Twitter 1-3 mai 2021
Week-end 1-3 mai
2.
Lana est rassurée, les copines vont bien, en voyant les images de la #manif et la surexcitation de Max devant les gauchos qui tapent sur les #gauchos elle a craint que les trois filles, surtout Chiara qui est tête brulée, ne finissent avec un oeil en moins.
Sylvie, la mère de Lana, demande à Max de mettre la table il dit lana, tu mets la table
Lana, avant de s’énerver, se souvient du message d’Ophélie il y a quelques jours il fait pas une dépression max ? une sorte de culpabilité sistoriale, une vague nostalgie enfantine remonte, et elle obéït. Max, ne s’y attendait pas. Il hésite entre la remercier et lui adresser un sourire goguenard. Il opte pour le sourire goguenard, merci la féministe.
Lana, soupire, lasse, elle féministe ? quand elle compara à Chiara ou même à Lou…non vraiment pas. Seulement elle relève
c’est pas une insulte féministe hein
Marc, Le père de Max pas de politique à table
Max : papa t’as vu le tweet de #JeanMessiah ? Enorme, il montre le tweet sur son tel
Marc, amusé, voyant Lana qui le fusille du regard : Pas de politique Max
Leur complicité évidente n’a échappé à aucune des deux femmes.
Le repas finit, Lana demande à son père de débarrasser la table ce qui le désarçonne et, mécaniquement, comme guidé par son étonnement, le fait. Ca amuse tout le monde. Sylvie le remercie et, Marc se trouve d’une grande générosité d’avoir ainsi aidé son épouse.
Dimanche :
OUI #SAKEN Lana entend ces cris provenir de la chambre de Max depuis une heure. Il sort dans le couloir son t-shirt #KCORP. Lana sort pour lui demander de se taire…tu pourrais au moins mettre un pantalon. Il crie #SAKEEEEEEEN le #midlaner en claquant la porte de sa chambre. Lana va voir sa mère, vous pouvez pas faire quelque chose ? Son père répond on te laisse faire quand t’écoutes tes…coréens… Lana mais il me laisse pas faire du tout il cogne contre les murs…Il la reprend Oh Lana, t’es vraiment pénible, il a raison ton frère. Lana maman ? Un geste de la main, de la mère, un geste, ce geste que Lana mémorise pour ne jamais le reproduire, avec personne. Ce geste de renoncement, de résignation, ce geste de soumission. Lana retourne dans sa chambre, claque la porte. Son père crie Lana.
(on ne peut pas mettre d’émojis sur le forum il y en aurait dans la conv)
Elle écrit à Rayan
Lana : J’en peux plus de Max
Rayan : Il veux pas t’écoute #BTS ?
Lana : Il crie « midlaner » depuis une heure
Rayan : Dinguerie !
Lana : Ouais…
Rayan : Toi aussi tu mate #LOL ?
Lana : ???
Rayan : les #EUM ?
Lana : et vous soulez.
Rayan : ???
Lana : Fatigue.
Rayan regrette d'avoir été aussi con, écrit-il à Anissa, sans bien saisir pourquoi il lui écrit à elle. Cette-fois, contrairement à l'autre, en classe, elle ne se vexe pas. A quoi ça tient ? Elle se sent complice de cette intrigue amoureuse et ça lui va bien.
Lana entend son frère à côté, qui semble parler à des gens sur #discord. Elle l’entend #300k, elle entend #OTP, il parle fort, il prend un malin plaisir, elle le sent, à parler bien plus fort que nécessaire, à prendre le plus de place possible, cette place qui, dans le monde, ne cesse de rétrécir pour lui.
Max, s’il te plaît, t’es ridicule. Il ne l’entend pas. Il a son casque sur les oreilles, son t-shirt sur le dos, sa chambre est sombre et sale. Il a installé de travers des LED violettes. L’ordinateur fait beaucoup de bruit, l’unité centrale transparente projette sur le plafond une rosace de couleur. Elle regarde le spectacle, elle ne sait pas combien de temps. Elle détaille cette chambre qui n’a pas changé depuis tant d’années. Comme son frère. Les mêmes choses, les mêmes objets un peu plus obsolètes, comme son frère.
Elle se souvient de sa chaise #DxRacer neuve, il y a deux ans. Elle l’a aidé à le porter depuis le relais colis, ça pèse 30 kilos cette merde ! Elle le revoit monter l’objet et son air accompli quand il s’est assis depuis la première fois, comme l’aboutissement de quelque chose. La chaise, aujourd’hui, grince et le cuir synthétique, au dos, montre des signes d’usure.
Elle écrit à Ophélie pourquoi t’as dit qu’il était dépressif Max ?
Ophélie n’a pas dormi depuis deux nuits.
Twitter 1er mai - 3 mai 2021
Week-End
1er-3 mai
(Première partie)
Les cinq filles ont toutes dormi dans la chambre d’Ophélie, à cause du #couvre-feu qui empêche la circulation entre 19h et 6h mais aussi parce qu’elles aiment la chaleur tendre de cette promiscuité. Le matin, à 9h le réveil de Chiara sonne
Chiara : #Manif !
(silence)
Chiara entonne l’Internationale : C’est la lut-te fin-ale
Lana émerge, difficilement
Lana : Putain !
Chiara : Tu préférerais que je chante #BTS ?
Lana : J’ai trop mal dormi à cause d’Ophélie
Lana à Ophélie : T’avais tes règles ?
Chiara à Ophélie : Tu t’es levée cent sept fois pour aller aux chiottes
Anissa dans un bâillement : J’ai rien entendu moi
Lana, toujours dans le lit, : Ouais toi un teh tu dors tout le week-end.
Ophélie : Euh…
Lana, toujours au lit, filme les filles
Ophélie : arrête !
Lana : C’est pour Insta
Chiara : T’as fait mille stories toute la soirée…
Lana, toujours sur son téléphone : Oh #1stTasteOfButter
Ophélie : Je suis trop moche sans maquillage !!
Chiara à Lana : Ca veut dire quoi même ?
Lana : Les retours sur l’album !!!
Anissa à Lou : Tellement relou
Lou n’ose pas répondre, elle baisse la tête puis à Chiara : Tu vas à la manif du #1er mai ?
Chiara : GRAVE
Lana chantonne : Like an echo in the forest 하루가 돌아오겠지 아무 일도 없단 듯이
Anissa à Lana : Même tu racontes quoi dès le matin
Chiara à très haute voix : qui vient à la #Manif ?
Anissa : archi-mort
Lana : la même
Ophélie : Je suis fatiguée
Lana regarde Ophélie avec un air d’une compassion exagérée
Ophélie : Mais arrête !! J’ai pas mes règles
Chiara : Y a rien de honteux
Ophélie : Mais !!
Chiara à Lana : Par contre t’avais dit que tu venais hein
Anissa à Lou : T’es sûre tu veux y aller ?
Lou : Oui
Anissa : Te force pas hein
Lou : Non j’ai envie
puis d’une petite voix à Anissa
Lou : T’es sûre que tu veux pas venir ?
Anissa : Bon, bon
Chiara : Allez !
se remet à chanter
Anissa : Tu casses la tête. Vas-y ok, je viens.
(pause)
Anissa : Je sais pas si je resterai par contre
Lana, sur son téléphone depuis un moment, ne dis rien
Chiara regarde discrètement : Oh, y a Rayan qui a réagi à la story !
Lana : Vas-y arrête
Anissa : Il est vif.
Chiara participe aussi souvent qu’elle le peut aux #manifs depuis deux ans environ. Elle se méfie comme de la peste des #syndicats, surtout ceux étudiants, elle les trouve bruyants, très masculins et surtout très idiots. Son grand-père, un ancien cheminot, adhérent de toujours au #PCF assommait la famille de discours sur la lutte des classes et l’énième congrès du parti.
De ce discours Chiara ne percevait qu’un vague brouhaha où les mots abscons et clairs flottaient les uns à côtés des autres, elle entendait capitalistes, valeurs d’usage, dictature du prolétariat, Mitterrand…
Les discours de papy, comme le communisme façon #PCF, s’enlisaient, n’engendraient rien, sentaient le camphre et le passé gênant.
Les « hommes de la famille » (c’est à dire le père et le grand-frère de Chiara), comme Papy les appelait, accueillaient avec une froideur polie les longues plaintes mélancoliques de Papy.
Lycéen, le grand frère de Chiara lycée défendait de molles idées de gauche et, désormais, achevant son Master 2 de Finance, défendait mollement l’écologie en lui ajoutant, aussitôt, l’épithète qui l’annulait non punitive.
L'Internationale, Sera le genre humain chantait souvent papy et ce chant d’amour pour le genre humain n’atteignait jamais Chiara et, pour cause, comme elle s’en rendit compte plus tard : il ne la concernait pas, le communisme de papa excluait ou, du moins, reléguait les femmes.
Papy ne se privait ni de blagues grivoises au grand désespoir de Manin, sa fille et la mère de Chiara, ni de blagues plus franchement sexistes. Vraiment un truc de bonnes femmes soupirait-il lorsque sa fille ou sa femme le contredisait.
Il a fallu que Chiara se retrouve par hasard, le 23 novembre 2019, à la marche #Noustoutes pour s’emparer de la politique.
Elle passait #PlaceDeLaRépublique parce qu’elle devait déposer chez un réparateur l’ordinateur portable de son père et c’est alors qu’elle vit l’immense cortège, essentiellement féminin, criant et chantant et, sans s’en rendre compte vraiment, comme par un appel venu d’une profondeur muette ou, plus certainement, d’une frustration longtemps tue, les rejoignit. Elle fondait, en quelque sorte, sa colère dans cette colère géante, répétée 49 000 fois, de République jusqu’à #Nation, à Saint-Etienne, Nantes ou Bordeaux.
L’élan passé elle prit peur au milieu de cette foule, cernée par des #CRS en armes, au regard de haine, une haine qui s’hérite et se transmet de générations en générations de #CRS, le matériel s’adapte, la haine, elle, jamais démodée, toujours intacte, se transmet telle quelle.
Un groupe de filles, à chapeau pointu, la voyant paniquée, s’approchèrent d’elle pour la rassurer. Dans son désarroi cette situation parut si irréelle à Chiara qu’elle crut - la panique peut métamorphoser la réalité jusqu’à l’absurde en tentant de lui restituer sa cohérence - se trouver un 31 octobre au milieu des bouteilles de bière décorées en citrouilles, des sorcières et des zombies.
Anna, 23 ans, voyant Chiara encore plus paniquée, lui dit en riant
T’inquiètes ! On est pas des vraies sorcières
Ce qui mécontenta beaucoup une autre sorcière qui, elle, pour sûr, affirmait-elle, était une vraie sorcière.
Chiara eut beaucoup de mal à défaire l’écheveau complexe et contradictoire de ces sorcières. Elle ne saisissait pas bien, à les entendre discuter, s’il s’agissait pour ces femmes là de se trouver une lointaine généalogie de martyres ou se croire, réellement, dotées de pouvoirs surnaturels capable de tordre le monde. Chiara croit que la révolution peut tordre le monde.
Arrivée à la fin de la manif’, avant la charge des #CRS, elle prit le numéro d’Anna qui depuis l’oriente dans son parcours militant et intellectuel.
Elle lui conseilla quelques lectures et notamment le Sorcières: La puissance invaincue des femmes de Mona Chollet qui, après la manif, fut son deuxième choc militant. Elle lui conseilla aussi différents sites et différents comptes twitter à suivre notamment celui de Valerie Rey-Robert @valerieCG et son livre, qui lui fendit le coeur, une culture du viol à la française à cause de l’écho qu’il y trouva avec sa propre vie. Ces livres, les discussions avec Anna et d’autres femmes qu’elle croisant durant ces deux années, lui permirent de réécrire sa jeune vie. Anna lui expliquait que le féminisme était autant appropriation de son histoire que de l’Histoire. Qu’il s’agissait bien davantage de « s’écrire » que de se « réécrire ». Son dégoût envers les hommes augmenta sans cesse et celui-ci se justifia, souvent. Le malaise qu’elle ressentit devant Melvin lorsqu’il les aborda, Ophélie et elle, se trouva validé rapidement, lorsqu’il lui proposa le shoot sexy. Elle ignorait cependant que Melvin continuait à parler à Ophélie malgré sa mise en garde. Chiara, s’était montrée trop brutale, incapable d’adapter son discours à la situation concrète, à la personnalité réelle d’Ophélie. Ophélie, alors, lui cache sa relation et se trouve, esseulée, abandonnée aux griffes de ce garçon.
Anna est d’extrême gauche, trotskiste (papi déteste les trotskistes autant que les #CRS) et aujourd’hui, pour le #1ermai, Chiara doit la rejoindre avec Lou et Anissa. Lou, sans en avoir parlé avec quiconque de son entourage, a suivi une trajectoire parallèle, quoi qu’exclusivement numérique, à celle de Chiara. Elle n’eût pas, avant aujourd’hui, le courage de se rendre en #manif mais elle lisait avec avidité tout ce qui lui tombait dans les mains au sujet du féminisme y compris les livres théoriques. Si pour Chiara le premier choc fut celui de la #manif #NousToutes, pour Lou ce fut la rencontre avec Le Deuxième Sexe de Beauvoir. Là où Chiara connut la colère Lou connut l’abattement. Ce livre, au lieu de lui donner de l’entrain, l’écrasait complètement, il la mit face à la nécessité d’une action dont elle se sentait absolument incapable. Au-delà de sa condition de femme, c’est sa condition de Lou, discrète, peureuse, timide qui se réveillait là dans toute sa honte. Elle sentit deux fois palpable sa condition subalterne, portion congrue comme l’écrivait Beauvoir et, à cause de sa timidité, portion congrue de la portion congrue, soit moins que rien.
Pour se sauver de ce naufrage, elle eut recours, de façon plus frénétique encore à l’écriture là où lui était permis assez de puissance pour vivre.
Anissa, elle, traînait des pieds pendant la manif, elle ne s’intéresse pas vraiment à la politique, elle fuit tous les discours qui y ont trait et s’énerve quand Chiara parle du voile, défend le voile sans qu’elle ne sache précisément ce qui l’énerve là-dedans. La mère d’Anissa porte le voile et Anissa déteste les racistes comme #JeanMessiah qui la considèrent comme inférieure pour ce motif…seulement quand Chiara défend sa mère, ça la hérisse encore plus que quand #JeanMessiah parle.
Lou avait déjà vu sur Twitter ces cohortes de CRS, armés, bouclier à la main, elle ne s’imaginait pas un tel écart en les affrontant en vrai. Menace concrète qui paraît bien plus parée à l’assaut qu’à la protection.
Anissa veut aller en tête de cortège, Chiara l’arrête c’est pas du tourisme hein Anissa, vexée, boude, Lou demande devant y a les #blackblocs ? Chiara oui, et ça craint, ça se tape de fou, j'ai pas envie de me faire fracasser le crâne. Chiara écrit un message à Anna, je suis avec des copines, c’est leur première manif, on peut vous rejoindre quand ça arrive à #Nation ?
Les filles entendent des cris, des heurts, des jets de projectile en tous sens et le cri #collabos sort de la foule. Le nuage jaunâtre des gazeuses s’élève Chiara dit putain les SS chargent. D’autres manifestants, qui fuient le conflit, l’entendent et lui disent non c’est le #SO de la #CGT et les #blackblocs qui se tapent dessus.
Les trois filles n’y comprennent rien. Chiara dit mais non ça doit être les fachos…Le type très sûr de lui, non, non les #blackblocs ils ont tabassé la #CGTRATP et même les sans-papiers. Un type, retraité, sticker de la #CGT sur le blouson Quelle honte.
2.
Twitter 29 avril 2021
Anissa s’ennuie follement en classe, le sort a voulu que de toutes ses amies les plus proches elle soit la seule à se retrouver dans le groupe B. Elle envoie aux filles des messages toute la matinée en les suppliant de la retrouver devant le lycée à midi. Elle écrit surtout à Lana qui est un peu la cheffe, elle structure le groupe, organise les activités communes. Les jours où Lana est malade tout le groupe se grippe et personne, même pas Ophélie, ne parvient à diriger et maintenir l’ensemble. Les filles restent seules ou, au mieux, vont par deux. A 10h30 Anissa reçoit un Snap de Chiara avec un filtre qui la fait apparaître au côté du chanteur #btob. Avant qu’elle n’aie le temps de lui répondre le prof de philo, M. Feumer, aperçoit Anissa sur son téléphone, il soupire, prononce un peu fort son prénom Anissa…elle s’excuse, désolé Monsieur il répond je sais que ce n’est facile pour personne en ce moment, je te demande juste de tenir un peu…pour nous non plus c’est pas simple regarde ce ce #Blanquer…il montre les fenêtres #Blanquerdelair ! On attend toujours les purificateurs ! La classe rit de voir ce professeur, si souvent caustique, se plaindre aussi ouvertement du ministre. Les élèves partagent, vaguement, cette détestation envers Blanquer, il est pour elles et eux, moins un ministre qui parle sur #europe1 qu’un meme Twitter qui joue à la corde à sauter avec des enfants de 5 ans ou rate des divisions sur #BFM.
Anissa range son téléphone avec mauvaise humeur.
M. Feumer est un prof plutôt apprécié, le #confinement et, surtout, les cours en demi-groupe ont contribué à améliorer encore son image. Avec vous monsieur on apprend des vrais trucs avait dit Rayan. M. Feumer l’avait remercié et il avait ajouté, narquois et complice, ce serait bien que tu me le montres dans tes copies Rayan. Un oh le bâtard rieur et bon enfant s’était élevé de la classe puis le cours avait repris, plutôt calmement.
Anissa n’aime pas trop l’école, elle s’est toujours sentie un peu une intruse dans le système scolaire. Elle n’a suivi le cursus général qu’à cause de l’insistance désespérée de sa mère qui craignait de la voir finir, comme elle, femme de ménage. Anissa s’est battue pour satisfaire sa mère, elle a choisi les mêmes spécialités que ses copines, humanités littérature et philosophie pour ne pas finir encore plus perdue. Elle stresse pour le bac dont elle ne comprend pas les modalités pour cette année, le discours politique change, toujours, comme le #déconfinement dont on ne comprend s’il sera le #19mai en #juin ou #jamais.
Elle ajoutera il est où Damso ? et #BTSPAVEDTHEWAY
Anissa ne tient pas en place et sort, dix minutes après la remarque du prof, son téléphone, sur lequel elle ouvre #wattpad. Elle lit beaucoup sur #wattpad, elle y écrit encore plus.
Le soir, après avoir bloqué une heure sans écrire, Anissa se rappela de son interaction du matin et se mit à lire les écrits de lou des bois comme Lou se désignait sur la plateforme. Elle y passa la nuit. Elle adorait tout ce que Lou écrivait. Ses poèmes, ses nouvelles, ses romans avortés et en cours et une sorte de romance homosexuelle bizarre avec #EmmanuelMacron et une petite frappe d’Amiens nommé #billie.
A partir de ce moment là Anissa intégra Lou au groupe de ses amies qui, de peur de gêner, prit le moins de place possible. Le jour des vacances scolaires, Lana invita la bande chez elle et parla de 420 avec de gros éclats de rire ce que Lou ne comprit pas du tout, elle les accompagna, préférant largement leur compagnie à la solitude qui fut toujours son lot. L’appartement était vide pour le week-end. Max squattait chez Laure, sa copine, la seule qu’il eût jamais, et les parents ne rentreraient que bien plus tard. Quand Lana se mit à rouler Lou ouvrit grand les yeux, très inquiète devant le geste illégal, et voulut partir mais se ravisa de peur de perdre ses nouvelles amies. Lou refusa de fumer et Lana, défoncée, n’insista pas mais lui dit je croyais trop t’étais une vieille meuf prétentieuse. Le visage de Lou se contracta, elle hésitait entre le sourire soumis et les larmes angoissées qui lui montaient. Anissa, arriva, la prit dans ses bras et dit à Lana, t’abuses !! Lana, rit du rire mou et enroué de la beuh et s’excusa je te kiffe maintenant hein.
De leur passion pour l’écriture, Lou et Anissa ne s’ouvrent que peu auprès des autres filles, aucune d’entre elles ne l’ignore, évidemment. A cette pratique personne n’assigne aucune valeur positive ou négative, elle est un fait, à égalité avec la passion de Lana pour la #K-Pop ou la pratique semi-virtuose d’Ophélie sur Instagram. Si écrire peut faire l’objet de moqueries ce n’est jamais que pour rire, de la même façon qu’on se moque de la superficialité d’Ophélie et d’Instagram ou du fanatisme religieux de Lana pour tout ce qui est sud-coréen. Chiara, durant l’été 2019, avait envoyé un snap depuis le Barbecue Coréen où elle dînait avec ses parents et, sur la photo où les tranches de viande grillaient, écrivit : le harem de Lana.
La cloche sonne enfin, Anissa murmure Ya Rahbi Rayan l’entend et mime l’horreur starf une islamo-gauchiste Anissa, en même temps qu’elle prend ses affaires, tu dis starf et tu parles ? Rayan ahahah, je fais #ramadan c’est pour ça. Il lui demande tu fais quoi après ? Anissa rougit un peu et sans la laisser répondre il reprend avec un faux détachement Tu rejoins Lana ? Anissa n’est pas particulièrement intéressée par Rayan mais ça la vexe quand même, Ouais enfin pas sûr pourquoi ? Rayan pour rien, pour rien, juste comme ça. Il va dire quelque chose puis se ravise Anissa demande T’allais dire quoi ? il répond rien, rien t’inquiètes puis agite la main en direction de deux garçons près de la porte ehhh malik ça dit quoi ? Anissa entend le mot #PSG et le groupe des garçons disparaît.
Twitter 28 avril 2021
Twitter 28 avril 16h32
Le match de #Benzema avait ravi Max, cte contrôle de la tête bim reprise de volée dans la mère à Mendy. Mais le score ne lui convenait pas 1-1 à domicile c’est la merde…twettait-il dans l’indifférence générale. Ses tweets ne perçaient jamais, un de ses amis, un jour, l’avait raillé à ce sujet t’as 3500 tweets et 75 abonnés…le même ratio que #Werner devant le but. Max n’avait su quoi répondre, la répartie n’était pas son fort et il ne trouvait, dans le meilleur des cas, le bon mot que des mois après l’événement. Max détestait sa soeur Lana il la trouvait superficielle, ridicule, il haïssait la K-Pop qu’elle écoutait à longueur de journée et prenait un malin plaisir à taper contre le mur séparant leurs deux chambres lorsque, invitant une amie, Lana voulait s’ambiancer avec sa copine. Max se montrait particulièrement pointilleux quant au volume lorsqu’Ophélie rejoignait sa soeur, la voix de #Joonie, toujours, se trouvait interrompue par ce martèlement frénétique. Chiara, un jour, demanda à Lana je peux le défoncer stp ? Lana, fit un geste de la main, laisse tomber. De toutes façons y a que quand Ophélie et là qu’il s’arrête pas. Là t’inquiètes.
Un soir, après le départ d’Ophélie, Lana fit remarquer à son frère, d’un air mi-amusé, mi dégoûté, tu la kiffes hein ? Max bégaya, rouge de honte, les yeux haineux, cette pute ? puis il rejoignit sa chambre, claqua la porte, poussa la puissance de ses enceintes au maximum pour écouter #Kendrick. Lana, soupira. Max pensait prouver, par ces coups brutaux, sa virilité, il imaginait que ces gestes vifs et bruyants feraient de lui, aux yeux d’Ophélie, un mâle alpha irrésistible. Elle le faisait fantasmer à cause de son jeune âge et d’une lointaine ressemblance avec #Rina Sawayama. Sur le forum #jvxcom, dans la rubrique sexualité, il rédigeait parfois de longs posts pour demander conseil les kheys la pote trop bonne de ma soeur mineure me fait des avances de fou. Les membres l’incitaient à profiter, quelques uns lui proposaient d’inclure la soeur, d’autres de filmer le tout.
Ophélie trouvait Max chelou et, sans qu’elle ne l’avoua directement à Lana, vraiment malaisant. Ophélie n’en cessa pas pour autant ses visites hebdomadaires chez Lana, Ophélie aimait et admirait Lana, son assurance, cette inflexibilité quant à ses goûts même les plus clivants, sa capacité à dire je ne sais pas ou je m’en fous. Lana donne du courage, par son exemple, à Ophélie et le jour où des garçons de la classe tournait le viol en dérision pour défendre #Moha la Squale, Lana gifla le meneur puis repartit comme une #queen comme le dirent les autres filles de classe. Ophélie puise à ce souvenir lorsque la peur la paralyse et y trouve la force d’agir.
Lana aime Ophélie, sans aucun doute. Lana jalouse Ophélie, elle lui envie son goût sûr et simple, ses longues jambes, son beau visage et se console de posséder, elle, une plus jolie poitrine que celle d’Ophélie. Un jour Lana, un peu défoncée, avait persiflé auprès de Chiara Ophélie, on lui colle un sticker quicksilver ça fait une planche de surf. Chiara ne répondit rien, elle écarquilla ses grands yeux noirs, et le répéta dès qu’elle le put à Ophélie qui pleura beaucoup. Personne n’en tint rigueur à personne, Lana, le lendemain, mouilla le beau visage d’Ophélie de baisers et de larmes, et Ophélie pleurait et ses cheveux étaient humides et Chiara patronnait la scène en pleurant elle aussi.
Max ne parvient pas à se trouver une place dans le monde, il a redoublé deux fois sa L1 de droit et ne se rend plus à l’Université, il socialisait peu avant le Covid et a désormais une excuse pour ne rien faire. Sa mère s’en désole, son père s’indiffère. Deux fois par an il le traite de parasite. Sa mère cherche des solutions, elle épluche les offres de formation courte et professionalisante, tiens regarde ce #BTS à quoi il répond d’un rire méchant et méprisant tu me prends pour qui ? pour un enfant de #Dole ?
Lana connaît à peu près le comportement de son frère sur Internet et sait pertinemment qu’elle ne pourra pas le changer. Elle ne peut arracher Max à sa chute ni même ralentir celle-ci, elle a essayé il y a deux ans, au début, quand Max commençait seulement à déchoir. Il la repoussa avec haine, il voyait en elle quelque chose qui le rendait fou de rage, il traitait l’amour de sa soeur comme une charité humiliante. Alors, l’amour enfantin pour ce frère jadis aimé devint une vague indifférence puis un grand dégoût lorsqu’elle l’entendit défendre la pédophilie sur le #discord consacré aux scans de manga où ils participaient tous les deux. Elle quitta le #discord aussitôt, se souvenant avec horreur des arguments avancés par son frère. Chaque fois que dans l’actualité, une affaire de cette nature ressort, elle pense à son frère, le regarde avec colère, la mâchoire serrée, bougeant de droite à gauche dans un grincement méchant.
Lana avait pesté contre son frère après la conversation de la veille et le soir elle reçoit un SMS d'Ophélie
Dis, tu crois pas qu’il fait une dépression Max ?
Twitter 27 Avril 2021
Lana se réveille à 8 heures comme tous les jours y compris le week-end, y compris pendant les vacances, y compris pendant les semaines de cours en #distanciel. Elle désactive l’alarme avant qu’elle ne sonne, elle ne règle celle-ci que par précaution, au cas où, un jour un rêve trop intense la priverait du rivage de l’éveil.
Aujourd’hui, elle n’a pas cours, le lycée a décidé la veille de diviser les classes en demi-groupes. Son édification reprendra la semaine suivante, puis à nouveau une semaine blanche, puis à nouveau la classe en demi-groupe ; une instruction menée à cloche-pieds (dont on espère qu’elle ne formera pas des boiteuxses et des infirmes). Lana est une élève moyenne et sérieuse de la 3ème à la première sa moyenne a baissé avec régularité ; 1 point chaque année pour se fixer, aujourd’hui en terminale, à 13 qui semble être son plancher. Elle vise la mention Bien au Bac. Elle n’excelle en aucune matière et regrette l’absence de spé coréen dans son lycée, par naïveté géographique et culturelle elle a choisi d’apprendre le chinois. Aujourd’hui, elle conçoit, honteuse, combien la raison de son choix, en seconde, était raciste.
Lana gère avec doigté son existence numérique, elle se soucie peu, bien sûr, de la valeur de ses données, de leur encodage ou leur traçabilité. Elle clique sans regarder sur le « ok tout accepter » chaque fois que l’option apparaît, elle ignore absolument ce à quoi elle consent en cette matière. En une demie-heure, elle a pu parcourir l’actualité du monde, c’est à dire de #BTS ou de #Enhypen sur Twitter, et sa vie sociale par Instagram.
A 8h30 elle quitte son lit, elle passe devant la chambre de son grand-frère à quoi elle se promet de ne jamais ressembler, ce geek avec son poster du #Real Madrid sur la porte qui s’affiche sans vergogne et lui fout la honte chaque fois qu’une copine passe à la maison. Elle aimerait le déchirer, son frère l’insulterait, à peine, elle sait quel être craintif il est. Sa mère se montrerait plus sévère, elle tient, absolument au respect de la propriété de chacun. Le père ne prendrait pas partie, il préfère, en tout s’abstenir, sauf au jour des élections présidentielles en râlant contre le résultat, quel qu’il soit. La veille, son père protestait contre les nouvelles mesures sanitaires sans expliquer ce qu’il leur reprochait ni même leur contenu. Au dîner Lana échangeait avec son père
Lana : tu te feras vacciner ?
Vers 9h Anissa lui envoie un message :

Twitter 26 Avril 2021
Il est magnifique le clip #Enhypen, s’exclama Lana au milieu de l’après-midi, lundi. Ses 4 amies et elles mangeaient un sandwich libanais dans un parc peu connu, proche de la rue Doudeauville, dans le 18ème. Lana, répétait : il est magnifique et tendait son téléphone à ses amies qui partageaient, avec moins d’entrain, son enthousiasme. Cette partie là, i n c r o y a b l e, disait-elle en désignant l’écran ce qui fit rougir Ophélie qui, honteuse de sa honte, demanda on a toute eu la même réaction ? Personne ne lui répondit, les autres filles observaient Lana et ses yeux scintillants de lumière bleue. Lana rêvait aux embrassades avec son chanteur préféré et n’accordait ni à la honte ni à la parole d’Ophélie la moindre attention. Si les autres lui parlaient, Lana se contentait d’une molle approbation.
Elle s’abandonnait à la seule activité sérieuse et importante ; caresser en pensées le corps de #Heeseung, là, presque réel sur l’écran animé. Lana, à force de répétitions, de rêveries, de recherches google image connaissait, mieux que son médecin, l’anatomie de #Heeseung. Elle pouvait deviner, malgré le maquillage et les effets spéciaux des clips, l’état de santé véritable de son idole. Elle en pouvait mesurer les moindres variations, s’en inquiéter et envoyer à la boite de production des recommandations douces mais fermes.
Les images qui traversaient Lana étaient sans contours, inexactes en quelque sorte ; son désir ne se composait pas d’une série de gestes, il consistait en une succession d’impressions et de secousses internes.
Lana quitta brutalement ses amies, déçue, sûrement, de les voir si peu partager son excitation. Elle marcha vite, sans se retourner, comme pour les devancer si jamais, au bout de la rue, #Heeseung devait apparaître. Oui, dans ce cas, Ophélie ne l’aurait pas, avec ses longs ongles peints à la mode et ses talons transparents. Elle prendrait #Heeseung par le bras - ou se laisserait prendre par lui - et l’entraînerait dans les ruelles compliquées de Paris…Au croisement du boulevard Barbès et du boulevard de Rochechouart elle entendit une sorte de clameur s’approcher d’elle qui la figea. Prise par ses fantasmes elle ne pouvait imaginer d’autre objet à la clameur que la présence d’#Heeseung. Ses amies, à ce moment là, la rejoignaient essoufflées et Lana pesta.
Anissa si on te dérange dis le hein. C’est pas ça, je croyais…Le cortège du #lesbianvisibilyday approchait, chantant et agitant des bannières et des pancartes.
Les autres filles de la bande de Lana baillaient, Chiara, petite, brune, sentant bon le cèdre et le lilas, chantonnait You promised the world and I fell for it de #Séléna Gomez. Lana leva les yeux au ciel, activa le haut-parleur de son iPhone et diffusa le premier clip de l’album #Border Carnival en bafouillant les paroles qu’elle n’avait pas encore eu le temps d’apprendre. Tout, plutôt que de laisser la voix impie de #Séléna Gomez couvrir dans son esprit le doux souvenir de #Heeseung. La chanson finie, avant que Lana n’ait le temps de ranger son téléphone ou de changer de vidéo, une pub orange hurla depuis l’application YouTube, le joueur du PSG #Kimpembe hurlait quelque chose de vague à propos de la 5G. Chiara, piquée et piquante, ah, c’est mieux que ce qui était juste avant ça. Sans en rien laisser paraître Lana boue et rit avec Chiara puis se plaint de cette incompréhensible #rentrée scolaire, pour nous les lycéennes c’est devenu incompréhensible. Anissa poursuit…et encore toi t’as pas un frère qui passe sa journée à te parler de foot ou de #Ratchet et Clank. C’est quoi #Ratchet et Clank demande Lana, par politesse. Je sais pas, je sais pas. Les filles rient.
Lou reprend…vous savez qu’aujourd’hui…#tchernobyl
Marthe - Viol
Consigne : utiliser le mot marteau, entre autre, les suivants j'ai oublié
la concordance des temps n'est pas respectée parce que toujours les choses se jouent au passé et au futur
Marthe maniait depuis sa plus tendre adolescence le marteau et la menace. Elle se tenait du côté de la violence et rien, ni son cou de vieille ou le rétrécissement de son bassin passée 50 ans, ne changera sa pratique.
A Ménilmontant, on la connaissait sous le nom de Marthe la forge sans que personne, jamais, ne comprit son métier et elle se plaisait à entretenir le doute à ce sujet. Elle interdisait, seulement, qu’on lui en attribua deux : maquerelle et indic’. Malheur à celle ou celui qui, pour la farce même, lui attribuait ce rôle. Elle sortait, sans précipitation son marteau, et désignait alors l’impertinent qui, très vite, comprenait sa bévue et, se reprenant, la tête basse s’excusait. Marthe, par bonheur, ne savait ni la rancune ni la vengeance et, si elle devait recroiser l’effronté ne gardait aucun souvenir de sa trop folle audace.
Enfant, Marthe avait le goût des escapades crépusculaires pour le plus grand désespoir de sa soeur aînée, Sylviane, qui toujours la poursuivait dans les rues et, toujours, la perdait dans quelque secret passage de Marthe seul connu.
A sept ans, quand Paris sentait encore le faubourg et le coupe-gorge, un homme viola sa soeur sous ses yeux. La violence avait pénétré dans la maison, velue, à l’odeur de Ricard et à l’oeil masculin de petit commerçant. D’autres enfants, à sa place, sûrement figés par la stupeur seraient demeurés immobiles ou bien, capable d’un seul geste, auraient couvert leurs yeux de leurs deux petites mains. Sa main d’enfant, Marthe l’employa à un autre usage, elle ouvrit le buffet du salon où traînaient, poussiéreux, les clous, les chevilles et le marteau à tête d’acier inoxydable.
Elle saisit le marteau, s’approche du violeur et de toute sa force enfantine, cette force qui toujours ira croissante dans la violence et la menace, l’abat sur le crâne criminel.
Le coup atteignit mortellement le violeur. L’air stupide, il tente de protester, s’effondre, inerte, la bouche demie-ouverte, sans bruit. Le sang ne coule pas, le légiste ne trouvera aucune plaie. La mort trop honteuse pour exposer d’elle autre chose que cette masse molle, sans attribut.
La mère vivait de débrouille, son portefeuille contenait une petite carte jaune, précieusement conservée, tamponnée par la préfecture de police qui autorisait son activité en rappelant que celle-ci, toujours, s’expose au contrôle administratif. Il fallait, alors, un titre de séjour pour demeurer la nuit sur les trottoirs et se faire extorquer contre des billets de 10 francs et la syphilis la pénétration de son sexe.
Elle arpentait à petits pas timides les ruelles sombres et insalubres qui bordaient la Bièvre. Elle trouvait du réconfort près de cette rivière puante avant qu’on ne la coule sous des centaines de tonnes de ciment croyant, par là, enterrer la douleur et l’insalubrité. Ces siamoises réapparaissent ailleurs, dans les bois ou d’autres rues truandes.
La puanteur, hélas, trop répandue se trouve produite en série avec une infernale régularité sur une chaîne de montage qui ne connaît ni grèves ni syndicats.
La nuit du viol Marceline, la mère prenait par le bras plus d’hommes que d’habitude, se montrait insistante, courageuse, désespérée. Marthe venait d’avoir sept ans et Marceline tenait à lui offrir le gâteau d’anniversaire dont elle rêvait. Un an auparavant, à travers la vitrine d’une pâtisserie chic du Boulevard du Montparnasse, Marthe se lécha les babines devant un glaçage parfait, les fruits cueillis à l’heure et confits comme des perles. Elle s’exclama avec son enthousiasme d’enfant : oh ce serait si bon !
Marceline, attendit au-delà de l’aube cette nuit-là pour rentrer au martin les bras chargés du cercle parfait et délicieux dont rêvait sa cadette.
Pour les deux soeurs, le violeur avait prévu un présent d’une autre sorte sans qu’il ne s’imaginât le merci sourd et solennel que, dans sa langue d’enfant féroce Marthe lui adresserait.
Au matin, Marceline, la mère épuisée, trouvera à la maison les gens d’armes au regard las et suspicieux. Elle, Marceline, tient dans ses mains la boîte de carton blanc qui sent bon la fête et la joie.
A l’entrée de Marceline, l’inspecteur ne retira pas son béret, sèchement, parfaitement hors de propos, il lui réclama son autorisation administrative, comme il a dit en grinçant. Il la contrôle à fin exclusive d’humiliation. Marceline, sait qu’ici, chez elle, en dehors du trottoir, l’inspecteur ne possède aucun droit elle sait, aussi hélas, qu’elle dispose de moins encore. Elle dépose sur le pauvre petit buffet, avec des gestes précautionneux, comme un vase en porcelaine précieuse sur la boîte en carton blanc
Elle cherche, sans trembler, d’un geste accoutumé, le regard fixé sur la boite en carton, sa carte jaune, pas cornée, qu’elle tend à l’inspecteur Philippe tel qu’il ne se présente pas.
Il lui rend le document qu’il ne toucha que du bout des doigts, sans commentaire, soulignant combien ce papier le répugne, puis désigne d’un mouvement de tête les deux filles.
Voyez les enfants de la débauche. Si ça ne tenait qu’à moi…Une fille de pas treize ans qui ouvre les cuisses au tout-venant et l’autre…
Marceline épuisée, hagarde, tend à nouveau sa carte, comme si régnait entre l’inspecteur et elle un malentendu, que quelque chose lui avait échappé.
Sans aucune parole elle désigne avec une insistance inquiète le tampon préfectoral comme si la signature républicaine, sainte en quelque sorte, la rétablissait dans l’honneur et la citoyenneté, l’arrachait au soupçon.
L’inspecteur ignore Marceline, elle appartient, à ses yeux, au genre des meubles dégradés, tout juste bon pour la décharge ou les gens du voyage qui, eux aussi, circulent chargé d’une autorisation de déplacement.
Marceline, tête basse, entend l’inspecteur Philippe déambuler dans l’appartement, examiner le pauvre mobilier du pauvre appartement où logent les trois femmes. Elle ressent une honte immense devant le dénuement où elle se trouve, la paillasse qui lui sert de lit, les fenêtres impossibles à ouvrir. Pas d’homme, il dit, pas d’homme comme si, ceci, ajoutait encore un peu plus d’inhumanité à la condition des trois femmes. Pas de fils. Heureusement. Il continue d’arpenter l’appartement avec dégoût, se gratte le cou qui ne le démange pas. Demande s’il y a des punaises. N’attend aucune réponse. Les deux soeurs ne bougent pas. En présence des représentants de la loi, leur mère, sévèrement, sa seule sévérité jamais, exigea d’elles en les suppliant, les yeux étincelants, de se rendre invisibles. Surtout toi ma petite Marthe, une tristesse immense dans la voix.
Elle sait trop comme chacun de ses gestes, toujours, aux yeux des gens de loi la condamne ; sa vie même constitue une circonstance aggravante.
Sylviane, de toutes façons, a perdu progressivement l’usage de ses membres. La vie décroit en elle, à peine agitée d’un léger spasme, toute retentissante, encore, du mouvement du viol, de l’anéantissement qui la visait et l’atteignit.
L’inspecteur Philippe murmure, putains, putains à voix basse mais sans honte, il murmure putains, putains, comme si le mot salissait son uniforme saint. Sylviane entend le pluriel de ce mot, le pluriel qui condamne sa pauvre mère et pire encore, pire puisque ce peut-être pire, le néant où on la relègue, elle. Elle, immobile, inerte, plus inerte encore que le corps tué du violeur déformé, lui, par les gaz post-mortem et le mouvement invisible des premiers vers.
Alors Sylviane ouvre la bouche et parle, froidement, durement. Elle trouve, du fin fond de ces eaux marécageuses, sous la pression infâme du mépris administratif, une force, un point de lumière qui ira, grandissant, la gardant toute la vie du néant qui faillit l’engloutir jusqu’au cou. Elle parle et voit le visage honteux de maman, maman, les mains toujours tendant le maudit bout de carton jaune, maman qui ne regarde plus sur le buffet le paquet de carton blanc. Pour elle toutes les odeurs, toutes les couleurs sont exténuées. La beauté décroit. Sylviane, elle sent l’odeur des fruits confits, du Ricard, du viol. Elle voit Marthe qui de toute la nuit sans sommeil n’avait pas relâché d’entre ses mains d’enfant le manche en bois du marteau à tête d’acier, Marthe prête, à nouveau, à tuer. Marthe, le geste tendu toute la nuit comme la corde d’un archer anglais pendant la guerre de cent ans.
Sylviane parle et sous ces coups de burin, l’inspecteur rétrécit et pâlit, la honte change de sexe, aucune protestation ne sort de sa bouche torve, il ne parvient plus à dire, son uniforme tombe, il cache son corps nu sous ses mains, il sent la honte qui l’étreint, sa gorge s’assèche. Il murmure, il ne sait d’où vient ce murmure, ce murmure humain, ce murmure de fils, de père, de frère, il murmure…pas d’inquiétudes, pas d’inquiétudes.
Je suis désolé, désolé, toute la vie, pour geste de contrition, il protégera, discrètement, avec la discrétion qu’exigeait Marceline de ses filles, les trois femmes.
Il empêchera la presse de relater les événements, à peine un entre-filet de ce qui, sans son intervention, aurait fait les choux-gras d’une presse trop avide de sensationnel.
Sylviane, elle, quittera la France, elle exercera une autre violence que Marthe, sa soeur. Elle posera des bombes, anarchiste débutante puis convertie tardive au communiste.
Sa soeur méprisa le charme révolutionnaire, les explosions l’agaçaient, la guerre lui en offrit un stock suffisant.
Sylviane, immigra, avec d’autres, en Union Soviétique où elle conserva une haine féroce contre les flics, y compris la police du peuple. Son histoire disparaîtra dans la toundra, la neige sibérienne ou la perspective Nevski. A son tour elle emprunta une ruelle d’elle seule connue.
Marceline tendit toujours sa petite carte jaune même après la disparition des cartes jaunes, elle tendait dans le cercueil et sur son lit de mort la carte jaune, elle désignait, au milieu de l’ultime délire, le tampon imaginaire qui faisait d’elle, à ses yeux, un être humain.
Temps Gris
Les jours étaient beaux et moi j’étais triste. Le soleil se levait et moi, bien après lui, je me levais. Je voyais sa lumière belle et pure et sa lumière belle et pure n’entrait pas en moi, elle glissait, évaporée avant de m’atteindre. Je demeurais gris
Me reviennent en mémoire ces jours neutres, ce temps sans couleur, sans odeur, ce temps gris qui colle, sans férocité ni pitié, à la moitié de toute ma vie.
Mes souvenirs ne m’apparaissent jamais avec la linéarité froide des faits, ils se présentent toujours sous la forme imprécise de sensations et d’impressions ; les événements objectifs n’en constitueraient que l’arrière plan, le savoir dispensable des arrières-cours, la matière réservée aux alibis.
Ma biographie réelle, vécue, souvenue, se tisse de ces fils là : le mal de mer, l’engelure, le velouté, le piquant, le gris et les vagues.
En moi, le sentiment du bonheur varie peu, son apparence ne change pas. La joie me revient comme habitée de la clarté des rêves et de l’étrange lumière du sommeil.
C’est une sensation peu précise, vive, que j’appellerais, si je devais jamais la nommer, vérité.
Le soleil entre dans la chambre, il traverse le rideau rouge, peu épais trop préoccupé à tenir en équilibre pour filtrer sérieusement la lumière. Le soleil entre, tout est gris à nouveau.
Je reconnais ce sentiment du gris, tous les ans le même. Un temps comme coupé en quatre, quatre fois la sensation d’une neige noire, sale, mal-fondue sur les trottoirs salés de Paris.
Ce gris claironne les jours durs, âpres, à venir. Une paresseuse envie de mourir se délasse, en moi.
J’aime tant le gris drôle des toits de Paris, la tôle brillante comme un miroir à mille feux, j’aime tant Paris, l’été au gris éclat, chantant comme un rapace affamé, illumine la vie. J’aime tant ce gris lointain, cette pluie de fer et de bleu, ce gris des idoles au nez droit.
Alors, revient le gris, le sentiment du gris océanique, atroce. Une couleur cireuse et inodore qui tire sur le vert comme le teint d’un mort avant l’embaumement.
Au printemps 2011, j’attendais mon Thalys à la Gare du Midi et quelqu’un mourait, je me souviens de cette scène, une scène immobile, une scène de l’impossibilité même du mouvement. Ce visage gris, mourant, cette couleur de masque pré-mortuaire couvre mon visage.
Tout s’engourdit, devient lourd, lent, pénible.
Je me trouve piégé dans cet espèce d’interstice qui sépare l’automne et l’hiver. Peu nombreux remarquent cet espace, celui de la pire seconde de tout un siècle ; l’instant du gris le plus pur.
Et cette saison intermédiaire qui ne dure, au pire, pour les autres que le temps d’une expiration, d'une sorte de frisson bizarre aussitôt oublié, en moi s’inscrit, dure, me dévore.
C’est une saison décharnée et humide faite de brume et cette brume une poussière grise, suffocante, une poussière dense, suspendue comme la poussière ocre des maisons de banlieue éventrée - je repasse des années plus tard, un immeuble neuf, laid, sans personnalité l’a remplacée.
Ma poussière ne virevolte pas, elle tombe, grise intransigeante, sans remords. Elle couvre tout, s’étend partout ; comme la neige blanche atténue le bruit des marcheuses, cette neige morte atténue la vie.
Place Blanche, saison intersticielle 2019, le monde autour de moi s’arrête, une bourrasque de gris me percute. Je ne bouge pas, je rejoins l’immobilité du monde, autour de moi, le mouvement reprend. Pas moi.
Dehors, il faisait beau…
le sommeil me vient au matin, peu avant le lever du jour, comme le veilleur de nuit qui, sa tâche acquitée, cède sa place à la lumière sans bavures.
Chapitre Roman - Nathalie Quintane - Un livre en trop.
Je poste, régulièrement, des chapitres de mon roman en cours d'écriture. Celui-ci s'appelle Le livre en trop ou la littérature surnuméraire.
La bande d'amis qui se retrouve ici n'a pas besoin de contextualisation me semble-t-il.


Albane nous parle, avec une moue de dégoût, de Quintane, elle a lu Un oeil en moins un mauvais livre, plein de pathétisme, poème à la gloire des pauvres, dédié aux damnés de la Terre.
Le livre met en scène une demie-bourgeoise. Elle peint, dans les bas-fonds de l’Auvergne ou je ne sais quelle localité rurale, des pancartes, en gilet jaune, pour dire à Macron que ça suffit.

C’est autobiographiqueQuintane raconte son parcours effectif, réel, parmi les vilains, les sans terres et les sans dents. durant le mouvement des gilets jaunes qui débuta à l’automne 2018. De Quintane le moment d’intrusion (d’incruste? d’entrisme?) demeure flou, je la soupçonne, à tort peut-être, d’avoir d’abord regardé la jacquerie avec un peu de morgue, genre le rassemblement des fascistes, les nouveaux bonnets rouges, les buveurs de diesel et de picon bière. Avant de se dire, les larmes aux yeux (évidemment) c’est le peuple. ou voilà le Peuple.

Dans le livre, Quintane rapporte les paroles des pauvres avec une fascination béate, tout ce qui sort de la bouche des pauvres, semble l’émerveiller. Elle paraît s’étonner même que ces hurluberlus soient doués de parole. Face à l’enfant précoce, articulant (3 ans 1/4) sa première subordonnée conjonctive, j’ai connu moi aussi cet émerveillement.
Elle attife son style de zozotements, craignant sûrement de parler trop compliqué, d’avoir l’air d’une bourgeoise, d’une pas-comme-eux. Elle doit soigner la présentation d’elle-même mieux, plus encore, qu’au bal des débutantes, la toute jeune fille commençante. Elle écrit dans un style idiot, simple elle doit se dire, vrai comme la langue du peuple. Albane n’y voit que mépris et je partage son avis.
Albane et moi nous prenons de passion pour défoncer Quintane. J’ai la passion de l’agon de la lutte excessive. Albane me suit dans cet inévitable vertige. Sélim, nous accompagne, en sortant de son sac une magnifique bouteille de whisky, Nikka Coffee grain dont il détaille avec la science d’un rédacteur technique, la biographie.
Elle a raison, Quintane. Il faut bien agir non ? à la fin…On fait comment ? dit Estelle, interrompant l’ivresse, le délire commun, le massacre en commun.
Je lui réponds, sèchement, pour reprendre rapidement le cours des libations…on ouvre pas sa gueule, on écrit pas un livre.
Estelle : il faut bien faire quelque chose…
Albane : Ouais, savoir de quoi on parle.
Sélim : Vous êtes très chiants…Tiens Estelle, dit-il en tendant un verre de whisky, ils ont utilisé un alambic à café tu vois pour ext…
Moi : Oh le banquier anarchiste ça va…
Sélim : Qui paie ton loyer ?
Moi : La maladie.
Estelle : Quel rapport ?
Sélim : Avec les impôts de…?
Moi : Certainement pas les tiens, le domicilié fiscal du Maryland ou je sais pas où
Sélim, désigne le whisky : 40% d’alcool, 40% de TVA, tu sais ! C’est de l’impôt ça la TVA. Payé, visa diamond, sur l’ongle.
Moi : Adorable, Sélim, offrant le fruit fermenté de son dur labeur aux misérables, t’as essayé d’en proposer aux pauvres de Quintane ?
Albane, soupire, nous regarde, Estelle et elles se sont tues, attendant qu’on finisse Sélim et moi. Estelle finit par dire : c’est bon ? vous avez fini ? Albane ajoute, dans un soupir, : typique des mecs
Sélim : Ah, les féministes…
Estelle : Oui, hein on peut plus rien dire.
Sélim : Oh, casse-couilles…
Moi : Bref
Albane : Voilà bref.
Albane reprend la parole. Elle analyse toujours très finement les mouvements politiques et les positions sociales des acteurs. Elle comprend très bien les jeux de pouvoir et leurs implicites perversions ; la lutte, in fine, pour le pouvoir, toujours, sert – servira – une ambition personnelle. Toujours (la lutte) vise à s’établir, soi-même, au sommet de la nouvelle hégémonie. Elle ricane, en la présence de Lucile quand celle-ci se lance à cris perdus dans des diatribes anti-mascus. Albane voit bien, mieux que moi, bien mieux que moi, que pour Lucile le féminisme, comme le reste, ne constitue qu’un instrument d’autorité, un nouveau diplôme à faire valoir dans un nouveau champ en germe, à produire dans une nouvelle légitimité produisant de nouvelles hiérarchies (Et Lucile compte bien occuper une fonction de cadre). Une horreur plus juste remplacera une horreur…c’est tout.
Albane : Qu’elle (elle parle de Quintane) écrive un livre théorique ou stratégique genre : voilà comment faire la guerre, voilà la psyché des dominants, voilà comment on mène une guérilla, les tactiques, l’artisanat de la bombe, les têtes de ponts à établir, Bang…A la limite…Qu’elle entre à l’usine (Quintane ne pointerait pas à l'usine elle s’inscrirait) pourquoi pas, les coudes vraiment salopés par les gestes répétitifs…La pauvreté c'est une répétition. C’est trop facile là, le petit atelier de la révolte, dans le petit local mignon, elle doit appeler ça « la masure » un truc comme ça…Ca doit lui sembler poétique. On risque pas la tendinite en écrivant « Mort Au Capitalisme » sur une pancarte.
Moi : Ouais, elle doit se dire un jour la beauté sauvera le monde
Sélim : en prenant un air très concentré genre clitoris vaincra
Estelle : t’es chiant…
Albane : Vous êtes tous des artistes !! Elle doit leur dire ça, en tapant dans ses mains.
Sélim : Ouais une pancarte avec « Nous sommes toustes des artistes » puis sur le point sur le i c’est un pavé…non un clito plutôt.
Moi : j’imagine les SMS qu’elle envoie à ses amis des grandes villes genre « ils sont fa-bu-leux ». Ce truc méprisant, le petit air de supériorité à l’endroit de ses amis au chaud loin du brasier ardent des luttes. Le truc type moi je suis dans le vrai monde, dans le mouvement, où ça bouge. Les gens qui rentrent de manifs sont comme ça aussi avec l’air du j’y étais les larmes aux yeux en se voyant à la télévision…T’as l’impression qu’ils sont entre les blacks blocks et les brigades rouges, incertains encore de la couleur à se donner. D’ailleurs sur le truc ils sont fabuleux y avait une infirmière stagiaire à l’hopital psy elle nous parlait tout le temps comme à des débiles. Tu sais là en allongeant les syllabes, comme si elle sait pas très bien…oui savait, pardon, comme si elle savait pas si on est lents à percuter, malentendant, fragiles ou complètement demeurés. Dans le doute elle faisait Co Ment Ca Va JOO Na Than ? Moi TR èè S bien Merci On va dé jeuu ner ? Oh Je su iiis Con-ten- – – t-e.
Sélim fait une moue, un air, c’est long quand tu parles. Il prend le verre de whisky, le mien, je crois qu’il va me servir, il sert, il le boit rapidement. La flemme de lui dire c’est mon verre. Le souvenir de la pandémie n’a pas laissé trop de traces, heureusement.
Devant son attitude désinvolte de mec pas énervé, juste un peu soûlé qui le laisse voir sans trop en faire…Là, il croise les jambes et me renvoie à moi, ma défaillance… cette lourdeur du mot de trop, de la peur de trop.
Sélim, décroise les jambes et reprend la parole, il la reprend avec facilité, il efface la lourdeur de mon trop long monologue.
Rien ne semble s’être passé. Il parle :
- vous savez quoi ? Le seul truc qui l’aurait rendue légitime cette s… (il ne dit pas le mot, le regard d’Albane a comme scié l’injure) c’est de vraiment perdre un oeil.
On est entre nous, personne ne s’indigne, en fait on est plutôt d’accord. Notre silence dit, oui, c’est sûr. Là elle aurait eu le droit de parler. D’écrire « un oeil en moins »
Sélim : parce que son atelier pancarte on dirait de l’art thérapie pour mongoliens.
Lui aussi, le trop…le trop…mais comme…du côté positif, favorable du trop. L’aspect baroque, vers le ciel tandis que moi…des profondeurs. Il dit l’art thérapie pour les mongoliens en recroisant ses jambes. Avec l’air ça n’a absolument aucune importance, allez vous faire foutre.
Sélim adoucit tout ce qu’il approche, ses injures mêmes nous les percevons comme une consolation lumineuse et drôle. L’inverse, l’inverse exact de moi…il n’est pas un trou dans le réel, pas une déchirure. Il désinvente la douleur et la violence. Je ne reviendrai pas sur ses cruautés, nombreuses, qui semblent ne l’entacher en rien. Il est pur du mal qu’il commet, irresponsable, les jambes croisées puis décroisées, comme si de rien n’était, sans dissimulations. Un air d’évidence ; en même temps ; un air d’innocence.
Je le regarde, il est très beau, comme ça, les jambes croisées, la gauche sur la droite, un peu penché en avant, déjà passé à autre chose. Ce mot plutôt infâme, mongolien, ne l’enlaidit pas. Il glisse, hors de lui, comme si une autre entité, d’une ressemblance légère (de moins en moins certaine, plus du tout ressemblante à la fin de la phrase) avec lui, l’avait prononcé.
Pouvoir d’une grâce permanente, intouchée à jamais, une eau neuve, sainte, tous les instants, coule le long de sa nuque, le purifie. Il sent, il sent le clair, le lumineux ; l’encens et le vertigineux. Personne, jamais, ne lui en veut. Même les filles qu’il quitte un peu brutalement, en disant tu m’as déçu. Pour rien. Son absence, toujours, devient une sorte de nostalgie. Il n’a rien de tragique, tout l’inverse même, une figure qui donne envie de croire…une croyance intransitive, sans objet déterminé. Croire.

Chez Quintane, chez des tas de cette sale espèce répugnante d’une certaine gauche (type toilettes sèches, anti-capitalisme – même écologique faut pas déconner – vacances non polluantes, contrôle strict de l’empreinte carbone comme une anorexique sur la balance) s’exprime un truc malsain. Une sorte de fascination pour le corps des pauvres, une fétichisation de ce qui cloche, se tord, dire que ça, cette forme, la scoliose exactement, penche du côté de la révolution…et les dents pourries, le drapeau noir de l’anarchie.
Quintane ne dit pas ce qu’elle pense des complotistes de gauche ou de droite, Quintane ne parle de peuple que fantasmé et idéal celui du pays réel très cher à l’extrême droite, le peuple celui de l’oeil en moins, se confond avec le peuple d’Eric Zemmour et de Radio Courtoise.
Le peuple se trompe de colère, elle devait dire en 2002 quand JM Le Pen parvint au second tour, aujourd’hui elle doit parler de la trahison des élites (le peuple ne se trompe plus) la prochaine fois un truc genre la politique hors les murs. L’élévation dans un coin de néant, vers Laon dans l’Ain, d’une maison-masure-communautaire-everything-friendly retapée (évidemment). En présentant le projet en vue d’obtenir une subvention, ou mieux, en passant par une souscription populaire et citoyenne, elle dira la politique hors les murs ou seulement les murs des pancartes rires. Elle fera mur de tout ce qui fait peuple. Elle présentera le projet entre deux résidences.


L’oeil en moins. L’oeil en moins, celui – pas perdu – de Fly Rider et ses thèses complotistes.
L’oeil en moins, celui de Jerome Rodrigues, sa barbe, sa gouaille, son audace.
L’oeil en moins, le poing lesté de Christophe Dettinger,
Les menottes serrées autour des deux poignets de Christophe Dettinger.
Nathalie Quintane, comme Juan Branco, fait commerce et trafic de pancartes et de révoltes. Depuis 2018 Quintane est passée à autre chose, se consacre à une autre tâche littéraire du moins. Elle doit continuer à s’impliquer dans le mouvement, quelque part (à Laon?) une cellule dormante de panneaux révolutionnaires Elle a commis un hamster à l’école. ; à propos des profs…elle a été prof.
Elle reviendra par là
hamster ou souris
comptines ou regards
de l’un à l’autre.
Marielle Macé a écrit ce bouquin, Nos Cabanes. Ni son nom ni son livre ne passeront à la postérité. L’écrivant, déjà, je la constitue archive et ruine. J’ai exprimé le désir pyromane d’incendier sa ville imaginaire et, sûrement, refuserait-elle le nom de ville. Marielle Macé ne peut convoquer que le lieu exotique (englouti ou lointain), c’est à dire intact de la barbarie capitaliste occidentale. Son lieu (un nom genre le tiers-lieu) sera inspiré deL’architecture rocambolesque du Machu Picchu, des jardins suspendus de Babylone, la symbiose nature-culture de la vie vraie.
Je les imagine mourir de froid sans le
Albane conclut, dit, ces gens ont des gueules de campagne publicitaire, Branco surtout, il ressemble à un affichage dans le métro, il est voûté pareil que les panneaux. Quintane, je lui imagine un tatouage dans le bas du dos genre :
« réalisée par l’agence de pub La Masure rue du Faubourg Saint-Antoine.
Sélim : Vous avez lu le livre vous ?
Moi : Non
Estelle : Non
Albane : évidemment.
Albane, souvent, lit pour nous.
Oasis 21 - HSBC
Les blocs de béton, tout est bloc de béton, portail, fermeture, bip, moteurs, tintement du tramway, rugissement électrique, les tramways sont des chatons, des modèles réduits du cri véritable des pétroleuses pétardantes, des locotomitives en zinc gris où le soleil brille et les passagères grillent.
Continuité, permanence du gris, gris le sol, gris l’horizon, gris jusqu’au ciel comme si le béton gris remontait, à l’extrémité du monde pour tout cerner de gris, de gris morne, de béton, d’une apparence usagée, le déjà-vu immobilier, le trop vu même. L’escalier béton armé, escalier humide, la mousse a poussé longtemps sous l’indifférence générale et chaque marche connait ce tapis végétal. Puis, il y a ce type, les cheveux bouclés, l’assurance mi-feinte, mi-réelle, en construction, en débat, l’assurance comme le béton, en transit, sur le point d’être finalisée, peinte, il manque un peu de couleur, de tout à fait vu, de bien vu. Il passe son badge, une fois, deux fois, une caméra regarde, une caméra bienveillante, elle dit, par zoom et dézoom bienvenue chez toi, bravo, entre-ici, béton vivant tu bétonneras souvent. Bip magique, le bip transforme, transmue, change, sous le contact du bip la porte neuve, transparente, ouvre sur un monde lumineux de baies vitrées de soleil-parjure, Oasis 21, parquet neuf, lumières douces, oranges, lumières tendres fruits murs, lumière liquide, antioxydante, tac, tac, tac, transparence, le doigt désigne, l’open space, les bureaux en tek, les toilettes zéro déchet, Oasis 21 comme sur un fond vert se joue cette pièce, derrière le fond vert, dans le monde autour du fond vert Oasis 21, dehors, par la fenêtre d’Oasis 21 le béton, les herbes folles et mortes de la ville abandonnée à une nature peu ambitieuse, racaille, la nature des terrains vagues, racaille, poussant, chiendent et orties. Par la fenêtre, les grandes baies vitrées exposées plein Nord face au sans-soleil, le tramway au mugissement de chat précoce. Le garçon cheveux bouclés parle à une fille sweat-shirt qui dit feedback qui dit des mots à chemise et tailleur, qui porte un sweat-shirt, sous son sweat-shirt un foulard caché, un chemisier, dessous de la dentelle, dessous encore de la matraque ou les marques des suçons, les soumissions, la griffure, rah, une chatte, un chat. Le garçon cheveux bouclés derrière la chemise rien, transparent, le garçon béton, le garçon baie-vitrée, le garçon Oasis 21 on voit à travers le garçons les végétations, les cordes vocales, les choses pas arrachées, le ronflement du coeur, le cri petit du chaton prématuré. Le parquet ne grince pas, lisse, la lumière se réfléchit, fait comme mille petits lacs où désaltérer l’ombre.
Attente, le quai, le premier quai, le tramway muet, deux stations, le quai, corps défile en bas, corps défile en haut, circulation, circulation, le corps descend, remonte, bip, tac-tac-tac, alarme, le quai, une station, tac-tac-tac, bip.
Bip, c’est le bip ou l’alarme le bruit tout est bruit, bip, tac-tac-tac, bip, l’objet en métal dans le revers de la veste, l’objet qui monte dans l’ascenseur au cinquième étage. Au cinquième étage 1000 m2 de claviers de corps d’écran de tac-tac-tac de cris, de sonneries de téléphones fixes, des millions de bonjour sur une année, le plafond très haut, le bâtiment en peau de serpent, le bâtiment couleur de meurtre, le fond rouge HSBC, la cravate rouge HSBC, type meurtre, la moquette rouge, 1000m2 de flaques de meurtre, tac-tac-tac. Badge, bip, rouge sur rouge. Le noeud papillon rouge, la couleur du meurtre, le meurtre, le tapis roulant du meurtre, l’aspirateur l’homme noir la musique dans les oreilles passe l’aspirateur vrooouuumm. Musée du bruit