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boudi's blog

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30 octobre 2010

Vrai, je suis un désert.

Je veux guérir d'une plaie imaginaire.
J'y renverse des litres d'alcool
Et des prénoms de femme
Pour cicatriser
Une voix de fillette
sans vie.
Je veux sécher ce qui n'a jamais pleuré
Et éteindre
Des feux
Qui n'ont jamais
Brulé.
Certaines idées
Font mal
Comme des faits
On croit des impressions
Apparences d'ombres
Taillent
Du rêve
Des douleurs
Vraies.

Je soigne mon mensonge
D'amour
Avec
Des pincées d'orgueil
Et les soupirs
Du temps

Bien sur.
J'ai attendu
Que mes mains
Ferment
Leurs yeux
Blancs
Mais alors
Qu'elles n'avaient plus de bouche
Elles se sont réunies
Solennelles
Dans des habits de paume
Et de linéaments
M'annoncer
Graves
Leur cécité.

Je n'ai pas entendu
Les mots
Ne jaillissent
Que des plaies.
Mon corps
Blanc
Blanc
Striés
de
Mauves
Ne sait pas
L'éclat
D'une étoile
Eteinte.
Ne sait pas.
Comment c'est
Qu'un corps
Je n'ai pas su
Ce que mes mains
N'avaient pas vu
La physique
Leur barrait la bouche
Les mot n'ont pas su
Percer
Dans l'écorce
d'une phalange
Une bouche
Atroce.

Enfin.
Vrai.
Je n'ai pas pu pleurer.
De n'avoir su aimer.

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29 octobre 2010

Les poètes ne pleurent plus, ils écrivent.

Mais, vrai, j'ai trop pleuré !  Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Poésies (1870-1871), le Bateau ivre
de Arthur Rimbaud

27 octobre 2010

Tiffany

Sans_titre

Il y a dans l'air des odeurs, tout un cortège de parfums qui avancent, processuelles, courbant les mains, inclinant les veines comme des cordes de pendus ? On dirait des paysages qui désaltèrent d'images une rétine d'enfant, sa pupille se délie et écarte la rue, brise les murs, c'est tout une vie de lézardes et d'heurts qui se mélange. Dans l'air il y a ces parfums longs et délicats comme des cerises pleines d'automne, qui giclent dans la bouche. Tu connais, ça, ta bouche humide de saison ?, où tour à tour viennent s'écraser la liqueur d'un printemps et ses merles rieurs, où les lèvres pleines de peaux et de vermeil sont un nid pour les caresses qui d'oisillons deviennent des horreurs désirantes, des bouches convulsées comme d'accouchements violents. Il faut bien vomir la passion, et tu dois savoir comment l'on courbe la tête, remonte les cheveux -ces boules de flammes où dix mille soleils se sont agglutinés- comment l'on vomit la ponctuation, le matin, que l'on se serre la gorge pour qu'au milieu de la phrase ne coule pas des diamants de sang et des jades, et des opales, et toutes les pierres du fond des rivières, de celles qui s'en vont tremblantes de la lumière d'un oeil -oh bel oeil, souvenir de toi. Oui nécessairement, parce que tu as le pas des fantômes qui font frémir les gens et me font rire, moi, ça semble du vin -le vin me rend gai, il donne à mes envies de mort un espoir- qui se renverse dans la bouteille comme le sang de la blessure qui cherche à couler mais ne se trouve nulle part de rigoles et d'égoûts. C'est un vase clos. Qui s'heurte partout à des murailles de verrre, c'est Cayenne entier avec ses grandes mains bleues d'Océan. On ne s'évade pas, n'est-ce pas, on ne fait que regarder le ciel, y déchirer ses volutes, y danser sur des comptines et attendre que les nuages crèvent en arpège. J'aime l'orage qui sépare le ciel en deux eaux froides comme le baiser d'une oublieuse. Dans ta voix nonchalente il y a l'orage qui me met du délire au geste, qui lui donne l'amplitude des cataclysmes, et le grand élan des falaises qui s'érigent. Une falaise c'est un désir qui s'est arraché de l'Enfer. Dans ta voix il y a la peur d'être découverte, que si l'on tirait fort ces beaux habits de chair, cette grande tignasse mieux portée qu'une auréole par le saint, peur que l'on voit ce qu'il y a dedans, de cris mais aussi de joie, ce qu'il y a de mesquin et d'eaux croupies qui attendent de pouvoir jaillir pour faire dans le jour des constellations de verre, captivantes comme des marais ! Il y a dans toi des cellules que j'ai entrevues, que je ne pouvais pas fouiller, il manquait quelques rousseurs à mes doigts -celles où le jour glisse, long toboggan de chrome- pour bien voir le fond des recoins où l'on entend une voix un peu moins sûre. Parce que tu débordes de toi-même, tes hanches se sont taillées dans du marbre et ta bouche dans celle d'un archange, mais il y a dans toute cette assurance, quelques taches d'ombre charmantes comme des gestes d'une muette. Qui ne peut pas se plaindre mais qui tremble... Il faut rire de tout et à commencer par ses désespoirs, brûler les cicatrices et ouvrir les plaies. Tous les jours je taille mes nerfs pour qu'ils pointent comme des minarets au fond de ma peau. J'apprends à dormir sur des matelas d'aiguilles, à l'intérieur de moi et les chandelles ont des flammes de douleur qui pâlissent terrifiées par la nuit. La nuit invincible, sépulcre de nacre, eaux du marécage. J'aime le poison ; tu en débordes. Doucement tu m'obsèdes mais je ris trop, bien trop fort, et dans ce réseau de rires qui se déploient comme de la voix de serge, et qui jettent dans le crépuscule des beaux reflets mauves comme des cierges finissant, je te disperse. Je te fabrique muse et c'est la pire offense à faire aux femmes. La muse est la putain de la poésie, écrire à une femme, c'est la baiser par l'âme. Tu excuseras le viol. "Les putains vident les couilles; Les muses l'encrier". Il faut que je fasse attention à moi. N'est-ce pas. La poésie est un nerf Sensible.
25 octobre 2010

Grenoble, la nuit

Les villes froides

Ont des museaux

De Pierre.

Et de grands

Yeux de phantasme.

Les trottoirs sont bavards

Et assoiffés.Je partage mes rires

Déployés en liqueur.

Ici.

La lune est un œil

Qui tache la solitude.

Ou

La corrompt.

 

Je suis couché dans le bruit

Yeux verts

Yeux gris

Couleur de nuit

Grenoble est si froide

Qu'elle casse comme du sucre

La bouche de Loriane

Etait

La couverture

D'un souvenir.

 

 

Je ne me souvenais plus.

Du front humide

De mes baisers.

Peut être suis je la pluie

Qui marche

Sur le pavé

D'un visage.

 

Je me souviens Loriane

Aux yeux clairs

Aux pleurs

De sommeil

 

Le langage ne s'est pas eveillé.

La poésie a de la fièvre

Les rimes ont les joues

Rouges du houx

Et des baisers.

 

 

Je ne me suis souvenu

Que du froid

Froid

Comme quelqu'un se tenant là

Aux mains d'hiver

Qui glissent

Sur le dos découvert.

 

Les frissons ont sali

La caverne du secret.

Mes poches étaient vides

Le coeur débordait

D'impatiences.

 

La solitude n'a de langage

Que les mains

Qu'elle secouent

De leur couleur

De cellier.

 

A elle j'ai tendu des miroirs

de toutes les couleurs

Aux formes mortelles

Mais ce n'était pas le miroir

Qui la gênait

Seulement le reflet

Grenoble la nuit

Tousse des rêves

Qui déplient deux ailes

Semblables aux toits de chaume

Qui crépitent dans les livres.

 

Grenoble la nuit a des voitures

Que l'alcool

Abîme

Comme une terreur

aux pieds

De jeunesse.

24 octobre 2010

Les délires, la nuit.

Si proche, sanction et scansions, qu'on croit l'une et que la deuxième déjà dans ses rythmes de tambour

déchirent sa peau d'iguane

et d'animaux de funesterie

Il y a des bréviaires où la mythologie s'est faite une place avec le rire.

La mythologie faisait délirer les dieux.

Ils en ont voulu aux choses terrestres comme des poètes

Sur l'Olympe s'empalent cent mille dieux aux casques d'acier et aux grands reflets de manque.

Moi mon visage s'est taillé dans le crime, j'ai avancé le visage au milieu du lac et je lui ai donné ma trace.

Depuis ce pays saigne, il saigne avec de grandes enjambées, il saigne de rubans gris,bruns, le ciel s'écoule de la plaie.

Vous avez déjà agonisé un iris ?

Le trouer d'ombre.

La nuit a de grands doigts qu'elle enfonce au mil ieu des yeux clairs, des yeux dont on dit ils sont des voyageurs.

Des ongles de lumière qu'elle met aux phares des voitures.

Oh,la nuit,oh le soir, et les filles aux blasons cruels.

Au mieux des grandes rivières poussent des fleurs aux pollens mécaniques.

Je crois avoir vu,dedans, rouler des aurores.

J'ai dit "la rosée c'est la terre qui mouille après que je lui murmure à l'oreille mes obscénités".

 

 

La sanction, mais la sanction, permet de sentir le monde.

C'est de l'écrasment, de l'assaut, hue !

TOUT LE CIEL EST DECROCHE

ON DIRAIT DES FLUX ET DES REFLUX IL Y A DU SOLEIL PALE

ET SES AUREOLES DE SUEUR

ROUGE ROUGE ROUGE COMME DE LA FIEVRE ET DES MALADIES

JE CROIS QU IL Y A DE LA PESTE DANS LES INTELLIGENCES

De la peste violette comme un insomniaque, une peste qui laisse le corps toussant, râlant.

ô pauvre imbécile, le ciel ne reflète rien

rien, il y a des blocs de cendres qui tapissent

des reflets de cierge on dit "des étoiles";

ça fait sourire le bout d'une religion qui brûle.

J'ai des ciels à boire

et du temps à croquer.

Belle seconde, ton ventre cruel

Tente mes mains d'aiguilles

Cadran de lumière

ET CARCAN DEXTASE

JE POSE DANS DES CARQUOIS DE SOIE DES FLECHES DIVOIRE AUX POINTES D'HAMECONS

LES BEAUTES SONT PRISES AU PIEGE DES FLECHES INDIENNES

DES LONGS FLEUVES FLECHISSENT

LA NUIT ASSECHE LE JOUR

Nuit morcelée, falaise de charbon, le vent est un mineur.

Je suis en cours, hé.

Moi je n'ai pas la chance d'être libre, libre comme les strophes des amoureux.

Bientôt, bientôt, bientôt les grands angles montagneux

Les reins de pierre couverts d'automne, de printemps.

Tout ce pays rempli de saisons.

Bonjour, je suis génial, mais je suis paresseux.

Pourrais-je emprunter un peu de vos teints laborieux ?

De vos corps serviles je réclame l'effort

les coeurs retroussés

La plume sage et calculatrice, je veux que vous décrochiez l'horizon et les arpèges qui y vacillent encore.

Je veux emprunter de vos pas faibles et de vos jambes noueuses.

Vos mains paysannes, tannées de soleil, qui ont bu toute la peine pourront trouver des terreaux en moi.

Plantez vos ongles, j'en ferai des lierres qui grimpent sur le passé.

Il y aura des crochets sifflants et des hyènes hurlantes.

Le désert,le désert fera des pas de géant

jusqu'à la ville.

Les belles pierres d'infimes baisers.

De la roche éclatée.

Ce sont des amours, les sables loin.

oh, que j'ai d'hurlements en moi que je crois ma voix être un fauve.

Traqué par la soif, écrasé de mirages.

Mes yeux ont bu la réalité et ma bouche se fane.

 

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23 octobre 2010

Le pleur des vents sauvages.

 

A toutes celles qui m’ont brisé
je dédie l’effort.

«  Ils ont voulu t'avilir ou t'honorer. Et qu'importe, tu les as tous enterrés, ces hommes, et tu en baises le front de Paris, Place de la Concorde, quand tu vois des autos embouteillées qui forment le bicorne de Napoléon, où les marches forcées de César. Elle rit l'Histoire de toutes ces femmes qui la défièrent dans la grâce, de Tarpeïa -brûlant d'or- qui voulut la gloire et n'en supporta pas la lumière, qui se tient debout sur le ventre de l'Histoire, à une petite place, un minuscule éclat comme les muses, les Chimène, les Roxane, à l'étroit dans des poèmes, toutes celles qui ont des points d'argent dans les cheveux, des cendres de diamant rapé à la lèvre. Petites lépreuses, dit l'Histoire à son scribe.  » 

Toutes les femmes de ma vie sont de celles là, muses insignifiantes que l’Histoire ride que le temps lent et la seconde cruelle moquent. Ce sont elles malgré tout que j'honore de ma tristesse. Vrai je ne sais plus pleurer, alors j'écris.

 

 

 

I

 

J’ai faim. J’ai froid. J’en suis heureux, c'est-à-dire que je suis libre. 

 

 

La traque.

 

La porte s’est entrouverte. Son grand corps de ciment et de lilas s’est évanoui en floraison sur les draps défaits de la chambre à soupirs et, de se défaire ainsi, la chambre est devenue de printemps et de lilas. Elle promenait à la manière d’une traîne, les douces saisons odorantes, le sureau en fleur, l’aubépine, les œillets, les violettes en mèches, le jaspe décoiffé et tout un bouquet qui, de ne se respirer que dans les encyclopédies, en gardaient l’odeur de papier gris.

Couchée sur son lit, tandis qu’elle respirait, calme, Je me suis introduit du pas invisible et criminel des fugitifs, je me suis approché pour respirer les tourments qui s’échappaient d’elle, et y dérober un peu de tiédeur machinale, en garder les impressions pour tous les jours futurs dont- malgré la langueur épaisse du présent- je sentais déjà les boucles froides et les vents glacés de peurs de givre, dont la lueur mortelle des rails brillants de larmes et des ponts figés en arcs brisés par le vide excitaient mes attentes, je sentais et les foules et les visages et les nuits et les bêtes mythologiques qui dorment -en moi- comme cent villages pillés et les oublis et les alcools et les femmes captieuses et les toux animales et les échecs et les pièges à loup hors d’un pays et les yeux mesquins du passé et les rires acides du futur et le trou fait au présent par la fuite et la jeunesse et les vingt ans sans espoir et...elle.
Une nuit –celle que je sus la dernière, d'instinct- j’ai ouvert grand les yeux pour la boire par ces deux pores sensibles, j’ai écartelé les sens, éconduit la fatigue –à l’haleine de café- j’ai rejeté le monde comme une mer dépose un mort, j’ai tout abandonné de ma physiologie, du temps et de la raison, j’ai tout voulu consacrer à l’absorption –cognition sensuelle. A la mémoire j’ai fait une promesse : que son corps de lumière m’éblouisse pour toujours, d’en garder l’ascension de luminaires ; je ne fermerai plus jamais les sens et je l’emporterai, enroulée dans ce suaire de paumes et de sens, dans le baluchon de mon errance. Mes écoutilles sont ouvertes, mes ouies peuvent étouffer et le monde m’envahir : son corps de lumière est imbriqué dans mon ombre, elle est la matière mélangée à moi, le soufre dans le salpêtre et dont la pate délayée, épaissie par les espoirs des hommes inventaient la poudre à canon. Sous chaque lueur inquiète, sous tous les ciels, je la retrouve, introduite de ce reflet plat et sordide que le soleil jette à mes pas. S’il faut survivre à la nuit, s’il faut vaincre l’épuisement pour garder vivants les souvenirs, ériger de soi des redoutes menaçantes, des mantelets frileux…je lutterai contre le poids des heures qui alanguissent la vigueur avec les secours de femmes odieuses, les lèvres blanchies par les amours terribles, . Mes paupières ne claqueront pas, la bure de peau solidifiée en volet métallique, brûlée à la soude des maladies, maintenue en l’air par les mêmes ingénieux systèmes du théâtre, n’autoriseront aucun écart. Je jouerai la fatigue sans rideaux  ; sans oublier.

Je n’oublierai pas.

 

Son grand corps avait tant servi le jour, tant servi la nuit, qu’épuisée, elle l’accrochait au sommeil comme à un portemanteau. Négligemment. Les bras jetés en travers du corps à la manière d'un désespéré sur les voies. Le reste n’était que mobilier, cadeaux, tous les signes de son oisiveté et de sa grâce. Dans cette chambre le nombre d’objets –immuables, multiples- égalaient le nombre d’hommes et de femmes qui y avaient épuisé des tristesses, pesté, insulté, craché. La chambre, pleine de brûlures et de cicatrices –alcools incandescents, tabac froid - tenait davantage du corridor. Par sa forme d’abord, par sa fonction ensuite. Plus longue que large on l’arpentait sans intention d’y demeurer il fallait atteindre un but impatient – un lit, un désir- on le traversait pour atteindre une autre pièce –son corps. Il s’agissait d’une transition, d’un pivot, d’une ponctuation mal assurée, de soupçons de cris, de parodies de plaisir. Pièce toujours mobile sa chambre faisait office de liaison nécessaire à la prononciation correcte de l’amour rimé. Endroit temporaire, aux attributs précaires malgré le luxe et l’effort d’outrance des meubles, espace bouleversé de corps, d’odeurs, de sueurs commandés par l’ordre, pressé du plaisir –empereur nostalgique du présent, au froc réséda-, poussé par les râles, par les pleurs. Il ne figurait à peine dans la topographie des sens, changeait de propriétaires, d’ennemis, chaque soir, géographie incertaine aux contours flous. aux frontières menacées, révolues, où frémissent quelques patrouilles gémissantes, sans l’espoir d’une relève.

 

Cette chambre était paralysée dans le souvenir comme un musée où l’on entendait d’un sonographe ce murmure jeune « regarde le joli corps de femme qui ne vieillit pas, regarde ses épaules parfaites, crènelées comme des tours et ce nez fier qui tend le cou jusque dans la lumière des bougies ». Nombreux sont venus à la visiter, à l'applaudir dans ce forum d'intelligences et de vices, une réunion ouverte aux grouillantes voluptés des abandonnés, des transis, des écrasés, des furieux, de cette foulée d’adjectifs encloqués prêts chacun à suppurer.
Bien sûr que des hommes sont venus se tenir là, comme une masse de nécessités, comme la charpente de sa psychologie. Ils sont venus. Ici. La voir défaire ses cheveux de printemps et de lys, ils sont partis dans la nuit et ne l'ont jamais attendue, tremblante des mêmes soubresauts que l’aube bourdonnant dans la nuit, prendre délicatement de ses deux doigts de tiges sauvages son crayon noir qui lui dessinait des impressions de soir sur les yeux –la même chose inquiétante qui demeure dans le matin, en une filigrane où figuraient les formes étranges des indiens tatoués. De la distance morale de laquelle il désirait son corps ceux-là n’ont jamais pu observer les bas qu’elles remontaient sur ses jambes pour imiter la douceur des mains d’un amant « jusqu’en haut des cuisses » ni vu sa voix se gonfler de larmes devant ses robes déchirées d’angoisse et de solitude au matin, respirant du bouillonement–les autres font des petits riens des mouchoirs de leurs poches. Eux, anonymes, plus froids qu’un fantôme n’ont rien vu de ses bras troués de douleur où des ombres légères, la bouche pleine de voix d’enfants, ramenaient du passé les souvenirs flottants brassés par le temps et les mains crispées de la nuit, sa peau était un fin voile blanc semblable aux fleurs de sel qui couvrent la Guérande de leurs cristaux de neige. Elle portait la nuit sur ses plaies, qui, à la manière d'une herbe sauvage et parasite, lui couvrait du corps à la raison, obstinée, impatiente, prolifique. La lucidité n’apparaissait plus que par hasard, perçait rare comme la lumière au milieu des forêts denses, aux épaules noyées de brouillard, dans le grillage blanc qu’y érige le soleil des brumes. Elle ne pensait plus qu’à travers ces failles de verdure dans des lucidités striées de délire. Son intelligence était un habit bariolé de garde suisse.


Je suis venu souvent dans cette pièce faite pour l’amour –à son invitation, dissimulé sous les rideaux de serges et les habitudes, me tenir fuyant comme l’électricité. Elle me considérait comme ses grands lustres aux éclats de cierge « tu jettes sur la ville la même lumière douloureuse, mais toi tu ne dis rien, tu ne tintes plus, ta voix n'a pas de ces brillants ruisselants ». Toutes les nuits passées ici dans l'attente immobile des départs oublieux, j'ai entendu la discrétion maladroite d'un amant qui froissait les draps pour les fuir, se débattait contre le reptile de linge, s’avouait vaincu sur le flanc inflexible de l’amante, soulevait son torse dans un effort brusque, rassemblant les muscles muscles et comme sous des balles invisibles s’abattait, essoufflé, défait. J'ai vécu une moitié d’enfance, dissimulé au milieu des mites et du rayonnement bleu de la veilleuse. A travers la pâle clarté des ampoules orangées je voyais un cortège d'indifférents, de corps identiques aux attentes égales et aux cœurs truqués d’alcool et de dépits. C'était la longue procession des fantômes, l’ultime communion de ces disparus d’avec la vie, leur messe dernière. J'ai vu des chiens qui sillonnaient la nuit et se jeter sur les femmes comme sur des os. J'ai ri souvent en imaginant, si j'avais esquissé un pas hors de ma cachette d'enfant, leurs visages. J'ai sculpté dans un marbre mou -celui des songeries, leurs bouches figées de surprise, leurs gestes muets, effondrés d'avoir été épiés par mon oeil aux rires inquisiteurs et flamboyants. AH ! Qu’ils auraient été doux  les bûchers dressés d’innocence et les jugements frivoles d’un juge-môme. «  Amants ! Gardés de fièvre j’ai rêvé vous rouler dans des braises ! Vous ouvrir la nuit comme une tombe !  » J'ai rêvé leurs fureurs pour ériger les joies de ruer à travers ces pièces, de sauter sur le canapé usé par la sueur et la fatigue pour échapper à leurs mains butées sur l'outrage. Mes nuits m’essoufflaient autant que les leurs.

Mais elle était la seule à me savoir ici. J’appartenais au mobilier et je la voyais s’ébattre et pleurer derrière le miroir sans tain de mon silence.  Jamais les amantes, jamais les amants ne devinèrent mes angoisses et mes hoquets muselés par les rideaux, ni mes yeux d’enfant émerveillés de corps nus et de lumières nomades. Je les voyais tout parés d’horreurs et d’audaces, je les observais posant leurs mains comme des aveux sur ses seins, et se confessant de plaisirs, de joies et de désirs, patient à la sanction –l’onction  ?- de sa vertu. Ils racontaient déjà, dans chacune des caresses qui se posaient là avec la même allure d’un mot de poète- c'est-à-dire de mensonge- l’abandon, l’oubli qui viendrait quand son grand corps feindra de boiter de fatigue et de ployer sous la nuit et la nudité. Imbéciles. Les chênes ne ploient pas, ils se brisent avec fracas et emportent avec eux la terre humide à laquelle s’accrochent les mains fêlées des roseaux. J’ai appris à faire l’amour en la voyant fracasser la nuit malsaine.

Son corps était une Eglise accueillant tous les réprouvés, les chassés des chapelles officielles, son corps consolait, sa bouche baptisait, son sexe purifiait.


Elle
, que je ne nommerai jamais, m'offrait son corps comme une friandise ou une consolation, les soirs tristes où mes vingt ans battaient plus fort qu'à l'accoutumée dans ma poitrine. Elle se déshabillait, alors, dans le geste curieux, lent de la mère soigneuse d'un jardin, rendant par sa tendresse les couleurs dérobées par la nuit dense de l’hiver, pour panser de ses mains de neige la blessure immense de la jeunesse. Sa nudité calmait mes ardeurs. Cette jeunesse plaie immortelle, ouverte comme un sexe de femme affamé, irrigué de son amour, ne vivait qu’en s’élargissant. Quand le soir avait bien bu les aubes rousses, la blessure souriait de deviner sa main qui sans recoudre le mal, le contournait, le brisait, cette âme fragile, brûlante, gardée sous une  matière obscène, jaillissant de la nuit, et du jour de la même façon hirsute, de la même impatience blême. Cette âme, blessée, dont la chair n’était que le saignement, la croute réunie autour de la blessure. Je peux détailler chaque partie de son corps que j'aperçois toujours, en faction, dans le corps du reste de mes amours. Sentinelle vigilante, elle éduque encore mes passions à travers le dos de ce milliard de femmes que je désire, que je ne sais pas. Elles portent toutes les vestiges de sa présence et accueillent comme une urne funéraire la cendre du souvenir que déposent mes lèvres usées sur leurs peaux neuves. J'aimais son calme dans ma furie, comme elle enroulait très soigneusement mes poings dans les bandelettes de ses malheurs. Oui, c'était à la manière de la nuit qui pour vaincre le bruit furieux de la ville, le borde par la périphérie et en brûle lentement les contours, siège lent, tactique, multiséculaire. Souvent, à l’heure de triompher, il est déjà l’aube qui pointe et la nuit posée victorieuse, moqueuse,  sourde de gloire, usée de la longue lutte n’entend pas la relève du jour qui fait frémir l’ombre de taches lumineuses. Ses seins rompaient ma détresse, débordant de lait dégoûtant, invisible, de maternité indigne. Le temps de l’extase, celui imperceptible égal au temps de la victoire de la nuit sur le jour, mes détresses décroissaient jusqu’au germe. De la même façon que la nuit épanche les saignements roses du jour elle suçait les venins de ma pauvre peau violette. Elle me tenait chaud la nuit, et je lui répétais –de la violence de mes dix-sept ans- que je ne couchais avec des femmes seulement d’avoir trop froid dans la vie, qu'hors d'un corps de fille, les saisons de la mort sont obsédées par ma chair d’enfant, qu’elles ont de grandes dents de glace et une mâchoire de méchanceté ouverte de la taille exacte de mon corps, dessiné selon les contours labiles de ma géométrie.

Les nuits de mon enfance étaient un climat subtropical, parcouru dans le même moment de deux saisons disjointes, établies de chacune des oppositions et des polarités. Je me souviens, mes mains gercées, fatiguées de sable, cuite de ce soleil mystérieux qui desséchait la peau aride et pendait à toutes les extrémités froides de la pièce  : le bois des lattes, l’humidité des murs, le fer des arceaux, de l’autre bord, alors que le sommeil enfin me recouvrait de son linceul suffoquant, l’hiver brutal, bref, craquait de dessous le repos pour envahir ma peau. Mon sommeil je le partageais entre l’hiver et l’été, tendu entre il s’était fragmenté en deux moments capricieux, imprévisibles, le jour du Sahara traqué par la soif et le soleil, cherchant dans tous les rebords, dans tous les recoins une de ces ombres où la nuit a fait sa maigre retraite et la nuit du Sahara où la chaleur rusée du soleil travaille son manque, éduque son absence. Vacance de la tyrannie, De Gaulle à Baden-Baden. De là, je tiens mes insomnies, de la peur d’affronter ce climat illogique, unique, qui débute à mes pieds et finit à mon cou ainsi qu’une guenille, cette atmosphère qui n’est qu’autour de moi comme une aura ou une menace, cette saison illogique, sur un seul territoire  : mon corps.

 

Alors. Je lui parlais encore. Je croyais qu’elle pourrait m’arracher mes yeux morbides, mes instincts d’assassin – le moi n’est précieux que pour celui qui s’ignore, lui, qui ne sent pas dans sa peau tout le désespoir fragile, celui qui ne s’est pas brûlé les doigts à la lumière d’une lampe à huile-  ; que je pourrais la sortir. Doucement nous nous sommes tus. La vie était pleine de mots chargés à blanc, des balles de cinéma. Le silence impatient, le langage muet, qu'aucun maquillage ne pouvait poudrer, ni aucun artifice réparer, s'exhalait d'elle en invisibles perles. La sudation de la parole ne tachait plus ses vêtements, mon langage ne la touchait plus.
Des amants elle n'en oubliait aucun, elle refusait de ne garder d'eux que des nuits de plaisirs tressés, attachés, noués qui bétonnaient la route des âges, d'années. Elle se souvient -aujourd'hui encore, j'en suis sûr- de chacun d’eux, de chacun d’eux au moins en sensation et n’en confond aucun. Elle les récite en jours, mois, semaines, elle les précise dans l’éclat de la lune, dans le gouffre céleste des étoiles, elle les raconte dans le haussement de sourcil d’un visage d’ange, où les muscles de cuivre d’un imbécile. Elle se souvient d’eux dans leur singularité et refuse d’en faire des masses indistinctes, agrégées de souvenirs et de râles. « Je n'en ferai pas de synthèse, pas plus que je ne les construirai en orgueil et en bijoux. A travers eux, j'étais il y avait une voix singulière, une voix accordée à des doigts de musique, une voix qui suivait les orchestres d’adresses ou d’hésitations. Je refuse d'oublier, je refuse de les associer, je refuse de disparaître, je ne serai morte qu'enterrée, et encore, encore ce jour là je te dirai de veiller sur ma tombe, d'y déposer un baquet d'eau que, quand fatiguée de la mort, j'ouvrirai les yeux, j'aurais besoin de nettoyer ce corps parasité par les bruits de l'enfer ou les trompettes des anges. Je ferai inscrire sur ma pierre tombale –non je ne ferai pas inscrire, j’inscrirai moi-même- des mots, je dirai aux hommes « ne pleurez pas ici pour mon repos, je n'y dors pas, j'y pense ». Tu comprends, je refuse de me supprimer ».Elle conserve précieusement l'image des mentons fiers ou des gestes timides glissant vers les trésors convoités. Son appartement, en réalité, est une immense chambre noire où sa mémoire traite du souvenir comme d’une photographie, ils se développent un à un dans le bain de la nuit et  pour en tirer des portraits, des visages «  ce que je garde c’est l’âme, c’est le dedans, la densité, la chair, elle s’en va, le corps est mobile, c’est un astre suivant son incessante courbe, il se déplace à l’égal de moi, nos orbites se confondent. Tu crois que ce sont des souvenirs, des histoires ces hommes là, ces femmes ci, mais c’est bien davantage, ce sont des instants, des parcelles de moi. Si je te montre mon bras, il faut bien que tu comprennes qu’il est constitué de baisers, de griffures, de crachats même, que mes seins que tu adores avec les yeux, avec les mains ont pris la forme exacte de leurs envies, ont été pétris par leurs salives, se sont gonflés de leurs désespoirs. Le lait invisible que je crachote ce n’est pas du plaisir, c’est du temps, du temps construit, du temps conscient, ce sont des gens en moi, des hommes dont je perpétue l’existence de nos mains indissociés, de nos corps unis, des frontières qui le temps, le temps de quoi  ? Le temps de s’aimer s’abolissait, le temps de jouir si tu préfères, si tu ne veux pas dire aimer pour du cul, mais c’est bien davantage, la peau, c’est bien autre chose cette matière précieuse et périssable, toujours craintive et qui ne naît vraiment que dans la caresse de l’autre, là, celui qui s’en va déjà, celui qui ne vient que pour partir. Ce n’est pas ce qui importe, qu’il soit là, puis là-bas, que son corps soit soumis à d’autres attractions physiques que le mien, que toutes ces constellations, se croisent, s’embrassent, se dispersent, que dans les grandes révolutions des planètes certains ne se trouvent que pour former des éclipses…  »


Il lui est arrivé, sans donner de prénoms, de prendre l’accent d’un gitan qui la berçait de sa voix de guitare, elle m’a raconté surtout ce soldat israélien, déserteur, les yeux jaunis de crimes pour qui son corps sentait liberté et sommeil. Elle prenait, raidissant ses membres pour l'imiter, l'allure d'un militaire hébété. Sa figure plongé sous la lave crâne d’un cauchemar déroulait toutes les images irréfléchis de sa pauvre. Son insomnie, étonnamment, figurait le premier de ses cauchemars, les cris qui habitaient en lui se faisaient corps et matière, qu'ils avaient tous des prénoms d'Orient, pas de l'Orient des épices envoutantes et des mandolines, des Shérazade et Jasmine, pas l’Orient des contes et des nuits chaudes, des fleurs de miel, des jardins mélancoliques, des princesses aux prénoms doux comme des fleuves tranquilles non un Orient de poussières et de bombes. Un Orient arraché du fracas de la modernité pour se devenir un autre fracas, un grand rugissement piétiné et balafré. Elle me racontait avec son esprit délicat comme il lui était drôle qu'un juif cite l'Evangile malgré lui « Le Logos se fit chair ». Elle avait décidé, pour pousser l'ironie, de ne le voir qu'une fois par an le jour du Vendredi Saint, et tous les ans celui-ci lui répétait comme un psaume « J'ai deux morts, deux morts immortelles : l'enfance et le Christ ». Ils se verront cinq fois, jusqu'à sa gloire minuscule dans l'actualité, les honneurs militaires, les larmes de parents, les youyou des mères vengeresses. Il était schizophrène « les enfants que j'ai vus mourir habitent en moi, pensent en moi, pleurent et désespèrent en moi. Je ne comprends pas leur langue inamicale, mais je peux en isoler le parfum essentiel, bouillonnant de rage ». C'était son dernier mot, d'une écriture précise, presque dactylographiée. Il est mort un vendredi saint.

Aurait-elle ri de ce même rire de chaines que l’on débarrasse–« ce sont des cris de porcelaine »- si elle avait su qu’à la manière des juifs leur Dieu, je ne l’appelais qu’elle. J’aurais pu la dire Yahvé. Déïté jalouse.
Si toutes ces composantes de son existence étaient des sortes de contractuels de ses affections ils n'en perdaient pas pour autant leurs qualités particulières, ils conservaient l'intégralité de leurs conditions individuelles affectées à sa vie. De les considérer en tant que les fragments d’elle-même mêlait l’amour de narcissisme , les objets chéris sur sa peau, les heures face au miroir à scruter vigilante son corps parcellisé d’aventures, «  je suis une mosaïque d’instant  ». Quant à moi j'étais partie des objets, extérieur à elle, jeté en dehors d’elle , moins que le souffle expirait que les choses. Mes yeux avaient la même utilité que le grand miroir devant lequel, tous les matins, elle replaçait sa tiare de souvenirs, et collait à ses paupières de faux cils, où elle appliquait sur ses joues creusées de passion un nombre déterminé de pétales de roses comme autant d'années à retrancher. J'étais un miroir doté de parole. Pas de volonté. Ma bouche était close, c'était un cercueil fermé par la modernité, il n'y avait pas la violence d'un clou ou d'un marteau, mais le tendre mécanisme d’une ferrure qui déposait son souci de métal. Définitif, comme un baiser d’adieu.

De l'avoir rencontrée cloutait une semelle à mes pas de départ, elle l’influençait, y faisait circuler un sang libre, impatient de mouvement, elle ordonnait presque, à me regarder, déçue, de ma présence. Pas encore parti. « Tu n'as pas d'avenir Jonathan, tu n'en auras jamais ». C'est que j'ai un destin, oui, j'ai un destin, et cette phrase, je me la récite jusqu’à sentir le destin, cette providence athée, m’envelopper et me promettre, jusqu’entendre le futur qui se disloque, J'étais un désordre de courage qu'elle organisa. Ses injonctions étaient tendres, c'était une voix de père dans un corps de délice. Elle savait combien je brûlais dedans d'idées de mort. Ell eavait lu mes poèmes-édredons, et devinaient ce que mes yeux d'encre écrivaient sur son corps au milieu de nos caresses. Elle avait lu que je voulais savoir, une fois par jour, « le bruit que fait la mort quand elle renverse un homme ».

 

D’être dans ce train comme un voyageur des années folles, sur ma banquette en simili-cuir, avec ce crayon qui parcourt ma mémoire comme une carte, bute sur quelques montagnes, rature, trace, recommence parfois les chemins invraisemblables qui se tissent, les cordes-frontières qui naissent, les pays que l’on hachure gaiement du trait laborieux du conquérant épuisé. D’être dans ce train, vers l’hiver de Budapest, réintroduit dans mon organisme sa voix dont je croyais être purgé, son souvenir dont j’imaginais que l’absence effacerait le tatouage.


A travers elle s’effaçait tout ce qui me rattachait à une réalité quotidienne, ordinaire et rationnelle. Les bouts de moi, de cette tunique que peut être le «  je  » s’effilochait jusqu’à n’apparaître qu’en nudité, de ses habits écorchés le long d’une fuite barbelée. Mes parents n'existaient plus, ils se dissolvaient dans la matière imprécise du souvenir. Elle avait l'attribut de la mère et du père, elle était ce double visage qui cumulait deux sens opposés : ses mouvements figeaient la contraction du myocarde, s’associait en contradiction et complémentarité qui possédaient cette nature duale propre aux images de cérémonie(l'image de Marie-Madeleine moitié putain, moitié sainte, envahissait mes jugements) lorsque l’on croyait au déchirement tout se rassemblait, quand les coutures apparaissaient tendues comme des veines bouillantes l’image s’apaisait soudain . Son ambivalence sexuelle ne m'aidait pas à l'installer définitivement dans la dignité de la mère ou la sévérité du père, ce au point que je ne savais plus d'où je venais, de quel charnier matriciel je tenais mes yeux, mon nez, mes doigts, de quelle histoire j'étais l'héritier, quel souffle devais-je prolonger ? Quelle lignée mon suicide mutilera-t-il ? Parfois, en moi, surgissait des peines d'orphelin qui me gonflait la gorge de mon parricide-fiction. Mon père, je l'avais déjà tué à 16 ans, en pensées, et j'avais pleuré son deuil dans les bras de Marion, la douloureuse Marion, sur les lèvres de Wendy au corps de sucre et d'or. La douleur était réelle ce même alors que mon père perpétuait son existence, dinait à mes côtés et mes joues frôlées de ses baisers répandaient la terreur dans mon corps d’avoir en affection le fantôme de mon crime, d’être ce corps hanté par la présence matérielle de châtiment de «  Papa  », je n’avais plus l’audace de le croiser, de le rencontrer, de lui baiser le front et les joues. D’être le seul dans toutes les pièces familiales à savoir que je l’avais tué, qu’ils avaient face à eux le résidu de mon crime littéraire, de mon désespoir factice, aménageait tel qu’il pourrait réinventer mes traits pour les jolies jeunes filles. Je saluais tous les matins un spectre. Sa chair vivante ne consolait pas ce deuil que je faisais par vilenie, Croyé-je. J’avais résumé mon père en une foi. Je croyais en mon père. Jusqu'à la rencontrer, je croyais encore en mon père quoi qu’assassiné fantasmé. En observant ses bras soulevant la vie avec grâce et force, je me demandais si mon père avait existé, s'il avait eu ici une matérialité ou s'il ne s'était pas agi davantage d'une masse arbitraire de souvenirs réunis en un être que, par caprice et fantaisie, j'avais nommé papa auquel j’attachais des affections convenables, d’ordinaires comme d’autres en unissant leurs craintes et leurs espoirs fabriquent précipitamment des dieux imparfaits, sortis très vite des fours brûlants de leurs erreurs.

Papa, de la place organique –vivante, tout de même – du souvenir, se décomposait lentement, le souvenir devenait littérallement le cadavre rongé de vers, de mensonges, où le regrets immiscé partout, où la punition inflexible dévorait ma geste littéraire de parricide. Elle ignorait tout de ce dépôt paternel reposant dans ses yeux, dans le dessus de sa lèvre où le fin duvet des filles de soleil se devinait. Saprésence, d’effacer méthodiquement –et involontairement- le souvenir de mon père, d’en nier l’existence en recomposant les attributs dont je l’imaginais lui le seul détenteur, nous dissociait lentement. Sous les rideaux où je voyais la vie avancer de son pas saccadé et jouisseur, ma discrétion se révoltait, j’agitais la main dans le dehors. Une crise d’adolescence, envers cette parenté monolithique, je n’écoutais plus qu’une musique le soir, en veillant les yeux plein de morsure son sommeil  : des fugues.
Je savais qu’il faudrait partir, que ces conversations qui s’épuisaient entre nous y conduiraient, c'était le sortir du couloir, la porte au fond du corridor, enfin la lumière dans la chambre noire :« Jonathan, j’oublie presque toute ta voix, pourtant tu te tiens là, en face de moi, mais je ne me souviens plus de ta voix, tu ne dis plus rien, tu parlais avant, tu criais même, on entendait que toi dans toute la ville. Tu te répandais par le son. Tu attendais la nuit pour qu’elle fasse un bâillon à la mesure de ta révolte. Tu es jaloux ? Tu as peur des colères en toi ? Ne dis rien, ne dis rien, j’oublie presque tout à fait ta voix. Elle se confond dans un bloc d’autres voix, elle s’accroche au clou usé de tous les morts que j’ai pleurés. Je ne me souviens plus. Je te plais ? Je te plais toujours ? Mes mains n’ont pas trop durci sous les pleurs, la vie, sous cet âge qu’aucune révolte n’arrête, qu’aucune indignation ne trouble? Son pas lourd m’écrase. Tu le sens, n’est-ce pas  ? Je sais ce que tu as écrit sur d’autres, que ce ne sont pas des mains, ce sont des cals, des racines, je me souviens de ce que tu dis, mais pas de ta voix. Je me souviens du sens, ce que je perds c’est la forme. C’est comme te connaître derrière un voile, derrière ce rideau tendu d’où je t’enseignais la passion. J’ai l’impression que tu expires du silence. Ne dis rien s’il te plaît. J’essaye de me souvenir de ta voix. Elle est quelque part, je sens bien qu’elle est quelque part, je l’entends qui remue à la manière d’un vivant qui gratte son cercueil. Je l’entends dans ta gorge pleine de nuit, quelque part, que tu étouffes en mettant dedans les mots d’autres. Elle est quelque chose ta voix. Qui ne m'appartient plus. Un objet qui m’appartenait. Une babiole ? Quelque chose là. Qui hésite dans ma mémoire, qui tremble. C'est un bijou ? Une boucle d’oreille pendue à mes lobes de soleil  ? Une nuque cassée  ?C'est une cloche dorée ? Je crois un murmure ? Non ? C'est le vent fendu ? Je ne sais plus ta voix Jonathan. Tu ne dis rien, n'est ce pas. Tu ne me dis plus jamais rien. Est-ce que je te rêve ? Je te rêve je crois. Tu es l'innocence qui contemple le crime. Tu es l'innocence et son oeil borgne et pur qui s'agenouille près du crime et lui tends sa main. Mais le vice n'a plus de mains, il fallait les vendre, comme tout ce qui est beau, comme tout ce qui est digne, comme tout ce qui est haut. Il n'a même plus de temps. Tu comprends Jonathan ? Je ne peux plus t'entendre, parce que si je t'entendais je saurais que je suis vieille aujourd'hui. Que mes mots sont des mots âgés, aux os fatigués, plein de sommeil et de lenteur. Je crois que tu parles trop vite et ta voix me remplit les oreilles en bourdonnant ». Je ne savais plus lui parler mais voir son visage très beau, très fou, où roulaient des souvenirs, où les mots se déchiraient et n’arrivaient qu’en loques au milieu de ses bégaiements était devenu insupportable. Elle ne me parlait plus, c'était à mon souvenir qu'elle adressait ses suppliques d'eau, ses franges décolorées. J'étais un enfant dans les bras d’un fantôme. Encore. Un enfant qui soulevait les jupes et les draps de cette femme déjà éteinte, aux joues grises et enfoncées par tant de mains, tant de corps. Je ne pouvais pas me réaliser. Je ne le pouvais pas, je n’apprenais qu’à étouffer. Avec elle. La poésie congestionnée. Avec ses gestes de poussière, elle en ramenait toujours de dehors, de la poussière qui sentait la mort. Alors. Quand la grande horloge acheva ses gestes à deux doigts, je pris un dernier germe de son printemps, une dernière respiration à ses lèvres mauves de porto, de nuit ou de sommeil...j’entendais sa respiration de somnambule qui invitait la nuit jusque dans l’appartement. Calme. Je m’évadais.
J'ai récupéré ma parole. Elle était posée dans un coffret en bois où jouait une berceuse, c'était une partie de son sommeil -l'autre étant la veilleuse- que je dérobais ici.

Je la laissais face à la nuit, aux hommes, à l’insomnie. Je ne veillerai plus en gargouille immobile la cathédrale de son corps, je ne surveillerai pas de mes pensées glacées les gestes des impatients ni la musique du plaisir ni le silence du sommeil. 

Par la fenêtre je voyais la nuit perturbée, interloquée des lueurs incessantes qui interdisaient son triomphe, la ville était en fête. Une année de plus s’était brisée et semblable à une bouteille qui répandait son ivresse dans les rues et les corps, le temps formait des mares multicolores où se mirait quelque chose. Un futur, dirait-on…

Je suis né le 1er janvier et, aussitôt, je sus me tenir debout et marcher. Non pour avancer mais pour fuir. Je l'ai quittée. Sur la vieille chaîne silencieuse Sans un bruit l’animant, j’ai introduit la fugue en ré mineur de Bach, pour accompagner la mienne grésillante.  J'ai tourné la clé dans la serrure. Je crois que j'avais l'habileté d'un évadé. Sa précision vitale de chirurgien, où tout geste s’harmonise à la pensée, se fond de vigilance se mélange à l’opportunité d’une ruse. L’erreur est mortelle –donc humaine. Je l'ai quittée en rasant les coteaux de ses bras, je l’ai quittée en laissant les versants de son corps à d’autres, ses bosses, ses dunes, en la quittant une émotion étrange, saisissante comme une crampe, me figea  : j’abandonnais le désespoir. Le monde entrebâillé laissait filer de la lumière et du froid, il pendait sa main de guide par la porte grelottante pour me la tendre. Je l’entendais, le monde, de l’autre côté du silence et de la pénombre, au milieu des sons arrachés aux enceintes surprises de posséder une voix encore, j’entendais les sursauts d’une existence qui m’appelait au dehors. Il fallait naître. Naître dans le froid, la ville, dans les voix aux serments de fête. C’est là qu’est ce destin que je sens rugir en moi  ? Lui cette voix schizophrène qui brutalise mon sommeil  ? «  Ce partir muet  »  ? Il faut partir. Toujours, partir. J’ai vu Minetti au théâtre, et il s’exclamait « partir ». La porte entrouverte a jeté sur mon corps de la limaille de fer. Invariable. La liberté a une bouche d’aimant. 

 

 

Je crois que j’ai glissé dans la rue en même temps que la pluie le long des toits d’ardoise, dans le mouvement sinueux, râpeux de l’habit évidé du fil unique qui le brodait. A ma façon je dévalais un ciel, je chutais d’un gouffre vers un autre, plus profond. Dans les rues où je trainais ma loque, chauffé du poêle arraché à son sommeil, le poison semblait répandu uniforme, épais comme de la solitude fondue dans l'air : je ne respirais pas, j’humais cette nouveauté douloureuse, cet apprentissage d’un monde étranger, débordant d’angles coupants, de rues, d’avenues, de choses imprécises. Paris est étonnante, c’est une ville en désordre, monomanique, que le traitement d’Haussman ne permit pas de guérir de ses obsessions tortueuses, de ses impasses. Paris, tableau de maître, repentirs multiples. J’humais l’oxygène aux particules brûlées et les longs bras de chaos, radicelles de loques enroulées sur moi comme l’anémone sur le grillage de fer. Je disais à mes pas las «  Il est l'heure, que l'ennui cesse enfin. Que ce chaos que j'expire depuis ma naissance jusque dans les ports anglais pour former la brume épaisse et gluante qui habille le ciel et les yeux de Manchester m'étouffe.  » De mes notes, je retiens ce passage là  : «  Je crache l'âme ; j'expire la peste. J'ai dîné, tout de même, j'avais vingt ans, je ne les ai plus, j'en ai donné un morceau –là où se tient la lâcheté- à Tania, à Tania qui me jouait avec les doigts Chopin, qui en cherchait la note bleue pour se la mettre aux yeux, en faire un fard, de la note, et la maquiller, et la voir danser de cyan, d'azur, enfin, de tout ce qui peut rendre vivant en elle. J’avais rencontré Tania au théâtre, deux avant de l’abandonner, je traînais chez elle comme dans un bar : c'est-à-dire un endroit qui s’il peut vous soulager d’un morceau de nuit, se sait des horaires impératifs. Tania fermait, alors et après la marée de son corps, me rejetait au rivage, épuisé, sordide. Comme un lieu public. Aujourd’hui que je l’avais quittée, que je devais trouver des motivations à mes départs, je m’installais sous son comptoir. J’allais dormir avec sa colère. Repousser ses fermetures jusqu’aux prochaines ouvertures (HIC)


Tania, celle qui avait trop de nuit en elle ; trop d'années aussi, à nier qu'elle était née furieuse, fumée, ombre, tout ce qui de la vie est bouleversée. Les torrents, les tourbillons, les tornades, la Terre vue du ciel quand les nuages se massent et dessinent une étoile sans pointes -une séquelle, une simple trace de vie, forme confuse engendrée par l'Univers un jour de colère.


Tania, tapait frénétiquement sur son clavier, elle fracassait la pédale, elle voulait faire, disait-elle, "hurler la musique", et elle lui arrachait de petits glapissements, elle trouait le son, de semblants de colère. Elle avait étudié, longtemps, dans de grandes académies, au milieu des meilleurs professeurs sans que personne ne la fasse dévier de son but : être une pianiste virtuose. Quand elle atteignit son but, qu'elle se produisit dans de grandes salles où la foule qui même instruite demeurait foule, elle ne sut plus. Toute sa musique, chose liquide, fluide délicieux, s'était évaporée au seul contact de la masse, à l'idée de la moiteur de ces corps opaques. Aucune note ne s'échoua au public aride, traqué par la soif. Sa carrière de virtuose s'achevait dans un murmure suspendu. Sa musique dans son bel habit avait accroché les surprises des murs, les clous des crucifiements et arrivait nue, silencieuse de honte. Dans la salle le bois qui craque, la toux qui monte, le rideau qu'on froisse, l'agacement. L'assistance, hagarde, étourdie, inculte aussi, s'étonnait de ce silence et ignorait qu'elle se tenait face à l'Histoire : le premier requiem sans note, ces quatre saisons réduites au chaos primitif de l’Univers  ; ce silence annonciateur. Pleyel qui inhume, quatre cents spectateurs et autant de tonnes de terre pour la couvrir, de la pourriture arrachée à l’Art jetée au dessus du piano, autant de souffles de respiration de noyés. Tania est morte à vingt-sept ans, dans un habit de pianiste virtuose ; muette du geste. Elle avait vu, dit-elle pour expliquer le mutisme du piano, se lever de l'ivoire des fleurs malades bleues-mauves –sorte de canneberges- qui voulaient lui mordre dans le cou et lui sucer le sang, elle disait qu'elle avait vu ces choses affamées, issues des jardins de la mélancolie où la musique était servile et ne jouait qu'aux ordres, ne répondait qu'à des commandements. Elle n'avait pas joué, répétait-elle encore, parce qu'elle était pianiste et non tambour, qu'elle savait se faire la main des muses qui volète dans l’Art et qu’on prend dans son éprouvette, qu’elle savait transposer avec la main les voix qui se tiennent titubantes sur le fil fragile de l'horizon, mais qu’elle refusait, oui, qu’elle refusait en des cris de terreur d’être une estafette qui prolonge le sabre du colonel, le casque du caporal, le barillet du commandant. « Je ne suis pas le grésillement de la radio, je suis le cri horrifié qui s’arrache de la bouche du compositeur quand la maladie l’effondre, quand le temps ramène à sa précarité. Je suis celle qui prolonge les morts, la prêtresse qui par sa croyance oint le corps de spectre du saint, ma bouche est la mère des béatifications » La musique, dit-elle encore, est chose d'assassin et non de militaires. Parce qu’elle tue oui, mais elle tue librement. Le crime plutôt que la guerre avait elle gravé sur sa peau.Tania, chaque fois, qu'elle frôle le piano, qu'elle entend les Variations Goldberg blêmit. Elle s'incarne dans un corps différent, ses trente-trois ans en paraissent cinquante, son dos se voute, ses muscles se nouent, raides semblables à des nerfs en crises. On ne peut plus la toucher comme un être, mais comme un minéral creux et en fusion, aucun maquillage ne peut soudoyer le visage qu’elle prend alors pour le rendre conforme aux exigences de logique, aucun prix ne permet de se le concilier. Il ne reste d'elle plus qu'une intention, qu'une idée. Personne ne l’interroge sur son état du jour, les banalités d’usage s’exilent par la simple terreur qui ponctue son front d’albâtre, on peine à croire que cette chose –cet être  ?-, qui fume encore d’avoir brûlé, abrita un jour quelque chose qui s’approcha d’un sourire, ce corps était mort. Elle n’avait pas menti, la musique tue. A son rythme, comme le désespoir, ou la maladie. 


Tania. Tes grands yeux bleus ont échoué à répandre dans le ciel le liquide blanc des alcools nouveaux. Elle voulait devenir un pinceau –ce doigt métamorphose de la couleur- une trace de lumière sur la grande toile, et voir ses lèvres gercées, striées de petites routes à caresser devenir une plaie étonnée. Quand elle ajuste son reflet dans le miroir elle voit sur sa bouche qu'elle a tant mordu, des lignes de partition, des tas de lignes sur lesquelles ses dents sont des copistes aux martèlements de graveur : le sang doit calquer des notes : blanches ou rouges. Tania ne se mord pas les lèvres, elle compose. Elle veut dire qu'elle ne parle plus, qu'elle joue. Qu'elle ne fait que ça, sa virtuosité lui est remontée, dit-elle, un matin, comme une nausée de femme enceinte. Elle parlait de la musique, de son désir et croyait jouer, à la manière des petits cacographes qui disent écrire tandis qu'ils bavardent. Elle opérait cette même substitution entre l'intention –l’idée de l’objet- et l'objet…la seule croyance de la création suffisait à la persuader de la réalité de la création, ce biais cognitif me surprit avant que je m’y fasse. J’aimais qu’elle refuse de concéder au réel, ce réel si obstiné, tyrannique qu’on laisse avancer sur nous, nous piétiner, nous écraser, nous faire rompre, et elle niait, simplement elle refusait toute la physique, la douleur, elle se mettait face au réel et se moquait de lui, de ses mains flétrissures qui lui passaient dessus pour la raidir, en pincer la peau et le temps, entraver la jeunesse. Avec son chapelet d’années aux nombres de perles en bois indeterminées. Elle avait l’âge de ses humeurs. Décidait selon sa condition mentale l’âge de son corps, c’était question de fraicheur et d’envie. J’appris  qu’entre vingt et cinquante ans une folle avait l’âge de ses vouloirs. Elle était musicienne parce qu'elle prétendait à la musique, et tandis qu'elle discourait je voyais ses doigts gourds, incapables de la moindre mélodie. Elle parlait souvent de musique, allumée comme une forge d'enfer, elle en disait de la musique comme on dit d'un amant qu'on éconduit, comme la nuit aux rebords usées par les mains frêles encore des premières lueurs blondes du matin, qui l’effondre tout à fait pour se redresser. La rosée au creux de ses lèvres fades, au goût d’eau croupie… Les mains fêlées, tombe en morceaux la nuit, s’éboule en pourritures, eaux d’égoût

Tania…ma Tania à la musique effrontée était ma découverte de contrées lointaines, imperceptibles, mon premier véritable voyage, ma première communion avec l'ailleurs menaçant. Elle était un continent, Tania l’Océan qui la bordait, qui l’entourait, la tenait, que ses doigts humides enserraient de l’ombre. Je m'étais accoutumé à voguer sur l’habitude me jurant de l’originalité de ces douleurs usées, à y traquer la densité de la marée, le danger d’une vague gonflée de ruptures. Je dérivais la tête dans le torrent furibond, mais torrent tout de même  ; qui à a mer dangereuse, gorgée d’aventures, est l’égal du caprice face au deuil. Petite marée. Petite eau. Petite noyade. Apprentissage.C’était une femme pleine de modernité, ses tailleurs étaient modernes, ses bijoux étaient modernes et jusque sa façon d’aimer sentait la modernité, la vitesse, la promptitude, cette sorte d’exactitude, de précision mathématique, cette économie de gymnaste au cœur de l’effort, comme un amour plein de mesure, de rejet, d’expulsion. De n’être plus pianiste en uniforme l’avait restitué à la vie civile –en dehors des arts il est une vie civile, qui habite un corps profane, soumis de contraintes. Le soir elle paraissait après avoir dansé, et aimé, dans des robes qui sentaient le cocktail, l’argent et la fadeur, elle paraissait dans des embrasures de porte, partout postée comme pour être au milieu des éléments la peinture dans le cadre. Le point de fuite. Mon point de fuite. Le début de mes perspectives.

J'étais impatient de ses absences, des tourments que son retour jetterait sur moi. Dans son attente je creusais des tranchées avec le temps pour subir son retour débordé de grondement. Pour tenir ma position de Verdun, sous les obus-postillons de sa colère, soixante millions d’insultes pendues au plafond, prêtes au moindre de ses ordres à se décrocher pour atteindre mes failles. J’attendais, comme un esquif qui traverse les eaux stagnantes de la vie, et chaque fois que je l'apercevais, blême encore de sa nuit d'outrages, violette de sa cerne unique qui lui tachait le visage (C'est le vin qui m'imprègne. C'est elle qui parle.), je muais en guetteur qui hurlait, "terre, terre" et se déchirait les lèvres brûlées d'eau de mer dans ce cri qui ne cessait pas "terre, terre" et cette terre était sauvage, veinée de mœurs barbares. Chaque débarquement me faisait un peu plus croyant –les canons ont toujours été de meilleurs missionnaires que les prosélytes fanatiques-, un peu plus supplicié. Je voyais terre sauvage et marécageuse depuis la nuit sombre et ces sommeils perdus, là où s'arrangeait le jour vertical pour corrompre l'œil et lui offrir des mirages, la lumière était sur son corps une épice. Rare et envoûtante, elle glissait sur son ventre, disparaissait contre ses reins, s'enfonçait dans sa gorge et ne rejaillissait jamais qu'en effluve, sa peau évaporée suffoquait mes audaces, une main invisible remontait sur ma chair des sensations, des joies. Certains yeux reçoivent la lumière, les siens la dérobaient et la recrachaient lentement, en poussières de nuit, en blocs serrés de cendre, en la volute boisée du violon. Disparaitre, voilà le mot que faisaient ses caresses, quand elle m'en habillait le corps. Quand pour se croiser et se jeter l'un sur l'autre j'hurlais encore "terre, terre" du haut du mat et j'ignorais déjà, mes mains au contact de ses sucs, que la terre était chose pourrie, recouverte de vase et d'une salive ténébreuse et visqueuse : que l'on nommait désespoir. Tania ne me laisserait jamais partir. « Tu ne peux pas partir. J’en ai mis à genoux des plus fébriles de la joie, j’en ai écrasé des désespoirs avant le tien. Tu ne partiras pas. Tu resteras là, là, pendu à mes manières, attentif à mes gestes sourds, fou de ma musique. Tu te tiendras là, dans les angles que j’aurai choisi pour toi. Ils te serviront de chambres à coucher ; de cabinet d’écriture ; de lieu de vie. Ce sera chez toi, les ronds que je ferai avec mes cigarettes. Ce sera chez toi mon corps, et tu devras y allumer toujours des feux aux formes infernales, tu devras toujours entretenir des braises et remuer des flammes. Toujours. Mon corps n’abandonne rien, il dispose l’amour et le plaisir comme deux pièges égaux. Je t’offre deux cages décorées par l’extase. »


Les cuisses de Tania étaient la plus solide des prisons, prison d'impressions et de jais ; de sensations et de vapeurs ; prison chimique et nécessaire. Plus bagne encore que prison : je l'appelais Cayenne. Elle me laissait voir le ciel, ciel parcouru d'ombres et de voilures noires, sevré d'étoiles, comme les forçats : d'un côté la jungle, de l'autre l'océan. Au cœur l'enfer du bagne brûlant et la main du bourreau suspendu, luisante de sueur, éblouissante de crime…Tania ne connaissait aucun évadé. Cayenne avait jadis joué de la musique, en taillant des cithares dans le bois de balata avec des cordes tressées d'une chevelure indigène. Elle avait pendu des hommes, cette Cayenne, aux cordes de marin qui se balançaient encore, les chairs bourdonnantes de miasmes au bout de ses doigts devenus étoupes. Tania imaginait me faire subir le même sort, au milieu de nos tragédies, et régner sur la plainte fumante, le sourire brisé, la main tendue, fière, enflammée par le torchon  ensorcelé des victoires. Elle imaginait me soumettre avec ses yeux funestes, bleus comme la flamme au bord des becs de gaz. Sûrement en avait-elle écrasé des plus résistants que moi, des plus fiers, des moins fragiles, des fabriqués avec des audaces, forgés dans le métal des candélabres infinis. Elle ignorait seulement, d’où je venais, l’endroit d’où je m’étais extrait. Qui a fui le cimetière ne craint plus la mort, il s’y est accoutumé, rien des choses vivantes ne peut plus le menacer. Comment craindre l’ombre d’un regard, d’une intimidation, lorsque l’on sut s’habituer aux gouffres des fantômes, aux corps transparents et glacés des spectres, à coucher près de deux fantômes, et abriter dans soi le parricide lointain. Pauvre Tania, qui ignorait que de muscienne, je la faisais lentement entrer dans la profession de cordonnière, toute sa rage ferrait mon pas sauvage.


Elle
comme Tania chaussait de certitudes mes départs, c’est en piétinant ses mains amantes, vibrantes de folie, que je me convainquis qu’il fallait partir d’ici. Elle m’offrit, dans la nuit de ma course, de la première course prise dans l’orbite de la vie, qui subissait pour la première fois expérimentait la gravité, gravité physique, réelle, pesante, une jambe, une jambe solide, de fer, de muscles, de peaux. Tania, m’avait offerte un membre factice, une prothèse. Mon départ boitera, ma fuite claudiquera. J’ai déjà un pied en enfer. Je saurai l’en sortir. J’y suis né.

 

Ces raies de rage qui pénètrent par toutes les fentes de la joie et tachent le bonheur.

 

XX.XX.2011

«  Il faut partir, avec mes deux jambes et mon pas infirme. Il faut partir et pour partir, il faut une chose : du courage. Traduit, c'est-à-dire de l’argent.  »

 

J'étais trop pauvre d'abord pour voyager, pour découvrir les continents et m'offrir un destin d'aventurier, de marins à la bouche édentée et aux gencives énormes du scorbut ; il me fallait commencer en d'autres voyages, d'autres découvertes, apprivoiser l’immensité du monde sur des bateaux de fortune, des radeaux instables. Je justifiais de mes lâchetés par mes gueuseries, mes haines se mettaient en travers de l’objectivité. J’avais des mépris jaloux pour les bourgeois qui pouvaient partir avec des rires apaisés dans des labyrinthes sans lumière. Ils avaient l’argent bien sûr, le crédit pour tisser un fil d’Ariane, allumer une torche, reflet de la monnaie jouant la .Ces cris de haine figeaient ces jambes monstrueuses, plantées comme des arbres indéracinables, fixes, immobiles de couardise. Il fallait bien trouver une alternative à ce départ insolent, trouver les petits affluents qui créaient les Tania, embrassaient ces femmes comme des Nils convergeant dans la Méditerranée. 

Alors, j’ai prolongé autrement ma fuite. Je lui ai cherché moins des motivations que des courages, j’ai rassemblé dans des autres corps les membres de moi. A travers elles, j’apprenais les territoires mesquins, les typologies du terrain, de tous les terrains. Un entraînement. Le départ ce n’est pas question de géométrie, de mesures, je veux dire ce n’est pas ce que mesure l’arpenteur du tangible mais le risque, cette chimie pleine d’orage, ce danger contenu dans chaque centimètre, l’inquiétude qui exhale ses formes, qui développe ses épines, qui libère ses poisons. C’est de ces chemins là que j’ai fait mes voyages, c’est à l’ombre des mancenilliers que j’ai cherché mon repos…


La gravité terrestre, celle qui oblique le sens, qui entrave le mouvement, retient les vocations. Peu importait alors que Tania dans ma lutte m’avait expulsé violemment d’elle, vers cette destinée dont je me persuadais. La gravité moquait les forces d’inertie qui déplaçait les corps célestes, les impulsions, les explosions étaient sans nécessaire, dans la cascade du déplacement cette chose, ce vent, que pouvait-il recouvrir autrement que la volonté qui anime les muscles, qui les gorge de pétrole  ? Il me fallait réunir, en moi, assez de connaissances des cavités de l’humanité, des recoins les plus dissimulés aux usages, tout apprendre dans une leçon pratique au milieu de caractères identifiés. De femmes de réputation. Je tenais, à ce moment là, un carnet où je consignais mes souvenirs d’amoureuses je l’appelais «  L’Atlas  ».

 

J'ai commencé autrement. L’importance d’un départ ne se chiffre pas aux kilomètres parcourus mais au risque engendré par chacune des distances.


Je vais chez R, A, V, C et dans cette géographie d'initiales, de prénoms, il y a du voyage. Chacune est un État dirigé par un tyran derrière sa porte, celle de ses origines, de la rocaille de la voix, du r roulé qui tombe comme la mer sur le torse des bateaux, comme la pierre de l'avalanche dans les chemins qui montent au ciel. Ma jeunesse se forme sur ces corps ; ce sont des ébauches de départ.


De Frida, c'est l'Allemagne, les bottes en caoutchouc à la voix de colosses, le pas haut des soldats, les frontières qui s'en vont et, plus loin que les frontières, c'est l'Histoire qu'elle assemble dans ses yeux, dans sa voix, dans la langue et jusqu'au trou de la gorge « oh encore un souffle, dis moi « Guerre », et quand elle prononce Krieg, je vois dans le ciel des armées sortir des souffleries du ciel -d'éclair- se fendre les côtes, je vois, je vois oh, une cerise –Kriek- sur sa voix qui se tait et disperse les images. « Annexe-moi ; Anschluss » et je l'annexe. Toutes ces ombres d'Histoire qui courent au plafond. Chaque fois qu’elle crie je sais la terreur de Montmartre tandis que la Grosse Bertha vociférait ses hoquets bavarois dans la nuée soucieuse.


Il y a Nastasha au prénom de tsarine, à la peau blanche, et quand sa voix tombe avec son geste qui monte, quand elle me raconte au milieu des cendres du jour -la nuit- le bruit de départ que firent ses parents quand ils entendaient la rumeur des Révolutions, quand elle devenait la voix du peuple, la Révolution, je crois que je cherche à la tuer, à lui faire chanter l'Internationale à chaque cri d'extase que je lui arrache. J’ai en horreur l’argent, les riches, jusqu’à avoir placardé dans ma rage un libelle sur la porte de l’innocente Emilie, à l’avoir assaillie d’outrages, d’offenses, de baves et d’insultes, à avoir inscrit sur sa peau ce que l’argent tenait de crime, ce qu’il était d’implacable souillure, de définitive salissure, de péché qu’aucune eau lustrante ne saurait baptiser. Chaque porte est un pays ; et chaque pays un instant. J'ai mille États souverains, des qui ont disparu même de la géographie officielle et surviennent dans le souffle des historiens, je cherche avec la main, quand j'embrasse Songul, l'empire Ottoman, et je ne trouve sur le Bosphore que la Turquie, quand je plonge la main dans les lignes d'eaux je croise des régions arides où le trait bleu s'affine jusqu'à former les yeux de Lucie, je ne trouve dans les Balkans qu'une nuée de petits États plus faibles que mon biceps.


Putain.

J'ai faim, j’ai faim déjà dans ce départ sous les morcellements de Paris, faim ici, aux rues immenses, sans risques, où tourbillonnent les charités et les charitables. J’ai faim, dans ce Paris, gris où le jour chante à la lisière de l’ombre, où se promènent dans la robe d’odeur le pain chaud et frémissant, qui craque comme l’aurore jaune et dorée, lève avec le levain des aubes. Il me faut trouver quelqu'un où m'inviter,  quelqu’un à taper d’un déjeuner au troc de ma conversation, quelqu'un qui sera heureux de me recevoir, qui dansera de l’intelligence. Je vais appeler Guillaume, je vais le visiter, avec son nez qui s'allonge toujours plus que son sexe. C'est un être désincarné, il est science -et donc juif- parce qu'il est presque verbe. Le verbe est un cartilage, une articulation, le verbe c'est tout ce qui n'est pas comestible de l'être humain, tout ce que l'animal affamé jetterait s'il découvrait un homme dans sa famine. Et Guillaume n'est que ça ; intelligence sans corps, un adjectif : génie. Nous nous ressemblons. Moi, les mains des êtres me traversent quand elles me caressent. Mais Guillaume, Guillaume va me donner un bout de pain, et ce bout de pain, de mon corps transparent et risque d'échouer, dans ce moi de futur, d’espoir, de départ, sur la place Attila Jozsef, de me traverser. La nourriture est une arme ; la faim une plaie. Mais je ne suis pas encore là-bas. Je dis « j’ai faim » et c’est un espoir je dis « je suis mort » et c’est un fantasme.


J'ai mes vingt ans qui ne sont déjà plus vingt à offrir à des mères qui n'en veulent pas ; et si personne ne les nourrit je les avalerai pour en digérer vingt de plus. J'ai vingt ans qui gémissent de froid dans des parcs, des avenues, et se lassent d'être libres s'il faut avoir faim. J'ai vingt ans qui ont la tuberculose et crachent du sang sur les peaux lisses prunelles de celles qui n'ont rien à m'offrir qu'un peu d'Histoire, de géographie, une miette entre les dents de l’éducation. Bonjour collège, lycée, bonjour bancs, femmes, amourettes. J’apprends.


Je vais rencontrer d'autres passés dans les rues. Je vais boire Paris jusqu’au dégoût, mauvais alcool, infiltre toi comme de la pluie, forme sous ma peau, à l’intérieur de mes veines, des nappes épaisses de boue. Je vais rencontrer des ignobles imbéciles, des frénétiques de la bêtise, qui ne l’abdiqueraient pour rien. Je vais traquer les bavards pour déborder de leurs mots croupis et puants. Je vais leur parler pour raconter, loin là-bas, dans cette langue sans souillure, ce que c’est que boire l’eau d’un égoût.


Tiens. Salut Mikhaïl, il me raconte, comment il a la bouche plein de musique, et dans son pas lourd je vois qu'il a échangé la danse, je vois sa cuisse gonflée, je vois son corps qui grandit -, je vois tout ce qu'il a éteint de lui-même pour être si plein de ce chant. Il n'a pas trouvé Wagner : il en serait revenu ébloui ; il n'est que bruyant. Bruyant Mikaïl, qui me dit, ce qu'il a visité de femmes et d'hommes, et tant qui l'ont aimé "tant qui m'ont aimé". Les hommes comme un orgueil de plus, qui viennent s'ajouter à ce qu'il pourrait appeler « morale hésitante » et qui est déjà trop morale et n'a d'outrance que de bégayer assez pour refuser la vertu. Elle ne dit pas « oui » au vice, elle n'a seulement pas le temps, dans sa bafouille, de dire « non » à orgie qu'orgie l'a déjà renversé et qu'elle danse sur des tables minuscules, avec les bras d'envie, avec les seins de luxure, et paresse est sa morale, et tous ces archanges noirs dont il me conte et décompte les baisers. J'ai bu à sa coupe à la manière d'un empereur romain qui, sachant, les intrigues nouées dans les dédales de son palais, entendant les murmures de complot qui hérissaient ses caves, boit tous les matins une mixture de différents poison afin d'y accoutumer son organisme et qu'il défende efficacement toute tentative d'intrusion par les sens. J'ai bu à Mikhaïl, la grossièreté, la veulerie, l'imbécilité pour y lutter de toutes mes forces, dans toutes les circonstances.


J'ai faim, et ma faim me fait briller dans le noir, elle me rend visible à tous les passants qui s'inquiètent d'un être pareillement phosphorescent. C'est que je brûle, regardez moi, regarde-moi, toi qui ne brûle pas, comment c'est d'avoir vingt ans et d'avoir faim. Regarde, comme j'ai faim, regarde comme mon ventre est rond de désir pour toi, comme il est prêt à se vendre, comme mes vingt ans peuvent t'offrir leur jeunesse pour un lit, un drap, pour un chiffon, pour un os à moelle. Laisse-moi goûter le sucre qui coule à tes pieds, qui baigne ta bouche, qui s'égare dans la ville. Je vois le jour qui grimpe et scintille comme des cristaux de sel quand il conquiert les hauteurs, le jour s’élève, il fume, se répand très haut, très lourd, très pesant presque boiteux.
Et cette faim, ce bruit, cette voix, qui grogne comme la nature affamée tout ça est mythologique, je veux dire la mythologie c'est l'habit de lumière de la réalité, c'est la croyance, la mythologie, c'est son obsession, son évidence, c'est la peau noire de l'esclave ; la jaune des mathématiques, toute l’élégance du préjugé. La mythologie, c'est la poussière et le fracas qui nimbe la balle qui s'échappe du pistolet, c'est le cri que pousse l'agonisant, c'est tout ce qui est hors du corps, hors de l'Histoire, c'est tout ce qui prend de la place dans la bouche et n'en occupe pas dans la mémoire. Ce qui la sépare de l'Histoire, qu'elle nous habite le corps et abandonne l'intelligence. La mythologie, c'est la beauté du monde, c'est ce qui lui permet de durer, c'est enfin, quoi, la musique qui s'est soudain levée comme un vent pour porter les tambours de Napoléon et prendre Arcole ; c'est celle qui s'éboulait -soulevée par les Walkyries- sur les corps des génocides. Celle dont on se demandait, pourquoi elle ne s'est pas tue, pourquoi l'horreur l'a tant nourrie, pourquoi elle avait faim de drames, la misère, de violences, d'âmes brisées et de corps décomposés. Pourquoi la musique -l'art- est un tel charnier. Tania refusait de jouer aux ordres et je ne pourrai alors jamais lui révéler cette découverte récente. C’est l’Art qui a exigé comme tribut aux hommes la guerre pour célébrer leurs désespoirs, pour ériger aux morts des stèles de prétextes. Pour sa défense H., officier nazi, s’exclama ainsi «  vous m’accusez d’avoir fait des orphelins, et je vous dis que j’ai enfanté des artistes. Vous me reprochez d’avoir accablé des veuves, et je vous affirme avoir taillé des muses. Ce n’est pas mon procès qui se déroule sous le grenier de vos mentons, dans vos palais mentholés. Faites bien attention, messieurs, mesdames, faites bien attention ce que vous vous apprêtez à condamner c’est l’Art. Prenez garde à sa vengeance. Prenez garde à ses déceptions. Ne défiez pas les choses impossibles. Baisez les doigts et les paumes hauts des doux che-valiers-bourreaux, célébrez le criminel. Votre extase est depuis lui.  »


La mythologie est l'anecdote de la vie.


J'ai faim, j'ai déjà faim du départ, faim de la faim qui là-bas sera mon estomac. Faim de femmes, faim par tant de bouches de loups. Je vois Anne pour. C'est déjà fait. Elle me met les yeux sous le nez, et me dit « regarde comme ils sont beaux » et elle adore ses yeux qu'elle montre comme des boucles neuves, comme deux immenses vanités. Ses yeux ce sont deux pierres bleues, des opalines, minéraux morts, de l’apparence des cristaux de voyants jetant la mystique lueur sous des tentes étudiées pour les effets. Ses paupières retroussées, maquillées d’un trait brutal, agissait de la même façon que les repaires des cartomanciennes. Seulement. Dans ses yeux. Je n'ai rien vu, d'avenir, de passé, ou d'émotion. Elle me tend le regard, et c'est comme si elle les caressait, ses yeux, comme si elle me disait touche comme ils sont doux et profonds, on dirait des sources –taries, de me renvoyer ainsi à ma jeunesse objet, à mon allure de miroir bavard.... Et je lui rétorque amusé, que la seule profondeur du monde est le sexe des femmes. Mais elle insiste, elle veut que je lui touche les yeux comme les hommes bafouent, que je dise la naïveté.

Je ne l'ai pas dite. Je me suis tu. J’ai bien appris par cœur le silence avec elle.


Je préfère les prostituées, elles sont muettes. Muettes comme un criminel. Je crois que c'est ça, le crime rend muet. Il censure la parole inutile, puisqu'il y a un geste, un acte, ô un acte sublime, qui suffit pour parole. Celui de cet H., inconnu des livres d’Histoire.


J'attends le criminel qui ne parlera pas mais dont on saura qu'il a voulu parler alors qu'il assassinait, violait, pillait lorsqu'il s'est mis sous l'ombre de la Cour d'Assises qui finit toujours par s'étendre assez pour coincer la fuite avec l’assistance milicienne du jour. Je veux qu'il dise qu'il voulait parler, mais qu'il était trop lourd de crimes, qu'il l'avait déjà en lui et qu'alors il ne pouvait rien dire, que sa bouche, refusant d'articuler, ne pouvait que déchirer.


Je veux l'entendre -sans un mot- indiquer qu'il devait parler et qu'il devait le faire de tous les moyens, par tous les gestes, qu'il devait soulager son muscle du crime qui le tétanisait.
Alors il a tué. C'était sa voix. Ce geste. Son langage de signes.
Qu'il dise ça, enfin, sans un mot. Et que je l'entende.


La parole ne sert pas les gens beaux, qu'ils ouvrent la bouche pour lécher, embrasser, ce sera bien assez pour ceux que la poésie a déformé ou que la fortune a élevé. La beauté, chose muette, statue, qui jonche les jardins de rois, dans l’ordre précis de l’architecture cosmogonique, des planètes fixes, des bulles de chaleur immobiles. J’ai connu de ces belles en mouvement, à l’existence aussi utile que le jeûne d’un loup.

Elodie –la belle bavarde- est une femme dont on se demande pourquoi elle n'est pas née en marbre ou figée dans le bronze de son corps. Pourquoi merveille de chair et de formes était capable de tremblents, d'abandon et d'exercice –factice, illusoire, trompeur- de volonté ? Son corps ne devait être rien d'autre qu'un objet posé sur son socle de pierre -désir des hommes la portant haute, qui traverserait le temps dans sa matière brute, dans sa primitive éternité, dans la nuit blessée où elle serait une légende. Ce devait être une autre nuit, une nuit basse, qui monterait de la Terre, tandis que la nuit haute y tombe. Elle devait être fleur -rose et pissenlit- mais se pensait humaine, croyait aux choses du bonheur, aux bassesses que sont les paroles des garçons, abandonnait vertus et vêtements dans des draps -mes draps- jusqu'à force de cris, user tout entièrement sa matière, à force de larmes effacer la perfection de son visage . J'ai connu sa peau et  mon cou a gardé la brûlure de ses lèvres. Elle était puissance et toute sa puissance était corrompue par ses tentatives d'esprit. Son humanité l'avait avilie. Quoi qu'elle fût elle a fini de l'être. Elle manquait de vices, du vrai vice, pas de celui qu’elle croyait, et qui lui interdisait le sommeil alors qu’elle trompait son imbécile d’alors. Elle manquait du vice qui fait peser de tout un crime sur la bouche pour la grillager, pour déchirerOui. Je pars d’ici, pour rencontrer le crime, pour rencontrer la géographie des dissimulés. Aux assises, dans la religiosité républicaine, sur le parquet résonnant d’éloquence pleine d’actions réglées.
Le crime dessine des muscles et sublime ; le remords défigure. Combien j'en ai vu d'amoureux, les jambes nouées à la place de l'accusé ? Combien sur ce trône, sis dans la majesté qu'exhalaient les regards réprobateurs des curieux, qui abdiquaient dans l'aveu ? J'ai vu alors le laurier lourd s’élever en des vapeurs méphitiques, sa beauté dévorée par le suc de l'abandon, et l'hermine leur glisser des épaules, j'ai vu leurs traits se creuser, j'ai vu que le regret était la première ride dans la beauté et la beauté -qui n'est beauté que parfaite, inaltérée- était fatalement touchée. Ces visages dont les profils s’échappaient des Odyssées lointaines, avaient soudain l’âge de la légende. Les deux mille ans de poussières, la beauté dans le remords était rogné de l’acide coupable, les lèvres arrogantes décomposées, les cheveux malades chutaient en mèches enitères. La beauté est chose prédatrice qui ne consent aucun sacrifice d’elle-même, ne se retranche pas. La grâce du crime, est trop lourde quand elle bouscule –et féconde alors- la morale. La cruauté se délite, et s’use, ce poignard passé sur le fil des dents animales, des plantes carnivores s’effilent jusque la rupture. Et cèdent. Le craquement bref, le court séïsme secouant les Assises, est celui-ci. La cruauté brisée. Ce poignard en trois morceaux qui renonce à l’immortalité.  


(intégrer mon truc sur mes yeux de bile ici qui recouvrent le monde)


Les avocats de la défense, quand le criminel avoue, ont un geste d'humeur qui n'est pas celui- vulgaire- d'avoir perdu une affaire, d'avoir taché une réputation ou envoyé en enfer un innocent mais celui du déçu amoureux, d'avoir chéri une grâce qui était faiblesse, faille que le juge, frappant de son marteau, fend en deux corps  : ici l’homme  ; là bas le crime. Les avocats ne défendent pas des clients mais des amants. J’ai abandonné le droit à cause de la lâcheté qui pend dans le corps de chaque criminel, de ces vertus qui apparaissent sur la peau sublime comme des mélanomes grincheux. Parce que j’ai fait du droit. Jusqu’à l’agonie. J’ai fait du droit jusqu’aux escarres, les peaux mortes noirâtres que l'on retrouve dans ses cauchemars, j’ai fait du droit et vu, vu les yeux éteints de mes condisciples, les bouches glacées des professeurs. J’ai fait du droit et pour continuer de brûler j’ai rencontré M. Qui avait mis le feu à sa conjointe. Ses doigts de cendres amoureuses carressent.


Je vais aller voir des criminels. D'autres. des rangées, légions, bougres et bougresses, raides de principes et de désir puis voûtés de gloire. Ceux qui ont une mémoire de papier journal ou, pour les plus beaux, de photographies en noir-et-blanc du jour où la nuit, lasse, a abandonné leurs corps à la justice. et ceux dont on a trouvé aucun corps, que la justice a poussé d'une main plus faible en prison -et qui savent la séduire, de leurs muscles toujours là, qui lui remontent le bras, en baisent la main, et bientôt recommenceront.


Je veux visiter des prisons, m'égarer dans ce « corps social » où chaque être est déjà une cellule, je veux voir ce bâtiment gris qui fait un automne à la ville où il a poussé, et toutes les caresses que s'adressent les prisonniers, ces caresses où personne ne fait la femme, mais où l'un des amants fait le mort. Comme les prostituées que j'aime tant de leurs silences qui se disloquent en autant de larmes, ces larmes qui ne percent pas, qui ont durci sur la peau, pour en faire une autre peau, douce mais rugueuse, à laquelle s'accrochent les mille envies du monde.

Je suis en prison, dans mes nuits, et je sens la brutalité vile d'un homme trop grand, trop imposant, et je me sens pousse qu'abîme le fruit qui chute de l'arbre, le gland que le temps décalotte et qu'écrase le pas sauvage. J'ai peur de sentir l'envie du bourreau qui traverserait la nuit, qui fracasserait le phantasme pour entrer dans la réalité. Peur, de sentir le sexe qui se dresse, peur que tout ça devienne une histoire, où le sperme lactescent qui jaillirait me crèverait le poumon et m'asphyxierait le cœur.


Je n'aime pas les hommes ; je désire des criminels, je désire ceux qui sont jetés là par la vie, ceux qui subissent les événements ou même parfois les nés criminels, guidés là par la seule pulsion primitive. Ces siamois du crime, hydre de l'infraction. Ce crime qu'ils ont attendu de commettre, la gestation du traitre, le plasma de forfaiture, ce qu'ils réalisaient déjà dans l'imagination, qu'ils ont commis cent fois d'un plaisir décroissant par-delà le rêve. Combien d'images et de corps virtuels ont péri dans leurs bras avant que ne s'abattent le premier corps, avant que ne s'écrase la première victime. Ils ont perfectionné leur art –parce que c'est d'art qu'il s'agit- sur des images, avant d'atteindre les hommes. Tous ceux là se sont mélangés au délire jusqu’à ne plus pouvoir s’en distinguer, en former l’une des parts.


J'essaie de leur ressembler parce que je voudrais être beau, j'essaie de me distinguer, de me farder les yeux de petits brouillons de crimes que sont les ruptures brutales, les adieux cruels, que sont les départs en sursaut des corps amoureux. Souhaiter avoir le poing qui serre un crime qu'on ne montre pas.


Je n'ouvre plus les doigts, je ne montre plus ma paume, parce que s'y tient un crime, que j'étouffe, et s'il se libérait, s'il venait à percer, à montrer son dos, ses épines au jour ferait tourner trop de têtes, évanouirait trop de corps. Je le chéris, jusqu'à ce qu'il dévore/crève ma main, que le crime m'honore de sa première souillure. Mes amantes d’ici et plus encore mes amours jusque Margot –pour Margot nous avons le temps, Margot c’est plus tard, ce sont les roues du départ, les grands souffles des locomotives et leurs trainées de charbons et de sueur, Margot embrassait la route-


C'est ce qu'il faut dire au procureur qui énumère les victimes comme un mauvais comédien, c'est qu'il en manquera toujours un, que la police lui a remis un mauvais manifeste, que le décompte est erroné, il me manque « moi ». C'est secouer la tête en entendant le silence qui suit la prononciation du dernier péri, silence pesant et imbécile, rempli de volontés et de paroles, silence bavard, qui nous répète précisément, d’une voix affligée « Vous entendez bien ce silence, voilà ce à quoi le criminel condamne ses victimes, vous entendez bien, vous remarquez comme il pèse, le silence total après que ce juge illégitime se plut à disposer d’une vie. Vous remarquez combien l’heure est grave, comme le temps est inquiet. Vous remarquez bien, n’est ce pas ? ». Reprendre avec tendresse ce pauvre acteur de boulevard. Lui dire « ce n'est pas grave ».


Et les criminels s'ils avaient encore une voix, une parole, diraient "ce n’est pas grave" et ajouteraient « Je suis le premier sang, la première blessure, la première plaie de ce crime qui gémissait en moi. Il me faut le nourrir ce crime, celui dont on est enceint, qui jaillit de nous, plein de barbarie. Devrait-on laisser mourir de faim son enfant au prétexte du reste de l’humaité ? Comment dites vous avec vos phrases pleines de manières drôles « nécessité fait loi  », je dirais «  nécessité fait crime »


Il faut déserter. Toujours déserter. Abandonner les ambitions, les orgueils, les armées, la vie. Après.


Ces nuits s'épuisent ; et je m'endors la paume serrée sur un secret, le ventre tremblant contre le corps d'un prisonnier.

 


Aujourd'hui il me faut visiter un ami, savoir combien il me doit, recouvrer toutes mes créances pour partir, pour visiter la Hongrie et avoir faim et apprendre cette langue qu'un peuple fit sienne en entendant le diable tomber du ciel. J'accumule des centimes, des petits océans de monnaie qui se cherchent des affluents impurs.


Je voudrais dire "j'ai faim" pour être heureux, pour dire, par transparence, "je suis libre". Les ventres repus, plein de graisse épanouie, sont des fabriques de serfs.


Je pars. J'ai mes vingt ans, quelqu'un là bas en voudra, ou bien au moins de mon accent français, ou bien au moins de mon élégance, ou bien au moins, parce que j'ai un cul et une bouche, je n'aurai pas faim. Je crois que je pars. Je crois qu’il le faut. Il y a des nécessités qui ont des forces de courant invariable


Je vais voir les amantes, avant, je vais m'habituer aux voyages, à l'Histoire que je connais de ces endroits, de ce pays qui se tenait -jusqu'à mon départ- derrière cette porte, rue Gallienni, Kristina est hongroise, et je vais savoir le bruit lourd des Csikos -qui sont déjà une poésie- dans ses mains qui m'attraperont le ventre, dans ses soupirs, dans nos corps mutualisés, dans ses cris. Dans quelle langue elle jouira ? J'en apprendrai les mots, les sons, pour quand ce sera mon tour, là-bas, de jouir. Kristina s'endort ; sa conscience est plus lâche. On dirait une morte. Une petite fille que le sommeil éteint, un néon essoufflé. Je lui murmure mes haines, tout ce qui disparaitra de cette chambre. J'attends une réaction, d'être sûr qu'elle est déjàplus loin que la réalité, quand je m'en assure, je me lève. Je fouille ses poches. Il y a des restes de panique dans mes gestes, et c'est pourquoi je me suis allongé sur son flanc, pourquoi j'ai souillé de vomissures son corps d'aube, pour apaiser mon corps, pour épuiser dans sa bouche tous les bruits qui me révéleraient. Les crimes se commettent sans lumière parce que le noir va mieuxau criminel : mon khôl. Je compte l'argent, fragmentés en pays -c'est un premier voyage- pounds, dollars, yen, yuan, dinar, pesos -et des taches de sang- les bijoux, je vole les diamants et tout ce qui brille-ce qui m'épargne ses yeux. J'ai les poches pleines d'elle ; ses reins plein de moi. « Ô Balances Sentimentales ». Premier pas dans le crime, au nom doux à l'oreille : « délit ». Je fouille, je cherche, je racle, pour des trésors ici, une richesse, quelque chose qui luira, fera un plastron quand la faim tentera de me fendre l'estomac, quelque chose qui me rendrait immortel et vivant si je n'ai nulle part où dormir, si les bancs se dérobent, et que la prison me refuse sa chanson Je cherche une noblesse, une distinction. Un solitaire, là, pour manger, une chevalière frappée de grandeur pour servir de veilleuse. Oui. J'ai le corps mou de l'or chauffé pour que s'y impriment tous les blasons du monde...

[transition + pb de structure, incohérence corrigeable. Identifier mouvement du départ, les raisons, accumulation, rupture. Entre nécessités et dégoûts idée centrale = je mis longtemps à comprendre pourquo ije boitais :  elle m’offrait une jambe solide quand Tania ne m’offrait qu’un moignon. L’une était le besoin ; l’autre le dégoût = volontaire et subi, ce qui est volontaire est moins précipiét, a le temps de se penser..]


Je suis obsédé par l'idée d'exister. D'apparaître au monde et m'assurer de n'être pas impropre à la réalité. C'est pourquoi il faut fréquenter dans les endroits de la foule qui pense faire du bruit et ébranler le monde quand elle y bruisse. Je couche avec C, que j'ai rencontré chez G., et le craquement qu'elle produit sur mon corps me fait penser à celui des feuilles mortes que je foule. Elle est l'automne sur lequel a marché l'hiver. C, A, V, F, D, sans poésie, ni musique. Prénoms d’automates
Ça me facilite le silence, l'absence d'aveux, de commettre un crime dans une langue que je ne parle pas. J'ai la bouche cousue de l'assassin ; ouverte de l'affamé. J'ai trouvé cette noblesse chez Pauline à la bouche si close qu'elle ne s. pas.


Anthony, que j'ai appris dans le bruissement des foules, est le seul que je peux évoquer sans l'odeur de dégoût qui émane de moi ; sans l'odeur de désespoir qui émane d'elles. Il est une image de la sainteté en tout ce qu'elle a de naïve, de grand, de tendre. En tout ce qu'elle a d'immaculée, comme si toutes la sournoiserie du monde ne pouvait l'atteindre qu'il errait là, dans le monde, avec un corps qu'il savait se faire confronter à d'autres corps amoureux, mais sans que jamais, ce corps ne devienne une trivialité qui justifie la déliquescence. Il n'était pas de chair, mais de grâce. Je ne l'ai jamais vu se recoiffer, et alors qu'il portait la main au sommet de son crâne je le voyais replacer une auréole. La malice du monde lui glisse sur l'âme comme les mains de l'homme sur le corps de la sainte. Il était de cette puissance qui se rend éther pour les autres, que leurs vices ne peuvent pas pénétrer. L'argent, surpris, dansait devant lui, montrait les cuisses, les jambes, les beaux yeux gris, dorés, son corps à froisser et toutes les promesses de soumission, et Anthony riait, il passait sans voir l'argent dans sa longue parure de papier. Poison inerte ; ombre à peine.


Bientôt j'ouvrirai la main, dans un autre pays, dans un autre Etat, dans des villes basses comme les eaux d'égout qui les gorgent, je desserrerai le poing et les doigts feront tous une tige en floraison, les pétales éclos du crime. Dix doigts surmontés de l'éclat brillant du courage ! Dix doigts qui se découvriront des bagues desquelles qui auront chacune dissimulée dans leurs éclats de pierre. Bientôt je commencerai ce voyage, je détournerai les kilomètres, j'escroquerai la distance, je la ferai pâlir.


Les gens se trompent. On ne cherche pas de raisons de vivre, mais des prétextes à mourir. Toute ma vie j’avais mis ma mort en scène, j’en avais orchestré les chœurs, les chants, préparés les discours, et aménagé la tristesse. J’étais encore vivant et l’on me pleurait, on déclamait des oraisons, je crois même avoir aperçu au milieu du cortège un de ces procureurs odieux mués en prêtre « il n’y a que la robe qui change ». J’ai entendu bien des fois le bruissement des critiques s’échanger en remuant mes cendres ; devisant de ma vie « Quelle mauvaise pièce mais quel acteur ! »

A Paris j’étais une algue de lumière déshabillé d’eau. La mer avait reflué et je craquais dans le vent. La seule trace de mon existence était l’agonie de cette algue : crissement du pas mêlé au sable. 


Mon départ vers la Hongrie a été commandé par ce prétexte de mourir, par ces bottes luisantes attachées à mon pied bot, à mon pied fier, je rangeais dans ses chaussures tous mes trésors. Tania, puis Elle. Cette envie de voyager, de découvrir des pays délimitées par des langues, aux géographies neuves et aux yeux irisés, fut précipité par l’organisation d’un mensonge. Le désespoir ce n’est jamais que de l’espoir dégénéré. La foi est le préalable essentiel à la chute.

Sans elle, je crois, que je serai resté ici, à vivre une vie morne, à me coucher tous les soirs sous un toit que j’aurais appelé ciel - ciel sans étoiles, nécessairement, plat, uniforme, vidé de surprises, sevré de Dieu depuis si longtemps- dans les bras froids de son austérité. Ma vie n’aurait jamais débuté et le rythme monotone du déclin m’aurait figé : l’habitude porte sur son front trois yeux aux pouvoirs de gorgones. Si je n’avais pas sacrifié des orgueils pour ses deux grandes mains calleuses, les deux doigts glacés de l’existence aurait pincé la flamme qui se tient au sommet de moi. Je serai devenu un cierge, c’est à dire ne brûlant que les soirs de fête ou de deuil. Mon désespoir sans être dompté aurait été rendu chose commune, naturelle, ma mélancolie une captive droguée aux médicaments, maudite chaque jour par ma fureur. Pis, peut-être n’aurai-je plus eu le temps de souffrir, tout parcouru d’informations, de volontés, de décisions, aurai-je été obsédé par des virtualités inconséquentes : riche. J’aurais feint longtemps encore de l’aimer, nous aurions eu une vie sexuelle sans excitation, sans déception, toute mesurée et indifférente.

Je lui mentais, je lui mentais non pour la jouer mais par nécessité de succomber à une douleur théâtrale. Je tenais un rapport détaillé de ses maladresses, de ses faillites, de mes dégoûts. Je les comptais, un par un, j’en faisais des mèches et des bouquets. Elle n’était que d’ici. Grise. Je crois que la seule couleur qui lui correspondait était celle-ci grise. Terne. Elle avait un visage éteint par la vie, trop idiote pour se rendre compte de ses douleurs. Son corps n’avait pas pris en moi, il me passait au travers : j’étais le vide. Nous baisions sans surprise et je lui racontais des émois traqués dans la mémoire pour vite lui manifester une reconnaissance dont Wendy était la seule digne. C’est pour elle et ses dix-sept ans que je feins d’avoir les entrailles molestées. Ma nymphette, j’aurais pu l’appeler Lo’ ou Francesca, je préférais la dire « Liberté ». Fille drôlesse, je regardais avec bienveillance ses caresses, son désir, tout ce qu’elle avait de méprisable, toute cette tombe que frénétiquement ses ongles creusaient pour moi. Elle ne m’enterrait pas, bien sûr, elle me taillait dans la nue une route qu’elle tapissait de mensonges, et de bêtises. Je l’aime pour toujours, parce qu’elle a agi comme un jouet remonté, arrêté une semaine trop tôt.


Margot était une source, un puits aux cent mille ans de douleur accumulée, eaux stagnantes, qu’elle ne sentait pas sourdre en elle. Ses sens inertes lui interdisaient d’entendre les colères de sa douleur. Elle s’y était faite, ne se révoltait contre rien que l’évidence. Sa rébellion portait l’uniforme. Dans mon Atlas je l’avais ainsi décrite « elle avait les yeux sombres qui ne pouvaient m’offrir que des molles passions ».

Dans ses bras j’ai imité la mort et je me suis aperçu du grotesque de la vie d’acteur. De cette incapacité permanente à vivre qui me contraignait à mettre en scène une mort permanente pour ne recueillir qu’un éloge critique et posthume.

Je sais déjà l’oraison : « la pièce était médiocre de calcul, mais quel acteur ! »


Ce mot me pesait trop lourd dans le cœur. Je lui ai tant formulé que mon corps le produisit en masse et le stockait comme une graisse médiatrice, infiltrée dans les organes, étouffant le coeur. Ce mot, délicieux au prononcé, doit franchir les lèvres où moment de sa création mystique, il ne se conserve pas et se découvre très vite des appétits de chair humaine et de douleur. Enfant-loup. La substance, délicieuse quand elle s’épanche, assassine lorsqu’on la retient. Elle a des fureurs de condamné à mort et tente de s’évader de mon corps comme d’une prison, elle y enfonce des tunnels, invente des évasions. Rebondit contre les os, les brise.

J’ai failli me laisser mourir sur scène. C’était le 19 octobre 2011. Je suis sorti, en silence, ce silence que j’ai appris en voyant les réfugiés poser l’index sur leurs douleurs, et j’ai marché jusqu’aux voies de chemin de fer qui frôlent ma ville. J’y suis allé découvert pour que l’automne et le froid m’habituent aux saisons changeantes de la mort, que j’en sache toute la fraicheur aigue. J’ai attendu, les bras étendus, le baiser glacé du métal. J’attendais d’hurler « La modernité m’a brisé le corps », mais rien n’est venu. Un mouvement social avait paralysé le fret. La grève m’aura sauvé la vie.

Margot ne disait rien et pourtant, pourtant je la trouvais bavarde. C’est sa voix voilée, retenue par des mains mortes, auxquelles elle ne pouvait pas échapper malgré les courses, les rages, et les envies. Son visage –comme sa voix- ne se dessinait que dans le drap pareil à des fantômes enfantins. Elle se demandait, sûrement, pourquoi la honte et l’angoisse s’étaient mélangés en un corps –le sien, elle se taisait et derrière sa voix d’aube grise on devinait le corps nu d’orgie veillant le corps lâche de paresse. Elle ne disait rien, et je ne la laissais pas dire. Je glissais des mots dans sa bouche, avant qu’elle ne se rappelle que derrière le voile il pouvait y avoir des illusions de pensées. Je ne voulais pas l’entendre, ce me rappelait qu’elle était sotte [question de la rédemption, si sotte, inerte, c'est-à-dire trop simple, ma croix a des clous de papier]



Que Margot ait précipité mon départ est une vérité imparfaite, le dégoût qu’elle m’inspirait –cette odeur de chair brûlée qui émanait d’elle- allumât un brasier sous moi. Elle mit le feu à l’essence. Mon départ est morcelé en personnages et en faits. J’ai eu à travailler, à me plonger dans le coma traitre de l’emploi, qui vous assomme par les sens, l’engourdissement est répandu à l’âme.

Il m’est arrivé de cesser d’écrire de longues semaines à cause du conflit qui oppose l’exaltation du poète à la mesure de la vie salariée. De rester des heures à comptabiliser les silences et les mots atrophiés de ne pouvoir jaillir. Je les avais habitués à la liberté, ils circulaient de mes rêves au réel, et du réel au rêve, pouvaient me déranger à toute heure du jour, de la nuit, j’avais des effets à leur consacrer, à les parer de beaux vêtements et de charmantes attentions. Les mots avaient l’importance d’une espèce de fleurs rares pour le botaniste qui regarde la variété inconnue et fragile avec autant de passions que d’inquiétudes muettes développer ses pétales aux couleurs éclatantes, roulant depuis les pensées fixes jusque dans le réel. Ma proximité avec eux me les rendait aussi proche que la mélancolie, et lorsque Tiphaine (je l’appelais Typhus) s’étonnait que j’écrive dans le noir le plus complet, je lui répondais « Je sais où sont les mots, je les entends qui me réclament».



La bile unit mes mots, cimente mes idées, pour en former des phrases. Elle est ma grammaire. 


Je suis parti en riant de cette chambre d’hôtel en disposant les objets de telle façon à ce qu’elle en prenne une photographie avec son appareil abîmé par tous les réglages, c’est un œil que l’on dévisse, que l’on truque, c’est un œil que l’on manipule et que l’on drogue de lumière, de profondeurs. Il voudrait voir, mais il n’a pas le droit de voir, il n’a pas le droit de voir, il doit être un instrument, un objet soumis. c'e

Je suis sorti en me tordant le ventre de rire devant les lacets de lumière. Je suis sorti en me tordant de rire devant le jour qui envahirait menaçant la chambre et le grand froid que mon rire laisserait. Souffle, soufle. Je suis sorti et j’ai laissé la peur à ma place, dans un grand corps d’air, j’ai laissé la peur pour qu’elle la découvre au réveil, je me suis vengé de tout son mépris futur, de toute son arrogance virtuose. Je me suis vengé d’avoir vingt ans.

Puis j’ai pleuré. J’ai pleuré au milieu de mes rires. Affirmer que je pleurais de rire serait un lieu commun de langage injuste et cruel. Je pleurais et je riais. Je riais de la voir tordue de craintes, cramponnée à ses désespoirs, et je pleurais des mêmes raisons. Je pleurais de son désamour constant, je pleurais de ses mains rassurantes. Je pleurais d’être moi. Empoisonné. Elle dans des draps de couleurs d’une télévision expressive. J’imaginais : si elle se réveille, seule, devant des dessins-animés sera-t-elle réconciliée avec elle-même ?

[partir parce que j’ai fait du mal, rédemption d’où Margot, Margot m’a purifié de moi-même, réorganiser le dessus chronologie Wendy est la matrice de Margot. Son revers, la mortification nécessaire pour guérir du mal de Wendy. Margot est la plaie qui se découvre sous le mensonge, la croute mal cicatrisée.]

 

III

 

L’Université, fut enfin l’ultime détail 

 

 

 

 

En décembre 2009, j’ai connu le froid, l’habitude et l’ennui.

 

J’ai quelques euros en poche dans un pays qui ne les admet qu’avec méfiance, c’est faire passer sur leurs terres hérissées de « magyaritude » un peu de cette Europe cosmopolite, aux saveurs diluées. Ils me regardent, quand ils apprennent que je ne suis pas riche comme ils auraient regardé avec des yeux d’Histoire un Turc qui vient étendre les jambes sur leur histoire, mais j’y reviendrai plus tard. Aujourd’hui je n’ai rien dans mes poches que 300€ pour espérer durer quelques semaines et résister à l’hiver qui, chassé de Paris, s’est précipité ici. La Hongrie est le refuge deu froid. Tant il pénètre, tant il agresse c’est une armée de résistance qui rebâtit ses rangs, recrute dans le gel et plonge dans le dédale des degrés celcius, ce puits profond et toujours plein. Le vertige de plonger dans des chiffres de froid insensé.

Il fait froid, froid, et je bavarde avec moi-même, mon éloquence est fendue, gercée plus de cris, ma bouche tremble et vibre, ne fait plus que ça trembler et vibre tellement il fait froid et tellement cette langue je ne peux pas la comprendre, tellement j’ai faim. Les voix qui sont là, qui bourdonnent autour de moi comme une migraine, qui transportent le langage et font avec la bouche les mêmes sons que les carioles sur le pavé. Putain de siècle dépassé, d’époque révolue, putain d’anachronismes, cette langue coupe, déchire, 

Qu’est ce que tu dis toi ? Tu chantes ? Tu parles ? Je ne sais pas, je ne sais pas ces rues, je ne sais pas ces visages, je ne sais pas lire à travers un corps entouré de tant de bandages et de traditions, de tant de méfiance qu’on croirait le cœur sous une arche de métal hérissé de défenses, creusé de fossé, de douves de mystères, comme une langue qui se fait dans son oralité avec les pleins et les déliés de l’écrit.

 Vous m’étouffez salauds, et vos bars me refusent et me servent des offenses. Je bois les tremblements qui me coulent du corps, qui dégoulinent, c'est du crachin. Je déglutis des libelles servis au pichet. Ici les étoiles ne brillent pas, on croirait des baves suspendues au ciel, des boules de gommes, grises comme des tempes d'usine qui pendent et se balancent. C’est ça la liberté ? Chez moi je l’appelais mépris. Il n'y a plus de Nord. et vos femmes me feront payer pour que je cherche sur leurs reins un peu de la chaleur humaine. Lorsque je rôderai avec ma faim pleine de gestes dépensiers on m’observera, gémir quoi de poésie, quoi de chemin inversé. Je dis le siècle à la tête en bas, je le remonte, je suis le négatif de tous les poètes qui s’exilèrent de l’Est glacé, pauvre pour danser dans les années folles dans les bras de leurs rimes, qui se mariaient à des belles sonorités d’ici, tous ceux-là procession roumaine, hongroise, les Tzara, les Luca, les Jozsef je les remonte, je les trace, je m’inverse leurs routes, et je les croise en songes, en intentions, en pensées toute ma longue faim, je les vois qui tentent eux d’y échapper et entrent chez moi. Ils frappent aux portes, ils font sortir des mères, croisent des hommes, ils durent, meurent, rentrent. Mais je les vois, l’espace a gardé la déformation de leurs pas empressés. J’ai la faim d’Attila Joszef au bout des nerfs, comme un jouet. 

Je vois une fille qui me jette des reflets inquiets, elle me parle, je crois. Je crois que je suis en uniforme pour eux, j'apporte l'Europe, pas l'Europe civilisatrice, les mains pleines de colonies  ; mais l'Europe dépouillée d'elle même, sans os, sans squelette, rien qu'un assemblage hétéroclites et sans valeurs de bavardages et de compromissions. Je ne peux la voir, pas aujourd’hui, je traîne deux valises qui à chaque pas me nécessitent un effort de concentration extrême, je suis un funambule des trottoirs défoncés et mon départ hésite toujours. Je suis arrivé à destination et mon départ continue d’hésiter. Chacun de mes mouvements semble avoir mariné dans du chloroforme, les nuages bas d’ici sont imprégnés de tous les liquides de la torpeur. Pluie immobile. Je crois que les empoisonneuses ont conquis dans le ciel bas de ce pays tous les secrets de l’engourdissement moral des princes. Pouah. Ce que j’ai de cris, pouah, ce que j’ai d’ivresses décomposées, et de recherches d’alcool. Je ne peux pas lui parler à elle là-bas, qui vient de se remaquiller, je le vois à ce que les cigarettes qu’elle jette ont le filtre rose, je le vois à ce que sa poche vacille de la lumière particulière des minuscules miroirs qui reçoivent

(Transition à rédiger ? récupérer ?)

Elle s’appelle Mirjam, Mirjam d’ici, Mirjam là bas. Elle s’appelle Mirjam et me renvoie à Paris, avec le français qu’elle apprit dans un demi-exil : L’Université. Elle connait la littérature française, les grands auteurs mis en perspective de ses grands auteurs. J’use tant de mots pour elle, des mots qui s’étiraient sur le trajet au point de se déchirer. Elle connait Paris, elle connait Rimbaud, l’a vu en rêve et me demande si ses grands yeux d’eau noient toujours les cœurs des enfants de Paris. Je lui dis oui qu'on dirait des pavés, je lui dis c’est le sang de Gavroche qui lui fusait des yeux, c’est le sang de l’Histoire qui lui durcit la jambe pour en faire un « ange boiteux ». « Rimbaud a rencontré Tania aussi ». Elle ne comprend pas, évidemment. Nous sommes tous amoureux de Rimbaud, et qu’importe qu’Aragon avarie le bateau ivre parce qu’elle, parce que moi, nous vivons des transports dans la houle de ces fleuves qui gonflent de mots et de bouillons. Nous vivons sur ce navire fendu par les âges, à travers les couleurs et les crépuscules qui baignent la Hongrie d’eaux mauves et navrantes. Bien sûr, que Mirjam me rend vivant, elle aurait pu être reine, et elle choisit ici d’être putain, parce que c’est tout ce qui reste de noble des coutumes de jadis, c’est l’accomplissement suprême de la déchéance de tapiner, un trône dans la misère, un triomphe dans le désespoir ! Elle tapine dans le noir, elle tapine dans le soir, parce que la nuit, dit-elle, « comme ton ombre » l’abrite à la manière d’un porche. C’est dangereux parfois, ça mutile un cri, ça lui pose une main velue de soir, la nuit, quand elle tombe sur des furieux obstinés. Mais c’est toujours mieux qu’un doigt tendu de réprobation un coup de poing, puis la nuit dissimule les bleus, les pleurs, ça voile le visage d'une innocence, ou d'une idée. La nuit ne révèle rien, ses suaires, son sépulcre sont des toiles à peindre de fantasmes, à mettre la couleur que l'on veut aux yeux, d'allonger les cils, de raboter le nez. Elle aime la nuit, dit-elle, parce qu'elle est douloureuse comme la poésie, inquiétante comme une rime hésitante, tremblotante au bout d'un vers. Elle me dit ça, elle aime la nuit, elle se sent comme l'ultime syllabe d'un poème, dans la nuit, au bord du vide.

Je lui ai dit que j’écrivais dans le noir « parce que je sais où sont les mots je n’ai pas besoin de les braconner à l’audace d’une bougie, d’une lampe de poche, de quelques flammèches insoucieuses de leurs fragilités, de toutes ces lueurs qui viennent les brûler comme du papier photo » elle répond en rigolant qu’elle baise dans le noir, parce qu’elle sait où est le vice. Le reste c’est bien inutile, de se voir c’est de la déception, on est toujours déçu de ce que la lumière révèle, de ce qu’elle pille à l’imagination, de ce visage que l’on peut réinventer sous ses doigts, qui se dessine selon des idées, sans nées, qui se renfoncent les joues, apparait comme un fantasme, une joie. Le jour broie tout, uniformise, la lumière rencontre des géométries, du scientifique, tout ce qui est obstiné, incontestable en un mot réel. Elle me dit que, parfois, elle se permet de brûler une chandelle pour les poètes « moi je ne sais pas où sont les mots J’ai besoin de les voir s'incruster le visage, s'inscrire sur la bougie, se poser sur les pommettes, s'instruire de silence.».

 

Elle a brûlé une chandelle.

 

Mes yeux ne battent plus. Ils se sont habitués à la paupière violette de l’insomnie, le monde je le vois à travers un prisme de sang mauve, deux cerceaux de flammes sans fauve. Je vois le monde à travers un cirque chargé de nuits, de rires et de tours. Je vois le monde comme un clown magicien qui tourne vite le sable de la vie pour en faire des diamants sales mais précieux à fiancer à des solitudes. Je le raconte à Mirjam qui s’esclaffe. Elle aime le mot « cirque » elle me dit que ça lui fait penser à des billes qui roulent en désordre multicolore sur la route les forains, que c’est très drôle de voir leurs longues processions de guirlandes ambulantes traverser les villes et partout colorer de blanc la nature. Ce sont tous des clowns, dit-elle, ils sont tous maquillés pour cacher l’horreur de la vie. En coulisses ils se frottent avec des gants d’escrocs pour faire sauter de leurs visages tous les désespoirs qui font partie des hommes. Il faut plaire, et donc paraître, sous la peau fétide, sur la structure creusée de mitraille.

« Je fais le même métier qu’eux, en plus libre, en plus violent ».

Je ne veux pas savoir ce qui l’a faite se mettre nue pour des hommes. Ce n’était pas le désir pas plus que le vice, l’orgueil, peut-être la faim, la faim qui asservit tout, qui brise les hommes  mieux que le temps. Peut-être l’époque, même. Encore insatisfaite de n’avoir pu devenir quelqu’un elle s’est résolue à être quelque chose, une reine des objets, un astre immobile au milieu des boules de plastique et des crachats cérémonieux, une fixité dans l’Univers des grouillants, des agités, des corps tendus, de toutes ces choses qui rendent vieux et bêtes. Elle était prostituée comme aristocrate, régnait sur un tertre de puanteur, décrétait ici, réglementait là, la loi dans toute sa forme, la loi pénale, de condamnation vertueuse, le juge au tribunal de vent. Qui assomme, où le pupitre est le corps ennemi, l’incarcération la bouche demie-ouverte

Je lui admets que je ne suis venu ici que pour deux choses et avant que je ne les énonce, tout son être se fait murmure « Les femmes et l'argent ».

Je n'ai pas pu lui répondre tout de suite « Attila Joszef et le hongrois ». Je n’étais venu ici jamais que pour la poésie, la poésie aux méandres de vers et de détresse, la poésie et ses chiens d’enfer aux têtes multiples couronnées de cheveux rois, aux mâchoires de piège. Je ne suis venu ici que pour chanter d’un lange de râles et d’agonisants, pour appréhender la liberté par le cœur, pour la savoir dans un cri souverain de fête qui, ému, dirait aux chaines de faner et aux fleurs de se répandre, de se répandre incrustés de mots, d’espoirs et de volonté, de s’exhaler de la terre morte, de s’exiler de ce bagne salaud qui rassemblait ma jeunesse, élevait de sa ruine maussade la soumission, la servilité et l’emploi.

Ce n’est pas gratuit la liberté, ce n’est pas gratuit, je le devine dans ses côtes rafistolées par le temps, la liberté est la même marâtre que la littérature, affamée d’échanges, parcourue de violence. Elle me montre les hommes libres d’ici «  Tiens. Regarde comme ils sont beaux tes hommes libres  ». Ses mains découvrent un cimetière, «  vois les gisants, les immobiles, vois ces corps figés, sous la terre, sens, respire, tu dois bien saisir le murmure de leurs plaintes, tu dois bien sentir l’étouffement du dernier cri, la nuque rompue d’indignation. Le pouvoir cette corde intense, systématique, où dansent les faillis  ». 

J’ai laissé à Paris le confort, l'argent, l'espoir aussi sûrement pour respirer ici de la liberté grise et glacée. La liberté sent la pisse, le tabac froid et, apparemment, se conserve l’hiver à moins dix degrés. La liberté a une voix, évidemment, comme toutes les idées son corps charnel et vengeur gargouille de la voix de la faim. Sa gueule est un ventre creux aux spasmes d’indigents.

Mirjam me présentera sa ville. Demain. Demain. Elle me donne déjà des indices de Buda et de Pest, les sème en petites pierres de celles qui ont fait les grands édifices, qui ont constitué par parcelles les statues que le vent a taillé. Vent d'Europe, me dit elle, « c'est la seule chose d'Europe que l'on tolère ici ». Il faudra que tu apprennes le Hongrois me disent ses mains avant de retrousser ses bas -ce sont les manches de la putain. Oui, il faut apprendre ce que les hommes ont pris pour une langue tandis que le diable poussait des hurlements de terreur. Il faudra savoir tous ces mots faits de couleurs, transparents comme du verre, coupants comme un appétit/. Il faudra mémoriser les réflexes de langage. Je sais déjà l'essentiel Szeretlek et búcsú :je les porte sur chacune de mes mains, en langage de morse, je montre l’une ou l’autre ; parfois les deux. « Je t’aime » « Adieu ». Ce sont les deux seuls mots utiles et nécessaires à une langue. Des mots que le corps sait dire, que les yeux ou le coeur vibrant d’hommage peuvent prononcer avec la même rigueur qu’un traité de grammaire. Une langue se consomme par la voix, son filament de vie y prend feu pour jeter sa lumière et dégager de la chaleur. Mais savoir sa bouche se tordre de douleur pour réciter chaque particule d'un adieu aux atomes nerveux, pour démembrer précisément le « je t'aime » et en peser la gravité de chaque syllabe pour offrir à l'amour le mot précis de son émoi, taillé et rempli du liquide amniotique nécessaire à son développement.

Deux jours que je n’ai pas vu Mirjam. Deux jours que je n’ai pas rencontré de voix proprement humaine pour me redissoudre dans le réel, pour appartenir au mouvement du vieillir et de l’âge, de la courbature et de l’effort. Deux jours que je n’ai pas affronté une autre conscience que la mienne, bien sûr je me suis opposé avec ardeur sur des corps, mais qu’est ce qu’un corps, qu’est ce qu’un corps sinon la grève de l’âme, le trou qu’elle taille au tangible, au naturel, pour apparaître, ce bout inerte de matière. Deux jours d’errance. J'ai trouvé d'autres objets pour accaparer mes yeux. Il manque ses mains moites de sexe d'homme et l'odeur caractéristique de dégoût qui s'est attachée à sa peau, toutefois la ville recèle de certaines surprises. Je suis étonné par le nombre de français qui vivent ici. Quoi que vivre ici n'est pas le terme approprié. Les français en Hongrie « dévisagent » et « comptent », ils sont obsédés par les chiffres et les femmes et ne passent de l'un que pour l'autre et, quand ils se rendent aux bordels secrets de la rue Szabo mêlent les deux, décomptent et baisent, et toujours le va-et-vient mesure, calcule, pèse, du même geste avare d’efforts que le gymnaste, à la sueur mesurée, au râle tarifé, le temps, le temps, le temps. Le plaisir optimise le profit, il ressoude l’être, le replace dans l’axe de l’objectif, petit profit, providence moderne. Il y a quelque chose, dans leur démarche d’exigences, d’exigences perpétuelles, répétées. Si la requête était un corps et la politesse la peau leurs voix seraient équarries.

Ce n’est pas gratuit la liberté, ce n’est pas gratuit, je le devine dans ses côtes rafistolées par le temps, la liberté est la même marâtre que la littérature, affamée d’échanges équivalents.

J’ai laissé à Paris le confort.

Bien sûr ces types peuvent payer, mais ils ne pourront pas m’acheter, depuis que je suis gosse j’escroqueBien sûr ils peuvent payer. Mais il ne peuvent pas m’acheter. Notre salaire ce sera leurs

Son rire revêt d’un éclat insolent le pêché dont la faim l’a parée. Elle le porte, ce sont deux ailles immondes, qui jettent une pénombre morcelée sur les gens qui la visitent. Elle fait, quelque part, partie des monuments et des attractions de ce coin gardé par des ombres vigilantes comme des macs, on voit pour que ses cris d’Hongrie, de meutes, lui rougissent les lèvres. Elle appartient à la ville, c’est l’une de ces peintures florentines faites pour l’éclat et la parure de la cité bariolée. Comme à Florence les mendiants et les nobles dorment sur son art à la poitrine ronde de liberté. Comme à Florence, elle appartient à la cité et rend les hommes meilleurs. [recherche sur Florence et les œuvres de Tintoretto qui sont l’un des organes de la ville, idée de gestation, de formation, les œuvres se sont construiets pour la ville mais la ville s’est prolongée dans la ville, l’interdépendance, symbiose, peut-être hors de la ville sa peau décolore, ses cheveux cassent, sa bouche tremble, ses pas de grace pèsent etc. ]

Les français parlent fort.

Ma mythologie est centrée sur moi-même, il n’en a jamais pu êter au moi, si j’ai pensé un regard bienveillant et fébrile sur le cou d’une divine, ce n’était que par un acte réflectif.

Fente, bande, barre, entaille, hachure, ligne, rai, rainure, rayure, ride, sillon, strie, trait, vergeture, zébrure creux, distance, espace, faille, fente, fissure, hiatus, interruption, intervalle, méat, pore,  trou.

Les entailles du soir ont des veines bleues

Rubans ! Rubans ! Rubans !


La peur n’effarouche pas des yeux libres. Poison inerte, insensiblement répandu, il glisse et dérape.

« Où croyais-tu aller ?

Où croyais-tu te rendre au milieu d’un désert de voix, tu espérais que je ne sache pas tendre l’oreille ? Je ne t’ai pas embrassée, Jonathan, je t’ai marquée. Je t’ai marquée de mon odeur. Tu me donnais des nouvelles ici sans le savoir, tu m’en donnais, quand l’écho de tes outrances ricochaient dans le tamis de la mémoire et y perçait. Dans le chas du temps, passait ce fil coutumier qui tissait dans le ciel nos souvcenirs. [description du phénomène de diffraction, de son étude, du déploiement de la lumière idée = à travers un trou d’aiguille les larmes épanouies ont ensorcelé le ciel]. »

Ce n’était pas une voix mais un rugissement, elle tenait dans sa bouche tout l’âge usé et les mots au contact de sa bouche se fissuraient, ébahis de douleur, écartelés par ses deux lèvres hostiles. Sa bouche était un piège à loup et ils jaillissaient, eux, pauvres mots déchaînés, drogués de colère, comme le bourreau à l’humanité deux fois couvertes  : par la capuche et par l’alcool…

J’ai de la fièvre, tellement de fièvre, tellement de fièvre de maladie, de membres incapables, le cœur terrifié, stupide, et les muscles énervés. J’ai tellement de fièvre qu’un poing me sort de la bouche, un poing qui se destine à Mirjam. Tu m’écoutes, Mirjam ? Tu écoutes ? Ma vie, mes vingt ans qui sont de l’ordure, mes vingt ans qui sont de la peste, ma peau qui est de la maladie. Je suis un garçon de cyanure, cendre et venin. Je n'aurais pas pu être autre chose, je suis trop fasciné par le mal absolu, par l'idée que le ventre chaud de l’univers –le centre de la Terre- est un brasier d'innocents que des mains de vices enflamment pour s'amuser des cris. Je suis venu ici pour parler cette langue échappée des forges du diable, dont il eut si peur qu'il la bannit de son royaume, de cette langue exilée qui trouva ton pays et tes poètes. Quand un enfant apprend le hongrois c'est son innocence qui meurt.

[manque]

Mirjam fais attention à toi, je suis trèssúlyos (sérieux), mon amour porte un costume à col raide, droit, fier, fais attention à toi. Tous les matins, il déclare, et se regarde dans le miroir pour recoiffer ses gestes, pour ordonner ses intonations, son salaire ce sont tes larmes, celles là oui, et la suivante, et le torrent festif des autres. Je l’ai prévenue, je la préviens encore. Mirjam, s’il te plaît, c’est un miracle de supporter mon amour et d’en triompher, un trophée que l’on peut ériger comme la tête de Méduse « Il m’a aimé et j’ai survécu ». Ceux qui n’ont pas d’amour habitent dans la nuit, c’est un gant pour le crime. Ce sont des putains. Pardon Mirjam tu es une putain, c’est vrai. Tu as un visage de muette, ce que tu dis a un poids, une valeur, ce ne sont pas des breloques aux petits avantages, tes mots ont des petits pieds de danseuses et des jupons gris. Tes jambes sont deux rivières d’argent. Tes mots je les mesure dans une pipette et je les mélange dans le creuset de ma tête pour fournir à ma bouche des chimies aux dards fatals. Ma bouche mastique le langage pour en faire des actes. J’ai aimé Wendy, elle en est à demie-morte. Ce n’était pas ma faute. Elle avait la mort en elle, elle avait tout ce chaos formidable au creux de la bouche, ça se tenait là, c’était un ulcère ou une fleur, oui une fleur. Mes mains étaient chaudes, chaudes et douces comme un printempsquand elles s’aventuraient dans son marécage : ses yeux. C’est la Hongrie mais Mirjam tu sens la Belgique, tu parles la Belgique, je vois Wendy quand tu me racontes les hommes et le désir, quand tu me racontes la bouche que tu as au ventre et ses volontés infernales. Wendy est morte dans mes bras et si je ne l’ai pas tuée je l’ai regardée mourir en riant.  Elle me suppliait des yeux, son corps disparaissait dans des bancs de sable dérobés sous son corps immobile. Elle me suppliait et je riais, je lui disais « suce » et elle suçait alors qu’elle ne pouvait plus respirer. Elle est morte, tu sais ? Morte, et tous les matins je me lève un peu en avance pour me recueillir sur elle. Je lui raconte comment je vis, comment je porte son souvenir comme une broche au milieu des blessures de mes vingt ans, je lui raconte que la flèche de son amour était douce, douce comme une morsure d’amour. Wendy est morte, mais je ne l’ai pas tuée, elle avait la mort en elle, comme une fleur que ma main attentive et injuste a engendré en jardin. La mort était un arbre et mes attentions, mes haines, ma jeunesse en ont fait une masse de pins. Le cœur de Wendy, le corps de Wendy c’est Cologne : forêt noire. Depuis tous les matins, je pose ma tête contre un mur de pierre, et je lâche cinq larmes du poids d’une vie. J’en ai volé des choses avec orgueil qui me trouaient les poches de leurs poids et de leurs nombres. Je n’ai jamais eu honte, jamais dit « je ne volerai plus » mais j’ai été complice du cambriolage d’une existence et le remords m’enfonce en enfer où il rejoint ma jambe de bois. Il a répandu des sables mouvants sous moi qui me drainent, lentement. Je ne peux pas assumer le poids d’une vie. Je ne pouvais pas supporter la mienne, seulement.

[manque]

J’ai usé en une nuit vingt ans de patiences et de silences. J’ai usé en une nuit vingt ans d’extases retenues. Tania m’avait enseigné la hargne des corps tristes ; Mirjam m’avait appris le corps joyeux. En une nuit de crises j’ai épuisé vingt ans de rages à me tenir en dehors de la vie.

[manque]

Libres comme une insulte, libres comme le feu qui brûle le bois des potences, libre, libre comme le libelle, comme le verbe sur les murs, comme la rage au bout des babines, comme la mort qui danse, et danse sur le catafalque sans jamais s’effondrer. Les pas sont des bougies aux mèches d’éternité, à la cire compacte de pleurs incolores. Nous serons libres. Libres !

[manque]

Mirjam, sa voix marine me roulait jusqu’au cœur pour l’engourdir. Mélodieuses sirènes…

[manque]

Je veux être un suicidé du prestige et de l’honneur, que ma gloire tombe en poussières, incapable de survivre en dehors du corps parasité. Je veux la gloire, colée à mon buste de gravats, et marcher, marcher et la voir me suivre amoureuse, neuve. Je veux la gloire et lui serrer la taille, lui bander les yeux. La gloire me dira « où va-t-on » je dirai « vers des pays libres et froids ». Elle croira les montagnes escarpées de Russie, l’ourlet des collines de neige que suppose l’Oural. J’attends la gloire non pour qu’elle sertisse mon front de ses pendants venimieux ou qu  mes yeux bleuissent d’orgueil beau. J’attends la gloire pour l’entraîner avec moi dans la mort. Arriver devant les portes de la tombe, je lui dirai « passe devant, gloire, il te faut ouvrir le chemin, couper la corde aux frontières ». Naïve comme une femme, ses yeux bandés, elle avancera…Oui, ce pays libre et froid se tient très loin d’ici, de l’autre côté du langage, à la froide extrémité des états. Ma vie je la guide dans le libelle, je l’éduque dans l’offense, je la tords le long du tuteur en bois vénéneux et nerveux qu’elle prenne la forme parfaite des forêts maussades où le poison et la puanteur flottent en un ballet infernal, où les mères assombrissent de leurs bouches de cendres les fronts saints d’enfants sales de religion. La gloire, je l’emmène sur les terres pourrissantes de la décadence, où tombent en morceaux ses mains de plâtres peintes en marbre, où ses seins terrassés par la faim donneront la nausée aux fébriles de l’ambition, qui s’ils voyaient la gloire -que je déformerai- surgir aux carreaux de leurs labeurs, la chasseraient d’un cri inquiet, horrifié, l’ambition menacée de l’odeur mélangée du mal et du baptême des rites occultes.

Je ferai de ma tombe un étroit appartement où mes chairs pourrissantes fusionneront si bien avec la femme conquise –la gloire, que l’on nous confondra, que les temples à sa gloire prendront un peu de mon visage immonde, de ma tête hirsute, coiffée de nuits et de la chevelure cruelle –et bouclée- du poète. J’habiterai plumes, notes, broderies, je serai dans la phrase, le sordide, et la gloire, morte, décomposée en moi, pleurera trois cris de soufre, couleur crépuscule, avant que de disperser tout à fait ce qu’il lui reste de miettes angoissées.


Adieu la gloire, adieu le jour, adieu la marée et le voyage, adieu la colère et les rires des marlous.
Toi, la guerre viens à moi, entre dans ma peau tes tissus de plomb. Je veux les rassembler tous ces fléaux, la faim, la nuit, la soif, la fatigue, je veux les faire ma peau et mes muscles, les sentir gorgés par l’encre, éclaboussés et bouillonnant. Ma sainteté je la puiserai dans les Eglises en miettes.

 

Budapest s’éveille et la ville échappe doucement à la torpeur de la nuit. Les immeubles font des petits pas timides dans la lumière. Certains, les plus hauts, tendent leurs cous de gargouille jusque dans le jour et font voir des grands fronts gris et courageux, ornés de leurs dentelles de pierre. Les bains silencieux lavent leurs aubes et les douleurs de vieillards craquent comme des fleurs séchées. Ils ont tenu la main de la nuit et la voient se colorer dans le jour. « Pour s’habituer aux deuils, disent-ils, je suis la nuit au tombeau de lumière ». Budapest, au matin, est une ville aux murmures de péchés, on devine sous la croûte rouge des aurores tous les crimes muets qui ont profané les lois, toutes les audaces cruelles qui ont vidé d’or les maisons lourdes de sommeil. Ces touristes un peu seuls, un peu tristes, qu’une charmante murmurant en anglais invitait dans un bar couver d’un rideau, qui Le jour bombe le ciel comme si des mains d’hommes accueillants l’avaient voûté pour y abriter Dieu et ses angelots. Mes pas y sonnent dans un bruit de métal infortuné, mes poches sont pleines de statuettes en plomb malade. Elles trébuchent en moi et sonnent dans les bars assez forts pour qu’on les imagine d’argent. Les baïonnettes de mes soldats de plombs déchirent la méfiance des tenanciers « Il peut payer ». L’apparence donne crédit, c’est une réputation gratuite.

Les premiers murmures s’échappent, enroués de sommeil, il n’y a personne encore que des hommes peints d’années dans la ville. Je fume une cigarette, enfin, je ne la fume pas, je la regarde mourir comme la nuit. Il y a toujours besoin de compagnon, dans la mort, la braise de ce clope lui fera une lanterne, une lune dans le landerneau/sépulcre du jour. Le Danube même ne croît pas, il prolonge le silence de ses pas discrets, et ses lèvres, sans maquillage d’écume, s’entrouvrent à peine en écluses pour laisser passer la ville. Les reins de pierre le contiennent de leur sévère étroitesse et l’écoulent sur des kilomètres. C’est une autre forme d’horizon qui se précipite, méandreuse, plate, le Danube est la plaie d’un corps insensible. Son sang épais rue 28km face au ciel en signe de défi et ne le rejoint nulle part. Il casse. Brusquement. Les mains des hommes –la civilisation- déguisées en barrage le stoppe.

Mirjam a glissé une lettre sous ma porte . Les caractères souples et serrés détachaient mon prénom. Jonatàn és Jeruzsálem. Je lui avais dit, à notre première rencontre, au moment de partir que je ne m’appelais pas vraiment Jonathan, que mon identité est dédoublée. Je m’appelle Najib, aussi. Najib et Jonathan. Jérusalem, c’est moi.

Mirjam, j’éduquais sa bouche et ses baisers comme un dresseur de serpents ses reptiles aux crochets inertes, ma voix montait en musique et chantait l’exacte mélodie de ses reflexes. Sa bouche se tendait et vibrait dans l’air, elle se tendait dans le geste désespéré du mendiant ou du mourant qui supplie la vie de faire charité d’un jour, pour réclamer la musique encore, la musique, tremblante d’images et d’émotions, la musique aux couleurs de mangue et de soleils cuivrés qui baladait dans mes clameurs poétisantes un peu de ses filets sans mailles. Mirjam regardait ma bouche prendre les formes des flûtes orientales et ses lèvres lui échappaient, elles dansaient en serpentins dans la nuit avec le même éclat brutal qu’un crépuscule éteint. Je vois bien sa bouche soumise aux caprices de mes hurlements, je vois bien. « Tu es le loup, tu es le loup qui habite dans l’orée de mon corps, sur la clairière vierge de légendes encore. Tu es le loup des fables qui prend des voix d’humain et entoure sa présence de la fourrure sauvage de la cruauté »

[lalalalalalla]

Mai.

Paris me manque. Le printemps est sec comme le verbe aimer ici. Les larmes qui le baignaient ont fini de se désarticuler, la lymphe, le placenta ont déserté du langage et la ville casse, rompu d’hiver comme la paix cruelle qui dépose son sédiment sur les plaines guerrières. Ce calme qui succède aux terreurs, aux fougues, aux effrois, ce calme qui n’est qu’épuisement. Les muscles tannés, fatigués ce n’est pas la fin des guerres que les armées usées jusqu’aux armures. Le printemps a les articulations vieilles, son poignet empoisonne les fragiles bourgeons, repliés sur eux-même, peureux de ces grincements de corps âgé. Le printemps n’est plus une mère, ici, c’est une nourrice mécanique, froide, dépourvue de tendresse. Les paysages sont aplatis, comme si l’organisation productive d’avoir quitté les sphères de l’Etat s’était trouvé un accueil aimable dans la nature. Les saisons sont des paysannes, elles ouvragent la terre et la cité du rythme indifférent du temps qui s’étonne. L’hiver couvre méthodiquement les trottoirs et les allées de galets blancs, l’hiver craque sous le printemps et sa bouche de douceur rosit le ciel et ses doigts aigus brûlent la peau. 

Budapest continue de bailler, d’étirer ses administrations paresseuses d’une extrémité à l’autre du fuseau horaire et des portes badgées. Le jour fait des flexions dans les chambres d’enfant, il pose sa main sévère à l’intérieur du rêve et le secoue pour le trouble des images. Elles s’emplissent des pas lourds qui les mène à des heures d’ennui et j’attends, j’attends en marquant les jours avec les dents la date de la prison.

La caresse est tombée.

J’avais raconté de mes crépuscules parisiens ce meurtre qui murissait en moi et sous ma peau était une cloque gorgée de peste. J’avais détaillé, je crois, quand mes nuits m’assourdissaient de révoltes de prisonniers ces chants de matons affalés dans la poussière d’un muscle. Je me souviens avoir dit à des rues de silence, ce qu’il y avait en moi de crimes à venir, ce que la nuit hongroise connaîtra de mes délires, la nuit. Je ne parlerai de langage qu’avec le corps, je réduirai son expression à sa plus exacte dimension. Je tuerai sans un mot, sans rien comprendre de la plainte horrible de l’autre. Tandis qu’il suppliera je croirai l’entendre me maudire et m’insulter de sa langue aux cépages brutaux. Je tuerai, les mains jointes dans une prière, toute la liturgie des criminels, des beaux criminels violents.

J’aime écrire c’est beau comme la mort, en tout aussi définitif, en un peu plus dramatique.

J’avais raconté dans Paris les crimes qui poussaient en moi et qui, avant de me revenir ont dû s’habituer à de nouvelles manières de prononcer l'audace, à de nouvelles horaires (malgré la faute, c’est plus beau).

 

Il m'est arrivé quelquefois de sentir l'homme. Je sortais alors du vice secret d'un amant. Le seul moyen d’avoir des virilités était de les emprunter sur la chair animale, presque sordide d’un amoureux d’un soir, d’un amoureux à l’existence brève, dont les contours ne peuvent se dessiner que sous l’éclairage bleuté de la nuit, dans les rayures de l’ombre qui revêtait leurs peaux de l’angoissante tenue des détenus symboliques. J’ai connu, ici, un de ces types vieux marins vivant de femmes et d’amitié, dormant dans des bras coupables d’argent, avec comme argument pour le déduit quelques vieilles manies apprises le long de ses dérives. Son pantalon de coutil, ne lui allait pas bien, il le portait comme une peine d’évadé, jamais purgée, comme des yeux tristes auxquels on ne refuse rien. Tout son être était de ce complet, de la matière filamenteuse de ces vêtements qui sent la misère raffinée, la misère des escrocs, qui empruntent et blâment le prêteur d’être si peu charitable que déjà il réduirait l’autre à sa dette. Quand je lui filais quelques  sous, il me reprochait d’être si avare de mon infortune «  tu es si pauvre qu’un peu moins ne te ferait pas grand mal  ; tandis qu’un peu plus me permettrait de conquérir des suffrages bien utiles à mon condition future  »

 

De la chambre où je dormais, qui malgré son étroitesse cumulait toutes les fonctions nécessaires à une existence spirituelle achevée servant tout à la fois de chapelle, cimetière, bureau et chambre à coucher, j’entendais remuer les corps au-dessus, à côté. Mes oreilles curieuses visitaient ce plaisir tarifé, observaient comme dans cette chambre d’enfant, le temps se délier, pas à pas, s’égoutter le long des amants unit des propriétés coalescentes de l’argent, des lèvres adhésives de la petite vertu. Je l’entendais qui roulait jusque mes pieds, le temps, qui les baignait comme de la mer et qui les ridait comme le corps longtemps maintenu dans l’eau, qui lui proposait des femmes comme une mère maquerelle qui traîne ici ses mignonnes. L’argent ouvre plus aisément les jupes que l’alcool. 

 

Dans les bras de Mirjam, ma sexualité n’a pas cette culpabilité de réprouvé infernal, jailli de la tripe fumante du vicieux dépit, ce n’est pas une femme qu’on achète mais du temps qu’on isole, que l’on retranche de la grande masse du quotidien, elle, extraite de la pierre des heures idiotes sous la pioche argentée pour en recueillir le précieux éclat, le métal rare de ses lèvres, l’écarlate rubis de son baiser. Il n’y avait plus à excuser d’heurter ce corps étranger, inamical, comme j’en avais la sensation systématique tandis que je baisais mes bourgeoises parisiennes, d’avoir attenté au cours normal d’un fleuve bien calme, bien prévisible, avec mes envies sans écluses. Je retenais mes «  pardon  » «  pardon de t’heurter, mignonne, pardon de ne pas savoir te caresser, pardon, c’est que j’essaie de passer dans l’extase moi aussi, c’est que dans l’architecture cosmique j’ai cru voir un passage pour moi étroit comme ton sexe.  »

C’est que je veux passer moi, pardon, mais je cherche la fente lugubre et poisseuse des jouissances, les pays aux feux cachés qui déploient en moi, quatre plumes grêles. Hé, je cherche à traverser vos temps de murmure, à pénétrer jusqu’au plaisir vos corps d’agonies, ne criez pas, ne jouissez pas, laissez moi tranquille, curieuses, laissez moi vous couvrir de mille délires, de souffles dépareillés, circonflexes et veinés. Vous étourdir de mes accents glorieux, croyant sur vos corps pâles, conquérir une toison, un privilège antique, rejailli depuis vos berges, sur la grève de vos lèvres fainéantes, dans les fleurs aux racines profondes, dont jusqu’en enfer retentissent leurs fébriles extrêmeités. Je veux plonger sans aucune pitié dans le sang mélangé de nos violences. Goûter dans l’entrechoc de vos genoux les débris d’un quartz animé d’horaires, où le bus travaille un chemin, où la plage iridescente burine le corps brutalisé par mes mains d’immoraliste. 

 

Tara qui me dit «  chaque fois que l’on s’en prend à ta prose, tu te révoltes  » Tara qui ne peut pas comprendre que ma prose comme elle dit avec le mépris de celle qui a des ambitions, des projets (l’écriture concentre l’immobilisme, fige sur un siège les caractères qui s’égrènent en misère), que ma prose est l’extension intangible de  mes virilités. Elle le dit, ma prose, avec le ton rogue et dédaigneux d’une employée modèle, d’une avocate presque, évertuée à traverser toutes les strates de la condition sociale, cueillir tour à tour chacune des consécrations salariées comme l’enfant bourgeois qui guette chaque récompense pour l’enfouir dans son calot. Tribun, censeur, princeps. Elle est là vigilante et le mot de promotion à son oreille est une musique galante, elle la saisit de toute son âme pour la voir danser contre elle, elle lui apprend les pas sévillans, ceux-là qu’elle ramenait de ses études passées sous le soleil de Grenade. Il y eut quelques évidences à détromper d’elle. A la convaincre qu’il existait autre chose à voir et à subir, une autre singularité à conquérir, assoiffée, creusant partout des puits et bâtissant les demeures du bouillonemment. Il y eut quelques refus à opposer comme des digues face à des fleuves de boue. J’ai toujours refusé l’abdication, 

 

 


Le temps sans les putains sent la tristesse, les désespérés ne peuvent lever que deux jupes  : les frous-frous de celles qu’ils payent

 

 

IV

 

HK

Dans mes bras je la sentais changeante, devenir femme, ses cheveux cassaient subtils d’odeurs retenues, elle semblait la nuit qui abrite des aubes à laquelle le temps avec la passion de l’archéologue dépoussière la cendre qui l’entoure afin que la lumière pointe. Nos caresses n’abimaient que moi, de sa part elles étaient tributs de l’admiration qu’elle me vouait, salaire généreux à mes délires la nuit sur la vie, la bourgeoisie et les révoltes.

 

Ce pays de pauvre.

Buda-Peste. Tout pue d’une certaine haine

J’ai des horreurs qui me renversent, je vois les pauvres adossés à leurs misères, écrasant de leurs poids stupides le plus pauvre, faisant porter au suivant son indigence, grandissant l’écart entre deux misères, le rendant plus insupportable encore. Ils sont pauvres qui p

 

 

 

 

Je n'ai pas un moi unique et homogène. J'en ai plusieurs et je dois m'occuper de ces différentes images.
Comment voulez - vous que je sois une personne. Je me sens souvent victime.

 

 

Le métro secoue ses cahots

 

 

19 octobre 2010

La fin des temps.

Tantôt sonnera l'heure où le divin hasard,
Où l'auguste vertu ton épouse encor vierge,
Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard !

 

 

Baudelaire - Les fleurs du mal - L'Horloge

12 octobre 2010

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Je n'en peux plus.

20 septembre 2010

Margot

De Margot j'espérais un enfant et elle n'allait accoucher que d'un personnage, dans les mêmes contorsions, avec le même cri épais comme de la boue qui s'ôtait de sa bouche, dans le même rictus inquiet. Elle ignorait que bientôt elle aurait à s'étonner de ne voir, arraché à ses cris, de ne voir rien qu'une impression douloureuse. qu'il n'y aurait rien à élever, aucune tendresse à adresser qui émane d'elle et qu'un corps douloureusement violacé recevrait. Les personnages ont des membres sacrés qui n'acceptent aucun des amours charnels et filiaux. Les étreintes se font avec l'âme, dans des intentions qui s'élèvent et font des pays aux parfums captieux. Les personnages ne supportent pas les insuffisances de la réalité.

Margot était en prison bien sûr, elle y était né pour ne faire du geôlier que la clé mystérieuse, dont on ignore les portes abouchées qu'elle peut ouvrir, mais on la polit chaque soir, on la tient accroché aux trousseaux au milieu d'autres clés invisibles.

 

Il faudra être un complice pour faire céder les barreaux qu'elle apprit à adorer.

 

« Je suis toujours un chêne »dit au roseau le chêne brisé par l'adversité.

Ensemble nous serons une forêt.

 

Tu crois être amoureuse, tu n'es qu'occupée. Occupée par une puissance étrangère, affreusement terrestre quasi boueuse. Il y pleut des pointes de flèches et d'argile durci. Tu crois être amoureuse et tu ne fais que supporter l'outrage d'une armée mystérieuse, inconnue, qui se jette avec l'habileté d'un espion dans les rouages d'un gouvernement. Tu es infiltrée. Toute entière, il ruisselle en toi des eaux croupies qui remplacent lentement le sang et murmurent de leur écoulement fragile la même prière désespérée. Oui, tu crois aimer, tandis que tu es occupée par des ombres inquiètes et menaçantes qui ne savent pas le répit et ne veulent qu'à s'étendre et recouvrir jusqu'aux avortons de lumière.

Tu étouffes, tu es de lumière, pâle, étonnante, et alors l'ombre t'occupe de sa bouche livide, on croirait les froids métals qui ont fait tant de stylets assassins. J'imagine, en haut de toi, dans cet abîme qu'est ton coeur, profond comme mille ans de guerres où les blessés concurrencent les hommages, une Penthésilée nerveuse, affammée par la revanche qui voit s'élancer de sa gorge les traits fatals aux amours cruels. Il faut tuer avant de pouvoir s'étendre, repu de ces délits que l'on nous infilge. Certaines bouches sont des déïcides et il faut offrir à leurs mains l'arme mortelle qui s'enfoncerait dans le flanc d'un dieu et l'on verrait les muscles gonflés par le vice éclaté sous le poids du crime. Margot, tu es une victime, transparente, quasi informe, et le temps agit sur ton visage comme un acide, tu as des déséquilibres et tu ne peux pas supporter le mot d'aimer quand il ruisselle d'autant de pus.

Sur ta peau j'ai écrit des poèmes que tu ne sais pas, que tu ne peux pas savoir qui se sont épanchés comme de l'encre intense, noire, que tu ne peux pas avaler parce qu'elle forme un bloc épais. Il y a des mots où brûlent dix mille soleils et d'autres secs comme la branche morte du sureau. Oui, où les pas des ombres occupantes, de celles qui ne font que piétiner, craquent et oppressent.

Tu n'es pas obsédée, tu n'es pas malade, ce n'est pas de microbe dont il est question, tu es occupée. C'est à dire qu'il suffit de résister, d'avoir en soi un maquis plein de secret et d'espoir pour échapper au pas des bottes en caoutchouc qui tuent.

18 septembre 2010

Mariepetitechose

Hier soir :

J'ai vu Marie et ses yeux de poème, elle était habillée d'un petit voile rose qui laissait voir ses attentes et tombait comme les serpents tentateurs selon que son pas dansait, volait ou hésitait. Quand j'ai sonné, elle m'a dit qu'elle avait reconnu cette manière si i mpatiente de désirer qu'est la mienne "Même derrière  la porte, ça se devine, ton appétit". Je n'avais pas d'appétits, mais des rages à épuiser, j'avais de la chair à torturer, et des âmes à avilir.
Marie a été en prison, dans mes bras, et chaque jour je  brisais l'une des chaines, pour dire "tu vois comme il est bon ton gêolier, chaque  jour il te libère un peu des fatales étreintes, chaque jour je deviens meilleur. Alors elle m'aime, la pauvre naïve, de ce coeur qui se vrille vers le ciel, qui monte léger comme de la fumée sans plus voir l'incendie au bas des marches.
Les liens cèdent, mais un par un, le bateau sent la mer au rythme de la houle des amarres déliées.

Marie a  la poitrine lourde de péchés qu'il faut sucer comme du lait et dont on ne se sèvre pas. Divine nourrice, j'aime quand ton désert rencontre le mien, que chaque semblant de caresse étend le Sahara, qu'il semble soudain que nos bouches assemblées pâlissent comme des mirages. Marie, a de la solitude qui lui coule des yeux, ce sont des fleuves impassibles qui noient les haleurs.

A Marie, je dis "Personne ne peut comprendre que nous n'avons d'autres demeures que nous même"
Marie me répond Tu m'as moi, et tu as Lucie, pour toujours". Alors les volets claquent, on parle d'un fantôme jaloux et inquiétant.

Marie, je la déboutonne sans impatience,tandis qu'elle presse mes mains,exige de ma maladresse de la rigueur "scientifique". J'aime que l'espoir soit gauche, qu'il se perde dans le torrent fumant du geste, j'aime que le muscle se fige quand le sein se découvre, quand la langue fait frémir le ventre.

Marie a des yeux droits comme des cierges religieux et sa voix est une messe, messe d'en bas, dure, sexuée, messe violente qui égare les âmes. Son corps, lentement s'ôte de ses paupières, elle met sur son teint des pierres de Hongrie, et sur ses dents un peu de charbon, elle se maquille de suie et de cendres pour devenir la femme de la nuit "Tu es la nuit, Jonathan".
Marie, quand elle danse pour moi, fait naître un feu au coeur de ses reins, et ses mains hésitentdansla profondeur d'unecaresse. Elle me pénètre ; je suis une femme bouleversée,lesadjectifssont longs.

marie, petite chose

16 septembre 2010

Marie

Certaines choses s’achèvent sans qu’on le voit ni ne le sente. Il suffit d’un geste, parfois, pour chasser l’alizée, et vider le ciel de ses attributs de victoire. J’ai le cœur excisé, il se porte déjà ailleurs. La mode de mon corps a changé, Marie est un nouveau prénom qui y fleurit et Lucie continue de porter sa voix de mort. Elle me complète : j’en suis l’odeur, de la mort.
Dans tous les pays, les empires, les Républiques, dans tous les corps et les cerveaux de femmes, c’est la même chose paresseuse, qui m’ennuie.
Je suis déjà plus loin que ça mais personne ne peut l’observer, il faudrait plisser l’émotion jusqu’à la rendre chinoise et demain j’irai pour toujours de l’autre côté des vies, j’aurais des ivresses en chapelet, religieuses ivresses où des saintes se dénuderont, où la bouche de Marie me fera oublier les cœurs frivoles. Je parlais d’Hongrie et s’assembler dans ma tête les images de la Berbérie, j’entends des voix –le ressac de la mer- qu’est l’accent amazigh. Des proverbes qui sont des pas armés, et me bercent de leurs mélodies, je sens des feux oniriques qui crépitent et se nourrissent d’un bois de rêve, enfoncent des passions et disent « voilà la vraie forme d’une flamme, elle a le cœur d’une étoile, la chaleur d’une abysse, et la trahison d’une femme ». Là bas ce seront des montagnes kabyles et des déserts qui nous rendront fous, en pénétrant pieds nus sur le sable chaud, on laissera la raison, et on dansera pour avoir soif dans une union de damnés. Chaque respiration prendra des vapeurs de l’enfer qui se recracheront en souvenirs, avec Marie, on évoquera les souvenirs et les amours déçus, ceux là qui avaient dans le ventre des chênes pourris et des dieux païens. On pleurera de larmes de sable, on fera s’écrouler du verre de nos yeux détrempés par les oasis imaginaires. Nous n’aurons qu’à boire des souvenirs, dirons-nous, et nos rires craqueront dans le ciel pour faire naître le premier orage du Sahara et nous aurons soif ensemble, alors, blottis dans les plaies mystérieuses, ces grottes creusées par le temps, à travers nos os et ces bouches qui en nous poussent des plaintes. Les caravanes passeront comme des fantasmes, dans des habits de poils et de lait de chèvre, elles passeront, indifférentes, comme le serpent qui passe sur la roche et attend que le soleil excite son sang.
C’est trop tard, je ne sais plus jouer mais les dés et les dominos ont laissé sur les mains leurs chiffres et leurs amusements. Je suis devenu ce jeu, énorme, qui tue, rachète, saborde. Mais je ne jouerai pas, alors j’abandonne les âmes stériles, je les laisse à leurs amours souillés, aux jeux initiaux, primaires, et je retourne aux prénoms éclatants de volupté, drapés dans du lin.
Marie a le cœur vierge des blessures intelligibles, c'est-à-dire qu’on les saisit du coin de l’œil, et qu’elles s’empilent en soi, les blessures.
Prénom de sainte, corps de putain.
Marie, demain, j’ai des ongles pour toi qui te feront des ravages sur la peau, je sens toutes tes eaux et toutes tes lassitudes qui se cherchent une maison close.
Je n’ai plus que des promesses de vérité que les autres, les amours, souillent de leurs légéretés. J’aime sans gravité, bien sûr, j’aime sans une pensée, c’est déjà trop penser ses amours, j’aime sans sérieux, avec la bouche amusée de ce baiser virginal qui l’interdit. Mais j’aime pour de vrai, avec tous les élans fracassés du souvenir, tous les départs, et tout l’absolu qui me déborde des hanches.
JE PORTE UN ENFANT DANS MA GORGE ET VOUS VOUDRIEZ M’AVORTEZ ? ET CE CRIME VOUS HANTERA JUSQUE DANS VOS JOURS CLAIRS DE JOIES IL PENETRERA SANS CONSIDERATION POUR LES INTERDICTIONS MATERIELLES ET SENSUELLES PARALYSERA VOTRE DESIR FIGERA VOTRE FATIGUE
Lucie est morte, elle ne le sait pas, et demain je la verrai sur une stèle de marbre qui me dira « je ne le savais pas, mais je dormais dans ce cercueil anonyme, je dormais au milieu du bois maigre. J’avais la mort inconfortable, alors je me suis levé et je t’ai trouvée, c’est ton odeur qui m’a attirée, elle me rappelait quelque chose. Chez moi. Aujourd'hui que je veux me rendre dans ce foyer aux lumières anéanties, j'aimerais que tu m'y joignes, qu'on aille se mettre sous les yeux ma même noirceur languissante dont tu te pares quand tu veux dire je t'aime ».
cette invitation m'ecartèle.
Il y a Marie, il y a Margot, il y a les fantômes ignobles, il y a le coeur pur et les rosiers merveilleusement justes qui m'ont poussé sur le torse, il y a l'appel médian du soir, il y a, les promesses que j'ai faites, et la voix de Marie qui n'en peut plus de soupirer d'attente, de l'autre côté de la rue, au creux d'un abîme de foutre. Elle attend, que je vienne, que je sois débarassé des amours faciles qui sont des matières composites, constituées des purges d'avant.
Il y a des désespoirs qui saillent de moi et ces tombereaux de larmes qui s'échappent de mes mains.
 
Je ne peux pas supporter un amour qui se disperse, qui soit fabriqué dans des forges de vent, où le soufflet remplace le fer.
Plus jamais je ne serai sale.

11 septembre 2010

Anthony

Anthony, que j'ai appris dans le bruissement des foules, est le seul que je peux évoquer sans l'odeur de dégoût qui émane de moi ; sans l'odeur de désespoir qui émane d'elles. Il est une image de la sainteté en tout ce qu'elle a de naïve, de grand, de tendre. En tout ce qu'elle a d'immaculée, comme si toutes la sournoiserie du monde ne pouvait l'atteindre qu'il errait là, dans le monde, avec un corps qu'il savait se faire confronter à d'autres corps, mais sans que jamais, ce corps ne devienne une trivialité qui justifie la déliquescence. Il n'était pas de chair, mais de grâce. Je ne l'ai jamais vu se recoiffer, et alors qu'il portait la main au sommet de son crâne je le voyais replacer une auréole. La malice du monde lui glisse sur l'âme comme les mains de l'homme sur le corps de la sainte. Il était de cette puissance qui se rend éther pour les autres, que leurs vices ne peuvent pas pénétrer. L'argent, surpris, dansait devant lui, montrait les cuisses, les jambes, les beaux yeux gris, dorés, son corps à froisser et toutes les promesses de soumission, et Anthony riait, il passait sans voir l'argent dans sa longue parure de papier. Poison inerte ; ombre à peine.

7 septembre 2010

On meurt ici

j'aimerais que ce sang qui s'en va d'une invisible blessure embrasse l'océan, que l'on parle de marée rouge qui font voleter au ciel des oiseaux émeraudes aux ailes impatientes. On les verrait se soulever de terre, le plumage coloré de cette soif qui me quitte.
on meurt ici, on ne fait que ça.

2 septembre 2010

Aux vivantes.

Mes mains sont des jours,
Aux peaux mortes,
Qui hirsutent le temps

Ta joue
Est une heure
Où passent,
tendres,
Les jours :
Ou les joncs
Fleurissent
Du pâle éclat
De futurs
Arides.

Aucune fleur ne visite
cette cage de poussière,
Ni aucun fauve
ne s'y plaint,
traqué par la soif

Mes mains, aux couleurs
D'eau, ont agité des grondements
(leurs fanals)
Qui étaient des prénoms de femmes.

L'ondée est une voix
que la pierre
Emeut de sa caresse
Et ;
L'horloge suture
Les secondes
Blessées

Des femmes, à la taille souple et au cœur
taché de vin,
Avaient à la boutonnière
Des boules des cendres froides.

C'est un parfum pour les mains
Qui sont le temps et érodent
Les braises.

Des étincelles s'y élançaient
jurent les poètes.
Ce corps, récitent-t-ils,
Etait la forge de l'enfer
Où flamboyait Epopée
Qui pâlissant
Comme une nuit
devant l'aurore,
s'est faite Vacarme.


Mes mains d'argile
ont servi de creuset,
Aux cendres de ces femmes
et à Mensonge,
Brûlant du feu de la perfidie
Voilà que les vapeurs étouffantes
Sont la respiration du noble métal
Qui lorsque mes mains s'ouvriront
Vous laisseront voir
Trahison
Tout paré de sa robe
De joyaux incrustés
aux paroles d'un satin délicat
Collantes comme des fluides
d'insectes
Et parfumées comme une bouche
sournoise.

Mes mains se sont ouvertes
Pour permettre à trahison de
Respirer.
Son souffle s'échappe de mes mains ;
Mes caresses sont une maladie joueuse
aux ongles d'argent et aux appétits méchants.

25 août 2010

Par delà les justes.

Les cuisses de Tania étaient la plus solide des prisons, prison d'impressions et de jais ; de sensations et de vapeurs ; prison chimique et nécessaire. Plus bagne encore que prison : je l'appelais Cayenne. Elle me laissait voir le ciel, ciel parcouru d'ombres et de voilures noires, sevré d'étoiles, comme les forçats : d'un côté la jungle, de l'autre l'océan. Au cœur l'enfer du bagne brûlant et la main du bourreau suspendu, luisante de sueur, éblouissante de crime...Tania ne connaissait aucun évadé. Cayenne avait jadis joué de la musique, en taillant des cithares dans le bois de balata avec des cordes tressées d'une chevelure indigène. Elle avait pendu des hommes, cette Cayenne, aux cordes de marin qui se balançaient encore, les chairs bourdonnantes de miasmes, à ce qui était devenu étoupe.

Je suis amoureux.

25 août 2010

Les cuisses de Tania étaient la plus solide des

Les cuisses de Tania étaient la plus solide des prisons, prison d'impressions et de jais ; de sensations et de vapeurs ; prison chimique et nécessaire. Plus bagne encore que prison : je l'appelais Cayenne. Elle me laissait voir le ciel, ciel parcouru d'ombres et de voilures noires, sevré d'étoiles, comme les forçats : d'un côté la jungle, de l'autre l'océan. Au cœur l'enfer du bagne brûlant et la main du bourreau suspendu, luisante de sueur, éblouissante de crime…Tania ne connaissait aucun évadé. Cayenne avait jadis joué de la musique, en taillant des cithares dans le bois de balata avec des cordes tressées d'une chevelure indigène. Elle avait pendu des hommes, cette Cayenne, aux cordes de marin qui se balançaient encore, les chairs bourdonnantes de miasmes, à ce qui était devenu étoupe.

Je suis amoureux.

5 août 2010

mourir

Quelle chose étonnante que mourir, que de s'unir avec
ce mot qui se tient tout blême à l'autre bout du langage.
Sa froide extrémité.

28 juillet 2010

Fulgurances.

L'on croit, à tort, que le mariage relève du droit civil tandis qu'il est du droit international. Il ne s'agit pas de s'unir sous l'empire d'une législation fiscalement favorable, d'acquérir un statut civil qui donne aux galantes la gravité des Madame. Il est, en réalit, sujet d'annexion, d'Anschluss, c'est toujours l'Autriche que l'on intègre de force à l'Allemagne pour d'obscures raisons chimico-historiques ; c'est la création d'un nouvel Etat dans le pire des cas, c'est une révolution en concessions où le nomade devient peuple, sédentarise ses joies, conditionne sa liberté à la liberté d'un autre.

***

Ils se pensent peuple et ne sont que foule. Dans peuple il y a la noblesse, la communauté des destinées, la grande aventure humaine, pleine d'alliage et de dissensions. Dans peuple il y a le sein rond et la hanche dure, il y a les arrêtes morales, les falaises d'évidence, il y a des vaux tendres et des monts rêches, il y a les chemins altiers et les ports à la bouche d'écume. Il y a des villes et des déserts, il y a des révoltes et des passions. Des haines, des religions, des temples, des chateaux, des herses, des pauvres, des joyeux, des tragiques, des théâtres et des musées. Mais, dans toutes ces adversités, dans tous ces envols, dans toute la distance opérée demeure ce coeur commun qui, sous l'écorce, sous les craquelures, derrière le visage, au bout de l'être, donne au pays un fonds, une cave secrète que l'on nomme Histoire. Le pays est cette sangle de veines et de racines qui s'enfoncent et qui ramifiées forment les peuples.
La foule ne sait rien de la noblesse, ne sait rien de l'altérité, la foule se satisfait, immobile, elle résume l'humanité à son champ de vision et renouvelle ainsi l'humanité à chaque pas. S'étonne de tant d'individus neufs qui émergent de la brume, qui se tendent et s'éloignent de ces bras, elle s'étonne la foule de tant de naissance, de tant d'anonymes disparus. Le monde lui semble une immense matrice qui accouche et avorte. L'angle des rues est une nouvelle mystique, l'éclipse du présent. Il faut l'entendre dire "ça fait longtemps" et qui dit "je croyais avoir participé à ton enterrement".

***

Le désespoir est aussi mortel que la maladie ; il est seulement plus lent.

***

Il n'y a pas pire mensonge que celui rêvetu des propriétés du vrai.

***

Tu es un homme politique lancé en poésie : tout ce qui est beau, grand, tu le ravales et le rabaisses.

28 juillet 2010

Aimer.

Mourir : quel mot étonnant. Il est au bout du langage.

27 juillet 2010

Aux amours mortes

De moi il ne reste rien.
Rien que des traces.
Traces affranchies
Tracées.
Comme un regret.
Oui.
Reflet qui fête
Son vide.

(Nous nous tenions là.
Avec des remords au lieu des mots.
On se disait, qu'on s'oubliera.
Mais on ne s'oubliait pas.)
On ne faisait que se perdre.
A s'enfoncer.
Loin.
Dans la nuit.
A s'enfoncer.
Loin.
Dans le bruit.
Profond.
Dans les corps.
Toi d'abord.
Moi ensuite.
A dresser des théâtres.
Des décors.
D'ombres et de peurs.
"Comme maman on serait scénographe
Comme papa on serait acteur"

Tu es la normalité.
Sténographiée.
Mon amour morte.
Et ta maman a des mains qui coulent.
Pour t'attraper.
En bas.
Mais tu n'es déjà plus là.
Mon amour morte.
Et Maman pleure.
C'est elle qui t'a appris.

J'ai du jeu dans les doigts.
J'en ai toujours eu, qui me remontait dans les paupières.
Du jeu.

J'étais Papa.
Et je gardais les cris.
Dans les gestes.
Dans les coups.
Qui bleuissent les peaux.
Fragiles.
J'ai frappé.
La peau qui t'a volé ma peau.

Je suis le traitre.
Avec son épée.
Teintée.
Du sang
Des amis.
Et quand on me demande en suffoquant
"Pourquoi ?"
Je réponds qu'il faut bien survivre.
Et pour survivre, il faut tuer
A dit le vacarme de l'Univers.

Est-ce que je te le dis ? Qu'il faut survivre ? Est-ce que je te l'ai dit, que je ne faisais tout ça, voler, violer, tuer, que pour survivre.

Je cherche des bras
qui me tiendraient chaud, pour toute la vie.
Comme ça n'existe pas.
Je tue.
Pour qu'à la crémation,
j'ai chaud.
Rien qu'un peu
De chaleur humaine
D'une amour morte qui
Brûle.

Ton corps m'a chauffé le coeur.
"Quand dans ma vie il faisait froid".
Ce n'était rien qu'un peu de peau.

Je rêve de te dépecer.
J'en arrache mon pyjama
De croire que j'ai ta peau
Déchiquetée par ma nuit.

(J'ai le souvenir de tes cuisses tendres où les caresses pleuvaient comme dans des draps de velours.
Tu n'as pas de peau, pas de chair, pas de muscle tu as.
La douceur.
Que je cherche
Qui est noyée
Dans les caresses
Indigènes)

J'en ai tué des petites filles avec des yeux en verre.
Mais en toi
Je voulais souffler ma musique.
Mais je n'avais pas vu
Tes lèvres dures.
Ta bouche close
Qui embrasse sans la langue
Qui suce avec la gorge.
Je n'avais pas vu.
Ton poumon.
Percé.
Où coulait.
Entre la plèvre.
Le liquide pleural.
Mon amour morte.
Mon mercure.
Tu fuyais de partout, et je n'avais pas assez de doigts.
Tu les occupais trop bas.
Avec tes jambes dans tous les sens.
Tu les occupais trop haut.
Il fallait recueillir la neige de tes yeux.
(La sueur de ton envie.)
Bleus.
Comme un bout d'infini.
Un air de trompette.
Ou d'ambre teinté de merveilleux.
Oui.
Où.
Prisonnière.
Etait ta joie.
(Tu n'auras jamais la main assez ferme pour briser entre tes paumes, ce morceau d'argile, de pierre transparente, où se fossilise ton bonheur. Tu le vois, et tu ne l'auras pas. C'est ton enfer pour n'être qu'un corps d'hiver. Qui aura des prénoms de garçon, qui s'en iront toujours avant que l'aube craque dans le ciel ses allumettes. Avant que le ciel enflamme ses becs de gaz qu'il allonge de tout son long. Ton enfer, ce sera de mourir seule et amoureuse.)

Tu étais.
Dans mes bras.
Quelque chose noir
De monde.
Quelque chose noir
De bruit.
Comme une ombre inquiète.
De lumière,
Tu sais, je n'ai jamais eu de larmes.
Je n'avais que mon foutre
(Pardon)
Je t'en ai mis dans la bouche, je t'en ai mis dans les doigts.
Et quelque chose noir qui grandissait en toi.
Que je voulais cacher.
Qui ne se taisait pas.
Quelque chose noir
Qui prenait une voix.
Qui devenait un cri.
(D'orgasme.)
Qui devenait un muscle.
Et un corps
Qui devenait une plaie.
quelque chose noir.
Qui voulait un prénom.
Qui en eût un.
Lily.
Quelque chose noir
Qui est devenu
Quelque chose bleu.
Wendy.

On ne savait pas.
Que le bleu de tes yeux
était le noir brisé.
(on ne savait que le blanc cassé).
Tu es mon miroir.
Et je cherche.
Dans tes éclats, qui grèvent encore mon ciel.
Qui constellent ma mer.
Je cherche.
Dans les morceaux de toi.
(Parcelles stériles)
Mon visage.
De quand j'avais peur
Moi aussi.
Sur les terres
Incultes.
De tes sens.
Ta géographie d'amour morte.
Comme une peinture.
De Van Gogh.
(natures impressionnistes)

(Tu ne seras plus jamais belle.
Parce que je ne t'aimerai plus jamais.)

Tu seras un corps.
Qui cherchera d'autres corps.
Un corps, qui se fatiguera.
Des corps.
Un corps.
Qui voudra crier.
Qui n'aura plus de souffle.
D'avoir trop voulu
Jouir.
Un corps.
Qui aura le silence
Des cors
Quand l'ours est couvert de sang.
Du sang
des chasseurs.

Et je serai pareil.
A mettre.
Sur les cuisses d'une pute importée de Lituanie, avec sa mère, avec sa soeur, avec sa fille.
A mettre.
Sur ses collants troués.
Sur sa robe souillée
(C'est déjà sa peau, sa robe)
A mettre.
Ma coke.
Entre ses lèvres.
Ma bite.
Et bander.
Et sniffer.
J'ai ça de blanc aujourd'hui.
De couleur.
Pour mettre dans ton noir
Qui brisé est devenu le bleu.
On ne pouvait pas savoir.
Mon amour morte.
Que tu ne serais que nuit
Sauvage.
Que tu deviendrais
Pâturage
Pour tristesse.

Tu ne trouveras plus jamais des doigts comme les miens.
Des doigts que la poésie a déformé.
Parce que ça n'existe plus.
Des doigts sensibles.
Ce sont des doigts d'échec.
et les usines ne produisent
Que
La
Réussite.

Je suis une difformité.
Narcisse.
Défiguré.
Qui cherche son visage.
Dans la pisse froide.
(De minuit)
Parce que Narcisse.
(Défiguré)
N'a plus tes yeux.
de noir brisé
de blanc cassé.
Pour se souvenir comment c'était.
De l'autre côté de la vie.

J'appartiens à quelque chose noir.
Je suis redevenu Jérusalem.
La double, la pleine de sang.
Et d'orgueil.
D'être le centre de la foi.
Mon nombril grouille.
De pleurs et de prières.

J'ai mis sur ton nom un peu de salive.
Pour dire adieu.
Mon amour morte
De n'être pas née.

Je t'aurais baisée une dernière fois.
Demain.
Sans conviction.
Mon amour morte.
Mais je ne bande qu'aux jolis filles.
Tu sais.
Et je ne t'aime plus.
(Alors tu n'es pas belle).

J'ai froid encore.
J'aurai froid toujours.
Jusqu'à la prochaine crémation.
J'ai les doigts
Glacés.



Mon amour morte.
Tu avais la sexualité des putains ;
Tu en as désormais la morale

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