666 mots - rituels d'enfant
je n’ai pas joué à la marelle
mon horreur des cases ou
mon goût du débordement
m’empêchaient
de tenir
dans le 1, 2, 3
d’une algèbre sinistre.
Aujourd’hui, encore
j’en ignore les règles
Il y avait dans la rue
Clauzel
une marelle
que la pluie
a effacé à force
il n’en reste qu’une
trace
quelques signes
comme ce qui demeure
d’enfance
après la dernière dent de lait
tombée
A l’école maternelle
En évitant soigneusement la marelle - et peut-être je me dis à l’instant c’est ainsi qu’on y joue
-
Vers 4 ou 5 ans j’étais convaincu que je pourrais voler.
Vers 4 ou 5 ans, j’avais deux obsessions : voler - dans le ciel - et Allah.
Alors, je réunis les deux.
Convaincu qu’il suffirait de croire très fort
d’aimer Allah assez pour m’envoler
Musulman très prosélyte j’expliquais alors à Hervé et Marc
qu’il nous suffisait de dire Bismillah pour nous envoler
le miracle - comme la sociologie - n’étant pas une science exacte
il fallait recommencer l’expérience souvent
pas d’échec
ça ne marchait pas
c’est tout
parce que nous prononcions
avec l’accent français le nom divin
parce qu’ils ne croyaient pas assez.
Je me souviens
Nous montions sur une marche
et
nous exclamant bismillah
nous sautions
j’imagine aujourd’hui
l’effet bizarre que produirait
ces paroles
dans la bouche d’enfant
auprès des instit’.
convertissant
marc et hervé
aux sortilèges de l’Islam
la toute puissance
des cieux
dégarnis ici
ô calvities sentimentales
Mon extrêmisme religieux me poussa
plus tard
à refuser une viande suspecte au centre aéré
malgré l’insistance des éducatrices
convaincu alors que j’étais
qu’elle résultait de l’abattage non rituel
d’une bête au sabot fendu
à l’inverse
Yannis
quand il eût l’occasion de manger du porc
à Grèce en Vercors - sûrement transgressant
par goût de la rime -
ne s’en priva pas
starfoullah
Un jour, dans la cour de l’école maternelle
où j’étais peu nombreux
je parvins à m’élever suffisamment haut
à commettre mon corps
parallèle au sol
avant
que d’avoir mal dit ma prière
je ne chute sur le ventre douloureux
je me souviens de ceci
comme d’une réussite
dans cette cour d’école
mon premier baiser malgré moi
Valérie qui me l’infligea
je n’avais pas dit
bismillah
Valérie
je ne suis pas sûr
je n’ai jamais aimé les jeux de
chapeau de paille
paille
paille
j’aimais beaucoup l’élastique les garçons y jouaient avec timidité
avec l’air de s’en moquer que ce n’était pas sérieux vas y montre voir
pff
comme la corde à sauter
qui très vite nous rassure
les boxeurs
être de la dernière violence
la pratique avec assiduité
enfant
je me souviens du jeu terrible
dangereux
que je jouais avec Dieu
disant - la nuit -
murmurant
dans le tard du sommeil
ma haine mon dégoût de Dieu
et mêlant
à cette parole atroce
un chant muet d’amour
pour le diable
superposant
ajoutant
à cette louange
celle
contrite pour Dieu
désolé
les larmes à l’âme
comme possédé
sûrement
est-ce ceci possédé
et Yannis connut en vérité
même chose à Grèce en Vercors
son diable à lui la rime en -or
Une nuit
le diable vint
agacé de ma louange contradictoire
voulant
comme une maîtresse agacée
s’assurer de la réalité de mes sentiments
à son endroit
et me réclama une preuve de mon amour
il exigea de moi que je tapasse ma soeur
je feignais le sommeil pour ne pas répondre
à son appel
sorte de batterie faible de l’époque.
ce sommeil simulé
devint une habitude
lorsque j’entendais la nuit
le bruit métallique
des voleurs
qui n’ayant pas dit
bismillah ne parvinrent jamais
à s’introduire autre part
que dans ma terreur
ainsi
ma peur préservait le peu de bien de mes parents
ma quiétude, seul butin de ces voleurs apostats
De l’enfance le Joker est indiscernable
Enfant
il me terrorisait
tant
que ma peur ne trouvant pas en moi
terre assez vaste
s’empara de Myriam aussi
qui le vit
une nuit
Pour m’endormir
je comptais
les Joker tombant
des toits de Gotham City
comme on compte les moutons
à Grèce en Vercors
Recueil - en cours
I.
ton baiser
goutte à goutte
rompt le silence
_d’une pierre ?_
de la pierre
II.
le ciel
cognait (heurtait?)
le ciel
le feuillage montait parallèle au motfeuillagela grotte connaissait l’ombre mais la grotteinconnue de l’ombrerétrécissait jusqu’à l’ombre
un miroir d’ombre de pierre de traces
de fusain on y lisait un mot
un seul mot
_oubli(e)_
III.
I
le mot devant toi un étranger roche
sans nom
sans désirsans rien
IV.
la vitesse du froid
forgée
par la fraicheur
du bronze
un peu
de
mousse
luit
le chêne
connait
la rapacité de la nuit
V.
la nuit augmentée d'un jour
Perdu en grandes quantités
Le bloc demeure
Bloc perdu
Bloc volé
à vos yeux pendant une journée.
eau froide, pour étancher ma soif, je me hisse plus haut
l'audace des lacs me rapprochait des profondeurs
la grive frappait le ciel
qui étais-je?
après ce combat
une rencontre
Je n’ai pas vu mon visage à travers la roche, la roche elle-même est mon visage. Sans regarder en arrière, j’ai reconnu ma dent de pierre
l’herbe humide
première énergie
terrestre.
Pause dans laquelle la cible redevient
apparente
quand ils sont venus, l'eau
Sage de tempête
cogne
la pierre à la surface de la pierre
L'eau à la surface de l'eau
Sous les décombres brille
terre froide
une grive
Consigne : Ecrire à partir de 3 phrases, une au début, une au milieu, une à la fin.
1. Et s'il était à refaire, je referais ce chemin.
Chemin filial, d’abord, ovule et spermatozoïde se faisant cour mutuelle, convolant en la juste convenable noce de la fécondation, chemin de ma biologie, du développement successif et en bon ordre, ouf, de tous mes organes. Chemin, âpre, dangereux, toujours inquiet, chemin sans cesse soumis aux éboulis, aux tremblements, à la chair de poule, aux inondations. Chemin, à refaire pourtant. Chemin, par où tout commence, dévalé ou non, à terme ou en avance. Chemin, du le cri, du cri féroce, du cri des bêtes, le cri hérité, les mains tendues, les mains mendiantes, tendues au milieu du chemin, chemin, fente, fendue.
Moi, jet jailli de ce chemin, moi crevant la forêt alentour, les conifères et les chênes, les plantes de montagne, les belvédères instables. Chemin à refaire par une autre route cette foi, moi creusant, moi cette fois faisant effort - elle surtout - chemin de la vie.
Des souvenirs. Le grand soleil avant les premières gelées. Un devoir, fililal, où l’on me conduisait. Mon père, pendant deux mois, creuse une tranchée dans le grand jardin - on dit un terrain quand on atteint cette taille.
Depuis 20 ans, pour des raisons sanitaires suspectes, la loi impose aux nouvelles constructions de se rattacher au tout à l’égout. Fin des fosses sceptiques, fin des camions une à deux fois par mois récoltant la merde humaine, les déchets humains, ce qui reste de bombance, de trop boire, de gastro-entérite.
Mon père creuse sous le soleil qui précède les premières gelées - l’herbe et la terre toujours durcissent en plein hiver - sa tranchée et me demande de l’accompagner, de bêcher avec lui, de déblayer puis de remblayer avec lui. Mon père ne voulait pas payer une de ces entreprises, toujours scélérates à ses yeux, pour s’occuper de ce qu’il savait faire. Mon père usa toute sa vie ses mains pour le bénéfice d’autres ; aujourd’hui, retraité, il redevient propriétaire de ses mains. Sa retraite n’en finit pas, lui demeure trop de forces, de puissance vitale pour qu’il n’emploie pas sa propre force, cette jeunesse du temps retrouvé, à de nouveaux efforts.
Trace chemin dans la cour, le jardin, le terrain, chemin parcouru, nommé : tranchée. Dix mètres de long, deux et demi de large ; dix mètres de chemin de boue, de terre, de pelles, dix mètres de centaines, de milliers, de mouvement, sans machine. Nos mains, mes mains, étais-je propriétaire de mes gestes, de mes mains, où, comme une dette du premier chemin traversé, du chemin séminal, on pourrait dire, remboursé ici. Pour être quitte de ce qui ne s’acquitte pas.
Chemin, toute la vie ce chemin. La petite ville, banlieue de Paris. Quittée voilà dix ans. Quitté, voilà dix ans, ce lieu vaste et étroit où les premières gelées peuvent anéantir les projets d’une année ; j’ai quitté, voilà dix ans, ce lieu où le thermomètre ne sert pas qu’à choisir entre la veste d’automne ou le manteau de demi-saison. J’ai quitté, voilà dix ans, ce lieu où je chemine toujours.
Marcher, reprendre, sur les talons, cette fois, le chemin ; s’ensevelir dans son propre pas s’enfoncer dans son empreinte inversée, la pointe du pied à l’endroit du talon ; le talon à l’endroit de la pointe de pied ; chaussure étroite, brillante, cirée dans l’empreinte de la basket.
Mon sillon sur les rails, mon sillon dans la gare, vingt minutes de voiture encore depuis la gare, je vois mon sillon, la première voiture, une Twingo défoncée, la gomme laissée des kilomètres de gomme pour quitter quitter le petit village pour la ville moyenne et la ville moyenne pour la grande ville et la suite ? Jusqu’où irai-je et jusqu’où reviendrai-je ? Quelle poussée en moi, quelle force secrète, ancienne, quel héritage. Mes racines, chemin discret, poussent jusqu’à mon passé, serrent.
- A l'état sauvage, le bulbe est très profondément enterré et, si l'on veut s'inspirer de la nature, il faut le planter dans le jardin à une profondeur d'au moins six à huit pouces.
Sauvagerie de la chose à naître, du bulbe retenant son premier cri, le sien, son cri, et les larmes brutales ; ô chemin six à huit pouces chemin descendant du ventre de maman, dans la pleine lumière, la lumière blanche et cruelle pareille à celle des premières gelées.
Toujours, notre vie, notre chemin, hésitera entre notre état sauvage et notre enfouissement dans le jardin où les premières gelées, sans la protection de chênes solennels, nous laissent au risque de la stérilité.
Arbre tordu, maladroit, dur, écorce humaine à peau tendre, bouche jamais en fleur avant mes dix-sept ans. Cri, cri du fin fond des entrailles, sur la place de l’Eglise, ou de l’autre côté de l’Eglise, le premier baiser, la diction de l’amour, la lèvre mordure, la mienne ou la sienne, la peur, les dents qui claquent de froid - les dernières gelées, la main tenue, le chemin, le pas ce soir, le pourquoi pas, la plage plus tard, le noeud des chemins, des routes, des impasses, les tâtonnements, le corps trouvé, le sien, le soleil précédant la première gelée, dix verres, l’adieu, le chemin jusqu’au rebord de la vie, le premier désespoir, le premier pour de vrai, la main, paume, la main poing, écrasée contre le mur, l’écran allumé, au secours, au secours, par la fenêtre la peau intacte du jardin, les bulbes arrachés.
Son chemin, l’écorchure, le froid qui brise, le SMS reçu, désolé mon vieux, les larmes, le SMS cette fois-ci envoyé, désolé ma vieille, SMS envoyé du côté des vainqueurs, du côté de la première gelée, du côté de la dernière gelée, va-te-faire foutre le soleil.
Celle qui jaillit un jour
robe
elle dit
mon éléphanteau
elle dit
ça
tu t’interromps
tu tâtes ton ventre plat
tes bras sans muscles
tu tâtes ton visage
sans gras
elle voit
tes gestes sur ton corps
sur ton corps tes gestes
elle dit
elle comprend
elle sait
elle dit
ça vient de Baudelaire
20 ans obligatoire
Baudelaire
Tu souris
Tu crois
qu’il faut
sourire
Elle, chemin, sens, direction, raison du chemin, elle, totalité du Chemin, elle,
ligne parallèle à la tienne ; une couche de verglas sur sa ligne ou sur la tienne, ton amie la gelée, qui dérape ? toi ou elle ? elle ou toi ?
Rencontre,
Le téléphone lumière dans la nuit, le téléphone, coucou des bonnes nouvelles, la crainte, ce matin là du funeste désolé.
Chemin, la tranchée a recommencé, une autre ; les rails d’autres, d’autres rails, la gomme de la voiture que tu ne voulais pas, un nouveau modèle, le chemin, dont tu n’es plus sûr et la gravité qui te mène vers une autre grisaille.
Toi, toi je veux dire, elle, je veux dire je ·e, tu ne crains rien depuis longtemps, depuis que tu as joué Antigone, le trou de mémoire devant le corps inerte de Polynice et tu as compris, compris devant ton silence que tu n’aurais pas pu joué plus juste que là, à ce moment là, le silence, alors tu ne doutes plus de rien. Lui, tu l’avais repéré dans l’amphitéâtre
tu l’avais vu qui ne disait rien, tu ne te diras pas, quand même, dès le début je le savais qu’il était pour moi que j’étais pour lui qu’on avait à cheminer l’éternité, il te rendait curieuse, c’est tout au début, comme Polynice ou pas du tout ; toi tu savais tout oser, alors un jour tu t’es plantée devant lui et tu as vu la peur dans ses yeux, la peur et ça t’amusait un peu, son envie de fuir et son sexe d’homme qui lui barrait le passage ; tu lui as demandé, comment tu t’appelles, il jouait l’homme, la contenance de l’homme, l’assurance de l’homme, fragile, fragile petit éléphanteau. Avant le premier baiser, le premier alcool fort, avant la braguette défaite, les bretelles desserrées tu n’as pas eu besoin d’insister très longtemps. C’était sa deuxième fois, ou troisième, il n’a pas osé te le dire tout de suite. Souvent il a pleuré - les dernières gelées - il disait.
Toute la vie, ça avait cette apparence là, l’éternité, ses yeux, tu croyais, tu lui disais toute la vie . Il t’avait promis, il avait dit, je viendrais, il allait venir et toi soudain, patatras, ou le contraire hourrah, la grande ville tu ne l’as vu que froide, que neiges éternelles, les fauteuils toujours pareils, les hommes aux visages d’hommes, les femmes aux visages de femme. Pas Antigone. Pas Polynice. Pas la vie. Tu dois le retrouver après les vacances d’été.
Cette ville où
Ton amie te traite de pute parce que tous les mecs te draguent, qui te traite de pute par SMS, tu es sur un fauteuil impersonnel, froid, de la ville froide, morne, de la trop grande de la très maudite ville. Soudain. Tout. Souffle retenu. Chemin dévalé. SMS. Désolé. Tu le bloques, tu as peur d’être trop faible, de ne pas pouvoir cette fois là, te planter devant lui comme la première fois, les premières gelées, il t’a parlé des premières gelées, tu n’es pas sûre de pouvoir, une résolution ça tient à rien, ton assurance…tant pis, tu dois penser à toi cette fois-ci. Ca ne vient pas sans larmes, évidemment. Désolé, alors. Plus un mot, le silence. La nuit. Fin des gelées. Tes deux mains frottées, le billet de train, acheté en ligne.
Désolé.
- Elle revit brusquement la place grise de Poitiers, le papier usé sur les murs de la chambre, elle respira tout d'un coup l'odeur de la province, et elle sourit.
Consigne : Première fois, incipit, genèse, aurore. Nous voulons des surprises, de l'agitation, des débuts et des enclenchements. Nous questionnons la notion de monde d'après : nous ne croyons pas à la rupture brutale mais à l'accumulation de petits mouvements qui constituent des départs de cycles.
long mur, long mur, main sur mur une puis deux main change au milieu du chemin
droite prenant place de la gauche gauche prenant place de droite mur effleuré le long mur traversé frôlement musique touche d’orgue la pierre dure lisse enfoncée
mur qui n’en finit pas
mur
bijou gêole
longe ton drame
aurore
de tes mains
une puis l’autre
longe effleure
la partition des éboulis
main droite puis gauche
puis aucune
la fatigue
mutile
la musique
mutique
Je règle l’alarme pour 9h30. Il y a longtemps que je n’ai pas eu à me lever aussi tôt. Tôt, ça ferait marrer n’importe qui.
Je règle trois alarmes. Non, que j’éprouve la moindre difficulté à me réveiller quand le matin fouette mon derche, juste le plaisir inouï de pouvoir se rendormir. Un peu de résistance, de jubilation, de fuite avant la journée qui s’annonce avec ses lourdeurs sans joie. Moi ?
Je ne porte que des vêtements noirs. Le noir c’est ma fantaisie. Je me distingue par la banalité, excentrique de l’ordinaire poussé au degré d’absurdité dadaïste, je m’expose dans les soirées avec le triomphe de l’urinoir usagé. C’est mon truc, ma triche, ma trique.
tu vas à un enterrement frère
Toujours Aubin me dit ça. Et toi connard tu sors d’une cure de McDo ? Aubin, s’assombrit, s’il proteste, je lui dis que je déconne ça va. Tout le monde lui dit ça, on déconne ça va gros porc.
Au fond je suis un chic type.
Deathwing est trop fort. Deathwing surgit le tank ne fait rien. Il régenère ses points de vie. Putain notre heal à nous ? Le soin ça arrive SVP ? Merde, si vous jouiez plus en équipe au lieu de rush comme des cons. Ca va les débiles merde. Espèce d’autiste. Toi joue pas l’intello parce que t’écoutes du maupassant cousin. Moi je te nique. Allez…
Le raid échoue.
Au début, dans WOW, Lardeur fracassait tous les joueurs. Lardeur, boss pour débutants, ravageait pourtant tous les nouveaux joueurs. Il a les stats les plus sauvages, meilleur que le meilleur joueur humain ou que les autres PNJ.
Lardeur, amas de lignes de code, existe, extension mythologique, dans le Lore de Warcraft. Il possède une biographie, inscrite dans l’Univers défini et en extesion de Warcraft. Dans son histoire il interragit avec d’autres personnages de son espècein-game.
(Lardeur appartient à la race des trolls il cohabite pacifiquement ou avec hostilité avec d’autres races, les humains, les orcs, les démons, les trolls sont une sous-espèce de monstres aux yeux des humains etc).
Lardeur existe aussi, autrement, plus retentissant, plus légendaire dans les discours des joueurs qui eurent à l’affronter. Il y a vingt ans, déjà, et sa légende triomphe encore, et ses hauts-faits s’affichent. Le milliard de joueurs de Warcraft périt au moins une fois de ses mains, de ses mains à lui qui les jetèrent tous dans l’incendie et les fit charpie.
longeant le mur mutilés le mur lamentable des résurrections.
Wesh Aubin, gros porc ça va ?
Ca y est t’es revenu de ton enterrement fils de pute ?
Tu dois être content maintenant McDo livre toute la nuit
T’y connais quoi en content gothique de mes couilles.
Alors, là non, stp. Gothique non. Je m’enfonce pas mes ongles peints noirs en récitant du Edgar Allan Poe. Je chiale pas en faisant faisant couler mon maquillage Sephora deuxième prix.
Nuit suspendue
Jour inadvenu
Il pleut
L’eau fuit
le puits
de mains tendues
de phalange sèche
paume(s)-sahara.
Ta première quête légendaire achevée seul, ta première arme volée en violation de toutes les règles du jeu.
Tu as dans les mains ta première cigarette. Tu commences le tabagisme assez tard, après la vingtaine. Comme pour tes vêtements noirs et démodés. ; tu veux être en retard. Tu es en retard dans ta vie. A la naissance, tu as débuté après le top départ. Tu n’y peux rien et ça n’a aucune importance. Alors tu fumes cette cigarette, goût de tabac d’ambre, tu crois. Goût d’Amérique, d’épices. Tu es arrivé en retard dans ta propre vie. Quelle importance, tu la mènes autrement. Vingt ans, tu te dis déjà. Vingt, est-ce vraiment vingt ? En retard, encore et quand tu crois partir à temps, c’est faux départ, c’est grève, c’est un jour trop tôt, une semaine en avance, c’est seul sur le quai et ta vie s’envole. Au-delà du mur d’enceinte. Ta vie à toi, glisse sans flamber. Le mégot, tu le gardes dans ta main. Comme un pommeau vaincu, un socle désemparé. On lui a pris ce qui lui donnait sens. Voilà une autre existence, mégot, non moins valable, non résidu, non détritus, mégot, autre essence, mégot. Tu penses un instant, à toute une usine de mégots... Tu ne te mettras pas à collectionner ces débuts d’une autre sorte. Il serait exagérer de vous trouver une ressemblance. Tu as une pensée qui te traverse, c’est tout. Tu ne la notes nulle part. Elle s’envole. Main gauche, puis droite, effleure le clavier et au bout de la ligne plus rien ne touche.
Aucune voix. La solitude se mérite et ne vient pas sans prix. Même pas le bruit de ma propre vie. Je longe le mur d’enceinte, ici je m’accroupis, mes mains effleurent la brique peinte, le goudron sec, une trace de mon existence. Je suis en retard. Mon réveil sonne trois fois. Les ongles écaillent le vernis du mur. Ma vie.
Aubin a perdu son père, on dit qu’il mange pour compenser. Que tout ce qu’il accumule au-delà de ce que lui, Aubin était, du volume qu’était Aubin, accueille et engendre son père. Il fait une place à l’absent.
Il a dit
je veux multiplier la vie en moi
Ca s’appelle un cancer cousin
Alors ce sera un Cancer
tu dis de la merde.
mais ta gueule
tu lâches des trucs pf…pour faire ton intéressant ton mec daaaark
Il me regarde
va te faire foutre je lui dis va bien te faire foutre gros porc
produire dans sa graisse, dans son extension physique
Consigne : Première fois, incipit, genèse, aurore. Nous voulons des surprises, de l'agitation, des débuts et des enclenchements. Nous questionnons la notion de monde d'après : nous ne croyons pas à la rupture brutale mais à l'accumulation de petits mouvements qui constituent des départs de cycles.
long mur, long mur, main sur mur une puis deux main change au milieu du chemin
droite prenant place de la gauche gauche prenant place de droite mur effleuré le long mur traversé frôlement musique touche d’orgue la pierre dure lisse enfoncée
mur qui n’en finit pas
mur
bijou gêole
longe ton drame
aurore
de tes mains
une puis l’autre
longe effleure
la partition des éboulis
main droite puis gauche
puis aucune
la fatigue
mutile
la musique
mutique
Je règle l’alarme pour 9h30. Il y a longtemps que je n’ai pas eu à me lever aussi tôt. Tôt, ça ferait marrer n’importe qui.
Je règle trois alarmes. Non, que j’éprouve la moindre difficulté à me réveiller quand le matin fouette mon derche, juste le plaisir inouï de pouvoir se rendormir. Un peu de résistance, de jubilation, de fuite avant la journée qui s’annonce avec ses lourdeurs sans joie. Moi ?
Je ne porte que des vêtements noirs. Le noir c’est ma fantaisie. Je me distingue par la banalité, excentrique de l’ordinaire poussé au degré d’absurdité dadaïste, je m’expose dans les soirées avec le triomphe de l’urinoir usagé. C’est mon truc, ma triche, ma trique.
tu vas à un enterrement frère
Toujours Aubin me dit ça. Et toi connard tu sors d’une cure de McDo ? Aubin, s’assombrit, s’il proteste, je lui dis que je déconne ça va. Tout le monde lui dit ça, on déconne ça va gros porc.
Au fond je suis un chic type.
Deathwing est trop fort. Deathwing surgit le tank ne fait rien. Il régenère ses points de vie. Putain notre heal à nous ? Le soin ça arrive SVP ? Merde, si vous jouiez plus en équipe au lieu de rush comme des cons. Ca va les débiles merde. Espèce d’autiste. Toi joue pas l’intello parce que t’écoutes du maupassant cousin. Moi je te nique. Allez…
Le raid échoue.
Au début, dans WOW, Lardeur fracassait tous les joueurs. Lardeur, boss pour débutants, ravageait pourtant tous les nouveaux joueurs. Il a les stats les plus sauvages, meilleur que le meilleur joueur humain ou que les autres PNJ.
Lardeur, amas de lignes de code, existe, extension mythologique, dans le Lore de Warcraft. Il possède une biographie, inscrite dans l’Univers défini et en extesion de Warcraft. Dans son histoire il interragit avec d’autres personnages de son espècein-game.
(Lardeur appartient à la race des trolls il cohabite pacifiquement ou avec hostilité avec d’autres races, les humains, les orcs, les démons, les trolls sont une sous-espèce de monstres aux yeux des humains etc).
Lardeur existe aussi, autrement, plus retentissant, plus légendaire dans les discours des joueurs qui eurent à l’affronter. Il y a vingt ans, déjà, et sa légende triomphe encore, et ses hauts-faits s’affichent. Le milliard de joueurs de Warcraft périt au moins une fois de ses mains, de ses mains à lui qui les jetèrent tous dans l’incendie et les fit charpie.
longeant le mur mutilés le mur lamentable des résurrections.
Wesh Aubin, gros porc ça va ?
Ca y est t’es revenu de ton enterrement fils de pute ?
Tu dois être content maintenant McDo livre toute la nuit
T’y connais quoi en content gothique de mes couilles.
Alors, là non, stp. Gothique non. Je m’enfonce pas mes ongles peints noirs en récitant du Edgar Allan Poe. Je chiale pas en faisant faisant couler mon maquillage Sephora deuxième prix.
Nuit suspendue
Jour inadvenu
Il pleut
L’eau fuit
le puits
de mains tendues
de phalange sèche
paume(s)-sahara.
Ta première quête légendaire achevée seul, ta première arme volée en violation de toutes les règles du jeu.
Tu as dans les mains ta première cigarette. Tu commences le tabagisme assez tard, après la vingtaine. Comme pour tes vêtements noirs et démodés. ; tu veux être en retard. Tu es en retard dans ta vie. A la naissance, tu as débuté après le top départ. Tu n’y peux rien et ça n’a aucune importance. Alors tu fumes cette cigarette, goût de tabac d’ambre, tu crois. Goût d’Amérique, d’épices. Tu es arrivé en retard dans ta propre vie. Quelle importance, tu la mènes autrement. Vingt ans, tu te dis déjà. Vingt, est-ce vraiment vingt ? En retard, encore et quand tu crois partir à temps, c’est faux départ, c’est grève, c’est un jour trop tôt, une semaine en avance, c’est seul sur le quai et ta vie s’envole. Au-delà du mur d’enceinte. Ta vie à toi, glisse sans flamber. Le mégot, tu le gardes dans ta main. Comme un pommeau vaincu, un socle désemparé. On lui a pris ce qui lui donnait sens. Voilà une autre existence, mégot, non moins valable, non résidu, non détritus, mégot, autre essence, mégot. Tu penses un instant, à toute une usine de mégots... Tu ne te mettras pas à collectionner ces débuts d’une autre sorte. Il serait exagérer de vous trouver une ressemblance. Tu as une pensée qui te traverse, c’est tout. Tu ne la notes nulle part. Elle s’envole. Main gauche, puis droite, effleure le clavier et au bout de la ligne plus rien ne touche.
Aucune voix. La solitude se mérite et ne vient pas sans prix. Même pas le bruit de ma propre vie. Je longe le mur d’enceinte, ici je m’accroupis, mes mains effleurent la brique peinte, le goudron sec, une trace de mon existence. Je suis en retard. Mon réveil sonne trois fois. Les ongles écaillent le vernis du mur. Ma vie.
Aubin a perdu son père, on dit qu’il mange pour compenser. Que tout ce qu’il accumule au-delà de ce que lui, Aubin était, du volume qu’était Aubin, accueille et engendre son père. Il fait une place à l’absent.
Il a dit
je veux multiplier la vie en moi
Ca s’appelle un cancer cousin
Alors ce sera un Cancer
tu dis de la merde.
mais ta gueule
tu lâches des trucs pf…pour faire ton intéressant ton mec daaaark
Il me regarde
va te faire foutre je lui dis va bien te faire foutre gros porc
produire dans sa graisse, dans son extension physique
La société des architectes lançait un appel à texte. J'y ai répondu, avec une proposition hors-sujet que j'ai eu beaucoup plus de mal que je n'aurais cru à extirper de moi. Il fallait parler d'architecture et je ne sais parler que des choses mouvantes - hélas jamais je ne fus témoin du tremblement de terre qui arracha au sol toute la ville de Lisbonne - et à la poésie ses plus mauvais vers.
Architexture - Delirous
Son goût des sommets l’accompagnait depuis tout enfant. Lors de ses premières vacances en Kabylie, à 2 ans, son oncle le mit sur ses épaules et le mena sur le mont Djurdjura. L’oncle, alors, s’exclama - sûrement : regarde, regarde Djilali. Cette vision se ficha dans son coeur ; pas dans sa mémoire. Il ne se souvient pas du paysage d’alors, ni de l’âpre escalade, pourtant il sent, il sent en lui le vacarme des cimes et l’irréductible attraction des sommets. Toute sa vie il les recherchera. Avec le temps le goût du très-haut mua ; pour se convertir, d’abord, en l’amour de Dieu, passion qui s’épuisa bien vite. Puis, il s’éprit de sa ville et de ses immeubles triomphant mais…rapidement, le voilà déçu, Paris est une ville couchée. La Tour Montparnasse ? solitaire et peureuse ; les tours de la Défense ? reléguées hors de Paris, honteuses - et nécessaires, comme Kabushiko, quartiers des plaisirs de Tokyo. De la Tour Eiffel, il ne veut pas entendre parler.
Paris - Red Light District
///
New-York est irrationnelle. Utopie mêlée au cauchemar. Je cherche le sommeil de ce cauchemar.
Mathew vit à Atlanta. Mathew vient faire du tourisme à Paris et, pourquoi pas, y trouver un amant pour égayer la nuit et le jour[1]. Après notre première nuit d’amour, émouvante et banale, je l’emmène en ballade dans Paris. Nous errons dans le quartier Latin et il s’émerveille de ce qu’il voit, il s’émerveille de ces vieilles pierres intactes, de cet amoncellement d’Histoire qui n’en finit pas. L’Eglise Saint-Julien-le Pauvre fondée au Xe siècle…Il a du mal à réaliser. Xème siècle…Cristophe Collomb était loin de débuter son expédition massacreuse…Tout est ancien ; tout est neuf. Il éclate de rire, rire clair rire surpris. Pour faire à nouveau retentir ce rire, je le guide dans la ville, ville aimée et décevante.
Paris est si belle…je lui dis. Il dit tu en parles si bien. Le regard que l’on s’échange est tendre et sans promesses. Paris si belle. Paris, je vais lui dire quelque chose encore…et une fissure d’où rien ne pousse, s’ouvre en moi. Je reprends la parole. La cathédrale Notre-Dame éblouit, dentelle de pierre, que Dieu frôle chaque jour et parfois enflamme. L’île de la cité, majestueuse et dangereuse, le palais de justice qui entre ses murs ensevelissait tant de vies, le chant de l’Opéra Garnier quand le vent souffle le mardi à 20h… Rien ne s’élève pourtant, sinon la tour peureuse sinon les tours honteuses. Rien ne s’élève…
Je lui dissimule ma mélancolie. Mélancolie à l’objet absurde, mélancolie du très haut, des neiges éternelles de l’enfance…Je veux le conduire ailleurs mais il tient à voir les Champs-Elysées ; je n’ai pas le coeur de débattre. Il commande un Uber, il préfère regarder la ville défiler par la fenêtre. Il a raison. Le métro nous prive de la vision. Sur la plus belle avenue du monde je ne me montre pas d’une grande aide… je le laisse à ses envies. Il a entendu parler de la boutique Abercrombie et Fitch des Champs-Elysées et tient à s’y rendre. C’est magnifique, il dit. Tous y est beau.[2] Il a raison. Il voudrait voir la Tour-Eiffel
Je ne hais rien tant que la Tour-Eiffel, si les tours honteuses ou peureuses, me frustrent, la Tour-Eiffel provoque en moi des remous de haine, elle m’agresse. Inutilement prétentieuse elle se dresse là et jette sur tout une ombre imbécile. Elle s’impose comme seul mont et tout, autour, doit s’incliner plein de vénération. Je crois que c’est pour ceci que je hais la Tour Eiffel. Tout autour d’elle, solennellement, s’agenouille, craintif.
Parle-moi de New-York, je lui demande.
Il n’a jamais été à New-York. Il me fait penser à New-York.
Je le regarde. Je n’ai jamais été à New-York.
En bas des Champs Elysées, station Franklin Roosevelt, nous prenons la ligne 1 et descendons station Esplanade de la Défense…
Je veux lui montrer ce qui ici me rappelle les Etats-Unis, ces tours qui me blessent au cœur - ce qu’on m’a consenti de sommets pour combler l’irréparable nostalgie des montagnes enfantines.
Je me dis, il va rire, il va dire the fuck en voyant la maigre quantité de nos tours. Il va dire même que dans n’importe quelle ploucity américaine y en a dix fois plus. Le contraire se produit. Il s’émerveille une seconde fois, s’émerveille de voir cohabiter ces dizaines de tours et, à quelques kilomètres de là à peine la beauté antique - pour lui ça a l’air de venir de si loin en arrière - de Paris. Il dit je n’imaginais pas…ça. Son émerveillement élève, un instant, Paris à mes yeux.
blessure d’amour
Il me dit qu’il aimait Paris avant même de connaître Paris. Que cette fois c’est sûr. Il est tombé amoureux.
***
Il part en Uber. Quand il monte je me rends compte que Mathew ne ressemble pas tellement à New-York.
En fait.
S’élever – New-York is the anti-Paris and the counter London[3]
Lorsque, j’ai entendu parler pour la première fois de New-York, à 10 ans
blessure d’amour
Quelque chose en moi a s’est serré
retenti
blessure d’amour
Une consolation et aussitôt une douleur
blessure d’amour
A l’école primaire, quand nous finissions notre travail avant les autres, l’institutrice nous autorisait à quitter notre place pour nous asseoir dans le coin lecture, au fond de la classe. Nous avions à notre disposition une petite bibliothèque consacrée à l’histoire, la géographie, la biologie... Un jour de Novembre, 10 ans, je me souviens bien…je choisissais un livre au hasard – était-ce le hasard - et là…New-York. C’était New-York qui se tenait devant moi, qui s’élevait, qui s’élevait du fond des pages ; giclait de l’Atlantique, jaillissait du fleuve Hudson. Je n’en croyais pas mes yeux ça existe. Je débarquais du port, je ruais hors du débarcadère pour atteindre ce monde palpitant, neuf. Et dans ce New-York de songes, dans ce miracle que je découvrais en mots et en photos s’élevait l’Empire State Building. Tout était immense dans ce nom. Empire. State. Building. Tout.
blessure d’amour.
deux fois
blessure d’amour
Dix ans…Alors l’obsession. L’obsession impossible à consoler. L’obsession naissante pour cette ville et ce building. Cherché, lui, l’Empire State Building en vain partout. N’apparaissant même pas par transparence, imagination et illusion, dans les rues de ma ville. La Tour Montparnasse pas une seconde je ne l’ai confondue avec l’Empire State Building.
Sans argent, impossible de traverser l’Atlantique. Lorsque j’ai demandé à mon père de m’y emmener il m’a regardé comme si je demandais la lune. Au moins. Mars. Peut-être.
Il n’a rien dit, il a refusé sans un mot. J’ai compris que la distance qui me séparait de New-York ne se comptait pas seulement en kilomètres mais qu’une autre unité, plus infranchissable, faisait obstacle.
Nos désirs, nos désirs frustrés ; rites de passage de l’enfance à l’adulte.
J’apprenais la valeur de l’argent dans toute son immense douleur. Je dus employer mon imagination consolatrice - par bonheur à cet âge-là nous en possédons un trésor inépuisable.
Je me suis fabriqué mon New-York, j’ai élevé mon Empire State Building. Patiemment. Retrouvant l’usage de mes légos délaissés depuis tant de temps…La forme, dans ma chambre, un instant m’apparaissait. Là. C’était là.
Je vivais New-York par…correspondance. J’achetais des cartes postales de New-York que je me faisais parvenir, je me donnais des nouvelles de la ville, en quelque sorte. Dans les magazines je cherchais des photos de New-York. Je m’intéressais à l’architecture si mystérieuse de cette ville qui ne ressemblait à aucune autre. Ses avenues parallèles et donc perpendiculaires, son métro…La moindre différence me plaisait et me stupéfiait. New-York 7,8 fois plus vaste que Paris. New-York, 7,8 fois plus haute que Paris. Je gardais, au cours de mon étude scrupuleuse de New-York, les gratte-ciels pour la fin, comme on garde la meilleure partie du dessert de côté pour la finir quand tout est fini. Et de ce dessert, même, je gardais, précieusement, pour la fin de la fin, le plus éblouissant fragment : l’Empire State Building.
New-York, pour moi commençait là où Paris finissait. A 37 mètres. [4]

Comme j’étais bizarre, au lieu de photos de Pin-Up je coupais, dans les magazines, les photos de New-York. Une ville me hantait. Comme j’étais bizarre de m’intéresser aux 381 mètres de l’Empire State Building (444,2 avec l’antenne), à ses 102 étages (86 sans la flèche), à son marbre, à son hall immense, à sa rivalité avec les autres tours de la même époque…j’avais soif et faim de cette ville.
Au moment de ma puberté, je ne tombais amoureux que de garçons ressemblant à New-York. En cours d’anglais, celui qui parlait avec l’accent que j’imaginais celui de l’Empire State Building. - si un gratte-ciel avait une voix - alors l’amour, l’amour grandissait en moi. Adolescent, j’ignorais que ceci c’était l’amour, que j’aimais New-York, que j’aimais les garçons et que longtemps je prendrai les uns pour l’autre.
j’ai deux amours…
j’ai deux blessures
Aucune fille ne m’a jamais évoqué New-York. Avant de comprendre - d’assumer - mon homosexualité je croyais que ma répugnance pour les femmes venait de ce qu’elles ressemblaient toutes à des villes de province…
blessure.
A 17 ans mon premier amour ou, plutôt, ma première relation, je la vivais avec un garçon de 24 ans, Jérome. Il venait de Bruxelles et me racontait qu’il avait vécu à New-York, qu’il connaissait la ville comme sa poche que ses amis…si je savais…il ne peut pas trop en parler…tellement connus…qu’il m’emmènerait un jour. Je le croyais, je l’écoutais…Plutôt, je me laissais duper, on ne demande pas au conteur de dire vrai ; …moi, avide de New-York, voulant tout croire, tout fragment de New-York me consolait[5]. Je ne pouvais pas faire la fine bouche. Il n’y avait pas grand-chose pour se rassasier à Paris et l’imagination, la mienne, venait à manquer. A 17 ans d’autres démangeaisons remplacent l’imagination enfantine.
Jérome me mentait et je faisais mine de le croire. Il avait grimpé toutes les marches de l’Empire State Building, il disait. Je lui demandais la centaine ? Il me disait les 102. Il ajoutait : en quinze minutes.
Son mensonge - il était menteur - n’avait rien de perfide, il mentait pour se donner un genre bien sûr, pour se mettre en valeur évidemment ; il mentait aussi - surtout ? pour me faire plaisir.
Pour ne pas trahir son mensonge, il étudiait sérieusement la ville. Lorsque nous nous voyions, il revenait chargé d’une nouvelle histoire, d’un peu plus de New-York. Comme si, à la façon des colons qui fondèrent la ville jadis, il ne cessait de repousser son mur d’enceinte. Il étendait la ville, de l’île de Manhattan jusqu’aux 121 440 hectares que compte la ville aujourd’hui.
Ferme les yeux, l’Empire State Building mesure 442 mètres. Tu y entres par une grande porte, rien de notable cette porte. Passe vite. Pense un instant. Tu te trouves sous 60 000 tonnes d’acier quand tu entres. Tu te trouves sous 200 000 tonnes de pierre. On dit de l’Empire State Building qu’il est un sarcophage et que nous sommes pharaons[6]. Tu marches, tu parviens dans un hall haut comme un immeuble parisien. Un petit immeuble parisien, comme…comme la Mairie du 18ème arrondissement. Tu te présentes à l’accueil et…Tu es autorisé à monter. Regarde le sol avant de monter, imagine les pas et la vie qui frappèrent impatients ou inquiets ce sol. Imagine, les hommes terrassant le sable, la pierre. Ce sol réfléchit ta vie, miroir de marbre. Puis, tu montes, enfin. Je suis monté tant de fois, si tu savais. L’ascenseur est rapide, un éclair de feraille. Enfin, je dis l’ascenseur mais il y en a 73. Tous fonctionnels…Son style on l’appelle Art Déco, je veux dire le style de l’Empire State Building, c’est l’Art Déco. Comme l’école à Paris. Enfin, je t’en parlerais une prochaine fois, c’est très important pour comprendre…beaucoup de choses. Aujourd’hui, ce n’est pas important. Aujourd’hui, rêve, monte en pensées jusqu’au 102ème étage.[7]
J’ouvre les yeux. Il me regarde avec une tendresse infinie. Il me regarde et je trouve alors qu’il ne ressemble pas - plus - à New-York, qu’il vient d’épuiser tout ce qu’il avait de New-York en lui. Comme je me sentais ridicule de penser en ces termes-là…chercher New-York dans les gens…aimer les gens parce que ceci ou cela faisait New-York. New-York que je n’avais jamais vue que sur les photographies. Comme je me sentais ridicule…d’être ce que j’étais, d’aimer ce que j’aimais…Je n’y peux rien si j’aime ce que j’aime. Alors être soi jusqu’au bout, vivre sa passion absurde de toute sa force.
Les six mois que durèrent notre histoire je connus New-York en pointillés, New-York imprécise et impossible. Mais New-York est impossible et contradictoire dans son essence même. Le menteur dit vrai, malgré lui.
New-York :
New-York est un songe une utopie mêlée à un cauchemar. New-York vient de la vase et l’île de la cité devient jumelle de l’île de Manhattan. Les indiens éclatent de rire, ils viennent de vendre à un hollandais l’île de Manhattan pour 24 dollars. Une île qui ne leur appartenait même pas. Ils éclatent de rire en partageant le butin et lui, le hollandais, éclate de rire aussi d’avoir fait une si bonne affaire. Il pense déjà à tout ce qui s’élèvera ici mais il n’imagine pas jusqu’où les choses monteront[8]. New-York est maudite comme les grandes villes sont maudites. L’île de Manhattan, pour les indiens, s’appelle le marais aux loups et une bête féroce y rôde. Le hollandais a acheté la malédiction avec la terre qui n’appartenait à personne. L’Amérique a l’habitude des villes fantômes. Les ruées vers l’or érigeaient de petites villes aussitôt abandonnées par la rumeur d’une autre prospérité ; mais aucune ville n’est hantée comme New-York et la bête attend.

Sur la place de la Bastille, j’apercevais l’Empire State Building[9]. Je maudis la France de n’avoir su écouter le ravage du Corbusier lui qui voulait faire germer ici la vie et le ciel.[10]
Paris - Dans mes rêves.
J’ouvre l’application eDreams, on – je ne sais plus qui - me l’a conseillée[11], pour mon trajet Paris CDG vers New-York - JFK. Le smartphone calcule la durée du trajet, compare les dizaines de milliers - c’est l’appli qui dit - de combinaisons possibles pour obtenir le meilleur prix. Sur la carte virtuelle, un avion se déplace, ses pointillées et son parcours suivent celui qui sera le mien. L’avion suivra-t-il exactement cette courbe ? Ce trajet fictif respecte-t-il bien son couloir aérien ? Je me projette dans ces pixels mouvants, je m’imagine, comme je me suis toujours imaginé les choses, pixel à l’intérieur du pixel. Voyageant. J’aimerais ne prendre qu’un billet aller, arriver avec tout mon fatras et me dire, voilà, je suis à la maison. Les restrictions au voyage empêchent ce rêve - le seul rêve américain valable - mon visa m’oblige à prendre un billet retour. Alors sur la carte virtuelle du smartphone, je vois l’avion revenir à Paris et aucune force ne peut interrompre ce mouvement. La blessure s’ouvre 9h durant ; se suture, pointillés de 5821 km sur la carte.
J’atterris.
L’aéroport n’a rien de New-Yorkais, sinon, une sorte de travestissement. Il essaie de faire New-York, de faire comme si, ici, nous étions déjà à New-York. Ce n’est pas le cas. Les vendeurs ou les vendeuses n’ont rien de New-Yorkais. Camelots venus du monde entier, de passage. New-York ne peut sédimenter en eux, ni rien se déposer ni germer. Ils vendent une caricature, un modèle réduit – dans tous les sens du terme - comme au Trocadéro la tour Eiffel miniature – qui vaut la vraie.
Les aéroports se ressemblent tous. Verre, béton, acier, duty free, chefs d’escale, tintamarre des valises. Lieux transparents et tragiques où rien, je veux dire rien, pour de vrai ne se passe. Architecture destinée à la consommation et à la vitesse – remplacé, bientôt, par plus grand, plus efficace.
Je souhaite m’éloigner le plus vite possible de Queens, NY 11430, États-Unis pour atteindre…je ne sais pas encore.
Sur le parvis, devant le centre commercial - aéroport, où remuent les taxis locaux - encore du folklore - je suis happé par un type New-York il me prend par le bras.
blessure d’amour
Il me dit, je t’emmène pour 20$ à ton hôtel ou ton airbnb. Il désigne sa camionnette où attendent déjà d’autres touristes - à l’air franchement perplexe. Les taxis clandestins, à cause de ce qu’ils ont tous dans le regard un coupe-gorge, m’ont toujours inquiété. Pourtant, je me laisse entraîner. Je le suis parce que la première fois New-York avec lui, en lui l’odeur New-York cherchée depuis toujours, là, enfin là. Grand, aérien, vêtements absurdes, un air de va te faire foutre sur les lèvres. Il doit embrasser si bien. Mordre la lèvre, faire fuir la langue que j’essaie d’attraper. Poser ses mains. J’ai envie de lui. Je ne lui dis rien. Il sourit. Si différent de ce que je connais, si différent du rire de Mathew ou de Jérome. Je lui dis tu ressembles à l’Empire State Building, comme je lui dis ça en français, il ne comprend que Empire State Building. Il s’agace. Bon, tu montes ou pas ?
Je lui demande
- T’as déjà été à l’Empire State Building ?
- Il répond, T’as déjà été à la Tour Eiffel.
- Emmène-moi là-bas
- A la Tour Eiffel ? Il dit ça avec un accent français.
- T’es con.
Au moment de démarrer, il sort sa main par la fenêtre tape le toit de sa voiture comme Bienvenue à New-York les ploucs ! C’est sa façon de dire bonjour-va-te-faire-foutre. J’ai un peu de mal à suivre le paysage défiler par la fenêtre. Ma place ne me le permet pas. Tant pis.
Le camion a un problème. Rose, il s’appelle Rose, me sort de ma torpeur. Rose, nous fait descendre juste avant le Manhattan Bridge. Rose me dit, en m’aidant à descendre ma valise, puis d’ici tu peux voir l’Empire State Building. Clin d’œil. Tape dans le dos. Je sors mon portefeuille pour lui donner les 20$, il me le prend des mains. Se sert. 25$, il prend. A New-York, le pourboire n’est pas compris, il éclate de rire.
Puis le camion démarre en trombe. Le salaud. Tellement New-York.
Dans ma poche.
Tellement New-York.
Me suis-je enfin perdu en toi, uni au basalte comme un métal inconnu. Les vers de Rilke me viennent. Rilke qui protestaient contre les trop grandes villes et leur insanité. Me voilà dans la plus grande des villes, dans la plus haute des villes et c’est à sa pierre à son acier que je me confonds. Avec ma valise à roulettes, la vision de l’Empire State Building au loin. Enfin. New-York.
blessure d’amour.
Je me confonds à ta roche
[1] Grindr – Amours éclairs
[2] Il le dit en français et le disant ainsi, ce qui devrait être une faute devient d’une justesse exquise, qu’aucune correction grammaticale n’aurait su rendre.
[3] Rem Koolhas – Delirous New-York
[4] Section I. — Du plafond.
Article 17. — Définition et limitation.
Le plafond d'un îlot est constitué par un ensemble de points situés à une
même hauteur au-dessus de la surface de nivellement. La dite hauteur varie suivant
les secteurs délimités au présent règlement, sauf prescriptions particulières, elle
est de 31 mètres dans le secteur central et de 37 mètres dans le secteur périphérique, conformément au plan de délimitation des plafonds annexé au présent
règlement.
[5] Il faut à cet instant que je l’avoue, j’ai le vertige. Je l’ai découvert en cours d’EPS en 4ème. J’étais excité, la session d’escalade commençait, enfin, l’expérience des hauteurs. A la deuxième prise, ou la troisième. Le vertige, le vertige probablement du trop d’amour, la panique des sentiments trop violents…la chute.
[7] A ces détails, souvent, il se trahissait : j’avais fabriqué des modèles réduits de l’Empire State Building et je savais qu’il ne comptait que 86 étages, le reste, c’est la flèche.
One World Trade Center 541,3 m
2 Central Park Tower 472 m
3 111 West 57th Street 435 m
4 One Vanderbilt 427 m
5 432 Park Avenue 425,7 m
6 30 Hudson Yards 386,6 m
7 Empire State Building blessure d,amour
[9] Le Plan Voisin, de ma tête à moi.
[10] On réclamait déjà des grattes-ciels et cette requête n’a jamais été entendue. D’autres que moi rêvaient au début du XXème siècle aussi aux montagnes des villes :
« Les nécessités qui s’imposent à vous, nous les avons subies, aussi. Elles sont graves, je le reconnais, mais elles sont comme l’effet d’un grand fleuve : vous pouvez diriger les eaux, vous ne les arrêterez pas, et c’est pourtant ce que vous espérez faire !
Comment voulez-vous empêcher ces financiers, ces propriétaires, de faire passer une loi autorisant à l’avenir cette forme de construction, permettant des édifices de quinze, vingt, trente et quarante étages ?
Nous étions les pionniers dans ce champ ... C’était nouveau, et il fallait expérimenter ... Oui, j’admets, nous avons fait beaucoup de « bêtises » à faire grincer les dents .... Nos architectes, au lieu de s’avouer franchement que ces édifices n’étaient que de colossales charpentes d’acier, ont essayé de faire croire qu’elles étaient en maçonnerie, supercherie extravagante, mensonge artistique, pitoyable, preuve que nous manquions de fertilité, d’idées et d’invention ».
F. W. Fitzpatrick, Chef de la société internationale des Commissaires Municipaux de la Construction.
[11] Ce n’est pas la moins chère, ne l’utilisez pas.
Estelle a demandé à Etienne d’être à la maison ce soir. Elle lui a envoyé le lien vers sa page 6annonces, sa page de « pute », elle dit. C’est plus simple. Elle s’épargne la gêne du début, le moment du « oui tu sais…enfin, voilà…je suis pute » et faire face à l'autre là qui prendrait un air circonspect et espérant, attendant qu’on lui dise « mais c’est une blague, t’es con!!! » pour qu’il réponde « putain tu m’as fait peur ». Il n’y a pas de blagues. En lui envoyant le lien, elle leur épargne ce malaise. On parlera direct de ce qui compte..
Qu’est ce que c’est stressant. Elle regarde l’heure sans cesse. Tente de s’occuper. Ca m’emmerde, putain. Elle donne un semblant de sens à ses gestes. Elle se fait couler un café qu’elle ne boit pas. La porte du frigo, s’ouvre, se referme. Elle n’en sort rien, n’y range rien.
C’est le bordel, putain. Elle range. Réorganise. Revient à l’ancienne version. Sans cesse. Elle rature l’appartement puis se met d’accord sur un nouveau brouillon.
Elle regarde son téléphone. Etienne a laissé un vocal « coucou ! déso pour ce soir je sais qu’on devait se faire une bouffe et tout…mais y a Salim qui passe à Paris, il a loué une énorme baraque ». Sa voix est gênée, il essaie de parler ample pour mimer le ravissement genre putain, je vais m’éclater avec Salim, rien à voir avec le lien que tu m’as envoyé. Il ne l’évoque pas. Elle se demande je lui en parle, ou quoi. Elle entre, dans sa chambre à lui, tant pis là. Elle ouvre le placard, il y range son whisky. C’est sa seule richesse genre. Elle se sert un grand verre. Putain c’est dégueulasse, comment il peut boire ça. Elle envoie une photo de son verre sur whatsapp. Voilà, j’ai besoin de parler. Vraiment. C’est pas des blagues. Rentre s’il te plaît.
Lui, il a la haine. Il éteint rageusement sa clope. Il dit à Salim, j’ai la haine putain. Elle m’emmerde. Je suis pas son père, je suis pas son mec quoi.Salim demande mais c’est quoi le problème ? Rien, rien, des affaires de fric / Tu sais moi je peux te dépanner si besoin / Non, non c’est vraiment autre chose, c’est une sale histoire / Tu peux me parler tu sais il dit Salim / Ouais, je sais, je sais, t'es un vrai pote...dis tu peux me prendre un truc au bar ? Je vais l’appeler vite fait. Il s’arrête. Ca te dérange si elle nous rejoint ce soir ? Tu déconnes, cette meuf est excellente. Vas-y qu’elle vienne. Dis lui d’être sexy hein !! Non, Salim, ça non. C’est compliqué, s’il te plaît viens tu lui parles pas de ce genre de trucs / Waaaa relou…vous êtes tous devenus comme ça à Paris, là. Vous avez paumé vos couilles ou ça se passe comment ? Juste lui en parle pas stp / Ouais, tranquille, tranquille. Salim part en soupirant. Il appelle. Bon. Elle répond dit. Je peux pas parler au tel. Ca coupe. Il dit dans le vide. Viens, ce soir dans la baraque c’est à Ville d’Avray. Il écrit « viens ce soir ». Il ajoute. « Pour l’instant je peux pas te donner plus ». Il attend en tremblant que le « vu » s’affiche. Il a peur de je ne sais pas quoi. Il se sent pas à la hauteur.
Elle répond. Les trois petits points, là, qui s'affichent. Ca l’angoisse. C’est quoi ce sadisme. Elle dit d’accord.
Elle dit merci.
Elle dit
Je t’aime, vraiment tu sais.
Il dit moi aussi meuf;
Moi aussi t’es conne pfff
Salim revient. Il guettait sur le seuil du bar la conversation. Les réactions. Il voulait comprendre. Ca avait l'air grave, il veut faire gaffe. Ne pas poser trop de questions. Il préfère demeurer dans la périphérie des choses, ne pas trop s’investir. Donner l’impression de ne pas s’investir. Il veut être le meilleur copain de tout le monde. Le meilleur ami de personne.
Pour ça, il connait tout
Il se pose à la table.
Mais si elle propose de me sucer ou quoi, je réponds, "non, désolé je n'ai point le formulaire B-32 sur moi, ni l'autorisation de Madame Simone de Beauvoir ?
Putain, mais t'es vraiment trop con mec.
Vendredi, l’ophtalmologue a procédé a tout un tas de mesures de ma vision, s’est intéressée à l’état de ma cornée, à la qualité de ma correction. Puis m’a été remis le résultat de ces examens. Des feuilles imprimées, en couleur, incompréhensibles et belles. Images, chiffres, mot, langage non-vu, non dit.
Corrigée ma vue s’établit à 7/10, 14/20 (et je me demande ce que signifie une vue de 20/20, une vue avec la légion d’honneur et les félicitations du jury)
En rentrant, les documents, je les ai rangés avec d’autres documents de nature semblable, ces papiers qui vous objectivent, vous identifient et vous assignent. Le test, aux grands yeux ronds, affirmant mon absence totale de MST tout en indiquant « douleur à la miction » parce que j’avais précisé combien c’était douloureux de pisser ; le compte-rendu établi à l’hôpital Bichat suite à mon agression indiquant « trois agrafes posées » (puis retirées, à Tours, par une infirmière) et « non admission ». Donnant à ma blessure et mon état une sorte d’évaluation, un 7/10 de la non-douleur.
Foule documentaire, scrutatrice. Foule critique, mesurant, comparant. Salle bondée nous archive et nous dédouble. Quel formulaire ma bouche ? Quel imprimé mes yeux ? Quelle ligne mon ventre, ma merde, mes couilles ? Où mes douleurs ? Dans le niveau de TSH inquiétant ?
Il y a l’ordonnance pour mon traitement et ce mot, affection longue durée, qui précède l’énumération des médicaments ; ce mot qui dit : pour la vie ou presque. Qui dit, pour longtemps. Tu vas pas t’en sortir tout de suite.
Mais ça dit, aussi, ALD, ça dit, ce sera gratuit, t’en fais pas mon petit gars, la France c’est toujours la France, le CNR et la Sécurité Sociale.
Et de porter ALD sur mon ordonnance me distingue des autres malades, d’une certaine catégorie de malades, de tous ceux pour qui être malade caractérise un état ponctuel, et passager. Les ordonnances de ce type de malade comportent, en quelque sorte, l’anéantissement du mal qui les habite. A côté de chacun de ces outils chimiques est indiquée une durée. La durée maximale de la maladie.
Je me trouve ordonné ALD, myope, TSH élevée normale. J’imagine, alors, un graphe énorme où nous tous, postillons, petits cratères nous inscrivons.
J’ai retrouvé, dans cette paperasse objective, mon acte de naissance. Je l’ignorais mais l’acte de naissance au-delà d’indiquer lieu, date, heure, parents etc rapporte la profession des parents.
maman profession : femme de ménage
papa profession : agent de sécurité
alors en lisant
j’ai senti tout ce qu’il y avait d’immigré, de pauvre, d’indésirable en moi et plus loin que moi dans mes parents, grands-parents, dans ce grand silence d’où l’on vient, nos origines muettes, la coupure avec notre histoire, le silence de leurs hontes, le silence de leurs peurs.
Je pense à la vie de mon grand-père dont il ne parlait pas. En France, vivant dans les bidonvilles, avant la libération de 1962. La misère, le travail acharné. Le silence. En 1962, il est rentré en Algé-Rien. Comme il ne disait pas.
agent de sécurité & femme de ménage
les métiers, les derniers des derniers, ceux que font les arabes et les noir·es (et aujourd’hui les bengali·es et les philippin·es et toujours les arabes et toujours les noir·es, réparti·es selon leur genre) les métiers dont les français ne veulent plus. On dit, non, ce n’est plus pour nous.
Ecrivant, ici, à propos de cet acte de naissance des larmes montent, les mêmes larmes que lisant, découvrant, l’acte de naissance.
Des larmes de colère qui, plus jeune, étaient des larmes de honte, honte lorsqu’il fallait dire, devant mes amis bourgeois, le métier de mes parents, honte non de le révéler, honte pire, honte d’avoir honte et de le taire, de changer femme de ménage par femme au foyer, de changer agent de sécurité par je ne sais quoi DRH ou ingénieur informaticien.
A ce moment je pense au racisme de l'extrême centre, j’y pense avec haine. Une haine imprécise, incertaine mais juste. Baldwin, dans l’homme qui meurt, fait éprouver au narrateur la haine irrévocable, indiscutable du noir contre les blancs. Cette haine, exactement. Cette haine qui doit aussi être la sienne, celle de Baldwin, et que nous avons en partage.
Cette haine, exactement celle-là. Quand. Je lis à l’encre noire « femme de ménage » quand je lis « agent de sécurité » sur le fond blanc de mon acte de naissance. La haine, cette haine inexprimée toute la vie cette honte bue tout ça monte, impuissant.
Je lis,
les derniers des derniers
en-dessous il n’y a rien
(ou les prostituées, les toxicomanes, les SDF)
et avec
je le sais aussi
il y avait le préfixe
sales arabes
qui fonctionne aussi comme suffixe
je lis
je sais bien ce que je lis
tout ce qu’il y a dans ces mots -
qu’on ne sait pas - ce qu’ils signifient
au-delà de ce qu’ils statuent
je repense à maman
qui faisait le ménage dans des hôtels je crois
ou à la poste peut-être
enceinte de moi
me trimbalant moi et la honte
et la haine qui grandissaient
en moi maman
et tombant, vomissant
qu’on renvoie
de son poste de femme de ménage
il y avait
femme de ménage
sale arabe femme de ménage
sale arabe femme de ménage au chômage
derrière ce mot là
de femme de ménage je lis ceci
Et tout ceci.
Rien.
Un document de plus
m’objective
me raconte
Ecrit sur l’ordinateur
on ne lui trouvera même pas
la sueur des pleurs.
Voilà.
(et je me souviens ce voisin qui avait dit à ma mère retourne dans ton pays et je crois qu’il est mort peu après en tombant dans les escaliers et je ne sais pas si je l’avais souhaité très fort et si Allah en quoi je croyais alors m’avait exaucé je ne sais pas mais je continue à souhaiter très fort ces choses là)
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Tirerais-je si je devais un jour tirer ? Tirerais-je sans remords ? Oui, j’en suis sûr. Et ma crainte ce n’est pas tuer ou pas tuer, c’est me préserver du plaisir que je risque d’y prendre. C’est me refuser la jouissance de ce qui ne peut être qu’un devoir de dernier recours.
Tirer :
Il y a des pardons qu’il faut avoir le courage de refuser.
et je pense à ceux qui croient qui disent que ça pleurniche les gens les autres que femme de ménage oui agent de sécurité certes c’est mieux que rien mieux que crever de faim ou quoi oui bien sûr mais ça ne change rien ça ne change rien celleux qui pourtant n'occupent pas ces postes je pense à ma belle-mère encore qui disait ça quand sa femme de ménage la lâchait pour je ne sais quels motifs j'en image dix tous raisonnables qui disait pourtant elle travaille c'est bien et bien non récure tes chiottes avec ton époux ma soeur
Ce texte aura son jumeau samedi prochain.
Je suis invité à l’anniversaire d’un ami d’extrême droite très extrême. Je me rendrai à cette sauterie de bavards qui toujours racontent qu’ils ne peuvent plus rien dire.
Je ne sais pas encore ni le visage ni le foulard que je porterai ; si je mets du mascara et du crayon dois-je allonger le regard ou le clore pour manifester, dès avant, mon opposition de principe à tout ce qui pourra être dit ?
A rien, bien entendu, je ne souscrirai, pour autant je ne chercherai aucune dispute (Je me demande si C. se trouvait là par hasard - je doute qu’elle n’accepta jamais pareille invitation - exprimerait-elle son refus devant l’abjection ? Claquerait-elle la porte ? C’est une attitude très mâle, sûrement de rester, d’endurer, parce que je suis du côté de la force, pas des poules mouillées)
Aussi, dès lors que je suis là, on me verra dans ma plus exquise sociabilité ; fuyant la dispute, inclinant sagement la tête, protestant mollement.
Face à une foule unie aucun argument ne perce, il suffit de se retourner vers son camarade de droite, vers sa camarade d’extrême droite pour avoir raison.
Mais que ferai-je ? Je ne puis jamais m’empêcher de complaire et pour ceci me glisse, avec aisance, dans les schèmes et les représentations des gens ; je comprends toujours pourquoi c’est à dire à quelles conditions telle lecture du monde se propose. J’aimerais ne pas apporter à leurs délires mortifères une simple pointe de nuance mais n’y opposer qu’un silence poli qui, dirait tout à la fois, mon mépris et que moi je ne peux plus rien dire.
Je les imagine déjà dans la brasserie s’imaginer à Poitiers…
Ah, et le plus haut destin pour eux c'est Barberousse au milieu de la croisade, noyé.
; voilà leur rêve et leur grand sort ; noyés dans un étang ; indignes de la moindre profondeur - mais pour ces nains les étangs ont la profondeur des abîmes et la vase le goût des fleurs.
Le plus tragique de leur affaire c’est que ce sont tous des ratés selon leur propre signalétique. Certains connaissent des gloires mais jamais celles qu’ils se voudraient.
F. est professeur à l’université où il enseigne la géopolitique, Y. a fondé le magazine l’incorrect, A est écrivain et en vit presque, E. est journaliste.
Tous voudraient se tenir à hauteur de Maurras pour l’intelligence et de Barrès pour le style. On les trouve environ au deuxième bouton de BHL.
P., cependant, pour qui j’ai beaucoup d’affection se tient en lisière, dans les parages, il ne fait aucun doute qu’il appartient à leur genre, mais avec je ne sais quoi qu’il travestit et truque ; il provoque et prend à contre-courant. C’est lui qui me dit de R., écrivain et journaliste de merde, il faut le dire, que certains escrocs littéraires réussissent (Beigbeder) et que d’autres (R.) échouent.
P., est obèse et il en parle, P. ne baise pas et il en parle. P. se chasse de l’humanité en se révélant ainsi, très humain. P. se moque de lui et se prend à la fois au sérieux. Il a quelque chose de tragique, celui des suicidés en suspens qui, furent sauvés un jour, et ne périront plus jamais de la sorte.
J'aime aussi beaucoup H. qui s'appelle en réalité G. qui porte en lui une lumière qu'il ne sait pas et que je n'évoque jamais avec lui. Le triste, je crois, c'est que ces gens lui font porter une sorte d'abat-jour. Il a du talent. P. aussi. Ce sont les seuls.
Des choses insignifiantes souvent me bouleversent ; soulignent ces choses la relation contrariée du monde à moi.
J’ai pris le train, ce matin, depuis Paris jusque Lyon puis de Lyon à Chambéry-challes-les-eaux et de chambéry-challes-les-eaux à Modane.
Mon billet Paris-Lyon coûtait 22 euros en OuiGo. Les passagers des OuiGo me brisent le coeur. Je les observe dès avant le quai. La procédure d’accès au train diffère du trajet normal. Défile devant moi la vie de ces gens-là et quelque chose en moi toujours, synonyme du sentiment d’angoisse, enfle.
C’était en OuiGo, dans les Ouigo je regarde les gens, la vie des gens qui prennent ces trains et j’ai de la peine.
Pourtant, moi aussi, à égalité avec eux, passager ; sur moi pourtant je ne jette aucun regard inquiet. Ce n’est pas, usant du détour, m'apitoyer sur moi-même.
Pourtant, mon trajet mérite bien plus de sollicitude que nombre d’entre eux. Le Paris-Modane en TGV, aller retour coûte entre 150 et 300 euros. Prenant, des détours sinueux, calculant par moi-même - le site de la SNCF ne me propose pas l’itinéraire que je me suis composé - le chemin pas cher en utilisant le train - je ne me suis pas résolu au bus.
Là, j’écris depuis la brasserie Marius à Lyon. Je dois attendre 5 heures mon second train. Le coin de Part-Dieu déborde de laideur ; la rue s’empiffre de travaux et de promesses - des boutiques avenir - l’espoir des villes, voilà, la nouvelle boutique beyond meat - les villes ont aussi une bonne conscience.
Là, en face de moi, quelque chose comme deux tables nous sépare, une fille parle très fort au téléphone. Avant, elle discutait avec un homme en bras de chemise très assuré (et on ne devrait jamais être assuré en bras de chemise, en soi devrait tourner l’embarras le plus blême et nos avant-bras dénudés quémandaient des pardons) ; il avait une tête de patron - c’était le patron. Elle disait oui, demain 16h, pas de problèmes, après elle a ri et lui aussi. C’est fou, le rire…Alors au téléphone elle dit oui ça s’est bien passé, attends je te dis.
Avec OuiGo, pourtant, si l’on s’abstrait des couleurs criardes et laides - pourquoi faut-il ajouter de la laideur aux choses destinées aux pauvres, comme s’il fallait leur rappeler par leur condition, infamer par le rose délavé, le vert fatigué. Au-delà de ce vernis le trajet demeure plus ou moins le même, se déroule sur les mêmes lignes à grandes vitesses. Certes, les départs et les arrivées se donnent depuis des gares périphériques ; il faut ajouter le prix du billet qui vous mène de la périphérie au centre-ville, où les trains normaux arrivent. On dit normal puis on dit low-cost comme s’il s’agissait d’une version dégradée et honteuse du service proposé normalement.
C’est un truc, j’ai remarqué toujours, fut-ce pour être croquemitaine, panneau publicitaire ou quoi, on dit « j’ai un entretien » avec plaisir intense et excessif. On se prépare à son rôle de monstre, dans le placard ou sous le lit pour les plus audacieux.
Un entretien, un essai…
Ca va commencer, les débuts sont toujours prometteurs, c’est après que la réalité, copeaux à copeaux, se dévoile et déchire. La déception survient. Plus ou moins rapidement. Relation amoureuse d’une autre sorte.
bébé, ouais, j’ai une journée d’essai demain à 16h (…) le patron est super sympa. C’est marrant, ça. Marrant parce qu’en fait elle en sait rien. Quand on dit ça, on conjure, on supplie, on espère que oui ça sera sympa ?
On mélange suppliques, espoirs, conjurations ; chimie instable des mixtures.
Tous nous sommes ces composés hétérogènes ; si vite nos opinions changent et avec elle le monde entier.
Il est rare que la vie des gens, que l’attitude des gens, que les autres ne me fassent pas pitié. Je crois que j’ai connu trop intensément la promesse de la misère pour demeurer indifférent au moindre de ses signes.
Je regarde les gens, comme ils sont accablés, abîmés, craintifs. Je me souviens Vivian, il vieillit, il porte sur lui des signes d’une autre sorte, de triomphe mais toujours ceux là de ces vieux-beaux. Il porte aussi en lui ses tentatives ratées, ce qui n’a pas marché, tous les j’aurais du et il n’est pas le plus à plaindre, même parmi les moins, il a une belle voiture, une belle moto, une belle maison, son amoureuse et lui s’aiment et jouissent. Pourtant, parce qu’il portait en lui ce je ne sais quoi immense. Dans One Piece, existe un haki spécial et rare le haki des conquérants. Le haki c’est une sorte de superpouvoir qu’on apprend, il en existe de différents types ; résister à des attaques adverses, voir dans le futur et ce genre de choses. Mais le haki des conquérants provient de la biologie, c’est un don qui ne s’apprend pas. Vivian porte en lui, peut-être, cet haki là, épuisé.
Luffy a avalé un fruit du démon. Les fruits du démon dans l'Univers de One Piece confèrent à leurs utilisateurs des pouvoirs surnaturels excédant de loin les capacités d‘un être humain normal. Seulement, toute transaction avec le démon - fut-il seulement comestible - exige une contrepartie. Les utilisateurs, c'est ainsi qu'on les appelle, des fruits du démon ne peuvent nager en mer ou en océan. Dans ces eaux ils se noient, perdant toute leur force et tout l'usage de leur pouvoir. Leurs adversaires se servent, par ailleurs, de ce phénomène-là et forgent des entraves en sel marin qui, une fois portées par les utilisateurs, produisent sur eux l'effet de l'eau de mer.