L'audace d'Actéon
Les éméutiers en moi ont tendu des cordons de couleur et des mains de cirque, graduellement se sont avancés des mystiques aux os creux qui n'avaient pas deux lèvres mais six maléfices en place d'appetit. Leurs coeurs scélérats vibraient cent fois l'heure un air de malheur qu'on trouve au bas des potences. Le murmure bas ce miracle que je dis des sons qui assiègent mes sens, et sont plein des âtres des symboles en flammes. Je suis le corps qui fleurit du décombre, et mon tronc maigre la tige odorante de ce nouveau tertre. Je disais plus tôt dans la vie à la petite Pauline que si ses parfums étaient un rappel de l'enfer, que si ses mains semblaient les fleurs des berges du Styx, elle ne devrait jamais, jamais, JAMAIS oublier que j'étais la terre féconde des crépuscules qui réclame la paternité du diable et d' enfanter les malheurs et les envoûtements. Je suis ce bout de ciel décroché, banni, débaptisé qui gémit en enfer et dont les plaintes et les supplices sont les bestiaux végétaux ; dont les rouées, maltraitées des mille coups de l'angélus, les empoisonneuses flottant dans leurs lambeaux d'âmes sont les nouvelles jardinières. Elles qui taillent dans la serre de ce corps que le mien les formes des désemparés pour m'offrir des membres. Mes yeux sont deux détresses ; une goutte de nuit pour l'iris une miette de peur faisant la cornée. Visage besogneux que celui des amours, et je parle du mien d'être aimant, pour le tien d'être aimé. Je siffle dans la rue cette chanson, et ceux qui me voient tordus par l'effort que requiert l'acte d'aimer, ceux qui me voient blottis comme un crépuscule dans la nappe d'argent, se souviennent mon corps supplicié la nuit à Grenoble. il y a ceux-là, deux touffes anonymes qui ont des prénoms dont l'on se moque M&M, me voyaient dévaler la montagne, ils me voyaient tétanisé par la poésie, la crampe dans le vivre, immobile dans le saut des rimants. Ils me voyaient m'écraser comme le silence sous la nef, et Margot me prenait dans ses bras silencieux, qui frottaient contre le duvet comme des allumettes prêtes à la chaleur, je sentais son ventre, et dessus qui s'y glissaient, qui s'y roulaient sucrées ses lèvres d'enfant et de mensonges.
J'écris toujours avec dans l'Orient de l'oeil, sous la porte sublime du cil, ton visage et tes yeux bleus, toi aux mains de la méfiance dont j'attends avec angoisse les politesses. Je ne veux d'amour qu'une lectrice, celle qui me devine, celle qui me subvertit tandis que je pars me défaire dans les boucles belles et neuves des mots.
J'écris, avec toi, et ta chevelure plus étonnante même que la mienne, qui me semble les nerfs d'un piano où la musique s'invite, le matin de Grieg qui y tonne, et au coeur de ma déchirure je vois tes mains dans ces algues de soleil et y passer, y défaire, y remonter le jour comme un jouet et le casser avec des gestes capricieux.
Toi, attends quelques semaines mon murmure. Promis, en mars, je te le confierai, il sera très tard, et je réciterai comme ça
"Bierstube magie allemande" pour tes "lèvres délicieuses". Je sais une musique slave, que je me mettrai aux yeux pour les faire profonds comme la nuit qui m'entraîne, me prolonge, m'invente et me morcelle C'est la nuit qui me tendait les mains, qui m'ouvrait le corps, la nuit toujours qui me fait danser, danser, dans les mélodies que poussent en gémissant les accouchées. Oui, je sais tous les pays, je sais toutes les chaos, et j'ignore encore tes yeux, et ta bouche de leurs crimes de n'être que douceurs et tendresses. J'ai vécu mille ans dans la douleur et je sais mille ans de frissons dans tes pupilles eclatantes à l'heure du coucher.
Comment dit on chez les gens à l'intelligence bienfaisante ? "Je ne suis pas libre" n'est ce pas ce que l'on dit pour avouer, honteux, que l'on doit pointer à des bras qui vérifient dans le cou s'il n'est pas une odeur d'autre sexe qui s'y est tapie, qui s'y croupit ? Je sais des évasions, des plans et des risques et de la passion creuser des conduits dans la morale, étroits comme les catacombes antiques où se déversaient en cascades les psaumes et où les voix religieuses ricochaient au mur. Qu'ils sont beaux tes yeux que les miens se déssechent de demeurer ouverts et j'effondre des réalités, je traverse des strates géologiques, je dévale de gouffres en gouffres, jusqu'à eux. ce sont, disons tes orbites imaginaires, des astres bleus, toute galaxie est deux ciels, deux planètes au noyau visible ô ma femme fiction, la gravite qui tient ensemble ce système de planètes floues c'est le droit, le soleil qui les chauffe, y fait des nuits et des jours, ce sera le poème . Je sais ton prénom. Le sais-tu toi ? C'est beau,t'aimer,je t'assure,et c'est neuf pour moi, j'oubliais comme il est acide le souffle imposé, permanent comme un vent, tu es une saison suggérée, tu t'enfonces dans moi, et tu es belle d'innocence, tu n'en sais rien de ton crime, et le samedi et le reste du temps je me rends à mes tolérances aux prénoms de fleurs, de fugues ou d'ecarts. Je me rends à ces filles aux visages faits pour l'oubli, aux ventres accueillants comme des seins maternels ma bouche noyée de cris.
Je t'aime, belle musique. Je te chante.
Veiller à l'intégrité des marchés, n'est ce pas être le vigile de la Bourse ?
Tout n'est-ce pas, est définitivement de l'étrange souplesse du prétexte, mes refus, mes tortures, mes incapacités. Lorsque sur moi je peins une misère et que j'ajoute à ma peau déjà délabrée, usée de rides, parcourue de rimes fatiguées, creusées par la nuit, gercé par la lune, lorsque je peins sur mon dedans les blessures colorées de la souffrance, qui comme des rites tribaux m'enfoncent dans des délires d'insoumis pays, dans des dimensions écrasées du poids des cris, des rages et des frissions. Tout n'est-ce pas, qui vit en moi, qui me parcourt, qui me sature la veine, qui y prolonge le sang et y réinvente le souffle, qui y fait grelotter les dents et tendre les lèvres est de cette encre noire insoluble dans le paysage, d'un grain noir impossible à délayer, à désassembler, qui reste, l'encre, comme de la poudre à canon, que le sang allume et frémit. Tout ce que je suis, n'est ce pas que ce cri que le Droit, cette austérité, voile, et dissimule aux autres, comme à jouer la farce quotidienne. Que de représentations pour quel morne succès que vivre et paraître.
De ces prétextes je pense à elle, ma belle infortune, ce petit glapissement bienheureux que je fredonne lorsque je la rêve, lorsque son parfum je le perçois dans la nudité d'une autre au prénom infernal, à l'initial du Dieu tapi dans les panthéons. Et Bérénice et sa dignité idiote qui vendredi me regardait écrire tandis que sifflait dans sa cave toutes les bouteilles de Bordeaux assoiffées de mes lèvres, Bérénice comme l'imitation sensible de mon amour inavoué, comme un crime. Elle, et son prénom déïté, Je lui écrirai, plus tard, dans les formes épaisses du sommeil, je puiserai des cratères peureux de la nuit les quelques mots du silence et de l'aimer et j'écrirai comme ça :
"je t'aime, mais s'il te plait n'en parlons jamais, je t'aime, mais c'est d'une autre réalité que je prononce dans ce langage, c'est d'être un péri que je cherche, tu es comme la mer sauvage aux crins doux qui abrite les bateaux, qui les défait et les remonte dans le soir menteur. Tu es comme la mer et je suis le matin, failli, ivre d'aube sur le pont qui joue sa sonate aux dents écarlates, à la mer qui la joue pour tes yeux bleus d'écume, percé d'Iris, et l'âme de vase de la terre, gluante comme le marécage de mes désirs. Tu es comme la mer qui grimpe jusque dans le ciel ses vagues et dont la voix mugissante borne le destin. Si je n'en dis rien, si je me tiens de l'autre côté des séductions, des bavardages, c'est par dégoût pour le vulgaire et le commun, tout ce qui est beau, noble flotte et se devine Je ne veux pas que sous mes mots craquent des intentions hideuses, et s'ils semblaient un fard mis à quelques obscurs salissures j'irai mettre le feu à tous les romans d'amour, à toutes les odes, et tous les sonnets. J'irais écraser du talon les poètes survivants...Le silence, cette voix sincère. Ce que je te montre, ce que je te donne, ce n'est pas mon corps amaigri de fatigues, ce n'est pas mon visage bouleversé d'eaux croupies, mais cette chose d'éther qui est de moi, cet autre corps cueilli dans la musique des permanences, ce que je te tends, humide et palpitant, c'est toute ma vie, tous mes pleurs, et ce corps d'éther arpentant les géographies incertaines, aux géométries anguleuses, où les idées planent et coupent, où il fait froid, où le rire est une saison, et le pleur l'éclat du jour. Ce que je te tends, c'est autre chose que ma réalité, c'est mon moi de fantasme, de guerres, et de couleurs. Ce que j'arrache, quand je te montre une page grevée de syllabes c'est ma voix, ma voix désagregée, altérée, ma voix qui ne récite que toi. Mon corps, ma matière, celle qui couche, qui truque et qui ment, je la délaisse, c'est une déroute, une retraite, un abandon, ce corps,cette chair, cette matière c'est ma haine et je ne te la tends pas, je la garde dans le noir,le silence et la mort. Je l'offre à d'autres que je n'aime pas assez, je m'y éduque les muscles fragiles et les nerfs obtus. Ce que je te montre quand je te dis je t'aime, c'est ce qui se tient profond, chaud, comme l'or arraché de l'intestin de la mine, de ce long couloir plein de creux visqueux. C'est tout au fond de moi que je ne t'invite pas, mais de l'eau souterraine qui rugit dans les cavités invisitées.
Tu m'enveloppes, tu m'enveloppes comme une idée, tu m'enveloppes comme une pensée, et je te sens dans moi remuer à la manière d'une ombre. Ce qui s'extrait de moi, ce que le jour lance en dehors de ma peau sur les parvis, sur les pavés et les trottoirs, ce crépuscule qu'il arrache et déracine de moi et que l'on nomme mon ombre, c'est toi qui t'y tient, toi, dans cette larme muette qui jaillit de tous mes membres sous la physique susceptible de la lumière. Toi, que je sens dans moi, me parcourir et me déchirer. Je ne peux pas être, je ne sais pas être, surtout. Mais je t'aime, et dedans, dans mes nuits qui je t'assure ont la même couleur froide que tes yeux beaux, je sens crépiter une sorte de feu, une sorte d'âme enviée, qui jette des lueurs semblables à tes regards qui se répandent sur la ville. Je t'aime, comme un secret, je t'aime dans l'entièreté de ta voix timide, dont on sent chaque mot qui trébuche et se redresse, toute l'assurance malaisée qui voudrait hurler et dont je sens les belles fêlures, comme les parois d'une mine d'or. Dans ta voix il y a des mains, et le baiser de ta bouche a appris le langage des muets.
Tandis que moi je ne parle plus, que mes mots se rouillent, que le rythme effrénée du sang qui m'écorche les veines, qui les ramasse, qui les étend, me vole le chant, affaisse ma voix qui tourbillonne, dont on croirait presque qu'elle hésite, ma voix, dont on s'interroge sur la rareté de son éclat, sur ses brusques et nouvelles timidtés.
Je t'aime toi, mon ombre, et j'aime le danger qui infiltre partout ses membres, j'aime sentir la main de la peur, l'étreinte sévère d'être découvert, et raillé. J'aime toutes ces choses aux yeux gris de fureur qui peuvent défaire, humilier, ravager. Qui sont le vivre et l'écrire, ces deux conditions à l'existence et l'essence, le rassemblement funeste, douloureux du moi.
J'aime toi, de sentir que tu me colonises sans savoir, qu'en moi tu te répands, jusque dans les courtes trèves que m'accordent la nuit, qui ailleurs sont le sommeil, qui ne me sont à peine qu'un répit de trois heures. Je ne suis pas sot assez pour me laisser tout à fait faire par les émotions, et si je suis étourdi, il est des choses que je sais faire. Mes mains sont des arcs et les doigts quelques flèches salies de liqueur. Je ne suis pas ignorant.
Sais-tu, la nuit, c'est ton corps contre le mien, c'est ton souffle contre mes manques, que je voudrais serrer plutôt que les corps amovibles comme des portes de mes détresses. De ces filles d'insignifiance que j'aime des pâles amours, indistincts et ternes, de ces filles que je caresse à peine du même geste que par la fenêtre la nuit qui rentr sur leurs visages et emplit leur corps de ce liquide opaque qu'est son sang, sucré comme une cerise. C'est ta voix dont je voudrais qu'elle berce l'insomnie qui m'habite, qui m'engage comme un mercenaire du poème. La nuit, j'effraie, j'hurle, je moleste la langue, elle claque, multiplie, grouille dans moi, s'arrache tout un nid de serpents qui poussent, naissent et meurent des mêmes contorsions de l'accouchement, des courbures et des pliures et dans moi laissent les odeurs pourrissantes du venin corrompant la chair. Mais je t'aime, quoi que j'y fasse, tu m'enveloppes du délice amer d'aimer. Ce calme malade, fragile au milieu de mes éclats, de mes fugues sordides. J'ai cette chaleur dedans mes yeux qui me rassure et brise un peu de ce silence que je m'impose comme un exercice. Désormais plus que la mort qui me garde, ta chaleur, et ton silence me veillent."
Je vais danser sous les ormes et lire un peu avec ce visage que le mien, taillé dans le crime, fabriqué pour l'effroi. Je t'aimerai demain encore, sans rien dire, sans rien laisser voir. Il y a vingt ans que je sais jouer la farce du monde.
Cheval blanc, crinière blonde, iris bleu
Bien sûr, que Mirjam me rend vivant, elle aurait pu être reine, se décida à être putain, de cette condition, résidu des noblesses du jadis. Putain en tout ce qu' éprouve d’accomplissement suprême la déchéance de tapiner, un trône dans la misère, un triomphe dans le désespoir, voilà les hermines en poils bêtes, voilà les couronnes d'acier corrodé, et les châteaux du néant ! Mirjam tapine dans le noir, Mirjam tapine dans le soir, parce que la nuit, dit-elle, « comme ton ombre m’abrite» à la manière d’un porche. C’est dangereux parfois, ça mutile un cri, ça lui pose une main velue de soir, la nuit, quand elle tombe sur des furieux obstinés. Il y a ce type là à l'expression parfaite du corps, aux contorsions étrangères qui avec ses dents lui déchirait les membres et cet autre qui ruait sur son corps comme à travers la peur, qui y faufilait des luttes et des révolutions, dans son pas, dit-elle, vrombissait des usines en grève et la beauté du voyou. Ce danger dit-elle me tient mieux chaud qu’un doigt gercé de réprobation morale. Un coup de poing me va mieux au nez qu'un voile et puis la nuit dissimule les bleus, les pleurs, ce aggrave le visage d'une innocence, ou d'une idée parfois, du hasard des rayons effilés de l'ombre. La nuit ne révèle rien et suggère tout, ses suaires, son sépulcre sont des toiles à peindre de fantasmes, à mettre la couleur que l'on veut aux yeux, d'allonger les cils, de raboter le nez. Elle aime la nuit, dit-elle, parce qu'elle est douloureuse comme la poésie, inquiétante comme une rime hésitante et tremblotant au bout d'un vers. Elle me dit ça, d'aimer la nuit, de se sentir l'ultime syllabe de l'élégie, dans la nuit, au bord du vide, tout près silence, tandis qu'elle jette à la rue des regards mendiants. Plutôt que faire pitié pour récolter son aumône, elle fait envie.
Je lui ai dit que j’écrivais dans le noir « parce que je sais où sont les mots je n’ai pas besoin de les braconner à l’audace d’une bougie, d’une lampe de poche, de quelques flammèches insoucieuses de leurs fragilités, de toutes ces lueurs qui viennent les brûler comme du papier photo en plein jour» elle répond en rigolant qu’elle baise dans le noir, parce qu’elle sait où est le vice. Le reste c’est bien inutile, de se voir c’est de la déception, on est toujours déçu de ce que la lumière révèle, de ce qu’elle pille à l’imagination, de ce visage réinventé sous les doigts qui à l'aube se dessine selon la norme, le canon, le jour qui mange la peau, renfonce les joues, et modèle le fantasme en la triste usure. Le jour broie tout, se répand d'uniforme, la lumière rencontre des géométries qu'elle précise, qu'elle indique, le visage plein du scientifique, tout ce qui est obstiné, incontestable en un mot réel et insuffisant est borné au jour henissant. Elle me dit que, parfois, elle se permet de brûler une chandelle pour les poètes « moi je ne sais pas où sont les mots J’ai besoin de les voir s'incruster le visage, s'inscrire sur la bougie, se poser sur les pommettes, s'instruire de silence.».
Pour mon pleur sauvage,
Une chandelle a frémi.
Mes yeux ne battent plus. Ils se sont habitués à la paupière violette de l’insomnie, le monde je le vois à travers un prisme de sang mauve, deux cerceaux de flammes sans fauve. Je vois le monde à travers un cirque chargé de nuits, de rires et de tours. Je vois le monde comme un clown magicien qui tourne vite le sable de la vie pour en faire des diamants sales mais précieux à fiancer aux solitudes. Je le raconte à Mirjam qui s’esclaffe. Elle aime le mot « cirque » elle me dit que ça lui fait penser à des billes qui roulent en désordre multicolore sur la route les forains, que c’est très drôle de voir leurs longues processions de guirlandes ambulantes traverser les villes et partout tacher le paysage. Ce sont tous des clowns, dit-elle, ils sont tous maquillés pour cacher l’horreur de la vie. En coulisses ils se frottent avec des gants d’escrocs pour faire sauter de leurs visages tous les désespoirs qui font partie des hommes. Il faut plaire, et donc paraître, sous la peau fétide, sur la structure creusée de mitraille.
« Je fais le même métier qu’eux, en plus libre, en plus violent ».
Je ne veux pas savoir ce qui l’a faite se mettre nue pour des hommes. Ce n’était pas le désir pas plus que le vice, l’orgueil, peut-être la faim, la faim qui asservit tout, qui brise les hommes mieux que le temps. Peut-être l’époque, même. Encore insatisfaite de n’avoir pu devenir quelqu’un elle s’est résolue à être quelque chose, une reine des objets, un astre immobile au milieu des boules de plastique et des crachats cérémonieux, une fixité dans l’Univers des grouillants, des agités, des corps tendus, de toutes ces choses qui rendent vieux et bêtes. Elle était prostituée comme aristocrate, régnait sur un tertre de puanteur, décrétait ici, réglementait là, la loi dans toute sa forme, dans ce tribunal de liberté, où le jugement sonne sur le pupitre du corps dans le bruit de dix pièces de souvenir qui tonnent. "Condamné, condamné Je te rends à la liberté, je te dis d'avoir froid, d'avoir faim et d'aimer. Je te dis de parcourir à la vitesse des astres la terre, l'herbe, de grelotter contre le corps des déités malades, de vivre sous les ormes rassurants des montagnes, je te dis de te réfugier dans les mots, d'affronter le silence, je te condamne à ne jamais te rendre, à ne jamais céder, jamais abandonner, je te condamne à la dignité éternelle, à la royauté sans abdication ni tyrannie. Je te condamne à vivre sans chaînes, sans entraves, sans retenue, je te condamne à rire et pleurer, à sentir et à vivre." Et tous les jugés, horrifiés, sortent de son corps, livides, courbés. Douloureuse liberté, lourde du poids de l'âme délaissée.
Je lui admets que je ne suis venu ici que pour deux choses et avant que je ne les énonce, tout son être se fait murmure « Les femmes et l'argent ».
Je n'ai pas pu lui répondre tout de suite « Attila Joszef et le hongrois ». Je n’étais venu ici jamais que pour la poésie, la poésie aux méandres de vers et de détresse, la poésie et ses chiens d’enfer aux têtes multiples couronnées de cheveux rois, aux mâchoires de piège. Je ne suis venu ici que pour chanter d’un lange de râles et d’agonisants, pour appréhender la liberté par le cœur, pour la savoir dans un cri souverain de fête qui, ému, dirait aux chaines de faner et aux fleurs de se répartir, de se répandre incrustés de mots, d’espoirs et de volonté, de s’exhaler de la terre morte, de s’exiler de ce bagne salaud qui rassemblait ma jeunesse, élevait de sa ruine maussade la soumission, la servilité et la hiérarchie. Je suis venu ici pour laisser Paris et mes amours desséchés de ma paresse et de ma honte d'être pauvre. Etonnant de voir le pauvre vivre comme une faute sa seule vertu. Sa seule innocence.
Aux assassinées
Je veux être un suicidé du prestige et de l’honneur, que ma gloire tombe en poussières, incapable de survivre en dehors du corps parasité. Cette tique nourrie des sangs, des chairs, qui grattent l'orgueil sous l'âme. Je veux la gloire, colée à mon buste de gravats, de salive et de foutre, et marcher, marcher et la voir me suivre languide amoureuse, ruisselante et neuve. Je veux voir sa peau blanche et lisse comme la cruauté du bel enfant. Je veux la gloire et lui serrer sa taille en coton parfumé, lui bander les yeux des parfums féminins noués à ma peau comme des lèvres d'amantes. Elle me prendra la main, et mes doigts déformés de poésie iront dans ses mains gardées des offenses du monde par des gants blancs, pâles. La gloire me dira « où va-t-on » je dirai « vers des pays libres et froids où grelottent la douleur et le silence». Elle croira les montagnes escarpées de Russie, leurs chemins tendus, les falaises aux parois creusés de musique et d'hiver, l’ourlet des collines de neige que suppose l’Oural curieux, elle imaginera la neige recourbée des pas du souvenir, les sabots des cosaques qui dans le ciel font monter la marche des abandonnés et des défaits.
J’attends la gloire non pour qu’elle sertisse mon front de ses brillants venimieux et que mes yeux bleuissent d’orgueil beau. J’attends la gloire pour l’entraîner avec moi dans la mort. Arriver devant les portes de la tombe, je lui dirai « passe devant, gloire, il te faut ouvrir le chemin, couper la corde aux frontières ». Naïve comme la femme séduite, ses yeux voilés de gaze embaumée, elle avancera…Oui, ce pays libre et froid se tient très loin d’ici, de l’autre côté du langage, à la froide extrémité des états -physiologiques. Je lui dirai viens, suis ma voix qui tremble et qui hésite, viens au bord du vertige sentir toutes les maladies montantes comme de la lave. Ma vie je la guide dans le libelle, je l’éduque dans l’offense, je la tords le long du tuteur en bois vénéneux et nerveux qu’elle prenne la forme parfaite des forêts maussades où le poison et la puanteur flottent en un ballet infernal et indistinct, où les mères assombrissent de leurs bouches de cendres grises les fronts saints d’enfants ceints de religion. La gloire, je l’emmène sur les terres pourrissantes de la dechéance, où tombent en morceaux ses mains de plâtres peintes en ciel, où ses seins terrassés par la faim, amaigris par l'amour donneront la nausée aux fébriles de l’ambition, qui s’ils voyaient la gloire -que je délierais- surgir aux carreaux de leurs labeurs, la chasseraient d’un cri inquiet, horrifié, l’ambition menacée de l’odeur mélangée du mal et du baptême des rites occultes.
Je ferai de ma tombe un étroit appartement où mes chairs pourrissantes se mêleront si bien avec la gloire conquise, que l’on nous confondra, que les temples à sa gloire prendront un peu de mon visage immonde, de ma tête hirsute, coiffée de nuits et de la chevelure cruelle –et bouclée- du poète. J’habiterai plumes, notes, broderies, je serai dans la phrase, le sordide, et la gloire, morte, décomposée en moi, pleurera trois cris de soufre, couleur crépuscule, avant que de disperser tout à fait ce qu’il lui reste de son murmure angoissé. Au frontispice mon visage menaçant, défait, usé, mon visage abandonné de sommeil, creusé partout de sa laideur primitive.
Toi.
Le silence je l'aime, il parfume, c'est le chant monotone de ta belle
voix qui tonne, et qui module le sens, c'est là que se forme mes mains,
celles deux qui promettent des cris à tes reins et menacent tes creux,
failles puissantes, de l'extase. Parce que tu n'aimes pas, tu as peur,
seulement, peur des voix en toi, celles dans ton ventre qui gémissent,
qui grincent, qui se remuent, des voix qui ont des dents qui font vibrer
les hommes, et trahir les filles, peur de ces voix qui te jettent dans
la nuit avec à peine de chaleur pour tenir dans le jour. Je sais tes
yeux où se sont faufilés des mystères couleur d'écume, au goût amer de
la dispute. Je sais la solitude blême qui habille ton regard, la nuit à
l'heure du sommeil et des couvre-feu moribonds. Je sais tes molles passions, je sais ton cou incliné de fatigue qui se tend vers je ne sais quoi de futur, vers je ne sais quel ordre. Toute l'organisation sociale, ton corps étroit est la société, plein de cases, de mythes, plein de peurs aussi et de renfoncements.
Je sais la tristesse
qui enveloppe ton coeur comme le désespoir les yeux du poète et tes mains
fines et précieuses qui font jouir les amours et pleurer les fillettes.
Je sais par coeur tes courbes de Rhin, taillées en arc, pour abriter les creux,lesabsences et les bleus,les jalousies que ton pas trop noble fait
mirer dans les yeux conquis, et je sais surtout, surtout que tu n'aimes
pas, que tu te rassures seulement derrière des épaules calmes et larges
comme le ciel aplati d'un compagnon. Le couple, ce sordide atermoiement de l'amour. Pour tes souvenirs qui se perdent dans le matin qui fait ta nuque, je saurai faire mon corps unique, rassemblé en un désir, une impatience que l'on nomme du terme vulgaire de fidélité, je mettrais dans le ruisseau mes genoux pauvres, mes mains de guenilles, à la révolte je mettrais un bâillon déchiré dans la couverture de mes romans, aux yeux je frotterai l'ombre pour qu'un peu d'aurore la traverse, et éclaire la nappe de nos dîners. Ah les yeux bleus, ce poison de mes sensibilités. J'aimerais arracher de moi un peu de cette défaite qui me fait le parfum délicat, obstiné, rassurant, qui plait tant à mes vieilles comme si léchant ma sueur elles s'imprégnaient d'encre et de littérature. N'est-ce pas que l'on ne peut pas tenir toute son existence à vivre dans l'intensité, mon corps cette forge sans repos où remue le métal brûlant.
Je t'y attends, c'est de l'autre côté du mensonge que je me tiens, dans le fracas et la danse des astres vierges.
De mes lèvres secrètes comme des parchemins
Je t'embrasse dans la nuit qui me délaisse.
Je suis une hyène - Henry Miller Tropiques du Cancer
Demain, il pourrait y avoir une révolution,une peste,un tremblement de terre ; demain, il pourrait ne pas rester une seule âme vers qui tourner sa foi à la recherche de sympathie ou de secours. Il me semble que la grande calamité est déjà manifestée,e que je ne peux pas être plus véritablement seul que je ne suis en ce moment. Résolu à ne plus tenir à rien, désormais, de n'attendre plus rien, de vivre comme un animal,comme une bête de proie, comme un pirate,comme un pillard. Même si la guerre était déclarée, et si mon destin était d'y aller, j'empoignerais la baïonnette et je la plongerais, je la plongerais jusqu'à l'âme gardée, vociférante. Et si le viol était à l'ordre du jour, eh bien, je m'en abstiendrai, ce serait mon jeûn moi qui ne mange pas. Dans l'aube tranquille du jour neuf, la terre n'est elle pas toute vacillante de crime et de détresse ? est ce qu'un seul élément de la nature de l'homme a été changé, changé de façon fondamentale, vitale, par le cours incessant de l'Histoire , l'homme a été trahi par ce qu'il appelle la meilleure partie de sa nature, et c'est tout ! Aux limites extrêmes de son être spirituel, l'homme se retrouve nu comme un sauvage. Quand il trouve dieu, pour ainsi dire, il a été nettoyé ; il n'est plus qu'un squelette, plus qu'un fantasme. Il faut de nouveau creuser dans la vie afin de refaire de la chair autour d'une intention. Le verbe doit devenir chair , l'âme a soif de salut. Je veux bondir sur toute miette à laquelle mon oeil s'attaque et la dévorer.. Si vivre est la chose suprême, alors je veux vivre vivre, dussé-je devenir cannibale. Jusqu'ici j'ai mis en péril ma préciseuse carcasse pour mes amours, je me suis brûlé les membres dans ces flammes aux yeux bleus, qui m'ont fait des ravages jusqu'aux poignets, de celles-là dont les baisers malsains viennent encore rembrunir mon sommeil. J'ai essayé de préserver le peu de chair qui recouvrait mes os. Ah s'ils savaient tous ceux là, toutes celles là qui m'embrassent, qui me payent pour mon étreinte, qui m'offrent le gîte, quelques fringues pour une lettre écrite avec la rage et les pleurs de ce que mon enfance crevait de faim, ce que c'est que l'habitude d'un gamin au ventre vide qui par fierté, par orgueil n'en laissait rien voir, qui se tient bien droit dans l'appartement exigu qui courbe tout, ah s'ils s'en doutaient n'est ce pas des misères que les miennes, de l'enfance répétant les poèmes pour éviter la crevasse de l'appétit jusqu'à tout à fait la nier et le désintérêt de toutes les choses de l'avoir, du détenir, de la possession, s'ils savaient ce qu'il est inutile lorsque l'on sait lire d'avoir longtemps à manger, il suffit de se tenir droit et de n'en laisser rien voir. J'ai faim depuis que j'ai six ans, et cette faim est une alliée, cette pauvreté un rire qui effraie tous les autres, qui m'a effrayé moi aussi, on m'a tant répété que dehors, dehors, sans études, sans diplômes l'on meurt. Mais on oubliait de me dire que l'on crevait de vivre tandis que dans ces cloaques, ces salles empestées, entouré que je suis de mes indifférences de camarades répétant les mêmes mots usés au milieu de mes souvenirs troués, bariolés, ici l'on crève d'ennui. Je n'imagine pas un baiser de leurs bouches, de leurs langues, je m'en voudrais de les sentir se décomposer dans mes matières, de savoir ce que c'est que leurs silences, que le tamis de l'argent, ce péché originel sans baptême, cette souillure à l'âme qui s'étend, qui s'attache. Ma misère, ma faim sont un peu de moi, ils tressent ma mémoire et voilà la vacance que la mienne, mes silences à midi et mes reves de plus tard, vivre, au bord des désespoirs, dans les bras d'un amour aux yeux bleus comme j'en vois un que j'aime dans le rouage muet des rimes que je voile, qui n'en lira rien. L'impossibilité, quelle falaise abrupte, délicieuse, aux pentes de sucre, quel paysage fantastique, recouvert d'une mousse blême comme la cendre d'un cigare, une jungle pleine de menaces, et je laisse trainer mes acrostiches comme des sentences, et des dangers. J'en crèverai qu'elle l'apprenne. Bien sûr j'aime, mais de loin, j'aime comme l'on maudit, j'aime sans en rien voir paraître et je m'amuse de mes amours de misère quand je vais massacrer le flanc de Marie sainte au prénom ; putain à la morale. Je ris d'hurler les syllabes de cette belle que je frôle toujours et qui ne sait rien de l'agonie de mes yeux ni de l'horreur malsaine de mes nuits encombrées de vices et de terreurs. Elle dans ses sommeils doux ignore tout sûrement du puits profond que peut-être la nuit. Cent huit pouces de plis à aplanir, d'eau noire à boire. Et je vous jure, je ris, moi de cet amour que je trace avec les doigts pris dans le talc du soir et qui colle au prénom que j'embrasse comme la litanie que l'on fait au diable.
J'ai atteint les limites de l'endurance.Je suis acculé au mur, je m'y appuie- je ne peux pas battre en retraite. Historiquement je suis mort. S'il y a quelque chose au delà, ce sont tes yeux, mais je n'en veux pas, j'aime trop l'ardeur, trop la fougue, trop le désastre de mes mains et les nuits invariables, infondées, les nuits sournoises, indépendantes qui poussent sur le talus de mes cuisses. Dans tes yeux j'ai vu Dieu, vraiment, premier émoi quelque part dans janvier. Mais il est insuffisant, dieu. Je ne suis mort que physiquement. Spirituellement, je suis vivant. Eloïse vous dira combien mon fantôme baise bien, et comme ma pensée seule lui procure mieux d'extase que l'entière réalité de ses amants coutumiers. Moralement je suis libre. L'aube se lève sur un monde neuf. le monde que j'ai quitté -le vôtre- est un zoo. Je me couche dans une jungle dans laquelle errent des esprits maigres aux griffes acérées. Si je suis une hyène j'en suis une maigre et affamée ; je pars en chasse dans vos pensées pour engraisser l'enfant affamé que je suis demeuré.
La vie m'amuse trop pour que je la laisse tomber.
Saint-Augustin
Deux lèvres ont fait deux destins aux rides voisines. Et quand l'une faisait le silence l'autre inventait le murmure. De l'union des deux au lieu de la parole, se formait le baiser. Ce baiser parcouru du frisson qui se tient dans le chuchotis, ce baiser plein de l'ombre présente au silence. Ce baiser qui détache des lèvres les squames de la torpeur, ce baiser aux rigoles de larmes enfièvre le front.
Deux lèvres ont fait deux pays aux tombes bienheureuses et quand l'une faisait le chant l'autre jouait la musique. Dans les bois de la jungle se levait l'hymne et la révolte. Dans des arbres creux coulaient tes yeux de rivière et des cordes des forêts montait cette mélodie.
Deux lèvres ont fait deux matières, de l'une de brume et de l'autre de gypse pour faire du corps humain, le paysage des émois. Tes deux lèvres me sont l'étang au contour d'estampe où se désaltèrent mes envies ; où penchent dessus le vide des cils de sapins.
Deux lèvres ont fait deux rails tendus vers l'orient de ton cou.
Frissonne le remords
Je
ne sais vraiment qu’une rime, qui débute au baiser
Frémit de silence, et
joue sur deux lèvres accordées
Tes
dents, ce cri, qui mordent dans la nuit
Et
jouent cette sonate,
Tous
les monstres, les bêtes, les mythologies, je veux bien céder ma
nuit, je veux bien dessecher le plaisir si tu m’offres un peu de ta
prière. Je veux y boire, dans ces grands cris.
Littérature de la
première personne, insupportable.
Et
la lumière ridée joue des castagnettes
Contre
mon corps endolori, coule comme une rumeur
Et
gonfle sous ma paupière à la façon d’une source
Lointaine.
Ce pays
lointain, te souvient-il sa gloire, et ses hommes qui couronnaient
des femmes
Rue
Kahina, souviens-nous, s’il te plaît ton prénom, ta cour de
musique et ton drap de pierre.
Souviens
toi peuple de la soumission que l’on fit à tes membres, et la
laideur à laquelle l’on forçat tes femmes. Peuple, vois sous la
soie, sous la pudeur de tissus les beaux cheveux d’une mère qui
roulent et frissonnent dans le bruit de la mer qui avance et odore le
paysage. Regarde le cou de ta voisine, tachée de blonds, de noirs,
c’est la nuit qui s’y défait lente et immuable, la marque de
dents que laisse la marée sur le sable frémissant de nos grèves.
Je rentre tard toujours, pour l'écrire, raconter à ces pages
l'outrage petit que je laissais aux flancs d'une brune aux yeux
bleus. Je sors visiter ma voisine à minuit et je pars à deux
heures, dans le fredonnement de l'eau qui ruisselle de sa douche où
je ne la rejoins pas. Au revoir mignonne, je suis amoureux de
l'étrangère mais il faut bien que la nuit se passe et se partage.
Deux moments comme deux ventricules au crépuscule qui palpitent et
se fendent. Salomon divise mon soir en deux parties. Yeux bleux ;
encre noire.
Sommeil
tu ne venais pas. Je t’attendais, je veillais. Je tenais, et il n’y
avait que la nuit, la nuit dans mes nœuds, dans mes colères, la
nuit engluée dans mes boucles, la nuit infernale, et je l’ai su
par cœur de t’attendre sommeil qui ne venait pas apaiser mes
effrois. J'aime les yeux bleus et la lueur incertaine, tremblotante,
poignante pour ma panique. J'ai peur de la nuit invariable, de la
nuit obstinée, butée sur mon corps, arquée sous ma nuque. Quel
rire, qu'écrire dans les draps à demi-inconnus, sur cette intimité
déflorée d'ennui.
Je lis Rilke. Un autre insoumis du sommeil. Un de mes frères agonisé.
Artémis
Inspire moi les choses belles et cruelles qui pendent comme des lumières d'Opéra au bout des doigts salis des innocents. Raconte moi comme les mots vont te chercher au fond de toi avec leurs mains crochues, quand ils lèvent sur tes lèvres bosselées, des draps semblables à des drames. Inspire moi ce qui craque dans la peau quand les larmes retenues forment sous le visage un masque et un territoire où personne ne sait plus rien du visage que son immense barbarie. Raconte moi, dis moi que tes yeux ce sont deux gouttes de rosée que l'hiver a surprises en haut de tes cils et te les as offerts comme deux perles myopes d'où voir pour demain les offensés du monde. Inspire moi les mots qui débordent du crime que l'on soudoie avec des gestes pirates, et les manivelles qui se tournent avec ferveur comme des prières de charlatan et des superstitions. Raconte moi encore pourquoi tes yeux ne battent qu'avec lenteur, ce qui recouvre ton coeur plus que la peau, plus que la flanelle et le velours de tes paupières de Versailles, dis moi le souvenir qui y mordille tes sens et te fige le sang en un liquide transparent et silencieux. inspire moi, sois Lo s'il faut ou Lou si c'est trop court, mais soit celle contre ma langue là où le vocabulaire pousse comme dans un champ humide, sois la terre fertile mais jalouse qui réclame des semences de douleur pour jeter dans les cimes les écorces brunes et douloureuses de l'écrire. Sois la belle puissance qui tonne de mots comme la peau du tambour, sois avec tes yeux la nuée où s'abrite la sauvagerie des orages vibrant de peur dans les courbes rondes comme des joues du très haut tressaillis. Donne moi tes yeux que j'en fasse des mots.Toi oui, dont je sais le froissement et les mains qui dansent, et qui jouent de ces instruments d'Afrique, je t'imagine le corps facile des danseuses.
C'est que je ne suis pas un être définitif, c'est que je ne suis pas un être des stabilités et des subtilités ; des mesures, des contentements et des ruses, c'est que l'on ne bâtit rien sur moi. Ma vie dure le temps d'un fruit sucré. Je suis une parcelle infime de l'été. Je suis ce refus systématique des suggestions, cette colère perpétuelle qui s'est mise un voile islamique à la crinière cruelle.
Que je me fiche du bonheur, que je me fiche de la joie, je veux la chaleur dedans, passer tes mains sur moi et que tu sentes dedans les saisons réunies, ce mélange des quatre moments du temps qui ont fait de moi des mains de givre, et des yeux jaunes comme un foie malade ; et les mots dessechés d'été et la plaine découverte de printemps. J'ai tiré la terre aux morts, pour faire pousser des mots, et les voir luire. Ton manteau, ton hermine, voilà de quoi je les taille : de la mémoire et de l'Histoire. Dix mille ans se tiennent sur tes épaules de songe, mon infortunée, mon ignorée. Tu me rends le goût, et les sens. Mais je n'ai pas guéri de la nuit.
Ma voix d'affecté, quand je me penche au dessus-du silence, et que je fais remuer ton prénom comme une braise qui va lancer sa couleur. Tu ne le sais pas, comment pourrais-tu. J'ai mille amantes irriguées de ma solitude. Je joue des nerfs comme du violon, chatouille les cordelettes, le musicien sait faire hurler toutes les bouches, de l'écarquillée du violon à la charnue des fillettes.
Je veux que l'on dise de mes baisers qu'ils sont l'enfer, l'enfer en plus froid. C'est qu'il existe bien ce pays aux falaises abolies, aux tours monstrueuses jetant dans le noir, dans les sinuosités de l'ombre, dans ces rigoles de hasard quelque chose impossible. Comme aimer. J'ai fait tout un poème, qui est une ode, qui brûle bien entre mes doigts. Voilà ma lumière la nuit, pour supporter l'affront de son sépulcre. Voilà mon alcool pour oublier l'outrage de la femme-sommeil qui toujours se dérobe au désir abandonné ô sommeil J'ai conquis tes soeurs, bien sûr. Litanie de prénoms. Je vous oublierai.
Cette nuit, j'avais jusque deux heures, enroulé sur la bouche l'odeur mesquine de Francesca, qui avait les mêmes yeux clairs que toi, cette nuit j'avais son humeur vacillante contre mes doigts indifférents. Je l'ai déjà dit cent fois, je n'ai de virilité que mon écriture. D'ambition que mon cri.
J'aimerais te mettre aux oreilles, plus tard, de lourdes boucles en argent qui tintent comme des cloches d'Eglise pour te faire tout à fait céleste, pour qu'avec tes yeux très parfaits, très prisés, tu sois et tintement et lumière comme une messe.
Aux nuits impossibles.
Il y avait longtemps que ce cœur
noueux, aux artères noircies de fureurs, n’avait pas frémi d’un souvenir
humain. Qu’un visage tout centré dans le réel, sans les trucages de l’alcool,
sans les audaces incertaines d’un corps tendu de vilenie, n’avait pas
ému ma fatigue, n’avait pas débordé ma torpeur. Si longtemps qu’il me
souvient mal mes conjugaisons, le temps y a creusé des morsures clapotantes comme la pluie au pavé des visages.
Si longtemps que mes lèvres ne
fredonnaient plus que des habitudes, jusqu’à, jusqu’à ce que toute l’infernale
machinerie, émue, se dissimule et tapisse ses rires dans les rimes qui
se marient à la nuit qui les fait naître. Yeux bleus, j'aime les rivières qui chantent dans vos iris.
J'aime d'avoir le corps promis à une destination de l'écho de félicité.
De vous chasser vous, souillures, vous étrangères, inconnues,
demie-femmes, fioles et folles. J'ai un amour qui ne le sait pas, qui ne
le devine pas, et qu'il est bon le sang qui chauffe avec entrain dans
l'artère, et son concert qui remue. J'ai un amour de loin, que je frôle
avec la voix. Toi.
Je suis de ces maisons indolentes,
qui flottent sous les arches que sont les tropiques, qui ceinturent à trois
moments du monde les routes d’aubes. Qui découpent l’eau en part scélérates
pour former océan et mers.
J’ai passé du temps à dériver
d’esquifs en esquifs répondant selon des reins féminins, les
bateaux d’aventuriers remuent toujours de l’œil bleu et souverain d’une
belle. Deux mains dans l’écume ont creusé l’Amérique, Collomb et son
corps de matière et son odeur de musc ; Santa Maria pleine d’échardes
à l’haleine ivre de rhum. L’aventure prolonge le corps des hommes et
débute à l’ombre des femmes. Je dérive dans le rein fragile, sur la côte
taillée en presqu’île de mes amantes. L’amour est chose unique et réunit
tous les délires, toutes les ambitions, ce frémissement que c’est qu’être
en une passion, en une violence. C'est aimer qui barre le souvenir du reste, et éboule sur la mémoire le miracle du présent.
Qui me nourrit, qui
m’inspire,
qui réveille la faim en moi, qui donne à la soif l’envie de puiser dans
les mirages l’eau soudaine et vive, n’est ce pas la rupture entre les
fictions ; la fusion dans mes nerfs des yeux pâles et de ma colère
chaste? N’est-ce pas de savoir défaire avec les doigts qu’il y a dans la
voix les ronces de mes cheveux où les images dansent comme des pendus ?
Qui lève en moi la douceur insoumise et chasse l'indifférente d'un
baiser
brisé ? Je ne peux plus toucher d'humaine matière, un temps, le temps
que
tout mon être convergeant d'une audace n'aura pas apaisé son cri
d'aimer. Le parler sentencieux au prieuré. C'est que je t'aime toi, dans
tes voiles pudiques.
J’ai aimé les yeux clairs de croire
toujours que ceux-là m’attendent de l’autre côté de mes nuits insoutenables,
où dans mon corps le crépuscule se purge et le jour se tarit. Je les ai
souvent rêvés les yeux bleus et gris tendus dans la nuée, avec toute la
promesse du sursis et le sommeil ne venait pas. Je ne remuais pas, et j’attendais
qu’il roule dans ses doigts indifférents toutes mes usures, que sa bouche
panse mes nerfs vifs, aigus comme des psaumes. Je ne peux devenir que depuis la lumière qui gronde, tumultueuse,
dans le roulis capricieux du jour qui taille dans la nuit les meurtrières
de l’aube. N’est-ce pas ces chemins emplis de mystères, dans le creux
d’une forêt, que moi ? Où les mythes mordent la terre et la foule. N’est-ce
pas moi, que le silence la nuit, d’entendre le clairon des villes un à
un tituber dans l’ombre jusqu'au néant? J’ai vu le visage humain du jour se lever du
tombeau du soir, vu ses guenilles et ses épines. J’ai vu le visage du
jour qui ne me ressemble pas disperser les restes de la nuit dans des vêtements
chinois de deuil.
J'attendais que le silence en finisse de moi, qu'il achève de railler
mes fragiles scansions, que son rythme de soldat taise, taise, taise le
sommeil ennemi. Celui-là qui me fuit, qui se trouve un complice pour le
masquer. J'ai toqué à des portes, cherché dans les sexes des filles un
peu de la part du sommeil qui me revenait. J'ai trouvé l'ennui dans les
bras des amantes déguisées en feu. Je crois l'avoir cédé, le sommeil,
confondu avec de l'âme. Je l'ai cédé une nuit de mars, il est longtemps,
j'ai oublié. Oublié sa forme, oublié sa voix, oublié ses hymnes. Je ne
sais pas. Je retourne le nulle part.
Que ce corps fragmenté en dix corps
et sept prénoms que sont les amantes se trouvent une retraite. Qui sont des remèdes à la nuit ronde,
amère, que j’avale comme un cachet d'aspirine. N’en faut-il pas des
anesthésies pour bander le délice d’être ? N’en faut il pas des entraves
au cri, en attendant d’aimer il fallait déjà brûler. Ne m'en voulez pas. Les yeux noircis comme des craies.