Vanilla
La sexualité dite vanilla me procure, je crois, les orgasmes les plus adéquats. Si quelques miettes effractives, en provenance des extases plus littéraires, se glissent parfois dans un râle ; elles demeurèrent toujours rares ou poussières.
Pour autant, rien ne m’effraie vraiment et, assez curieux de tout, je me suis laissé embarquer au cours de ma vie, dans de brèves étreintes, aux goûts de l’autre aimé ou, à tout le moins, désiré. M., plus âgée que moi, dans sa jolie chambre étudiante, cachait ce qu’on pourrait dire un arsenal sexuel qui, la première fois que je le vis, ne provoqua pas l’effroi en moi, jeune fille provocatrice, qu’elle supposait, mais plutôt une surprise. Une extension des possibles de ce qu’on peut faire.
J’ignore à quel âge, pour quels motifs se construisent les fantasmes sexuels. Dans Frisk, Dennis Cooper raconte que son fantasme sexuel de tuer son partenaire vient de ce que, à 13 ans, le propriétaire d’un sex-shop, lui montra la photographie d’un adolescent, pas forcément à son goût d’ailleurs, attaché par les quatre membres et blessé d’une blessure mortelle au-dessus de l’anus.
Après avoir vu la photo, Dennis, se jeta sur son vélo et pédala de toute sa force, sans parvenir jamais à fuir cette image. Cette image innerve son désir et, parce qu’il est écrivain, son écriture. Des années après, dix ou quinze ans, Dennis apprend, en rencontrant l’acteur de la photographie, que son désir, ce désir crucial, le premier cristallisé, reposait sur une illusion.
Le fantasme, indifférent à la vérité, ne se dissipe pas pour autant, ancré rien ne nous en délivrera. Comme, peut-être ici, parce que le fantasme a date, un double ou une forme du traumatisme.
Dans ses livres, Dennis Cooper continue de vivre, à travers ses personnages brutaux, parfois jusqu’à la caricature, une sexualité qui ne s’accomplit totalement que dans le meurtre.
Chez Dennis Cooper les gestes, tous les gestes, se prolongent ou commencent dans la sexualité. Son univers poétique se compose de deux éléments centraux : une homosexualité générique, tous les personnages, sans qu’il ne soit besoin de l’annoncer, sont des hommes gays et tous ces personnages vont baiser et cette baise, jamais vanilla, tremblera de violence et atteindra, dans les apothéoses les meilleures, le meurtre. Chez Dennis Cooper, le sexe revient à tuer ou se faire tuer.
M., et je trouvais le mécanisme fort habile, cachait sous son matelas, aux quatre points cardinaux des attaches. A l’inverse de son coffre magique, elle éprouvait une sorte de gêne à ce que je les découvris. Je me souviens, d’un scratch d’abord ressemblant à celui des attelles et de lui demander, tout à fait curieux, c’est quoi. Je crois que je ne me représentais pas la sexualité SM sous ce tour là, c’est à dire que je ne l’imaginais pas aussi…instrumentale.
Les liens en question étaient très laids et ressemblaient, comme je l’ai dit, à des attelles souples. Je m’imaginais de loin, sans intérêt spécifique, à cause de Sade ou de la Vénus à la Fourrure, des accessoires plus lumineux ou douloureux, j’imaginais d’autres matières le cuir, du vinyle ou de l’acier. Ici, c’était juste…pratique, utilisable et performant.
J’ai, ce jour, renouvelant l’expérience souvent, attaché M. La première fois, bon élève, l’attachant par les quatre membres, elle semblait suspendue, lévitant quelques centimètres au-dessus du matelas, portée par le désir ou la surprise. J’ai essayé parfois, avec elle ou d’autres, de former des noeuds plus complexes avec des cordes plus audacieuses, sans parvenir à mieux qu’au noeud le plus basique.
Je ne déteste que peu de choses et mon désir, toujours, disons ma pulsion, je l’ai dit est simple, dépourvu, une vie nue.
M’attachant, par goût de la réciproque et de la curiosité, j’ai pourtant détesté, me sentant plus broyé qu’entravé par cette horrible mécanique. De façon générale, je découvris, souvent, que dans la sexualité comme dans le reste de ma vie, toute contrainte m’est atroce.
Si je ne sais de quel coin secret de la mémoire ou de la biologie vient le fantasme, j’ignore autant l’origine de ce qu’on pourrait dire, en mon cas en tout cas, son contraire. Cette absence, en matière de sexe, de toute image antérieurement fabriquée. Preciado imagine lui de grands vents intérieurs soufflant à l’intérieur de nous et que toutes ces bourrasques, soulevant des grandes quantités de sable, révéleraient des pyramides. Il faut l’admettre, pour moi, sous la plage, la plage
Je ne me questionne pas tant que ça, en cette chose comme dans le reste, les pourquoi me semblent des angoisses inutiles et je suis, en la matière, assez doté de tortures intérieures.
Je me souviens de W. que je retrouvais à Bruxelles, dans une chambre d’hôtel, vers 23 heures.
Elle portait de très hautes chaussures en cuir, sexy j’imagine, qu’elle gardait tout le long de ce qu’on faisait l’amour. Une marque anglaise, peut-être, avec des sortes de clous ou de pics au niveau du mollet.
Après m’être dit qu’elle devait en être gênée et que ce risquait de me faire mal
j’ai rapidement mis de côté cette interrogation - l’inutile pourquoi - pour me plonger plus précieusement dans l’adorante consolation. La sexualité ne réveille pas en moi une sorte de brutalité, elle fait entrer en collision quelque chose de l’ordre de l’immense tristesse avec un bonheur retenu dans un vide lointain que, en faisant l’amour, j’atteins ou je (me) réunis avant même d’atteindre l’autre. Et après ?
Je me souviens de sa voix et son léger accent,
ce sont des FMS, et moi, très gêné - je détestais être pris en défaut en ce temps là - de lui demander, après avoir feint de savoir en hochant la tête, c’est quoi ? Des Fuck Me Shoes. J’ai appris, tout le long de ma vie, ces choses ce langage que, si j’en crois la partition habituelle des genres et la distribution du désir, je devais moi enseigner.
Peut-être de ce temps-là tiens-je le goût des chambres d’hôtel luxueuse. L’odeur des sexes mouillés, le bonheur, les lotions hydratantes Hermès ou Lanvin comme on en trouve dans ce genre d’hôtel. Aussi de mes chaussures anglaises, mes préférées, des boots en faux serpents, au talent cubain, toutes cerclées de clous et de têtes de mort. Comme si mon plaisir retenu se convertissait, dans mon cas, ailleurs que dans le désir sexué. Se devait trouver une concrétion, devenir de l’observable, du touchable. Je touche l’impalpable.
E., sur une plage du Nord de la France, me demande, je me souviens du bruit des vagues, de nos serviettes curieusement blanches, E. qui me demande dis-moi que je suis ta pute puis crache-moi dans la bouche. T’es ma pute. J’apprenais de nouveaux mots, des mots que je savais, bien sûr, et plutôt que je comprenais cette fois, dont l’association résonnait avec un peu plus de vérité. J’étendais mon langage, le champ du dicible dans l’amour, partout.
Si, après elle, j’insultais d’autres filles en baisant ce ne fut jamais avant que d’être sûre qu’elles étaient d’accord comme si, malgré le souvenir heureux de cette nuit sur la plage, je n’étais toujours pas moi-même convaincu qu’il s’agissait vraiment de mon désir à moi.
Ce dont je suis sûr, par contre, c’est que ces paroles ne déposèrent en moi aucun fantasme si nous appelons fantasme la sorte d’anticipation abstraite avant de baiser. Aucune chorégraphie jamais ne s’établissait d’avance, pour moi, en quelques images précises. Quand mon ami M. me décrivait très précisément, non ce qu’il avait fait et souhaitait reproduire, mais ce qu’il voulait faire avec telle ou telle, je me trouvais là, épaté devant mon total manque d’imagination moi qui, en tout le reste, surtout l’impossible, en suis doté plus que du reste. Je veux une baignoire, pas une baignoire où le robinet se trouve à l’une ou l’autre des extrémités, une baignoire où le robinet est au milieu pour éviter qu’il encombre le corps, sinon ou bien les pieds ou bien le dos cognent contre, ça fait mal, ça distrait. Ou bien Sur ce fauteuil là…Il voulait la lécher, si ici je ne reproduis pas - les faisant passer pour siennes - ses paroles c’est que, les trahissant, je leur donnerai un tour viriliste qui n’était pas son ton d’alors.
Souviens-t-en Souviens toi.
Nous répandions, sans succès, le pire et si quelques fois, de trop insuffisantes fois, je semai la discorde, nous manquions du talent nécessaire pour révéler des choses la cendre. Je passais, vent putride, aussi vite dissipé que levé.
De ce goût d’avant, je ne regrette rien sauf de n’avoir pu mener, impuissant, ce projet de carnage à son terme. Lequel ? Je l’ignore. Je sens en moi cette vague sensation d’inadvenu, un rendez-vous manqué avec l’orgueil, la catastrophe ou le ridicule.
Merde.
S.
Sur Facebook, la plupart de mes suggestions amicales concerne de jeunes filles diaphanes, plutôt jolies, toutes minces. J’ai, avec ces jeunes filles, chaque fois quelques (ou beaucoup) d’ami·es en commun, des hommes surtout, évidemment. Chaque fois, parmi ses suggérées, sémaphore inamovible, je trouve S. et si je me rends sur le profil de l’une d’elles, toujours inamovible sémaphore, je trouve un commentaire d’S., des réflexions d’S., des interventions d’S., rarement pertinentes, la lumière obtuse d’un sémaphore inutile. Se signalant, dans une sorte de au cas où sans que je puisse circonscrire avec assez de précision sa visée. Le connaissant assez, je sais qu’il n’ambitionne pas de coucher avec ces filles, le connaissant assez, aussi, je devine son intention plus…démiurgique, que la lumière du sémaphore suscite, comme une oeuvre d’art, l’admiration. Il aimerait se payer des pâmoisons de ces filles artistes, réifiées non cette fois comme objet sexuel, assouvissement du désir forcené des coucheries accumulées, plus davantage consacré, lui, S., comme écrivain total puisqu’accrocher l’admiration de jolies jeunes filles vaut tout comme les baiser.
Ces filles, je le remarque aussi, mettent en scène, avec une maîtrise étrange, ce dédoublement de jolie et artiste. Me les voyant proposer par l’algorithme, aucun doute, telle écrit de la poésie et telle autre ambitionne une carrière théâtrale. Les signes disséminés ne désignent l’identité qu’indirectement, par fusion, synthèse et non par addition.
La mise en scène de soi, dans n’importe quel espace social, relève de la plus grande des banalités, je ne peux m’empêcher d’admirer, seulement, celles ou ceux atteignant dans l’exercice certains degrés de perfection.
Nous savons, aussi, que d’autres poètes - et mes rencontres eussent-elles été différentes qu’il en aurait été de même pour moi - emploient leur titre afin d’impressionner ces jeunes filles et cette fois, à l’inverse d’S., les vider jusqu’à terme, jouant du grelot mal hypnotisant, se courbant, eux les poètes, devant la muse qui muse ne demeure qu’encore habillée. Une fois nue, elle retrouve à leurs yeux son statut de femme, c’est à dire d’inférieure.
Moi, je n’y comprends rien
Naître à soi.
Ces choses ne m’évoquent aucun fantasme d’ordre sexuel, aucun fétichisme ne s’attache à l’objet. Il n’est question que de moi, de mon trouble, mon écartèlement, mon voyage. Je rêve de faux ongles véritables qui semblent faits pour tuer autant que pour aimer et qui, maladroit tel que moi, ne tueront ni n’aimeront, et plus sûrement déchireront moi-même, s’enfonçant intimement. Les faux-cils me fascinent, je m’imagine les portant, dériver dans la rue, jetant des regards dévidant en riant d’un rire accompli. Les femmes parées des faux-cils me paraissent toujours de drôles d’étrangères, venues de mondes parallèles, comme un attribut de sorcière qui préservait, dans cette galaxie lointaine, du feu menaçant des bûchers dressés. Parvenues ici, elles conservent le talisman, voilà tout.
Berlin Centre
F., fréquente avec intensité les lieux intersticiels et marginaux, loin des imaginations de la plupart des gens, loin aussi des questions de classe et d’économie, son identité, ses identités éclatent et forment mille petites flèches vénéneuses.
F., doit reproduire un certain ordre social et les gestes associés qui performent cet ordre. Pour ceci, il lit la presse, travaille depuis cinq ans chez PWC, déjeune tous les week-ends à Neuilly-sur-Seine, chez ses parents. Dans une maison immense, comme j’ignorais même qu’il en pût exister de semblable. F. me dit 1500m2 lorsque je lui demande à l’instant la taille de cette maison. Je veux bien le croire. F., se conforme, prend sagement ses 5 semaines de congés payés, travaille tard en cas de closing, s’acquitte de toutes ses obligations filiales, il est l’obligé du contrat de travail, de la vie salariée, du code civil.
Voilà, pour ce que F. doit et ce qu’il doit le tord et le broie.
Ce qu’il doit l’empêche, et l’empêche tant que sa vie, son autre vie, je ne dirai pas sa vraie vie, simplement sa vie inusuelle, sa vie d’interstices, de back-rooms, se déroule dans un chaos dangereux qui parfois l’effraie et menace son existence physique.
F., me raconte que, souvent, lorsqu’il se dégage de son corset d’obligations, il se rend à Berlin. Là-bas, dans le même sex-shop, toujours le même, F. a des manies qui confinent aux TOC, F. achète une perruque, un rouge-à-lèvres très rouge, très pute, une mini-jupe en faux-cuir, très pute, aussi réutilisable qu’un préservatif usagé. Il veut se faire chose, F. dit, être utilisé·e.
F., une fois paré cherche, dans les rues de Berlin, autour des clubs douloureux ou joyeux, des hommes titubants. F. se fiche que la lumière ait quitté leurs yeux ou qu’y brille une lumière toute tordue et dangereuse. Je veux sucer des queues, n’importe quelles bites.
F. cherche à sucer des bites. F. n’a pas besoin, pour exécuter son désir compulsif, de se défoncer la gueule, comme beaucoup, souvent, pour accomplir les fantasmes dangereux, doivent suspendre la part dressée de leur esprit.
F. se promène toujours avec une boîte à drogues, un curieux coffret en bois où, à la manière d’un expert-chimiste, il range les différents excitants qui lui plaisent 3MMC, MDMA, cocaïne, beuh…A Berlin, le chem sex lui plaît, évidemment. Il a commencé la 3MMC là-bas et à cette fin parce qu’un type, Jorg ou un autre prénom d’assassin, le lui imposait. A Berlin, F. ne vient pas pour ça, pas pour le chem sex, sa drogue ici, c’est le risque encouru, l’incertitude quand tu te tords de désir devant le premier homme, la première bite, les premières couilles.
Là, cette vie, sa vie, sa presque vraie vie, F l’expérimente dans un grand cri meurtri qui est aussi un grand cri de liberté. F. aime le goût du sperme qui, il ne le dit pas, je le devine, ne délivre tout son arôme que dans ces rues de Berlin centre, chaotiques et étrangement stériles. Elles sentent le cul, jamais la pisse. F. ne peut jouir de ce plaisir tout à fait que dans cet habit d’ombre brillante, que fardé comme une proie, il dit, F., ça comme une proie avec d’autres mots. Ses mots à lui. Les mots de celui qui lit la presse. De F. l’hypersensible qui lit la presse. F. qui dort la gorge tordue d’angoisse, rue de Rome, les jours où il dort seul, où son amante dit je veux de la solitude où il ne peut aller à Berlin. Je pense, alors, à ses poignets marqués par les coups légers du cutter, des coups qui ne sont pas faits pour tuer, cette façon, désormais, de soi-même, pratiquer l'inutile saignée.
F., lorsqu’il raconte ces épisodes les raconte avec une sorte d’effroi, moins impressionné a posteriori par son courage d’alors que par la nature même de son désir qu’il juge, soudain, abominable. Comme si avait reflué d’un coup, Neuilly-sur-Seine, PWC le monde affreux, cette vie déposée en lui par effraction ce Neuilly-Sur-Seine colon, 1500m2 terrassant, cette maison bourgeoise et vertueuse crache à la figure de F et barre à F. l’accès serein à une partie de sa vie. Toujours ce sera la porte dérobée, l’escalier de service, l’échelle branlante, toujours ce sera soi-même son propre passager clandestin soi-même la douane.
F. ne ressemble pas à ses trente ans, son visage imberbe, ses yeux très doux, un air de ressemblance terrible au Terence Stamp de Théorème.
La fille avec laquelle, régulièrement, il couche, me disait que toujours, avant chaque geste même avant de prendre mes seins il demande s’il peut. Qu’au début, elle en était très troublée, qu’aujourd’hui, désormais, ces préventions la rassurent, comme si rien ne pouvait arriver d’autre que le plaisir.
F., exemplifie parfaitement, trop bien, ce qu’on enfonce au fond de la gorge d’êtres pâles et vermeils, la honte. Une honte tenace, contradictoire et bouleversante. La honte de soi-même, d’être soi-même, de pouvoir, en toutes circonstances, dire fièrement, prétentieusement même, me voilà donc tel que je suis. F. exemplifie cette fracture, cette vie menée, non dédoublée, puisque ce serait beau, ça, soi-même exister deux-fois, une vie de surface une vie de profondeur, ce serait beau cette vie comme un rayon éclaté, là, il s’agit d’une vie fissurée, dont le centre, le JE, est une fêlure. Alors, comme F., parce que le désespoir, la nécessité intérieure, l’autre côté indompté de la fêlure, force son chemin, alors comme F. on se rue la tête contre les murs à risquer de se briser les os, d’attraper froid ou la mort.
Le ravin se creuse de l’affreuse morale publique, l’envie forcenée, toujours, de vouloir lui complaire comme l’enfant martyr à ses parents bourreaux. F., ferme les yeux sur lui-même, le plus souvent, pour s’épargner sa vision, en pleine lumière, dans les lieux éblouissants il avance comme dans une nuit indéchiffrable.
Alors il crie, au-secours à travers ses lèvres peintes de rouge et de sperme, dans une rue bruyante de Berlin, là où régnait jadis en maîtresse inflexible la Stasi. Désormais, la police secrète plus secrète que jamais, glissée muette dans sa propre ombre.
Les êtres divisés ne peuvent le plus souvent jamais se rassembler et l’abîme s’ouvre pour atteindre un jour la taille exacte de la tombe. Une question de temps.
F., sûrement, finira tué, enfonçant un jour trop profondément la lame scarifiante. L’ultime saignée. On ne se sauve jamais du monde.
Lyrisme-Maniaqué
Evidemment tu étais fait pour le carnage et jouer l’enfant sage ah ça ne pouvait t’aller qu’un temps la maladie
celle des autres le doigt levé parler sans interrompre ah ça décidément ce n’est vraiment pas de ta race
toi tu prolonges le carnage qui toi-même te prolonge tu
prends ta place parmi le murmure de la chaîne
les dents qui claquent
les ongles rongés
anneau le plus doux de la chaîne la plus dure
Délaisse tes habits d’enfant de choeur sur le beau linge blanc répands toutes les larmes la bave épaisse des yeux
Aucune blessure jamais ne te déchirera plus
étroitement
que celle-ci
au printemps 2018
la montre gousset cassée d’un geste de rage
tu ne sais plus qui tu es le monde brutalement
se rétrécissait comme
une chambre capitonnée
une cellule
tu as cru devenir fou quand le monde
comme la bouche de l’agonisante
se pinça
te broya
alors aujourd’hui
raille gausse toi crache injurie ta façon de dire moi je
ressemble si parfaitement à la haine on te croirait sorti
d’un livre d’Histoire d’une bataille Sanglante
beau miroir au reflet terrifiant la page 217 du manuel Hachette
Je venais pour le massacre quoi que mes bras impuissants tendus ne massacrent à peine que moi-même
Peu importe
La violence qui monte
monte
je me suis tu
or
taire n’est pas tarir.
Lisbonne
à nouveau je crie je pleure au secours au secours ma haine au secours
l’horreur revenez moi affluez débordez que je sois votre première victime
mon premier bourreau revenez revenez vous mon horreur mon blasphème vous traîtres trahis revenez vrais amours ma haine vrais amours mon moi-même les seuls miroirs fidèles ô surfaces menteuses revenez je dis revenez
revenez moi perdu hagard revenez moi égaré dans l’herbe grasse dans le pré ou la paille molle moi me traînant satisfait repu d'un faux printemps et la bise ne coupait pas par la fenêtre on voyait dessinée dans la brume la mort alors revenez sauveurs mes sauveuses revenez mes miennes abysses oh revenez
je te dis
ouvre la fenêtre le vent cou
pera
rbera
le vent
le souffle
quoi l’haleine fétide
que ça empeste cette pièce
trop bien aérée trop
neuve trop claire
je n’en peux plus cette odeur de propre
la lessive et l’après-shampoing
je veux sentir à nouveau la rage me tordre
le cou
qui me dit laissant sa marque
sur ma peau
voilà
c’est bien toi
Jonathan
te voilà
marqué comme l’esclave
ou la bête d’un bouvier scélérat
un voleur de bétail
de première classe
te voilà la corde au cou
libre comme jamais repais toi
je te le dis repais toi du repas rapace
rapiné étendu giton
dans le lit où le sperme parfumé
ressemble au magnolia séché
Tues.
jolis insectes dignes des voltiges
brusquement effacés
les ailes troublées par la flamme insensée
ah, enfant de la tragédie ou de la foudre péri du feu et des surfaces
ma vie pour rien jetée dans un enfer mon propre coeur l’abîme
dedans, je traquais dehors les monstres profonds je croyais
tous abîmes extérieurs ces
pédiluves, le coeur passé à la javel
dans ces lieux inabyssaux
l’abîme, je le porte
Madame catacombe, c’est moi c’est moi
ce coeur rompu moi la poitrine creusée
les yeux plein de larmes je ressemble à ces voyageurs anciens
sûrs de trouver au-delà des mers, dans les continents neufs et sanglants
des mines de sel ou d’argent
Moi une tache lentement que le ciel gomme
petit à petit
tendrement autant
la pluie tombe
le ciel tombe
la mer tombe
je me vois marcher moi avancer moi dans la vague
la vague me heurtant moi l’écume
moi le sel gerçant l’océan immense
de ce qui semble un instant la plainte
du lutteur vaincu sur le fil
qui ne se résignait pas pourtant à taper
trois fois le sol mou
en signe d’abandon
ce grand cri dernier
le manque d’oxygène l’épaule démise
un cri mourant un cri vainqueur
alors j’aborde l’excès avec excès je me rêve funambule au rebord des volcans
où je croyais vivre toute ma vie où je ne peux que mourir
alors je cherche dans l’abus la force de moi disparaître me traîner
à genoux sur le ventre dans le silence
cette obscurité
l’obscurité
après l’obscurité
moi qui suis
le noir plus noir que le quelque chose
noir
l’obscurité court-circuitée
le noir lui-même écarquillé devenu plus noir
sans fantômes sans rien sans enfer
Antique, le Paris Neuf.
Quitter Paris, 9ème arrondissement, constitue l'une de mes angoisses les pires. Il m'est arrivé souvent, moins depuis que le COVID a ratatiné la ville, de me pencher à ma grande fenêtre pour regarder ma petite rue et tenter d'absorber chaque petite goutte de cette rue. Le garage Renault en face de chez moi où j'entends parfois le pompiste disputer avec les automobilistes qui, ne comprenant pas comment payer, tentent parfois de se barrer sans l'avoir fait. Le tailleur turc, dont le fils vient de se marier, qui rapetisse les vestes trop larges, coud des ourlets aux pantalons trop longs, répare les déchirures qui courent le long des coutures. Le restaurant au numéro 23 aux pierres apparentes et à la cave voutée. Tous mes souvenirs, parmi les plus essentiels. Les retours de soirée du Bus Palladium, titubant le long des 350 mètres qui me séparent des lumières hallucinées, des rêves renversés. Les deux chambres de l'appartement, la respiration douce de l'amoureuse, la chaleur la plus humaine.
Je redoute de quitter cet appartement qui souvent tombe en morceaux, le plan de travail rongé d'humidité, les murs vieillis avant l'heure des fuites multiples de voisins morts ou peu précautionneux
Je pense, avec détresse même, à ces nouvelles rues qu'un jour j'habiterai, loin, trop loin du 9ème arrondissement, je les imagine vides et tristes, grises même en pleine lumière. Ma lumière, c'est la place Gustave Toudouze, le café cher, bio et surtout dégueulasse du Père Tanguy. Tout me manquera, la librairie Vendredi où j'ai trouvé un peu de ma vie et où, comme un livre abîmé, en laisserai beaucoup la quittant.
Plus précieux que le 9ème arrondissement seulement, mon amoureuse qui guérira de ce deuil, caressant les boucles tombantes tristes de mes cheveux quand je penserai aux matins de Paris, l'hôtel quatre étoiles tout au bout de notre rue. La limite au-delà de quoi c'est la nuit du reste du monde.