L'arpenteur
Parfois, parce que mon rapport au temps, comme je l’écris si souvent, me rend tout futur inenvisageable, j’aimerais vivre à perpétuité dans des instants, ceux de grâce le, disent les musiciens, sweet point.
Au parc Monceau, avec K., je connus un de ces moments là, ô temps suspends ton vol, qui, instant, recommençait souvent, durant une heure, décharges répétées, douces ou dures, tendres le plus souvent. Pour moi, je lui confiais, tous ces prénoms, toutes ces initiales répandues sur mon blog ne constituent pas seulement une façon de parler de moi, de revenir à moi, ces mentions, presque des invocations en réalité, affirment de qui je parle, leur donnent une texture, une solidité, celle des mots, peau véritable pour qui, poète, passe sa vie à se barbouiller de verbe. Si les femmes, surtout, se concentrent ici c’est que je passe le plus clair de mon temps entouré de femmes, parce que, le plus souvent, avec elles je me sens bien, mieux de ne me sentir pas le devoir de jouer un rôle ce qui pour, et c’est faire erreur sur moi, se perd en séduction, paraîtrait une contradiction. C’est que je ne séduis pas, j’avance peu de gestes, je tends rarement ma bouche, avec les filles, pas toutes, évidemment, celles dont j’aime l’odeur, la conversation, le regard et la petite dissonance, ce truc, comme une dent légèrement ébréchée dont on ne voit la fêlure qu’en approchant de près. Je cherche cette proximité, ce point de vue d’où l’on voit tout. Moi, tout entier livré, sans dissimulation, moi, avec la maladie, les efforts, les ratages, moi avec la superbe, aussi, la soie, les mains jointes suppliantes, moi avec le geste prodigue même les poches vidées - les nuits longues épuisent le salaire. Avec les garçons, l’ennui toujours finit par poindre, cette impression de devoir, sans cesse et toujours, me comparer, me mesurer, comme si toute conversation, y compris chez les gays - je ne connais pas assez d’hommes trans pour les inscrire ou les exclure de cette typologie - imposait une toise, un mètre, une balance, que, toujours, une évaluation, un contrôle surprise pouvaient surgir. Probablement que, beaucoup d’autres types, avec les filles, se sentent, parce que charmer, pour eux, signifie mentir et truquer, ce devoir de jouer pour commettre leur piètre larcin, une nuit de baise ou l’amour feint.
Ces prénoms ici m’accompagnent, à égalité avec moi-même, à K. je décrivais que, chacune, jalonnait ma vie, en figurait une étape mais aussi une partie du chemin, point autant que ligne, que seule leur empreinte - forme et largeur - la profondeur du sillon, les différenciait. Elles ne figurent pas des sortes de trampoline qui me permettent, à leurs dépends, de bondir sans arrêt hors de moi, elles me dédoublent, m’enchantent et, même, me gracient d’une peine sur moi, malgré moi, pesant.
Il me souvient, alors, les truffes accompagnant les pensées, de moi, dans ces vérités révélées qu’offrent les psychotropes, soutenant auprès de Louis que nous pouvons choisir ou bien de creuser, dans le monde, une infinité de trous ou bien de se consacrer au forage d’un seul, que les deux, qui volage ou sérieux, qui séducteur ou éthique ; Johannes ou le juge Wilhem. J’ignore qui trouve le bien précieux, si toutes les profondeurs, à égalité, après un temps conséquent, recèlent de richesse (et si creuser en était déjà la richesse, la découverte des pierres singulières, de la matière inconnue, rêche, connue des seuls aventuriers des gouffres) ou si, à force de multiplier son geste nous apparaissent maintes pierres précieuses, éclats de vérité ?
L’instant, avec K., durait, se renouvelait, je n’aimais pas ce jour, la forme de mon corps, j’éprouvais envers lui une distance insupportable, le désir naissait, malgré tout, à l’intérieur de mes membres, et nous nous embrassâmes d’un doux, bon, profond baiser, ceux qui sentent la fontaine, la cascade, un peu la forêt après le passage des loups et qui abandonnent une goutte de peur et une mèche brutale. Il y avait ce côté, quand, ouvrant les yeux, au milieu du baiser, je la voyais elle, son visage au-dessus du mien, les yeux grands ouverts, scrutant, je me demandais qui voyait, alors, le mieux, celui qui, les paupières closes engendrent à l’infini le moment ou qui, prudente ou surprise, le regarde en train de se faire.
Temps suspends ton vol, je dis, ce moment si répété dans sa grâce, c’est par la découverte, lointaine, de son corps, ses hanches contre la main, une apparition, toujours d’une autre forme - belle, charmante - hors de la vision, de ce sens si fortement gaspillé, usagé à l’infini, dans la main qui serre et entoure, la pression plus ou moins forte à la taille, cette apparition, plus encore que par les mots.