Merde je l’ai pas pris on me demande parfois, lorsque je m’exclame ainsi à propos de mon médicament, ce que je serais, à l’instant présent, si je devais l’oublier ce jour ou par trop souvent
serais-je de moi un autre que moi, rendu non plus à moi mais, en quelque sorte, à ma version brouillée, troublée, un moi spectral et dangereux ?
m’imagine-t-on, si j’oubliais mon médicament, assailli de visions horribles, de pensées meurtrières, destinées à ma vie ou attentant à d’autres vies
Je n’aime pas cette question et ce qu’elle contient de soupçon et peut-être un peu aussi de fascination. Pouvoir de voir des fols interrompu ou alenti au contact des médecins.
Ce moment que je sens souvent d’effroi fasciné ou de dégoût peureux selon l’autre en face de moi qui, l’autre, dispose en vérité de tout le pouvoir de mon pouvoir ; par elle ou lui je suis fol ou fou.
Demeure, quelque part, enfoui certes, et plus que jamais en ces siècles de raison libérale, les soupirs prophétiques des Oracles, la croyance que certains connaissent le voisinage d’images épileptiques, une vérité recelée peut-être. Celle du voyant auquel la crise d’angoisse sert de boule de cristal.
que voit la voyante ?
il faudrait dire les lèvres grises
dures
les baisers mortels
raconter
les yeux pastels
le sexe tiède dès l’aurore
dire
le matin au pelage doux comme le sommeil d’après l’amour
l’odeur, l’automne, les feuilles mouillées
de l’eau jusqu’aux mollets
la proie immobile tenue entre les serres
tendres définitivement du faucon voyageur
que voit le voyant ?
tout ce que vous voyez.