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17 novembre 2021

Sofiane

 Je me souviens de Sofiane et de sa console Nintendo Nes. Sofiane avait deux ans de moins que moi et m’imitait en tout. Il vivait dans l’immeuble voisin du notre. Il buvait du Cherry Coke parce que je buvais du Cherry Coke et ajoutait du ketchup à ses pâtes parce que j’ajoutais du ketchup à mes pâtes - des années plus tard, Louis, m’expliqua avec effroi combien ceci lui apparaît dégoûtant.

Avec Sofiane nous jouions chez lui à Mario Bros. Dans une pièce qui n’était pas sa chambre, au fond du couloir, à droite, sombre et tapissée. Après avoir vaincu le premier boss, un garçon-champignon nous gratifiait d’un thank you ! or, en ce temps, nous ne disposions pas du moindre rudiment d’anglais 

(en CM1 je lisais le petit Nicolas et ce mot, rudiment,
pour parler de l’anglais 
était associé au bon élève de la classe 
qui se prévalait, lui aussi, de rudiments 
et ceux-là valaient à peu près les miens
il parlait le rudiment
comme moi) 

        Moi, devant faire honneur autant à mon aînesse qu’à mon magistère, et qu’importe que le prix en fut la duperie, dît à Sofiane que nous allions obtenir, prochainement, comme récompense de nos habiletés, un tank - puisque c'était à la fois le mot le plus proche dans notre langue et l'objet le plus excitant dont nous pouvions rêver. Le père de Sofiane nous indiqua, un jour, gâchant le charme des mythes - les adultes s’obstinent par nature à gâcher la légende et ne lèguent de mondes que tristes, inhabitables et pollués de réalité - que ce petit bonhomme champignon nous remerciait en anglais ce qui, assurément, quoi que trouvant l’urbanité nécessaire à la vie collective, se trouve beaucoup moins utile qu’un tank. Surtout pour combattre Bowser, un dragon harceleur de princesse, et sa clique de plantes carnivores et de chaussons sur pattes aux sourcils froncés.

        Le père de Sofiane était tourneur-fraiseur et je ne comprenais pas bien ce que le mot fraiseur représentait. Il travaillait à l’usine et c’était dur ceci je l’avais compris, à cause de son air las lorsque lui-même en parlait. Tourneur-fraiseur et je ne pouvais m’empêcher d’imaginer, au milieu du bruit des machines, un coin de bois, de ronces où parmi les angles métalliques, poussaient je ne sais quels fruits doux, sucrés, tendres et juteux. Je voyais aussi, lorsqu’il entrait dans les détails plus techniques, parce que je l’interrogeais, les étincelles flamboyantes crachées par la vitesse contenue dans le mot-profession de tourneur. Enfant, ma curiosité, trait général des enfants je crois, se contenait mal, malgré la sévérité de ma mère et son envie, toujours, que nous paraissions bien, c’est-à-dire nous taisions, ne réclamant rien, disant toujours non. Je n’ai guère perdu, sincère curiosité, le goût des questions indiscrètes, prétend-on, profondes selon moi. 
        La patrie imaginaire me plaisait bien et la réalité m’indifférait beaucoup, je racontais à Sofiane que le monde intérieur, le mien, se trouvait être un pays véritable dans lequel d’autres moi que moi vivaient et qui n’étaient pas moi, ces autres moi, vraiment. Je pouvais moi me rendre dans moi et, pour donner le change au dehors, aux adultes, surtout eux redoutant par trop les disparitions d’enfant, me substituer un alter venu de mes confins intérieurs. Ces autres moi, de même apparence extérieure mais possédée d’une autre âme, tenaient en des fonctions assez basiques, SINGE, sorte de bouffon ne vivant que pour la farce et la gaudriole, NINJA, habité par la violence qui me permettait, de rosser qui me déplaisait et d’autres dont j’ai gardé souvenir moins marquant.
       
     Un jour, après une partie de billes disputée où nous ne savions trancher vraiment qui de Sofiane et moi fut le vainqueur, Sofiane joua de sa connaissance de mon secret et menaça de révéler ma terre d’exil à ses parents et aux miens ce que je le suppliai de ne pas faire. Trop paniqué je ne pensai pas à convoquer l’argument moral, m'indignant de sa félonie d'un je te faisais confiance cinglant, comment oses-tu. Je le suppliai donc non parce qu’ainsi, trahi, mes parents m’interdiraient l’accès à ce pays seul précieux mais parce que mes parents, trahissant la vérité - spécialité, nous l'avons déjà constaté, des adultes -  abolirait ce pays en lui et, par extension, pour moi. Eglise ne tenant que par et à sa foi. 

 

 

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15 novembre 2021

Loriane

Un matin, novembre c’est Loriane dans la cour de l’école primaire. Elle me parle, je n’entends plus, de si loin, les paroles. Sa voix fait comme une marrée, un bruit de vagues. 
A mon poignet flotte ma montre toute neuve, une casio noire à affichage digital. Sa main touche - ne finit pas de toucher - ma main. Se déplace et, sans que je n’ai rien demandé, resserre à mon poignet le bracelet. 
Marque d’amour la marque le soir retrouvée sur le bras.
 
Je me souviens, la vague de chaleur blême qui me parcourt, je me souviens le lieu exact la cour de récréation, les arbres, la saison, la foudre. Pas la première foudre, certes, le plus puissant, vertige. Pour longtemps. 

Le premier émoi, plus tôt, c’était vers quatre ans, dans la cour de l’école maternelle, elle s’appelait Sandra. Brune, très jolie, toute petite je dis, écris jolie petite brune, m’étonne de dire, jolie petite brune pour dire le visage imprécis, prisonnier des yeux de la mémoire. Visage oublié et souvenu en même temps. 

Sandra, que je croise au supermarché Champion
avec mes parents
 Souhaitais-je, plus tard, volant plus qu’à mon tour
 dans les supermarchés,
elle la dérober et par le geste malandrin 
mon enfance recouvrer ?



Longtemps, je portai mal montre pour que Loriane ou, plus tard, toutes les figures aimées, en pensées, en désir, renouent à mon poignet ce premier geste d’amour. 
J’ai été amoureux, comme toute l’école, de Loriane pendant des années. 
En CE1 un jour que mon institutrice se trouvait malade nous dûmes être dispersés dans les classes d’autres enseignants. Mme Pichly, maîtresse Minotaure, terrorisait tous les enfants moi y compris. Elle portait de grosses boucles d’oreille dorées, des tailleurs aux tons marines et, surtout, était la maîtresse de Loriane ce qui la rachetait d’à peu près tout. Je décidai, au soulagement, de quelques autres, de me porter volontaire pour la classe de Loriane-Pichly. Doux espace. 

A l’école, j’adorais jouer avec les filles (je jouais au football à la cité) parce que j’adorais la corde à sauter et l’élastique. Loriane et moi jouions ensemble, souvent jusqu’à ce que…je ne sais quoi de laid, de pleutre en moi, d’un orgueil blessé et blessé jamais d’autre chose que de ma propre couardise. Je ne sais pourquoi, j’ai mimé la détestation à sa plus grande surprise. Longtemps, cette pente si banale, cette pente de gâchis - et de sa propre vie - je la suivis…

Plus tard, des années après, j’écrivais à la fille que j’aimais et que je fuyais

déplaire est mon plaisir 

et elle de répondre 


ce n’est pas mon plaisir que tu me déplaises

Longtemps, je mis à la remonter, cette pente. 

Loriane et moi furent dans la même classe en CM1. Sur la photo de classe de ce temps-là tous les visages, malgré le temps, demeurent intacts à l’exception du sien qu’immédiatement, j’avais effacé. Je crois en utilisant un peu de salive - baiser malade ? et mon ongle pour gratter. Arrachant, copeaux d’image, l’incarnant sous ma peau, dans mon système, passant dans le sang, mouvant, aujourd’hui encore.
Elle règne, sur la photo, fantôme plus vivant que les visages confus, devenus indistincts de l’enfance. 
Eternité curieuse à quoi je l’ai consacrée. Une ombre très pâle, la même qui toujours à mon poignet resserre la montre défaite. 

Ce petit espace, là, entre la peau et le bracelet
l’interstice de l’amour
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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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