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8 février 2022

Berlin Centre

F., fréquente avec intensité les lieux intersticiels et marginaux, loin des imaginations de la plupart des gens, loin aussi des questions de classe et d’économie, son identité, ses identités éclatent et forment mille petites flèches vénéneuses.

F., doit reproduire un certain ordre social et les gestes associés qui performent cet ordre. Pour ceci, il lit la presse, travaille depuis cinq ans chez PWC, déjeune tous les week-ends à Neuilly-sur-Seine, chez ses parents. Dans une maison immense, comme j’ignorais même qu’il en pût exister de semblable. F. me dit 1500m2 lorsque je lui demande à l’instant la taille de cette maison. Je veux bien le croire. F., se conforme, prend sagement ses 5 semaines de congés payés, travaille tard en cas de closing, s’acquitte de toutes ses obligations filiales, il est l’obligé du contrat de travail, de la vie salariée, du code civil.

Voilà, pour ce que F. doit et ce qu’il doit le tord et le broie.
Ce qu’il doit l’empêche, et l’empêche tant que sa vie, son autre vie, je ne dirai pas sa vraie vie, simplement sa vie inusuelle, sa vie d’interstices, de back-rooms, se déroule dans un chaos dangereux qui parfois l’effraie et menace son existence physique.

F., me raconte que, souvent, lorsqu’il se dégage de son corset d’obligations, il se rend à Berlin. Là-bas, dans le même sex-shop, toujours le même, F. a des manies qui confinent aux TOC, F. achète une perruque, un rouge-à-lèvres très rouge, très pute, une mini-jupe en faux-cuir, très pute, aussi réutilisable qu’un préservatif usagé. Il veut se faire chose, F. dit, être utilisé·e.

F., une fois paré cherche, dans les rues de Berlin, autour des clubs douloureux ou joyeux, des hommes titubants. F. se fiche que la lumière ait quitté leurs yeux ou qu’y brille une lumière toute tordue et dangereuse. Je veux sucer des queues, n’importe quelles bites. 

F. cherche à sucer des bites. F. n’a pas besoin, pour exécuter son désir compulsif, de se défoncer la gueule, comme beaucoup, souvent, pour accomplir les fantasmes dangereux, doivent suspendre la part dressée de leur esprit.
F. se promène toujours avec une boîte à drogues, un curieux coffret en bois où, à la manière d’un expert-chimiste, il range les différents excitants qui lui plaisent 3MMC, MDMA, cocaïne, beuh…A Berlin, le chem sex lui plaît, évidemment. Il a commencé la 3MMC là-bas et à cette fin parce qu’un type, Jorg ou un autre prénom d’assassin, le lui imposait. A Berlin, F. ne vient pas pour ça, pas pour le chem sex, sa drogue ici, c’est le risque encouru, l’incertitude quand tu te tords de désir devant le premier homme, la première bite, les premières couilles.

Là, cette vie, sa vie, sa presque vraie vie, F l’expérimente dans un grand cri meurtri qui est aussi un grand cri de liberté. F. aime le goût du sperme qui, il ne le dit pas, je le devine, ne délivre tout son arôme que dans ces rues de Berlin centre, chaotiques et étrangement stériles. Elles sentent le cul, jamais la pisse. F. ne peut jouir de ce plaisir tout à fait que dans cet habit d’ombre brillante, que fardé comme une proie, il dit, F., ça comme une proie avec d’autres mots. Ses mots à lui. Les mots de celui qui lit la presse. De F. l’hypersensible qui lit la presse. F. qui dort la gorge tordue d’angoisse, rue de Rome, les jours où il dort seul, où son amante dit je veux de la solitude où il ne peut aller à Berlin. Je pense, alors, à ses poignets marqués par les coups légers du cutter, des coups qui ne sont pas faits pour tuer, cette façon, désormais, de soi-même, pratiquer l'inutile saignée.
F., lorsqu’il raconte ces épisodes les raconte avec une sorte d’effroi, moins impressionné a posteriori par son courage d’alors que par la nature même de son désir qu’il juge, soudain, abominable. Comme si avait reflué d’un coup, Neuilly-sur-SeinePWC le monde affreux, cette vie déposée en lui par effraction ce Neuilly-Sur-Seine colon, 1500m2 terrassant, cette maison bourgeoise et vertueuse crache à la figure de F et barre à F. l’accès serein à une partie de sa vie. Toujours ce sera la porte dérobée, l’escalier de service, l’échelle branlante, toujours ce sera soi-même son propre passager clandestin soi-même la douane. 

F. ne ressemble pas à ses trente ans, son visage imberbe, ses yeux très doux, un air de ressemblance terrible au Terence Stamp de Théorème. 
La fille avec laquelle, régulièrement, il couche, me disait que toujours, avant chaque geste même avant de prendre mes seins il demande s’il peut. Qu’au début, elle en était très troublée, qu’aujourd’hui, désormais, ces préventions la rassurent, comme si rien ne pouvait arriver d’autre que le plaisir. 


F., exemplifie parfaitement, trop bien, ce qu’on enfonce au fond de la gorge d’êtres pâles et vermeils, la honte. Une honte tenace, contradictoire et bouleversante. La honte de soi-même, d’être soi-même, de pouvoir, en toutes circonstances, dire fièrement, prétentieusement même, me voilà donc tel que je suis. F. exemplifie cette fracture, cette vie menée, non dédoublée, puisque ce serait beau, ça, soi-même exister deux-fois, une vie de surface une vie de profondeur, ce serait beau cette vie comme un rayon éclaté, là, il s’agit d’une vie fissurée, dont le centre, le JE, est une fêlure. Alors, comme F., parce que le désespoir, la nécessité intérieure, l’autre côté indompté de la fêlure, force son chemin, alors comme F. on se rue la tête contre les murs à risquer de se briser les os, d’attraper froid ou la mort. 

Le ravin se creuse de l’affreuse morale publique, l’envie forcenée, toujours, de vouloir lui complaire comme l’enfant martyr à ses parents bourreaux. F., ferme les yeux sur lui-même, le plus souvent, pour s’épargner sa vision, en pleine lumière, dans les lieux éblouissants il avance comme dans une nuit indéchiffrable. 

Alors il crie, au-secours à travers ses lèvres peintes de rouge et de sperme, dans une rue bruyante de Berlin, là où régnait jadis en maîtresse inflexible la Stasi. Désormais, la police secrète plus secrète que jamais, glissée muette dans sa propre ombre. 

Les êtres divisés ne peuvent le plus souvent jamais se rassembler et l’abîme s’ouvre pour atteindre un jour la taille exacte de la tombe. Une question de temps. 

 F., sûrement, finira tué, enfonçant un jour trop profondément la lame scarifiante. L’ultime saignée. On ne se sauve jamais du monde. 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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