Léo vient de m'écrire sur facebook :
le problème de la France c'est le nominalisme
rendant presque nul ce poème
ou au contraire
pensée
sauvegardée à elle celle justifiant
tout ceci
Je crains la disparition des poèmes de Léo alors je les recueille
dans un fichier .pages sur
mon disque
dur
La disparition de ces poèmes
recomposés à partir
de bribes déjà existantes
rebouleversés d'éléments neufs ou rénovés
simplement
terrifie ce
que je suis
Léo sauvegarde à peine la poésie qu'il écrit
comme traitant d'une chose sans importance
aussi une façon,
peut-être, si je dois deviner son intention
de dire que la poésie ne sera pas toute sa vie
les années le rongeant lui comme elle
métaphorisant le passage des ans
je le dis sans savoir
nous ne parlons jamais de sa poésie
ou bien avec beaucoup de gêne
comme une chose sans importance
qui compte beaucoup trop
pour moi peut-être plus
qui crains l'érosion
Rémi ou Marie-Anaïs
recueillent aussi les pages déchirées
qui ne sont pas vraiment des pages
mais des pixels agencés selon le code informatique
qui les traite
puis les éparpille
soumis au clic ennuyé
de Léo.
je ne peux imaginer les clics de Léo
autrement qu'ennuyés, prêtant un intérêt
limité à cet enchaînement poignet-doigt-clic
malgré les conséquences
définitives de ce mouvement
mécanique
Aragon jetant dans le feu la défense de l'infini
le faisait avec une rage lyrique
celle qu'on a si éconduit
à vingt ans
cendres
Dans les poèmes de la Puerta del Sol,
publiés je crois, à titre posthume
del Sol sonne
comme une autre façon de dire
Léo
Aragon relate l'épisode
dans des vers terribles et beaux
vibrants comme une orgue
je crois
et pour être sûr qu'ils vibrent comme une orgue
j'écoute [spoiler=]occata et Fugue en Ré Mineur BWV 565[/spoiler] Bach en même temps que je lis les poèmes de la Puerta del Sol et que
j'écris ce poème sur la dissolution des poèmes d'un autre que moi
les vers d'Aragon auxquels
je fais précisément
références sont ceux-ci :
Alors j'ai déchiré quatre années de ma vie
De mes tremblantes mains De mes doigts noués durs
d'autres importeraient peut-être au lecteur exhaustif ; moins aux autres :
[spoiler="reste"]
A genoux traînant mes jambes les pieds nus
Ferme la fenêtre il souffle une brise coupante Les feuilles
Vont s'envoler
Assis par terre et les jambes traînant à droite
A gauche un visage perdu Lisse au moins semblait-il
De toute pensée
[/spoiler]
ici les vers importent à nouveau :
Quatre ans les feuilles de quatre ans rameutées
Pour le feu projeté les flammes tout à l'heure
Nous savons que Nancy Cunard tira du feu de nombreux feuillets, entreprise permettant désormais la publication quasi-annuelle d'une édition augmentée de la défense de l'Infini réjouissant sûrement les actionnaires de Gallimard et les lecteurs fortunés d'Aragon.
[spoiler]
c'est chose rare de voir s'entendre la culture et la spéculation ; nous ne pouvons que nous féliciter de cette amitié née de cendres aragoniennes
[/spoiler]
ces deux groupes peuvent très bien n'en constituer qu'un seul.
Ainsi la poésie de Léo
meurt dans ce même feu
plus mou comme il le dit parfois
dont il faut les tirer du feu
lui et elle
J'ai très peur de ne pas me souvenir
des choses de ma vie
je serai vieux un jour
ou déjà
passé depuis longtemps
de mode
on dira que je suis jeune
encore
malgré tout
cet effacement
actualise
le trou de mémoire
à venir
la calvitie qui gagnera
un jour
et le souvenir et le front
les poèmes de Léo sont touchants
ils changent de forme au fur et à mesure
des versions comme soumis à
une pression jamais la même
déformant le poème ;
sans le dire il combine de vieilles choses
à d'autres neuves
les siennes
ce qui est une forme comme une autre de modernité ;
[spoiler]
peut-être la plus moderne
[/spoiler]
mêlant aux formes du passé
des techniques récentes et
sa vie particulière
qui par nature et nécessité
se vit hic et nunc
[spoiler]
le
je
se glisse
insidieux dans toutes les coupes
le graal n'y buvez pas
[/spoiler]
Je crois qu'Aragon ment
ou exagère ce qui est
l'une de ses caractéristiques
lorsqu'il rapporte cet événement
survenu dans une chambre d'Espagne
Et qu'au feu ne brula qu'un quasi
rien
Peut-être en va-t-il de même
de la poésie de Léo
intacte quelque part
ignoré de tous
Il n'y a pas de rossignol chez Léo
ni d'arbres secoués par la brise du soir
Léo parle souvent du cliché qui dans sa bouche
sonne curieusement il "salive" le mot qui nous
parvient ainsi humecté
[spoiler]
de la même façon il prononce
con de la plus adorable façon qui nous fait sourire
Marine et moi
[/spoiler]
plus surprenant le motif de l'appartement revient plus
souvent itération que je n'interpréterai pas
que celui de la chambre et la solitude comblée d'un coup
p a r l ' a m o u r
[spoiler]
ce qui est un peu cliché quoi que très vrai et il ne faut pas craindre la vérité même quand elle passa par tant d'autres avant soi.
la vérité même
[/spoiler]
C'est une poésie d'errance ponctuée de lieux
pas différente en ceci d'une grande quantité de poésie
et d'individus, rarement nommés ; eux
symboles bien davantage ; réels pourtant
au dehors du poème / dans le poème fonction du poème
ce qui se retrouve dans une poésie moins nombreuse
quoi qu'encore très conséquente.
Mais l'idée générale d'un poème n'est jamais à la fin
que la combinaison de mots formant des phrases ou des vers
arrangée sur une feuille ou une page web ce qui revient à peu près au même
on ne pourra donc reprocher à léo d'utiliser comme tout le monde
le support permettant l'écriture ni par extension
d'adopter les thèmes généraux de l'écriture poétique
[spoiler]
ces dernières phrases
je les écris
après une interruption
-le ventre-
dans la rédaction de ce quasi-poème
j'ai donc perdu la tension
qui chez moi produit toujours le sens
je suis incapable de dire de la
poésie de léo autre chose
que de vagues généralités
qui pourtant en moi sont
constituées plus fines
et singulières
particules
[/spoiler]
Cette poésie bouge très lentement
celle de Léo je veux dire
et le lecteur peut la comparer à la brise du soir dans les branches d'un arbre
ces rapprochements
trop insupportablement lyriques
mais insuffisamment dénoncés
restent permis
je choisirai plutôt
l'aube sans bruit
où j'ai déjà marché
ainsi que vous tous
ce qui est encore un lyrisme
mais celui-ci d'un être véritable
et sa vie réelle
Mais la poésie de Léo s'éteint sous l'action de ce même Léo et
doit être recueillie par moi
et tous ceux que cette action inquiète
peut-être que le ton dramatique du texte excède largement mon sentiment
ou bien non
j'ai la sincère terreur
des choses mortes
qui tombent trop brutales
dans le définitif
silence
comme la nuit finissante
la soirée consumée sans que rien
à la fin de cette fin ne bougea
sinon soi
toujours le même
pourtant
plus fatigué sinon
je ne décris pas ici
l'une des nombreuses possibilités de moi
abstraction inutile
c'est sur Léo sujet de sa poésie
que je discoure
et le regret
je pourrai dire la mélancolie
de sa poésie
régulièrement énoncés par lui
et
signifiés en les
choses finissantes
par moi rapportés dans une langue
approximativement
la sienne
La poésie de Léo n'est pas à proprement parler lyrique
Comme déjà indiqué, elle combine
des manières modernes
et une prosodie ancienne
lorsqu'elle est en vers, probablement influencée par la lecture
acharnée et subie des poètes renaissants et
du
v
e
r
s
LIBRE
Sa prose a le rythme d'un vers régulier "Léa a les cheveux bruns, mais cela importe peu"
"Quand je pense à la vie de Léa, je vois le petit appartement, à Brest(,) qu'elle habite seule"
[spoiler]
où revient le motif de l'appartement
[/spoiler]
la poésie de Léo spatialise (ou géolocalise) souvent
les événements qu'il relate
formant un arrière-plan
sur lequel les sensations
s'impriment et se succèdent
(on trouve une
forme de narrativité
très souterraine
la lenteur n'est pas
l'absence de mouvement)
mais Léo
décolle sa poésie de tous les supports
et sa négligence en toutes choses
la fait mourir partout
Lorsque j'étais plus jeune
il m'est arrivé souvent de perdre
un de mes textes à cause
de ce que l'ordinateur
PLANTAIT
ou pire que maman
insupportée par le bruit
du ventilateur
l'éteigne brutalement
dans ma mémoire ils
sont les plus beaux
ils ont le charme
des disparus
intacts
et
absents
peut-être Léo pense-t-il ainsi
faisant tout disparaître tout
et
nous réduisons à rien
son entreprise de beauté
par notre manie conservatrice
qui est aussi preuve d'amour
L'un des fichiers de mon ordinateur
porte le prénom complet de Léo
par lequel personne ne l'appelle
ou peut-être seulement l'administration
et sa directrice de mémoire
qui est une administration incarnée
ou sa mère si elle fâchée contre lui
ce qui encore est une
forme administrative
et ce prénom sonne comme il faut
pour dire sa poésie
[spoiler]
je pense ici à Pound créant du sens par l'associationde deux groupes grammaticaux qui n'en possédaient paschacun une moitiélorsqu'on les prenait séparémentainsi il en va de Léo-Paul [/spoiler]
Les poèmes de Léo
sont des objets fragiles
sans que le terme ici
de fragilité ne concerne
l'intérieur du poème
ils sont littéralement fragiles
vivant toujours sous la menace
d'un clic ennuyé un jour
d'embarras
la poésie ce n'est pas assez sérieux
pour qu'on la conserve précieusement
dans
ce vieux coffre-fort un disque dur
je garde la poésie de Léo
sur mon ordinateur