Tu lisais Emily Dickinson
assise seule patiente
les épaules nues malgré le froid
tu te tenais là immobile
Printemps précoce
près de toi le vent tiédissait
Moi j’haletais contre l’hiver
luttant sans t’apercevoir d’abord
Puis ce fut tu le sais
l’accident le souffle
broyé les mots souples
et maladroits
La première violence
Tu as parlé la première en me voyant
souffler
Tu as parlé tout mon corps
te répondait
mes muscles ma peau mes dents
ma peur
Tout mon corps répondait
immobile
Tu m’as demandé mon nom
je l’ai bégayé sans demander le tien
On réfléchit mal quand sous soi
le sol se dérobe
la lumière
nageait dans tes cheveux
le soleil gloussait en roulant
sur ta peau
Kettly
Tu te tiens
dans ces mots
tracés à la hâte
tu penches vers le silence
Tu te tiens légère comme le vent
Au bord d’un baiser au milieu du vide
jusqu’aux points lumineux
dans le ciel
Maintenant je marche seule dans nos souvenirs
qui dansent jupon flottant
au milieu du vide jusqu’aux étoiles
sans nom
Dans ce sable l’écume
calmement en couvre les traces
Tu n’existes plus depuis ces mots
Mon premier hiver
Le plus long des hivers
Je parle de tes mots à toi
Je parle du parfum d’Arabie renversé
Sur les draps
Tu es entrée dans ma peau
par toutes les ouvertures
Tu as dilaté mes pupilles
tordues mes mains
tu t’es infiltrée dans les lignes du devenir
dans le claquement de mes dents les lèvres
gercées tu t’inscrivais partout
II.
Maintenant, je dois me souvenir
Pour nous deux toi
ta mémoire comme tu disais
flanche facilement
Si j’avais pu emprisonner
ton souffle dans de petites
fioles transparentes conserver
tes baisers dans un coin éperdu
de mon corps si j’avais pu
toi tout simplement te retenir
Kettly, ton prénom vagabonde
On ne te retient pas plus
que la rive retient les hautes-marées
Kettly, l’incendie c’est de toi que je parle
parlerai longtemps de toi que je parle
encore là dans l’écho doux de ces mots
là où tu es où ton ombre où la lumière
te suivent tu sentiras parfois le vent tiède
des mots projetés des mots d’amour pour toujours
III.
Tu te souviens Les Landes
Tu venais des Landes et tu n'en parlais pas
Il a fallu que je te demande d'y aller
Un jour tu m'as dit "on part demain"
Terrifiée, tu m'as prise par la main
J'ai jeté sur le téléphone des parents
Un mot "ne vous inquiétez pas".
Alors, Les Landes, les forêts immenses
le bruit mouvant de la scie électrique
assourdissante j'entendais la scie
électrique scier à l'intérieur de mon amour
chaque os chaque cartilage je rompais
d'amour
J'admirais ces arbres identiques et alors
Tu éclatas de rire Kettly tu me dis
la forêt truquée cette forêt une forêt
presque pour rire pour le papier
pour la menuiserie une forêt
avide conçue pour la hache la sciure
les oiseaux n'y dorment le colibri
ne vient pas y voleter depuis l'Amérique
Tu m'as jeté contre le tapis de pin
les aiguilles piquent des millions
de petites blessures comme des étoiles
amoureuses
Je caresse aujourd'hui les sapins
je ramasse les aiguilles souples et dures
et j'enfonce dans ma peau leur pointe aigue
pour mle souvenir