Atelier d'écriture - le vol bas des oiseaux.
Atelier d'écriture : Une mère ou un père ayant perdu son fils ou sa fille à la guerre se retrouve devant un étang. Raconter, ses pensées sans évoquer la mort de lea disparue. Après on applique ça de façon flexible, on est pas à l'académie française. Donc si on veut évoquer directement lea disparue, si on veut que ça se passe ailleurs que devant un étang rien ne l'empêche. De prime abord c'est difficile mais en pratique non puisqu'il s'agit d'explorer des sentiments et il y a une sorte de "mise en empathie" avec ce personnage fictif assez troublant.
Depuis qu’il s’était installé à Oxford il avait l’habitude des pelouses rases comme des greens. Il marche au milieu des herbes drues, il se penche et ramasse une longue tige ; une tige de ces fleurs qui ressemblent à des marguerites rétrécies et vénéneuses. A peine, toxiques. Donnent une idée de l’ennui plus que de la mort. Comme une journée à Oxford.
Il enfonce la tige dans sa bouche et la mâchonne. Il a arrêté de chiquer à la naissance de son enfant. Sur le vaisselier du salon il garde, comme un trophée, cette bête plus dure à vaincre qu’un puma, la petite boite en étain d’où il a tiré le dernier morceau de tabac.
Il marche dans ces herbes douloureuses où se mélangent la végétation aquatique et les plantes de terre.
Sous le bras il tient le journal daté de la semaine dernière. C’est fini. La nouvelle ne lui procure aucun plaisir. L’armée de sa majesté a triomphé, ça s’affiche en une du Daily Mail. Les petits personnages des photographies lui donnent de la colère. Ils sont vivants. Eux. Il a dit à son épouse qu’il allait pécher. Lorsqu’elle l’a vu partir sans sa canne à pêche elle a compris. Lui a demandé s’il voulait quelque chose. Pour casser la croûte sur le chemin. Le poisson parfois ça met du temps à mordre. Tu n’as besoin de rien ?
Il a roulé longtemps, sans savoir où aller. La voiture, comme une jument aimante, connaissait le chemin et elle le guida d’elle-même. Il revenait dans ce lieu tant connu.
Il s’étend dans l’herbe et ferme les yeux. Il sourit puis sursaute, une lourde branche a fait trembler la surface morte de l’étang.
Il imagine - ça lui rappelle le bruit des ricochets, la première pierre qui meurt, souvent, tombe à pic. Comme par un abîme irrésistible. Puis le rire qui emplit toute la ville lorsque la pierre, pas forcément la plus plate, pas la plue douée pour ce jeu, rebondit une fois, deux fois, traverse l’étang et meurt de l’autre côté et s’enfonce dans la vase.
Comme le but de la montée de Sheffield Utd. On n’y croyait pas. La balle a roulé très lentement puis a franchi la ligne de justesse, lentement, comme si elle s’enfonçait dans la vase.
Il aimerait dormir mais il ne peut pas. Il ne dort plus depuis un moment.
Il lit et relit la une du journal qui réjouit tout le monde. Il aurait pu se réjouir, il avait servi, en son temps, dans la RAF. Il en gardait de précieuses photos et surtout, dans un petit écrin, héritage qui ne servira plus à personne, sa Territorial Force War Medal.
Sa femme avait pleuré. Il voulait être fort, se montrer comme l’homme qui dit ça ira, on va surmonter ça. Puis il s’était rendu compte que ça n’avait aucun sens. Que ça ne se surmonterait pas. Alors il a pleuré avec elle. Jamais ils ne furent aussi proches. Sauf à la naissance du gamin.
Ils dirent peu.
Chacun savait que la joie les avait quittés tous les deux pour toujours.
Ils se soutiendraient, comme deux vieux chênes que la tempête croyait avoir abattu se soutiennent mutuellement au moment de la chute. Leurs branchages s’entremêlent et la douleur les confond, indistincts.
Il se met debout, reste à la même place. Il n’a pas faim. Déchire le sandwich en tous petits morceaux qu’il jette dans l’eau comme des pierres blanches et flottantes. Indécises entre rebondir et couler. Hésitantes, comme lui, dans cet entre-deux vies.
Une semaine, il relit la Une. Une semaine que c’était fini et pour eux tout commençait. La vraie douleur, les obus lancinants, obsédés, indigestes.
Il siffle entre ses doigts, il a toujours été doué pour siffler mais jamais pour l’enseigner. Il cherche la canne à pêche et commence à marmonner des paroles incompréhensibles.
Tu vois, le fil. Tu le balances. Il faut attendre. Sois léger. Plus tard ça. A la mouche même moi je sais pas. Papy lui…Puis il imite le bruit d’un poisson qu’on ferre. Claque de la bouche. Une belle prise.
Il ne boit plus. Il a hésité à recommencer aujourd’hui.
Après l’annonce de la victoire il a été au pub commander tout ce qu’il y avait à la carte. Le fils du patron lui a dit. T’es sûr mon vieux. Il a dit oui, tout ce qu’il y a à la carte. Alors on a déposé des verres sur le comptoir, des verres de toutes les formes c’était comme des fleurs. Des chrysanthèmes. Il a sorti le porte-feuille, tout neuf. Un cadeau. Du vrai cuir. Il l’avait reçu en même temps que sa montre bracelet. Le fils du patron a dit attends il a crié Papa. Ils se sont regardés avec cet air d’évidence. De ceux qui au bord de l’étang péchaient et jeter des pierres rebondissantes. Le gamin a dit, c’est pour nous. Si tu as un problème tu dis. On est là. Il a bu. Il a bu. bu. il a très bu. Il a vomi sur le comptoir au moment de la mauresque. Il savait pas ce que c’était. Un client a hurlé que c’était dégueulasse que quand on savait pas boire on restait chez sa mère. Le fils du patron a dit ça non, ça non. Le client croyait que c’était pour le vieux dégueulasse il a dit, ouais, dégage le mon brave. Il a dit ça non, ça non, le gamin. Il avait les larmes aux yeux. Il s’est approché du client. Rouge, un gaillard comme ça, les larmes aux yeux. Là le client il a compris. Il a vu la mort face à lui. Il a eu peur. Il s’est pissé dessus. Il a dit, c’est pas dégueulasse ça, le fils du patron il a dit c’est pas dégueulasse ça. Sans rire. Il a dit. Il a bredouillé, le client. Le vieux essayait de se lever, dire c’est pas grave ou on sait pas. Il remuait quoi.
On l’a posé sur une chaise dans l’arrière-salle, puis on a composé le numéro de sa femme. Elle a dit, je ne peux pas. Il a attendu. On le rafraichissait. On tenait à lui. C’était quelqu’un ce vieillard étique. Qui avait arrêté de chiquer, qui gardait sa Territorial Force War Medal précieusement, sans se vanter. Jamais sévère, hein. Pas un taiseux hein, boute-en-train même. Alors le voir dépéri comme ça…c’était la moindre des choses. Un honneur le patron il disait, un honneur ouais.
Près de l’étang en repensant à tout ça il n’avait pas honte. Ca l’étonnait. La honte. A quoi bon la honte.. Ouais…je faisais ce que je pouvais. Il imaginait le sifflement de pendant la guerre avant que l’obus ne tombe, les batailles aériennes, le vol bas des Stuka de l’autre côté de la manche. Tous ces jeunes gens fauchés sans comprendre ce qui leur arrivait et ceux qui comprenaient trop bien dans leur agonie. Il se disait qu’il n’avait pas fait la peau à assez de boches. Il n’arrivait pas à ressentir de colère. Tout était morne chez lui. On avait éteint la lumière.
Il se relève, ce n’est pas difficile, son vieux corps est toujours robuste. Il va retrouver son épouse. Pousse la barrière du cottage et franchit la porte principale. Elle a laissé un mot sur le vaisselier, à côté de la boite en étain. Je vais à l’étang.
Quand il revint dans sa vieille maison pour la reconstruire, mon grand-père voulu lui aussi planter un frêne dans son jardin à l
Quand il revint dans sa vieille maison pour la reconstruire, mon grand-père voulu lui aussi planter un frêne dans son jardin à la place de celui qui avait été tué par qui les obus.
Il disait « le frêne » par métonymie, de cet esprit d’économie des gens d’antan. Des gens D’avant. Le frêne…C’était toute une petite forêt de frênes assassinée.
Il avait demandé la paix. Il nous recontacterait quand il sera temps. Il a attendu dix ans.
Dans la famille nous plantions des frênes. On disait « dans la famille, on a toujours planté le frêne ». Sans raison explicite. Nous plantions le frêne. Héritage solennel.
Mon grand-père se pliait, me semble-t-il, à ce devoir généalogique. Il rentrait pour s’y astreindre. Les traditions sont le sang des vieillards et les préservent mieux que toutes les médecines.
Il perpétuait à sa façon la lignée. Autrement. Lignée végétale, croissant parallèle, à celle des hommes et des femmes.
Plus importante peut-être à ses yeux.
C’est pour ça qu’il disait « tué » pour le frêne, il disait tué et pas « détruit » ou « arraché ». Tué, ça voulait dire qu’il était en vie, à égalité avec un être humain. Eux, les êtres humains, pareils se font faucher par les obus. Puis remplace dans l’enflement d’un ventre de femme.
Il portait, comme ses aïeux, cet arbre à naître. Il donnait la vie, la vie arrachée par les obus.
Un jour ce sera mon tour peut-être. Je disais. Ce sera mon tour peut-être en riant.
Chez nous, de générations en génération nous ne nous transmettons pas un peu d’or d’où l’on tire des chevalières. Nous portons une autre durée.
Mon grand père avait sur toutes les choses des conceptions…originales. Lorsque le frêne fut planté et la maison reconstruite il nous invita. Dans cette famille d’être brutaux, égoïstes et terreux, seul mon père répondit. Maman, qui était une dame de la ville comme disait mes oncles avec mépris, exprima sa réticence. Elle craignait mon grand-père. Je ne m’étais pas rendu compte, à l’époque, de son teint pâle et malade à l’annonce du voyage. Elle craignait mon grand-père homme chênu, taiseux. Je croyais. Je disais. Elle le craint. Je ne savais rien. Nous ne savions pas. Je crois que souvent, c’est ceci, nous ne savons. Nous ne savions pas ce qu’il contenait en lui de douleur caillée, immobile et drue.
Quand le frêne fut tué. Les voisins ont raconté. On dit. Ils disent qu’il y eut un cri de bête dans le village, un cri d’outre-noir. Ils ont dit « un cri de bête ».
A l’enterrement de ma grand-mère il n’a rien laissé paraître. Il recevait les condoléances avec l’air qui sied à la circonstance. Sans mots, ce lui était facile, avec dignité et réserve. Il avait mené sa vie ainsi.
Souffrait-il à chacune de ces paroles compatissantes, sincères ou non ? Poussait-il à l’intérieur de lui ce cri d’outre-noir, cette bête sauvage assassinée ; ressuscitée toujours pour hurle plus encore et il savait retenir le cri à l’intérieur. Le cri ricochant dans la cage thoracique et qui ne devenait même pas. Ne mourait même pas soupirs. Cris, outre-noir dompté. Contenait-il cet outre-noir ? Aujourd’hui J’en suis certain.
A peine arrivée maman voulut repartir. Elle ne faisait pas des manières, il n’était pas question pour elle de ne pas vouloir tacher son tailleur ou abîmer ses sandales dans la boue. Maman n’affectait aucun grand air ne se donnait le genre d’aucune grande-dame. C’était une femme délicate et sensible. Si elle fuyait tant la compagnie de mon grand-père c’est, elle me l’avoua des années après sa mort, parce que sa douleur à lui retentissait si fort en elle qu’elle croyait parfois en perdre connaissance. Elle m’avoua avoir connu quelques amnésies. Des moments de blancs comme sous l’effet d’un choc à la tête.
J’ignorais tout de la complicité muette qui les unissait. Et je compris, bien tard, bien tard, les silences complices et douloureux qu’ils savaient s’échanger. Paroles, souterraines comme des racines.
Et moi…moi qui fut toujours le plus bavard, l’histrion tonitruant croyant tour régler par un bon mot, une injure, un libelle ou n’importe quel artifice tant que ça claquait de la langue. Moi, comment pouvais-je comprendre ?
Elle voulut repartir parce qu’elle avait vu la maison. Il avait dit reconstruire et une ruine nous faisait face. Une ruine fabriquée par la main humaine et non le passage du temps ou d’un autre Attila. L’obus s’était abattu loin de la maison. Les voisins ont dit. C’est une chance elle a pas été soufflée. Juste les frênes. Vraiment un coup de pot. Pfioou. Même les vitres ont résisté…Une veine de cocu.
Alors mon grand-père a taillé la maison, défoncé les murs pour donner à cette maison l’air de fin des temps. Pendant dix ans. Il a construit la ruine. Et le frêne était planté. Plus vivant que jamais. Gazouillant, presque, sous le soleil magique qui ne brille qu’en Auvergne. On le dit, là-bas, sort du fin fond des volcans locaux.
Face à ceci, maman ne put pas. Elle ne dit pas. Je ne peux pas. Seulement la pâleur dans son regard. Sa main qui tire le loquet de la portière verrouillée. Qui répète le geste inutile pour se dire. Cette fois ça va marcher. Ca va s’ouvrir. Merde. La main palissait. Le sang manquait.
Sûrement, avait-elle compris, oui elle avait compris c’est sûr, compris de tout ce sang refluant, compris ce qu’il nous disait ici. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas. Ce qu’il transmettait, ce qu’il racontait. Elle ne pouvait pas. Moi je souriais. Maman…toujours trop. C’est joli..
Cette ruine c’était le cri toujours retenu, toute sa vie d’indocile projetée, taillée dans la pierre et la chaux. Et le frêne tremblait ; témoignage vivant de la seule vie à vivre. Il clamait ce frêne à la tête de tous que c’était ça la vie. Quelque chose se planta en moi ce jour là. Informe, fragile. En ce temps-là j’étais un jeune homme dissipé et mon savoir des choses végétales se limitait à la Chartreuse. Mon père jamais ne reçut ceci. Il planta un frêne. Il faisait son devoir. Mais ça le faisait chier. Il n’avait pas planté lui-même. Il avait payé un type. Qu’on me fasse pas chier avec ça. Il avait dit. C’est maman. Maman qui vraiment planta le frêne. Non de ses mains à elle. C’était une affaire d’hommes. Mais cassant la gangue de ce grain de frêne. J’héritais d’un arbre. Je descendais de cet homme chêne. Mon père jamais ne sut être. Il manquait de ce poids, d’une histoire. Homme de son temps. Et moi je devais méditer ce frêne à germer.
Pour me dire je suis, pour me libérer de ce doute : « je pense donc je suis ». Je sais que je pense. Mais suis-je ? »
Je suis.
Saez - Groslay
Pour Saez en live en vrai j’avais accès un peu à des bribes. Y avait un site-forum assez dingue.
Tu peux pas faire éclater le cadre. Le faire vibrer aux bordures. Parce que tu casses le spectacle. Enfin tu rappelles que c’est un peu questionnable, un show. C'est un peu désigner tout le monde comme des hypocrites. C'est comme le faire dans une soirée où tout le monde sait qui est un salaud mais à cause des étranges imbrications de loyauté et de pouvoir personne ne le dit. Alors on s'élève hors de la foule et on tremble du doigt et on le dit. Ca ne change rien, on est le seul excommunié de l'affaire. Mais tout le monde a senti sa propre hypocrisie.
Pour donner une idée, Groslay c’est une de ces banlieues du 95 moche et tranquille, vite fait pavillonnaire. Genre le rêve de la classe moyenne des années 80 qui, comme tous les rêves, se montrent d’une irrésistible laideur une fois concrétisés. J’adorais les paninis, ça me paraît dingue, parce que c’est absolument immonde. Il y avait une sorte d’appétit général de panini et une soif d’oasis tropical à l’époque.
Des années après la rupture on avait causé vite fait. Elle trashait Saez et je lui ai dit mais t’aimais pourtant. Elle m’avait dit un truc « c’est pas saez que j’aimais c’était toi connard ».
Enfin, c’est un peu un paradoxe parce que assez tôt, vers 2015 un truc comme ça il a lancé son site. Une aventure on dirait en start-up nation. Ca s’appelle culturecontreculture.
Devant, la télé j’attendais avec impatience son passage. Lola qui avait 13 ans ou 14 ans qui adorait les groupes pops genre je sais pas…l’équivalent de one direction quoi. Quand elle l’a vu sa première réaction c’était « ah mais il est trop beau ».
Mais quand même. C’est pas rien de pouvoir résister au succès. Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l'ai trouvée amère. − Et je l'ai injuriée.
Noir Désir avait fait un truc pareil en lisant une lettre au président d’Universal et tout. Ca a fait date. C’était pas rien, hein. Mais quelque part c’est nul. Déjà c’était un peu intello puis ils avaient déjà leur succès. Quand je dis c’était intello c’est que…ils font de la musique quoi. Dans le happening je préfère la forme brutale, inexplicitée, le manque de respect, l’absence totale de soumission à la forme attendue. Lire une lettre ouverte. Bon, ça se fait globalement. Ca a quelque chose de transgressif, c’est sûr, mais en même temps de comme attendu.
Je projetais mon expérience de Saez sur la sienne. Moi je ne pourrais jamais le renier tout à fait. Il a été une partie très importante de ma vie. Plus de dix ans. Ca a frappé ce point de ma biographie quand il a dit ça.
Carton bouilli.
Ca me fait penser quand elle dit ça. Je me dis. Ca me fait penser à loin en arrière. Le mot carton. Toujours. Ce souvenir il pleut. Il pleut très fort. C’est sur le port de Marseille ou plus haut, bien plus haut. Le Havre peut-être ou Saint-Nazaire. Il pleut.
Le carton, ça fait penser aux valises des immigrés. La pluie qui tape, tape rebondit contre la poignée de la valise, le corps de la valise. Que des hommes c’était. Ils rabattent sur eux un manteau élimé. Que des hommes portant les valises en carton bouilli. Ils venaient. Pas pour rire. Ils venaient, des années pff. Des vraies longues années. Ils venaient, découvrir la pluie et les francs de France. Ils venaient avec des valises en carton trempé. Des valises on disait carton bouilli ça ressemblait à du cuir, c’est tout, mais du cuir pourri, du cuir d’un tanneur qui t’arnaque. Il lèche ses doigts, il dit y’a le compte, tiens mon frère. Il a une caisse enregistreuse, une petite clé pour verrouiller la caisse. Ca ressemble aux clés de nos boites à lettre.
Il faut prendre garde à la pluie.
Je ferme les yeux ; j'ouvre les yeux.
je ferme les yeux j’ouvre les yeux
je recommence je finis
le réveil sonne il m’ennuie
je regarde par la fenêtre le bus électrique passe
je ferme les yeux
mon coeur bat avec la régularité d’un jour sans effort
j’ouvre les yeux
la porte du micro-ondes est ouverte
ça m’agace
je ferme les yeux j’ouvre les yeux
je ne sais plus ce que j’ai fait hier
mon cou me fait mal
je ferme les yeux
mes articulations me font mal
l’enceinte bluetooth déconne
j’ouvre les yeux
je ferme l’écran du MacBook air
J’allume l’écran HD BenQ
je ferme les yeux j’ouvre les yeux
la lumière se rainure se creuse
il y a du givre dans le congélateur
j’appuie sur le bouton une tasse
de la percolateuse
je ferme les yeux
le café ne coule pas
la pompe produit un bruit sourd
j’ouvre les yeux
je ne trouve pas de tournevis cruciforme
je ferme les yeux j’ouvre les yeux
je soupire les grains de café ne sont pas moulus
tout se casse la figure dehors le volet grince
j’ai mal au poignet droit
je ferme les volets
j’improvise une tendinite
c’est le diagnostic malade
je balaie l’écran de l’iPhone
20% de batterie restante
je ferme les yeux
je suis aveugle
j’ouvre les yeux
je suis soleil.
R.
Jeu littéraire : imaginer ce qu'un ami fait plutôt qu’écrire avec notre groupe d’écriture. Le je du poème c’est lui.
J’ai ouvert la fenêtre pour laisser entrer le printemps. Il se pose sur le rebord, oiseau blessé, et tombe, roucoulant dans l’appartement. Il heurte le cadre en bois. Il entre dans la chambre comme cette photographie de moi, imprimée par Julie. Après l’avoir montée sur un bout de bois ; elle avait glissé cet énergumène de papier glacé et de cèdre par la fenêtre.
C’était un drôle de corps, mon corps ce jour là. Je donnais un cours de philosophie à mes élèves par l’intermédiaire de Zoom et de ma webcam. Corps doublé, transmis par la fibre optique. Mon corps de peau et de muscle assis sur la chaise. Triplé.
Ce corps là, surprenant, inattendu, imprévu, glissé derrière moi ; bougeait malgré moi.
J’entends Julie, en bas et le parquet qui grince, la porte du micro-ondes qui claque.
Ce sont les bruits de la vie. Celle qui me reste, encore, à vivre ici. Chaque bruit s’écoule comme le grain du sablier ; comme ce fleuve, ici, tumultueux seulement en imagination. Je ne suis pas triste. Je ne suis pas pressé. Il y a quelque chose de doux à l’inéluctable.
Dans le dossier « brouillon » de mon ordinateur je regarde les différents plans enregistrés à l’aide de mon téléphone portable. J’ouvre Final Cut pour tenter de les aménager en une histoire.
J’y ajoute du texte et des commentaires audio. Cette couture m’amuse, m’excite et m’inquiète. Produire du sens a toujours ceci d’angoissant qu’on ferme le monde dès l’instant où on le constitue.
Faire récit. Je ne sais pas l’étendue de cette expression ni sa densité. Pourtant j’en pressens l’intérêt. Nous faisons récit. Ecrivant, filmant et vivant. Ceci, même c’est faire récit. Eux, qui m’attendent pour écrire font récit.
Le printemps entre. La brise souffle à l’intérieur de la boule à neige. La poésie l’agite comme ferait la main radieuse d’un enfant. C’est encore Pâques pour moi ; la rondeur de verre ; l’oeuf translucide.
Messenger, clignote. Sur le téléphone une petite pastille rouge s’affiche à côté de l’icône de l’app. Un visage apparaît à droite. Jonathan m’a écrit
Il m’arrive de ne pas vouloir répondre. De ne pas savoir répondre. De devoir répondre pourtant. Ce n’est pas une torture. Le pal choisi ne peut être un supplice. Il est une modalité d’existence, une forme de vérifiction.
J’aimerais qu’il soit plus simple de détricoter les impératifs. De couper ce qui me dépasse et me disconvient. Je modère une séquence de mon film. Par défaut, je souris, le logiciel intitule mon film l’objet indéterminé que je constitue et duquel je n’ai pas encore choisi la catégorie.
Lorsque je réduis une séquence ou que j’en délaisse une ; je ne me sens obligé par rien ni personne.
Dans la marge, les lignes, la page blanche je me sais une liberté qui ne réclame aucune philosophie. Aucune système moral.
Parfois, c’est comme si entre le monde et moi une fine couche de latex transparent se tendait et que je devais remuer et lutter, sans en laisser rien paraître, contre elle. Cette espèce de pellicule entrave et intercède. Par elle j’établis un certain régime de rapport social. Contraint et possible.
Je me tais.
Je crois que j’aimerais jouer du piano, faire traîner la main maladroite sur les graves et les autres extrêmes ; y voir comme le frottement du printemps.
Les notes tombent, il ne grêle pas.
Sur le discord jeanlebaptiste me cite, un 12 apparaît à côté du salon général. Comme autant de citations de mon pseudonyme. Je ne sais pas si plus jeune j’appelais l’ami qui tardait trop à descendre de chez lui. Si, ce cri là, sonnait comme ces 12 notifications là.
Dehors, le printemps inspire B. qui finit courageusement une canette de bière. Je ne sais, le voyant boire avec cette vivacité, s’il se donne du courage la buvant ou si la canette de 50 cl bue en 3 gorgées constitue le dernier terme du courage vrai.
Sa voix résonne et complique la brise. Je ne saurais pas boire aussi vite. Je n’essaie pas.
Les vitres ne tremblent pas. Je m’installe au piano pour jouer plus fort qu’il ne crie. Concerto d’un quatuor fendu en deux ; sa voix grelotte. J’accompagne le hurlement, je m’accorde au hurlement, le hurlement me dirige. De là naît le rythme, la musique. Quelque chose de primitif ou de tout à fait contemporain, d’exactement d’ici et de maintenant, se joue, est en jeu. Voilà le présent. Hic et nunc.
Le ventilateur de mon ordinateur portable souffle très fort en assemblant les séquences de mon film que je n’ose pas encore nommer autrement. Il y a quelque chose de grandiloquent à ce titre : mon film et quelque chose plus grave, c’est certain, serait de le titrer moi-même.
Que se passerait-il si j’effaçais ce titre générique, mon film, pour le réécrire à l’identique ; réécrire mais de ma main et de mon choix, mon film.
Je lis ce titre mon film qui sonne avec beaucoup de douceur et d’affectuosité. Aussi, j’y entends une part d’incrédulité. Mon film. Ce quelque chose que j’ai fait.
B. continue de vociférer et c’est désormais le souffle puissant et monotone du ventilateur qui accompagne son chant artaudien.
B. a une peau, une amoureuse et une canette vide. Il a une gorge que je crois puissante mais je ne sais pas ce que signifie cette expression de « gorge puissante » pour moi, dans ce contexte, c’est à dire qu’il hurle. Peut-être hurlerai-je à même intensité si je me le permettais. Je ne saurai jamais. Ai-je la gorge puissante ?
Je double-clique sur le bureau et j’arrive devant tous ces textes achevés ou pas. Ils sont comme un parterre de feuilles mortes. Confiné, le printemps ressemble à l’automne.
Je rejoins l’appel skype où chacun m’impersonate.
Cantique de la Lumière
Atelier d'écriture - verbes d'action
Je me souviens - tentative d’épuisement d’un lieu synaptique.
je me souviens du cours d’EPS, en 4ème2. Le choix d’Alexis porté sur moi ; son équipe constituée de filles malhabiles - et ne se sentant guère légitimes pour choisir. Le prof, connu pour sa violence physique, l’air toujours sale comme si l’activité intense du sport avait laissé à son visage une couche indélébile de transpiration.
Le prof refuse mon intégration supposant, parce que j’étais petit et que je portais des lunettes, que j’affaiblirais encore plus cette équipe déjà nulle. Alexis qui dit « mais il est fort » très en vain. Il avait un nom arabe que j’oublie et une voix très grave et très lasse. Nous jouions sur le terrain de bitume de toutes les cours de récréation et ses cages de hand ball où personne n’a jamais joué au hand. A passy, le collège où je mutais après, nous avions aussi des terrains en herbe. De foot et de rugby. Comment les entretenaient-ils ?
Finalement l’équipe avec Grégory et Arnaud. Grégory, philippin par qui j’appris l’existence de ce pays. Il courrait d’une façon curieuse ou donnait cette impression à cause du mouvement désordonné de ses cheveux très lisses et fins comme souvent possèdent les asiatiques. L’évocation dans l’actualité des Philipines m’évoque toujours Gregory. Duarte ou Paquito toujours font signe vers lui.
Alexis était très beau ; sa beauté ne me parvenait que dérivée ; répercutée par le plaisir qu’avaient les filles à le regarder. Un jour, Gregory ou Clyde, je ne sais plus, s’étonnait du nombre de ses amours. Arnaud dit « because he has blue eyes ». Il a dit « blue eyes » pour le reste de la formule je ne suis pas sûr.
Les parties commencèrent ; j’ai marqué souvent. Cyril, nous regardait sur le côté son match fini et célébrait avec moi mes buts ; Cyril était super fort au foot ; rapide, technique, précis. Son impulsivité le menait régulièrement à des actes de violence. Julien M. en fit l’expérience malheureuse. Cyril était le plus petit de la classe et le plus frêle. De Julien, je ne me souviens que de peu ; il portait des lunettes et les oreilles très décollées ; tant que pour s’épargner à l’avenir et pour toute la vie les moqueries des cruautés d’enfant - et celles plus cruelles et muettes des adultes à venir - recourut à la chirurgie esthétique. Laissant apercevoir, entre l’oreille et le crâne une matière lisse et brillante comme du chewing-gum qui fut l’objet de moqueries. J’ignore le sort de Julien et de cette sorte de silicone. Faut-il renouveler l’opération à intervalles réguliers, la mixture s’use-elle et fait-elle reprendre, progressivement, son ampleur à la honte et à l’humiliation ? Je pense à mes dents, appareil d’orthodentie portée trois ans, avec douleur mensuelle à chaque serrement des bagues. Aujourd’hui mes dents se trouvent désordre, parfois on me dit, c’est charmant ; de ce c’est charmant qui s’oppose au beau. En serait une forme, non pas contrariée mais rivale et complexe. On ne souhaite pas toujours dénouer l’écheveau ; à raison.
Passements de jambe, puis grand pont ou crochet intérieur. Frappe du droit, je n’ai pas de pied gauche ; ni de façon générale de corps gauche. Je n’existe que dans l’anté-sinistre. La partie gauche de mon corps ; je la sens comme endolorie toujours ; sorte de fantôme ou d’ombre incorporés. Si du pied droit je puis faire un nombre incalculable de jongles dès lors que mon pied gauche est sollicité la balle roule, morte et déçue. Il en va de même pour tout, sauf, je crois pour l’amour ; je sais faire l’amour de la main gauche aussi bien que de la droite ; ou la maladresse de celle-là rend le plaisir original ; intense mais autrement. Cervantès, après avoir perdu sur je ne sais quel raffiot dans je ne sais plus quelle guerre (l’invincible armada?) sa main gauche écrivait : c’est pour la gloire de la droite. Plus tragiquement ambitieux. Mon cas.
L’équipe d’Alexis, je crois que j’ai marqué 5 buts contre elle, battu de justesse Mohammed, écorché mes genoux en taclant brutalement sur la terre rapeuse. Je m’en foutais. En 5ème, parmi le collège de bourgeois où j’étais et où je prétendais être plus riche qu’eux, j’avais dit à mes camarades, malgré l’aspect hésitant de ma dentition, que je n’avais pas besoin d’appareil ; que mes dents se replaceraient d’elles-mêmes ; tant j’étais certain que mes parents, jamais, n’auraient les moyens d’un orthodentiste. Il s’en était trouvé une, dans le 20ème c’était je crois, Dr colla, à 9000 francs au lieu des 16 000 à Suresnes. Sans cette excuse la supercherie aurait été visible.
La balle piquée au dessus d’un gardien sorti trop prestement ; encore un but.
La dé-foule.
fou e ab ent l s d sparus foule creus e
q e est e t- l
vîle déserte :
c’est tu te lèves le matin, tu penches la tête pour retrouver klaxonnades ; mâtines de Paris 9.
fenêtre vide
tu ne sais
si le double vitrage
sert encore un but sinon l’effet de
Pétarade un engin à moteur, il sera le seul avant longtemps à vrombir
camion à glaces : absent
ne fut jamais là
tintamarrant cloches et
rires des enfants
tu l’espères tout se confond
la foule reflue
foule deve-
nue
De l’autre côté de la rue, l’immeuble exposé plein sud, tu dis, ils ont de la chance, l’immeuble avec des balcons, tu dis, la chance, de l’autre côté de la rue, le bruit des voisins qui font l’amour, ils ont de la chance, de l’autre côté de la rue, les voisins partis avec leurs cris, leurs gémissements.
Pas de chance.
les volets
de l’appart
sont clos
il n’y a pas de
Grappe humaine de ci de là grappes vertes et pâles pépins jetés sur la route en travers légumineuse de brume et de pierre il en poussera de plus doux.
Les vacances scolaires débutent, on dit. On dit, L’A13 complètement bouchée une foule de bagnoles, #restezchezvousputain. On dit. Une foule d’images dit re-dit répète. IL y a eu des bouchons sur l’A13 direction la Normandie et la Bretagne.
Il y a des bouchons.
Un kilomètre d’embouteillage d’après sytadin ; c’est l’effet d’optique des maladies à mort et des contrôles de police. Un kilomètre c’est 385 fois moins qu’une journée normale. Une journée comme il ne s’en fait plus. Les routes, les fours, les hôtels de passe ne résonnent d’aucun pas. Vide, l’A13.
En chine, des files immenses se constituent devant les crématoriums. A Wuhan il y a un embouteillage de cendres. L’approche de la fête des morts presse les parents
Cent mille
50,6 k inscrits sur le groupe Facebook bibliothèque solidaire. L’initiative visait, au départ, à sauver du désarroi les chercheurs et étudiants privés de ressources bibliographiques nécessaires à leurs travaux.
Désormais 50,6k fois, groupe organisé de flibustiers pillant avidement et sans culpabilité les oeuvres éditées par de petits éditeurs (ou non) qui dépériront de la maladie à mort : l’épuisement du fonds de roulement. L’éditeur « le monstrograph » vend pour deux euros les versions numériques de ses oeuvres. Un fragment des 50,6 demande un de leurs livres. Le monstrograph pour préserver du désarroi et de l’ennui les lecteurs a mis en accès libre son catalogue. Les 50,6k s’en foutent.
50,6k foule non absente
qui devrait être aurait du être absente.
les administrateurs m’ont banni après que j’ai évoqué la dite flibuste scandalisés que le scandale vint contre les solidaires.