Mon identité de genre se vit, depuis toujours, sans trouble. Mon apparence jamais ne me dérange, moi c’est moi, je dirais si je devais me trouver un slogan vendeur, plus tard, pour un prospectus de survie moi c’est moi, et je ne me rêve jamais autrement sauf, et à peine, rarement, plus riche. Sans trouble, j’aime jouer, en même temps, à distance, trivialement, à me parer de lambris féminins, mes jeans serrés, le khôl qui prolonge le regard, les gestes légers…le manque d'imagination fait obstacle à davantage, je croyais jusque là.

Quelque chose, seulement, me manque, quelque chose du domaine de l’expérience, du travestissement et de la déformation, quelque chose ou quelque part du non visité, de quoi je ne suis pas instruit et dont j’aurais vu, dans une sorte de rêve prophétique, la forme engendrant, tout ensemble, siamois le désir et la frustration. Quelque chose où je sais que je me trouve, moi, sans m'atteindre.

Je cherche où m’acheter des tenues d’argent lamé qui collent à la peau et dessinent sur mon corps androgyne comme des points de contact avec le féminin, je parcours les corsets, tous de mauvaise qualité même les plus chers, en cuir, en soie ou une matière, au-secours, jolie.
Ces choses ne m’évoquent aucun fantasme d’ordre sexuel, aucun fétichisme ne s’attache à l’objet. Il n’est question que de moi, de mon trouble, mon écartèlement, mon voyage. Je rêve de faux ongles véritables qui semblent faits pour tuer autant que pour aimer et qui, maladroit tel que moi, ne tueront ni n’aimeront, et plus sûrement déchireront moi-même, s’enfonçant intimement. Les faux-cils me fascinent, je m’imagine les portant, dériver dans la rue, jetant des regards dévidant en riant d’un rire accompli. Les femmes parées des faux-cils me paraissent toujours de drôles d’étrangères, venues de mondes parallèles, comme un attribut de sorcière qui préservait, dans cette galaxie lointaine, du feu menaçant des bûchers dressés. Parvenues ici, elles conservent le talisman, voilà tout.

Je m’imagine, titubant, comme le battant d’une cloche invisible, au milieu d'un cercle où des regards secrets me regarderaient, où le mot back-room projetterait son flash éblouissant sur ma peau argentée, où je pourrai imaginer, de l’autre côté du mur, des milliards de regards tordus de désir, d’inquiétude, de honte. Je ne sens pas ces regards en écrivant, la page blanche ne me renvoie qu’à ma lèvre mordue de frustration, qu’à l’agitation insatisfaite de mes membres. Tout crie. Ca ne suffit pas. QUE TOUT BRULE. Il ne s’agit plus aujourd’hui que de donner la juste trajectoire à cette visée, déjà, je me trouve au-delà de la question, cherchant, seulement, de la réponse la dimension. 

J’ai visité des villes et des monuments, admiré les peintures sublimes des capitales étrangères, je me suis laissé torturé, vous n’imaginez pas combien elles me torturèrent, par les pierres effondrées de Rome, la douleur ressentie marchant dans la terre ocre des thermes de Caracalla, parcouru les plages blanches de l’Asie trafiquée des agences de voyage, les annonciatrices de la mort, j’ai trempé dans des mers si pâles où je vis jusqu’à mes os. Je ne parle pas de ces destinations touristiques, extérieures et, pour moi, pour moi qui voudrait l’écorchure, insuffisantes, ces formes me brûlent comme l’eau bénite la mal exorcisée. Blessé comme la faim blesse l’affamé.  

Je parle d’un coin obscur de moi-même, inexploré. Moi, pourtant, haha, le voyageur intempestif des cruautés adolescentes, le directeur des affaires louches, agitant mes mains, prolongés de mes ongles longs et coupants. Mes ongles, longs et coupants, d’une paresse sans vice. Faux fauve mal sauvage. 


Je sens, ces derniers jours, en moi un séisme sous-marin poussant à la surface, à hauteur de cris, de lèvres, de pleurs, ce monde englouti, caché, honteux. 


Ce glissement de terrain découvre sous sous la boue, la lumière d’un astre.

Les abîmes, je les connais, ne me parlez pas d’eux. L’abîme, pour moi, l’abîme en moi, revient à ce que trivialement, vous dites de l’horizon ; cette limite obsédante pourchassée en vain ; 
et moi je dis abîme
cet horizon 
vertical, 
vertical
il m’engloutit l’abîme 
sans limite 
ni cesse le
gouffre qui me 
prend. 


A ce coin barbare au-dedans de moi, à ce pays de Wisigoth où je feignais toujours de ne pas comprendre le langage, à ce coin barbare, sûrement, je dois quelque chose, un geste, une tentative, une fissure. Parce que ces patries ensanglantées, toutes, matérialisation de MOI MOI MOI.

Je dois naître, je le sens, de cet écart en moi-même d’où vînt la secousse ? Je ne peux dire. Les images banales de la publicité, la mise en scène d'une sorte de péché ? 
Associant, en quelque sorte, ces images une sorte de mal, d’exploration de soi-même au simple travestissement comme si franchir, par le vêtement et le maquillage, les limites du genre nous menait en des terres exquises, religieuses même, comme si cet acte là témoignait du vice le plus fondamentalement pur. Comme s'il s'agissait de morale. Non, ce n'est pas ça. Il ne s'agit que de vie. La mienne je crois.

Bien davantage, 
Frédéric et son travestissement, sa bouche collante, des mois et des mois après de sperme et de peur, ou alors, novembre, le drag-show du Sister Midnight peut-être où j’entendais le vacarme, lointain, d’un océan mouvant et plein de vagues, où j’entendais la voix des sirènes belles et dangereuses, appelant à l’aide celui qui criera à l’aide.

Bien sûr, ma campagne intérieure, je l’ai battue et rebattue, comme le vent plie les blés, 
je connais les sentiers rêvés de la littérature, ces promenades dans des villes fantômes où sur des cordes à linge sèchent des pages pourries et du poisson humide, je sais par coeur le frottement des amours minuscules et le je t’aime le plus pur, qui monte, depuis toujours, de cette chambre d’hôtel, place Robert Schuman, les visages poudrés, le reniflement exagéré, outrageusement vertueux, après avoir reniflé de la pacotille, oui, et la baise terrible venue des orages les mieux faits, le tremblement de l’air et le milliard d’étoiles pulvérisées debout contre le mur, la langue deux fois humide des poils enroulés. Je sais, les puissances recelées, jamais secrètes, de ces profondeurs à fond simple, simple comme la profondeur des océans pour l’océanographe.

 
Je parle d’autre chose, d’un ailleurs à moi propre, deviné, senti là. Un pardessus ou, diraient d’autres, un en-deça dont, par peur de la blessure la vraie, je me détournai, I don’t speak ****, la même excuse, pour fuir le vrai reflet, l’éternelle lâcheté face à ce qui menace ta quiétude, ton ordre, ah toi, qui toujours pourtant te disais de tous les risques, toi haha, tous les gouffres, toutes les falaises, tu disais ? te voilà bien pris au piège quand on t’accule pour de vrai, allez saute, je te dis, saute. 


Et je me dis, alors, ceci, ce loin de si loin si semblable au désastre. Je me dis de Ne pas m’y rendre tremblant, désolé ou dément. Je vois Frédéric, ce que ça lui fait lui de s’y jeter comme il se jette, inconscient, aveugle, ce ne sont pas ses vêtements, jetables de toutes les façons, couverts de foutre ni sa lèvre enflée d’herpès, qui m’effraient. Moi, bien davantage, m’effraient la sorte de peur, celle de l'après, qui le hante, la grande mutilation comme si cette liberté, la simple expérience de soi, se payait d’un coup de hachoir.

Dire, je, Tout simplement, d’un naître à soi.