutte excessive. Albane me suit dans cet inévitable vertige. Sélim, nous accompagne, en sortant de son sac une magnifique bouteille de whisky, Nikka Coffee grain dont il détaille avec la science d’un rédacteur technique, la biographie.


Elle a raison, Quintane. Il faut bien agir non ? à la fin…On fait comment ? dit Estelle, interrompant l’ivresse, le délire commun, le massacre en commun.


Je lui réponds, sèchement, pour reprendre rapidement le cours des libations…on ouvre pas sa gueule, on écrit pas un livre.


Estelle : il faut bien faire quelque chose…
Albane : Ouais, savoir de quoi on parle.
Sélim : Vous êtes très chiants…Tiens Estelle, dit-il en tendant un verre de whisky, ils ont utilisé un alambic à café tu vois pour ext…

Moi : Oh le banquier anarchiste ça va…
Sélim : Qui paie ton loyer ?
Moi : La maladie.
Estelle : Quel rapport ?
Sélim : Avec les impôts de…?
Moi : Certainement pas les tiens, le domicilié fiscal du Maryland ou je sais pas où
Sélim, désigne le whisky : 40% d’alcool, 40% de TVA, tu sais ! C’est de l’impôt ça la TVA. Payé, visa diamond, sur l’ongle.
Moi : Adorable, Sélim, offrant le fruit fermenté de son dur labeur aux misérables, t’as essayé d’en proposer aux pauvres de Quintane ?

Albane, soupire, nous regarde, Estelle et elles se sont tues, attendant qu’on finisse Sélim et moi. Estelle finit par dire : c’est bon ? vous avez fini ? Albane ajoute, dans un soupir, : typique des mecs

Pointe d’agacement, dans l’air

Sélim : Ah, les féministes…

Estelle : Oui, hein on peut plus rien dire.
Sélim : Oh, casse-couilles…
Moi : Bref

Albane : Voilà bref.


Albane reprend la parole. Elle analyse toujours très finement les mouvements politiques et les positions sociales des acteurs. Elle comprend très bien les jeux de pouvoir et leurs implicites perversions ; la lutte, in fine, pour le pouvoir, toujours, sert – servira – une ambition personnelle. Toujours (la lutte) vise à s’établir, soi-même, au sommet de la nouvelle hégémonie. Elle ricane, en la présence de Lucile quand celle-ci se lance à cris perdus dans des diatribes anti-mascus. Albane voit bien, mieux que moi, bien mieux que moi, que pour Lucile le féminisme, comme le reste, ne constitue qu’un instrument d’autorité, un nouveau diplôme à faire valoir dans un nouveau champ en germe, à produire dans une nouvelle légitimité produisant de nouvelles hiérarchies (Et Lucile compte bien occuper une fonction de cadre). Une horreur plus juste remplacera une horreur…c’est tout.

Albane : Qu’elle (elle parle de Quintane) écrive un livre théorique ou stratégique genre : voilà comment faire la guerre, voilà la psyché des dominants, voilà comment on mène une guérilla, les tactiques, l’artisanat de la bombe, les têtes de ponts à établir, Bang…A la limite…Qu’elle entre à l’usine (Quintane ne pointerait pas à l'usine elle s’inscrirait) pourquoi pas, les coudes vraiment salopés par les gestes répétitifs…La pauvreté c'est une répétition. C’est trop facile là, le petit atelier de la révolte, dans le petit local mignon, elle doit appeler ça « la masure » un truc comme ça…Ca doit lui sembler poétique. On risque pas la tendinite en écrivant « Mort Au Capitalisme » sur une pancarte.


Moi : Ouais, elle doit se dire un jour la beauté sauvera le monde

Sélim : en prenant un air très concentré genre clitoris vaincra
Estelle : t’es chiant…
Albane : Vous êtes tous des artistes !! Elle doit leur dire ça, en tapant dans ses mains.
Sélim : Ouais une pancarte avec « Nous sommes toustes des artistes » puis sur le point sur le i c’est un pavé…non un clito plutôt.



Plus

bas nous verrons

les mains très intactes

de Nathalie Quintane

Des mains qui.



Moi : j’imagine les SMS qu’elle envoie à ses amis des grandes villes genre « ils sont fa-bu-leux ». Ce truc méprisant, le petit air de supériorité à l’endroit de ses amis au chaud loin du brasier ardent des luttes. Le truc type moi je suis dans le vrai monde, dans le mouvement, où ça bouge. Les gens qui rentrent de manifs sont comme ça aussi avec l’air du j’y étais les larmes aux yeux en se voyant à la télévision…T’as l’impression qu’ils sont entre les blacks blocks et les brigades rouges, incertains encore de la couleur à se donner. D’ailleurs sur le truc ils sont fabuleux y avait une infirmière stagiaire à l’hopital psy elle nous parlait tout le temps comme à des débiles. Tu sais là en allongeant les syllabes, comme si elle sait pas très bien…oui savait, pardon, comme si elle savait pas si on est lents à percuter, malentendant, fragiles ou complètement demeurés. Dans le doute elle faisait Co Ment Ca Va JOO Na Than ? Moi TR èè S bien Merci On va dé jeuu ner ? Oh Je su iiis Con-ten- – – t-e.

Sélim fait une moue, un air, c’est long quand tu parles. Il prend le verre de whisky, le mien, je crois qu’il va me servir, il sert, il le boit rapidement. La flemme de lui dire c’est mon verre. Le souvenir de la pandémie n’a pas laissé trop de traces, heureusement.



Devant son attitude désinvolte de mec pas énervé, juste un peu soûlé qui le laisse voir sans trop en faire…Là, il croise les jambes et me renvoie à moi, ma défaillance… cette lourdeur du mot de trop, de la peur de trop.
J’ai trop parlé
(je me dis en moi-même)


Sélim, décroise les jambes et reprend la parole, il la reprend avec facilité, il efface la lourdeur de mon trop long monologue.
Rien ne semble s’être passé. Il parle :



  • vous savez quoi ? Le seul truc qui l’aurait rendue légitime cette s… (il ne dit pas le mot, le regard d’Albane a comme scié l’injure) c’est de vraiment perdre un oeil.


On est entre nous, personne ne s’indigne, en fait on est plutôt d’accord. Notre silence dit, oui, c’est sûr. Là elle aurait eu le droit de parler. D’écrire « un oeil en moins »


Sélim : parce que son atelier pancarte on dirait de l’art thérapie pour mongoliens.



Lui aussi, le trop…le trop…mais comme…du côté positif, favorable du trop. L’aspect baroque, vers le ciel tandis que moi…des profondeurs. Il dit l’art thérapie pour les mongoliens en recroisant ses jambes. Avec l’air ça n’a absolument aucune importance, allez vous faire foutre.
Sélim adoucit tout ce qu’il approche, ses injures mêmes nous les percevons comme une consolation lumineuse et drôle. L’inverse, l’inverse exact de moi…il n’est pas un trou dans le réel, pas une déchirure. Il désinvente la douleur et la violence. Je ne reviendrai pas sur ses cruautés, nombreuses, qui semblent ne l’entacher en rien. Il est pur du mal qu’il commet, irresponsable, les jambes croisées puis décroisées, comme si de rien n’était, sans dissimulations. Un air d’évidence ; en même temps ; un air d’innocence.


Je le regarde, il est très beau, comme ça, les jambes croisées, la gauche sur la droite, un peu penché en avant, déjà passé à autre chose. Ce mot plutôt infâme, mongolien, ne l’enlaidit pas. Il glisse, hors de lui, comme si une autre entité, d’une ressemblance légère (de moins en moins certaine, plus du tout ressemblante à la fin de la phrase) avec lui, l’avait prononcé.
Pouvoir d’une grâce permanente, intouchée à jamais, une eau neuve, sainte, tous les instants, coule le long de sa nuque, le purifie. Il sent, il sent le clair, le lumineux ; l’encens et le vertigineux. Personne, jamais, ne lui en veut. Même les filles qu’il quitte un peu brutalement, en disant tu m’as déçu. Pour rien. Son absence, toujours, devient une sorte de nostalgie. Il n’a rien de tragique, tout l’inverse même, une figure qui donne envie de croire…une croyance intransitive, sans objet déterminé. Croire.


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Doigts – Nathalie Quintane – L’art et l’argent –

— AN 1 Avant Gilets Jaunes

Chez Quintane, chez des tas de cette sale espèce répugnante d’une certaine gauche (type toilettes sèches, anti-capitalisme – même écologique faut pas déconner – vacances non polluantes, contrôle strict de l’empreinte carbone comme une anorexique sur la balance) s’exprime un truc malsain. Une sorte de fascination pour le corps des pauvres, une fétichisation de ce qui cloche, se tord, dire que ça, cette forme, la scoliose exactement, penche du côté de la révolution…et les dents pourries, le drapeau noir de l’anarchie.

Quintane ne dit pas ce qu’elle pense des complotistes de gauche ou de droite, Quintane ne parle de peuple que fantasmé et idéal celui du pays réel très cher à l’extrême droite, le peuple celui de l’oeil en moins, se confond avec le peuple d’Eric Zemmour et de Radio Courtoise.

Le peuple se trompe de colère, elle devait dire en 2002 quand JM Le Pen parvint au second tour, aujourd’hui elle doit parler de la trahison des élites (le peuple ne se trompe plus) la prochaine fois un truc genre la politique hors les murs. L’élévation dans un coin de néant, vers Laon dans l’Ain, d’une maison-masure-communautaire-everything-friendly retapée (évidemment). En présentant le projet en vue d’obtenir une subvention, ou mieux, en passant par une souscription populaire et citoyenne, elle dira la politique hors les murs ou seulement les murs des pancartes rires. Elle fera mur de tout ce qui fait peuple. Elle présentera le projet entre deux résidences.



C’est l’oeil de qui, en moins ?

L’oeil du peuple ?


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Il y a cette fille, Florina, son visage défiguré, un long compte-rendu hospitalier qui décrit, avec précision – donc horreur – la violence du projectile en caoutchouc, les dommages causés au plancher de l’oeil, le muscle palpébral rendu impuissant par la déflagration du LBD. Florina, prosternée devant la croix gammée, Florina candidate sur la liste de Renaud Camus, l’irr-emplaciste. Renaud Camus l’éconduit de sa liste, il y a des limites au on peut tout dire. Sûrement, a-t-il exprimé ceci avec sa toute feinte raideur. Renaud Camus, en toutes circonstances se tient droit, trop droit, droit comme un bossu.


L’oeil en moins. L’oeil en moins, celui – pas perdu – de Fly Rider et ses thèses complotistes.
L’oeil en moins, celui de Jerome Rodrigues, sa barbe, sa gouaille, son audace.
L’oeil en moins, le poing lesté de Christophe Dettinger,
Les menottes serrées autour des deux poignets de Christophe Dettinger.


Nathalie Quintane, comme Juan Branco, fait commerce et trafic de pancartes et de révoltes. Depuis 2018 Quintane est passée à autre chose, se consacre à une autre tâche littéraire du moins. Elle doit continuer à s’impliquer dans le mouvement, quelque part (à Laon?) une cellule dormante de panneaux révolutionnaires Elle a commis un hamster à l’école. ; à propos des profs…elle a été prof.


Elle reviendra par là
hamster ou souris
comptines ou regards
de l’un à l’autre.
elle repassera par là
une quintane verte
je la montre à la police
lalala


Tout pour elle
la possibilité d’une livre.




Marielle Macé a écrit ce bouquin, Nos Cabanes. Ni son nom ni son livre ne passeront à la postérité. L’écrivant, déjà, je la constitue archive et ruine. J’ai exprimé le désir pyromane d’incendier sa ville imaginaire et, sûrement, refuserait-elle le nom de ville. Marielle Macé ne peut convoquer que le lieu exotique (englouti ou lointain), c’est à dire intact de la barbarie capitaliste occidentale. Son lieu (un nom genre le tiers-lieu) sera inspiré deL’architecture rocambolesque du Machu Picchu, des jardins suspendus de Babylone, la symbiose nature-culture de la vie vraie.
Je les imagine mourir de froid sans le 
chauffage central.



Albane conclut, dit, ces gens ont des gueules de campagne publicitaire, Branco surtout, il ressemble à un affichage dans le métro, il est voûté pareil que les panneaux. Quintane, je lui imagine un tatouage dans le bas du dos genre :

« réalisée par l’agence de pub La Masure rue du Faubourg Saint-Antoine.
Sélim : Vous avez lu le livre vous ?
Moi : Non
Estelle : Non
Albane : évidemment.

Albane, souvent, lit pour nous.