Se rater.
Il portait à mes yeux l’échec, une forme d’échec, de la vie occidentale, cette mollesse qui guette chacun ; de la graisse se forme. Le coeur a l’odeur du MacDonald.
Probablement, c’est sûr même, il eût des grandes gloires au lycée. Il en conserve un genre d’assurance - défaite de plus en plus. Il connût, oui forcément, mais il y a longtemps déjà, le goût des victoires adolescentes. Les premières qui comptent. Il racontait à 14 piges, que ça y est il l’avait fait. Il l’avait fait ça voulait dire j’ai éjaculé dans une capote avec une fille c’était ouf. Oui voilà. Peut être pas la capote ou si. J’ai remarqué les gamins comme ça qui baisent tôt toujours ils utilisent des capotes. Ils en gardent l’usage longtemps. Sauf après, quelques uns qui pratiquent le stealthing ça veut dire le viol par surprise ça veut dire enlever la capote discrètement genre quand le mec est derrière la fille, quand elle peut pas voir.
Lui, On le voit, il n’y arrivera plus jamais. Il a cru un moment qu’il lui suffirait d’être lui, de demeurer lui, pour que tout à son passage s’ouvre. Il manquait de talent ; il manquait de travail. Celleux de cette matière, pour qui tout semble s’ouvrir du simple sortilège de leur rire, travaillent des acharné·es c’est. Forgent leur chance et dissimulent ce travail et cette sueur sous une nonchalance truquée. J’en connais. Ielles passent leur temps à entretenir ce talent, inné peut-être, oui mais sans le travail acharné. Auraient fini là comme ce type un peu minable. Cette sécheresse, lui, qu’on porte tous en soi.
Toute ta vie se tenait là, dans la cale de se bateau-là. Avec ton amie Claire tu te résumais. Comme tu paraissais inquiet, spectral. Homme à disparaître. Tu es de ceux là. Tu grattais, dans la cale, avide, ton pochon de cocaïne, tu disais à Claire, tu le disais dévasté, il en reste presque pas. Tu grattais quoi pour de vrai. Que ça ne finisse pas, je crois. C’était ta façon de fuir. Gratter. Il y a ce conte, ce gamin avec un cerveau en or. On lui racle la tête, il trouve une femme, vénale c’est entendu, elle demande des bijoux des parures il n’a plus de tête bientôt, demande des boucles d’oreilles et tombe, il tend sa main, mélange de sang et d’or (métaphore déjà des diamants ensanglantés du congo)
Il raclait, vraiment, comme un affamé peut-être, sa terre stérile.
Le bateau parfois tanguait malgré son amarre, nous rappelant nos destins mal-amphibiques. Quand la vague frappait trop fort, tu devais craindre un peu plus que ne s’envole la poudre.
Il a fait de son mieux, je crois. Là il raclait. Il y a cru. On lui disait. Tu vas le faire. On disait, mec ça va le faire.
Sauf que ça l’a pas fait, tu t’es pas donné assez de peine, le hasard tu n’as pas su le dresser. Informe, un jour il t’a laissé tomber.
Après, avoir tasséé sa petite trace, raclé comme un tox les rebords du plastique, après, avoir tassé sur la tablette en bois, ce qui te restait de cocaïne. Après, après il a scellé le petit pochon, le pochon vide, il a dit c’est vide. Peut-être il gardait pour pas donner à sa pote, Claire, il gardait une miette. Il avait des yeux, mon dieu, je me souviens quand il a dit y en a presque plus. Il avait des yeux…Des yeux qui disaient, il va falloir voir la vie comme elle est et merde. Il va falloir…et tout le devoir de ce mot l’accablait. L’accable encore, aujourd’hui, ce jeudi.
J’ai vu la flamme du briquet s’approcher du plastique et le faire fondre juste assez pour qu’il se referme sur lui-même. Ainsi, clos, ce paquet qui abrita la came. Ainsi clos, il peut le sentir dans sa poche lorsque ne savait quoi faire de ses mains il les y plonge. Il sent la forme, ronde, un peu râpeuse et se dit, y en a encore, peut être.
Un de mes amis, ça me fait penser à lui, au plus pâle de son existence, lui aussi quand il puait faut le dire la défaite, il faisait un truc un peu comme ça. Il ouvrait et refermait le frigidaire. Il avait pas un clou pour se payer la bouffe. Alors il ouvrait et fermait comme s’il rendait un homme au frigidaire et qu’ainsi, à force d’être célébré par ce geste suppliant, il ferait bien apparaître un morceau de n’importe quoi. Le silence à 4° lui répondait. Invariablement. Dans le pochon, sûrement, reste-t-il de ce silence glacé.
Claire dit je suis au chômage je dis ah c'est bien de rien faire elle dit je vais faire une formation je dis c'est bien de se motiver tout est bien maintenant de toutes façons pour moi elle dit oui de plomberie je dis ah oui c'est bien ça gagne plein dargent elle dit non le salaire c'est pas fou je dis oui mais à ton compte ohlalala elle dit oui c'est vrai après on rigole
Ce mec, le blond là, me fait peur aussi. Dans tous les ratés je vois un moi possible. J’imagine la forme potentielle de mon déclin. Il me métaphore, me précède et me garde. Dieu peut-être il existe me met ce genre de types sur le chemin pour dire, fais gaffe, mec, je t’avertis encore une fois, mais faut pas déconner, bientôt tu vas te débrouiller, le loto franchement compte pas dessus, je te le déconseille fortement. Alors, après avoir ce mec, pour m’éviter d’un jour me trouver dans le miroir avec une casquette laide, un pochon vide. Pour m’épargner ces sortes de crashs, je me suis remis à lire, travailler, penser. Pour cet homme je n’ai pas de pitié, pas de mépris, je le vois pour ce qu’il est, dépourvu de forces, faisant ce qu’il peut. Il m’a convaincu, de ça, de cette vie en lui tarie - non mort en germe - en me disant qu’il voulait faire un film j’ai demandé tu as déjà réalisé il a dit non il a dit j’ai besoin de 5 millions je me suis dit d’où tu tires ce chiffre je lui ai dit vraiment t’as rien fait si il a dit il a dit je me filme quand je fais du VTT avec ma gopro j’ai dit d’accord écris à tout le monde hésite pas franchement fais ça.
Enfant, je ne mangeais rien, je repoussais l’assiette de n’importe quoi et vidais, déjà, les verres, de limonade c’était en ce temps là, gazouz on dit en arabe du maghreb - bonheur de ces langues qui savent encore l’onomatopée - je repoussais et dans la rue y avait un nain et ma mère moi je me rappelle pas elle a dit non c’était dans le bus en fait ma mère elle a dit tu vois si tu manges pas tu vas devenir comme lui tu vas pas grandir et moi c’est elle qui m’a dit j’ai éclaté de rire d’un rire impossible à arrêter et je le pointais du doigt incrédule peut être ou alors tout à fait convaincu m’imaginant ce destin, toute la vie, voir le monde à cette hauteur, après tout pourquoi aurais je du le craindre, c’était djéà comme ça que je voyais cette mise en garde voilà elle m’a pas fait peur dieu c’est une autre affaire faut le dire.
Lea Toutes.
Les cinq entrent
Lea cinquième : où est le cinquième ?
Le premier : Ici
Les autres . …
Le premier : Bon.
Lea cinquième. Bon.
Les autres : …
Lea premier (ramasse un chameau) : Les premiers
Lea cinquième : seront les cinquièmes.
Les autres : …
(pause)
Les autres : Bon.
Lea premier : …
Lea cinquième : pareil.
Tous : …
« Bon », c’est le dramaturge qui entre.
Tous : …
Les autres : Je
Les autres : Je
Les autres : Je
Lea cinquième : c’est pas bientôt cette cacophonie.
Lea premier : Inadmissible. On dirait un premier rendez-vous.
Lea deuxième : Je prends mon indépendance.
Lea troisième : Voilà qu’il se prend pour l’Algérie.
Lea quatrième : J’ai toujours rêvé d’être un Etat.
Lea premier : Avec une police
La cinquième : Avec un clergé
Lea dramaturge ne pose pas un exemplaire de Surveiller et Punir.
Lea deuxième : Une clinique.
Le troisième : Un dispositif.
Tous (dans un soupir) : le panoptique.
Le dramaturge « … »
Tous : tes mots on dirait des yeux de merlan-frit.
(une pause)
Tous : hahaha.
Tous : C’était pas vraiment drôle
Tous : hahaha.
Tous : Titre
Lea premier : Sinon moi je m’appelle
(on entend des cloches sonner)
La deuxième : J’adore ! Moi c’est
« (Les cloches encore) »
La troisième : C’
« (Toujours des cloches) »
Le quatrième :
« (Les cloches) »
Lea cinquième : Alors de tout ça j’ai toujours voulu parler. La question de l’identité m’importe, comment se définir, se singulariser dès lors que dès la naissance, avant son premier geste de conscience consciente on nous nomme. Déjà, pèse sur nous un préjugé, des regards suspicieux. On observe les Kevin, les Nicolas, les Elie, les Mathilde, les Marie-Antoinette. Un air différent ça c’est sûr. On fabrique une cohérence interne, tu dis « je m’appelle Sarah » on te dit : « j’ai connu une Sarah ». Ta seule chance peut-être voilà c’est t’appeler ghzHOgzorhghzg encore là on dira « je n’ai jamais connu de nzogpafagzh » on va t’écorcher en plus de ça. Déjà tu avais des difficultés à te déterminer. Tu te disais où tu commences ghzHOgzorhghzg. dans le miroir tu cherchais le Hohg le hzg. Toujours c’est progressif on t’a appris à appréhender les choses lentement avant de constituer l’ensemble. Bon, voilà le préjugé qui pèse sur moi. J’aurais pu être [url=view-source//jeunesecrivains.superforum.fr/u3058]la fracture numérique[/url]
(début de cloche aussitôt interrompu)
voilà ça a commencé au commencement on dit que je m’appelle
« (cloches) »
Tous : ça suffit on a dit police, on a dit clinique, on a dit clergé, bon oui ça c’est vrai, mais on a pas dit les cloches là. C’est 2020 merde. Alors y a peut-être eu un malentendu avec l’Algérie, les champs pétrolifères, les citations bizarres, l’air décolonial et tout. On a cru que c’était 1962, que tout était possible encore. Même les cloches. Mais là c’est bon. Pas les cloches.
« (Les cloches) »
Tous : Mais d’où ça vient.
ils cherchent
Ils entourent le metteur en scène, enfilent des masques.
Colombine : C’est toi ?
Le metteur en scène « … »
Scaramouche : C’est vrai ça semble pas naturel des cloches comme ça. On dirait bien que ça sort d’un téléphone portable.
Déjà pourquoi il parle en guillemets lui.
On aime pas les privilèges dans nos contrées.
Les cloches retentissent beaucoup plus loin.
Arlequin : Ah, non c’est pas lui.
Isabella : C’est du bluetooth. Ca sonne comme du bluetooth. Ca me donne mal à la tête. Je suis sensible aux ondes. Je m’équipe, il faut prendre soin de sa santé :
Matamore : Oui mais
Arlequin et Isabella complices Il se trouve que :
Rideau
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Pour les articles homonymes, voir Rideau (homonymie). |
Un rideau est une pièce de tissu dont le but est de diminuer la présence d'une ouverture. Il peut atténuer la lumière et la poussière. Les rideaux sont souvent pendus à l'intérieur de la fenêtre (couvre-fenêtre) ou de la porte d'un bâtiment pour bloquer le passage de la lumière, par exemple pendant la nuit pour faciliter le sommeil, ou pour empêcher les autres de voir dedans, souvent pour des raisons d'intimité.
De nombreux tissus, formes, tailles, et couleurs de rideaux existent, et ils ont souvent leur propre rayon dans les grands magasins, avec quelques magasins qui ne vendent que des rideaux. Dans les régions plus chaudes, on utilise parfois les obturateurs en bois au lieu de rideaux, la meilleure isolation du bois permettant de conserver les pièces au frais.
Les rideaux fournissent aussi une séparation visuelle dans des situations comme l'art performance, dans lequel les acteurs font leurs préparations finales pour le spectacle derrière le rideau pendant que les spectateurs attendent devant. D'habitude, le rideau s'ouvre quand le spectacle commence et ferme pendant les pauses ou la fin de la performance.
Il peut également servir de séparation entre deux pièces en aménagement intérieur, ou cacher des objets inesthétiques (compteur électrique, porte, etc.). Le rideau de douche, souvent fait de plastique ou de vinyle, empêche l'eau de se répandre dans la salle de bains et préserve l'intimité.
Savoir-faire artisanal[modifier | modifier le code]
La confection de rideaux peut être déclinée en plusieurs catégories : rideaux japonais, doubles-rideaux, stores bateaux... Ils relèvent alors d'un savoir-faire artisanal du fait de la technicité. La confection particulière des têtes (œillets, plis tapissiers,...) offrent une finition originale pour le décor. En occident la tringle à rideaux peut être masquée par une bande d'étoffe sur le même style, souvent de la même couleur, appelée cantonnière.
Signification religieuse[modifier | modifier le code]
Le rideau jouait un rôle spécial dans les histoires juive et chrétienne. Un rideau séparait le lieu saint, réservé aux prêtres, du « Saint des saints » dans le Temple de Jérusalem, réservé à l'Arche d'alliance (Exode 26:31-33). Encore aujourd'hui notamment dans les Églises dites orthodoxes orientales (Églises des trois conciles), utilisent un rideau pour séparer le Sanctuaire du reste de l'assemblée à certains moments de la Divine Liturgie.
Dans le Nouveau Testament[modifier | modifier le code]
- Ev. de Matthieu 27, 50-51
(50) Mais Jésus, criant de nouveau d'une voix forte, rendit l'esprit. (51) Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent ;
- Ev. de Luc 23, 45-46
(45) le soleil ayant disparu. Alors le voile du sanctuaire se déchira par le milieu ; (46) Jésus poussa un grand cri ; il dit : " Père, entre tes mains, je remets mon esprit. " Et, sur ces mots, il expira.
- Ev. de Marc 15, 37-38
(37) Mais, poussant un grand cri, Jésus expira. (38) Et le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas.
- L'Ev. de Jean ne porte pas mention du rideau du temple.
Dans les textes apocryphes[modifier | modifier le code]
- Ev. de Pierre 5, 19-20
(19) Et le Seigneur cria en disant : « Ô ma force ! ô force ! Tu m'as abandonné. » Et après avoir parlé, il fut élevé. (20) Et au même instant, le voile du Temple de Jérusalem se déchira en deux.
La déchirure du rideau est toujours relatée au passif. Ce passif est appelé passif divin par les exégètes pour signifier que les auteurs ne nomment pas l'acteur mais le désigne en creux : il s'agit de Dieu. D'ailleurs, si l'on considère la déchirure plus précisément encore, elle est de "haut en bas", un indice supplémentaire laissé par les auteurs pour dire qu'un homme n'aurait pas pu déchirer ainsi le rideau.
Composition des tissus utilisés pour les rideaux[modifier | modifier le code]
La composition d'un tissu pour les rideaux indique le pourcentage de fils utilisés lors de son assemblage On distingue trois types de fibres essentiellement :
- fibre artificielle : fibre textile provenant de polymères naturels (viscose, acétate)
- fibre naturelle : soie, laine, coton, lin...
- fibre synthétique : fibre textile obtenue à partir de polymères dérivés du pétrole essentiellement (acrylique, polyamide etc)
Notes et références[modifier | modifier le code]
Articles connexes[modifier | modifier le code]
- les rideaux, sur Wikimedia Commons
- Store vénitien
- Rideau de théâtre
- Voilage
- Passementerie
Atelier d'écriture - le vol bas des oiseaux.
Atelier d'écriture : Une mère ou un père ayant perdu son fils ou sa fille à la guerre se retrouve devant un étang. Raconter, ses pensées sans évoquer la mort de lea disparue. Après on applique ça de façon flexible, on est pas à l'académie française. Donc si on veut évoquer directement lea disparue, si on veut que ça se passe ailleurs que devant un étang rien ne l'empêche. De prime abord c'est difficile mais en pratique non puisqu'il s'agit d'explorer des sentiments et il y a une sorte de "mise en empathie" avec ce personnage fictif assez troublant.
Depuis qu’il s’était installé à Oxford il avait l’habitude des pelouses rases comme des greens. Il marche au milieu des herbes drues, il se penche et ramasse une longue tige ; une tige de ces fleurs qui ressemblent à des marguerites rétrécies et vénéneuses. A peine, toxiques. Donnent une idée de l’ennui plus que de la mort. Comme une journée à Oxford.
Il enfonce la tige dans sa bouche et la mâchonne. Il a arrêté de chiquer à la naissance de son enfant. Sur le vaisselier du salon il garde, comme un trophée, cette bête plus dure à vaincre qu’un puma, la petite boite en étain d’où il a tiré le dernier morceau de tabac.
Il marche dans ces herbes douloureuses où se mélangent la végétation aquatique et les plantes de terre.
Sous le bras il tient le journal daté de la semaine dernière. C’est fini. La nouvelle ne lui procure aucun plaisir. L’armée de sa majesté a triomphé, ça s’affiche en une du Daily Mail. Les petits personnages des photographies lui donnent de la colère. Ils sont vivants. Eux. Il a dit à son épouse qu’il allait pécher. Lorsqu’elle l’a vu partir sans sa canne à pêche elle a compris. Lui a demandé s’il voulait quelque chose. Pour casser la croûte sur le chemin. Le poisson parfois ça met du temps à mordre. Tu n’as besoin de rien ?
Il a roulé longtemps, sans savoir où aller. La voiture, comme une jument aimante, connaissait le chemin et elle le guida d’elle-même. Il revenait dans ce lieu tant connu.
Il s’étend dans l’herbe et ferme les yeux. Il sourit puis sursaute, une lourde branche a fait trembler la surface morte de l’étang.
Il imagine - ça lui rappelle le bruit des ricochets, la première pierre qui meurt, souvent, tombe à pic. Comme par un abîme irrésistible. Puis le rire qui emplit toute la ville lorsque la pierre, pas forcément la plus plate, pas la plue douée pour ce jeu, rebondit une fois, deux fois, traverse l’étang et meurt de l’autre côté et s’enfonce dans la vase.
Comme le but de la montée de Sheffield Utd. On n’y croyait pas. La balle a roulé très lentement puis a franchi la ligne de justesse, lentement, comme si elle s’enfonçait dans la vase.
Il aimerait dormir mais il ne peut pas. Il ne dort plus depuis un moment.
Il lit et relit la une du journal qui réjouit tout le monde. Il aurait pu se réjouir, il avait servi, en son temps, dans la RAF. Il en gardait de précieuses photos et surtout, dans un petit écrin, héritage qui ne servira plus à personne, sa Territorial Force War Medal.
Sa femme avait pleuré. Il voulait être fort, se montrer comme l’homme qui dit ça ira, on va surmonter ça. Puis il s’était rendu compte que ça n’avait aucun sens. Que ça ne se surmonterait pas. Alors il a pleuré avec elle. Jamais ils ne furent aussi proches. Sauf à la naissance du gamin.
Ils dirent peu.
Chacun savait que la joie les avait quittés tous les deux pour toujours.
Ils se soutiendraient, comme deux vieux chênes que la tempête croyait avoir abattu se soutiennent mutuellement au moment de la chute. Leurs branchages s’entremêlent et la douleur les confond, indistincts.
Il se met debout, reste à la même place. Il n’a pas faim. Déchire le sandwich en tous petits morceaux qu’il jette dans l’eau comme des pierres blanches et flottantes. Indécises entre rebondir et couler. Hésitantes, comme lui, dans cet entre-deux vies.
Une semaine, il relit la Une. Une semaine que c’était fini et pour eux tout commençait. La vraie douleur, les obus lancinants, obsédés, indigestes.
Il siffle entre ses doigts, il a toujours été doué pour siffler mais jamais pour l’enseigner. Il cherche la canne à pêche et commence à marmonner des paroles incompréhensibles.
Tu vois, le fil. Tu le balances. Il faut attendre. Sois léger. Plus tard ça. A la mouche même moi je sais pas. Papy lui…Puis il imite le bruit d’un poisson qu’on ferre. Claque de la bouche. Une belle prise.
Il ne boit plus. Il a hésité à recommencer aujourd’hui.
Après l’annonce de la victoire il a été au pub commander tout ce qu’il y avait à la carte. Le fils du patron lui a dit. T’es sûr mon vieux. Il a dit oui, tout ce qu’il y a à la carte. Alors on a déposé des verres sur le comptoir, des verres de toutes les formes c’était comme des fleurs. Des chrysanthèmes. Il a sorti le porte-feuille, tout neuf. Un cadeau. Du vrai cuir. Il l’avait reçu en même temps que sa montre bracelet. Le fils du patron a dit attends il a crié Papa. Ils se sont regardés avec cet air d’évidence. De ceux qui au bord de l’étang péchaient et jeter des pierres rebondissantes. Le gamin a dit, c’est pour nous. Si tu as un problème tu dis. On est là. Il a bu. Il a bu. bu. il a très bu. Il a vomi sur le comptoir au moment de la mauresque. Il savait pas ce que c’était. Un client a hurlé que c’était dégueulasse que quand on savait pas boire on restait chez sa mère. Le fils du patron a dit ça non, ça non. Le client croyait que c’était pour le vieux dégueulasse il a dit, ouais, dégage le mon brave. Il a dit ça non, ça non, le gamin. Il avait les larmes aux yeux. Il s’est approché du client. Rouge, un gaillard comme ça, les larmes aux yeux. Là le client il a compris. Il a vu la mort face à lui. Il a eu peur. Il s’est pissé dessus. Il a dit, c’est pas dégueulasse ça, le fils du patron il a dit c’est pas dégueulasse ça. Sans rire. Il a dit. Il a bredouillé, le client. Le vieux essayait de se lever, dire c’est pas grave ou on sait pas. Il remuait quoi.
On l’a posé sur une chaise dans l’arrière-salle, puis on a composé le numéro de sa femme. Elle a dit, je ne peux pas. Il a attendu. On le rafraichissait. On tenait à lui. C’était quelqu’un ce vieillard étique. Qui avait arrêté de chiquer, qui gardait sa Territorial Force War Medal précieusement, sans se vanter. Jamais sévère, hein. Pas un taiseux hein, boute-en-train même. Alors le voir dépéri comme ça…c’était la moindre des choses. Un honneur le patron il disait, un honneur ouais.
Près de l’étang en repensant à tout ça il n’avait pas honte. Ca l’étonnait. La honte. A quoi bon la honte.. Ouais…je faisais ce que je pouvais. Il imaginait le sifflement de pendant la guerre avant que l’obus ne tombe, les batailles aériennes, le vol bas des Stuka de l’autre côté de la manche. Tous ces jeunes gens fauchés sans comprendre ce qui leur arrivait et ceux qui comprenaient trop bien dans leur agonie. Il se disait qu’il n’avait pas fait la peau à assez de boches. Il n’arrivait pas à ressentir de colère. Tout était morne chez lui. On avait éteint la lumière.
Il se relève, ce n’est pas difficile, son vieux corps est toujours robuste. Il va retrouver son épouse. Pousse la barrière du cottage et franchit la porte principale. Elle a laissé un mot sur le vaisselier, à côté de la boite en étain. Je vais à l’étang.
Quand il revint dans sa vieille maison pour la reconstruire, mon grand-père voulu lui aussi planter un frêne dans son jardin à l
Quand il revint dans sa vieille maison pour la reconstruire, mon grand-père voulu lui aussi planter un frêne dans son jardin à la place de celui qui avait été tué par qui les obus.
Il disait « le frêne » par métonymie, de cet esprit d’économie des gens d’antan. Des gens D’avant. Le frêne…C’était toute une petite forêt de frênes assassinée.
Il avait demandé la paix. Il nous recontacterait quand il sera temps. Il a attendu dix ans.
Dans la famille nous plantions des frênes. On disait « dans la famille, on a toujours planté le frêne ». Sans raison explicite. Nous plantions le frêne. Héritage solennel.
Mon grand-père se pliait, me semble-t-il, à ce devoir généalogique. Il rentrait pour s’y astreindre. Les traditions sont le sang des vieillards et les préservent mieux que toutes les médecines.
Il perpétuait à sa façon la lignée. Autrement. Lignée végétale, croissant parallèle, à celle des hommes et des femmes.
Plus importante peut-être à ses yeux.
C’est pour ça qu’il disait « tué » pour le frêne, il disait tué et pas « détruit » ou « arraché ». Tué, ça voulait dire qu’il était en vie, à égalité avec un être humain. Eux, les êtres humains, pareils se font faucher par les obus. Puis remplace dans l’enflement d’un ventre de femme.
Il portait, comme ses aïeux, cet arbre à naître. Il donnait la vie, la vie arrachée par les obus.
Un jour ce sera mon tour peut-être. Je disais. Ce sera mon tour peut-être en riant.
Chez nous, de générations en génération nous ne nous transmettons pas un peu d’or d’où l’on tire des chevalières. Nous portons une autre durée.
Mon grand père avait sur toutes les choses des conceptions…originales. Lorsque le frêne fut planté et la maison reconstruite il nous invita. Dans cette famille d’être brutaux, égoïstes et terreux, seul mon père répondit. Maman, qui était une dame de la ville comme disait mes oncles avec mépris, exprima sa réticence. Elle craignait mon grand-père. Je ne m’étais pas rendu compte, à l’époque, de son teint pâle et malade à l’annonce du voyage. Elle craignait mon grand-père homme chênu, taiseux. Je croyais. Je disais. Elle le craint. Je ne savais rien. Nous ne savions pas. Je crois que souvent, c’est ceci, nous ne savons. Nous ne savions pas ce qu’il contenait en lui de douleur caillée, immobile et drue.
Quand le frêne fut tué. Les voisins ont raconté. On dit. Ils disent qu’il y eut un cri de bête dans le village, un cri d’outre-noir. Ils ont dit « un cri de bête ».
A l’enterrement de ma grand-mère il n’a rien laissé paraître. Il recevait les condoléances avec l’air qui sied à la circonstance. Sans mots, ce lui était facile, avec dignité et réserve. Il avait mené sa vie ainsi.
Souffrait-il à chacune de ces paroles compatissantes, sincères ou non ? Poussait-il à l’intérieur de lui ce cri d’outre-noir, cette bête sauvage assassinée ; ressuscitée toujours pour hurle plus encore et il savait retenir le cri à l’intérieur. Le cri ricochant dans la cage thoracique et qui ne devenait même pas. Ne mourait même pas soupirs. Cris, outre-noir dompté. Contenait-il cet outre-noir ? Aujourd’hui J’en suis certain.
A peine arrivée maman voulut repartir. Elle ne faisait pas des manières, il n’était pas question pour elle de ne pas vouloir tacher son tailleur ou abîmer ses sandales dans la boue. Maman n’affectait aucun grand air ne se donnait le genre d’aucune grande-dame. C’était une femme délicate et sensible. Si elle fuyait tant la compagnie de mon grand-père c’est, elle me l’avoua des années après sa mort, parce que sa douleur à lui retentissait si fort en elle qu’elle croyait parfois en perdre connaissance. Elle m’avoua avoir connu quelques amnésies. Des moments de blancs comme sous l’effet d’un choc à la tête.
J’ignorais tout de la complicité muette qui les unissait. Et je compris, bien tard, bien tard, les silences complices et douloureux qu’ils savaient s’échanger. Paroles, souterraines comme des racines.
Et moi…moi qui fut toujours le plus bavard, l’histrion tonitruant croyant tour régler par un bon mot, une injure, un libelle ou n’importe quel artifice tant que ça claquait de la langue. Moi, comment pouvais-je comprendre ?
Elle voulut repartir parce qu’elle avait vu la maison. Il avait dit reconstruire et une ruine nous faisait face. Une ruine fabriquée par la main humaine et non le passage du temps ou d’un autre Attila. L’obus s’était abattu loin de la maison. Les voisins ont dit. C’est une chance elle a pas été soufflée. Juste les frênes. Vraiment un coup de pot. Pfioou. Même les vitres ont résisté…Une veine de cocu.
Alors mon grand-père a taillé la maison, défoncé les murs pour donner à cette maison l’air de fin des temps. Pendant dix ans. Il a construit la ruine. Et le frêne était planté. Plus vivant que jamais. Gazouillant, presque, sous le soleil magique qui ne brille qu’en Auvergne. On le dit, là-bas, sort du fin fond des volcans locaux.
Face à ceci, maman ne put pas. Elle ne dit pas. Je ne peux pas. Seulement la pâleur dans son regard. Sa main qui tire le loquet de la portière verrouillée. Qui répète le geste inutile pour se dire. Cette fois ça va marcher. Ca va s’ouvrir. Merde. La main palissait. Le sang manquait.
Sûrement, avait-elle compris, oui elle avait compris c’est sûr, compris de tout ce sang refluant, compris ce qu’il nous disait ici. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas. Ce qu’il transmettait, ce qu’il racontait. Elle ne pouvait pas. Moi je souriais. Maman…toujours trop. C’est joli..
Cette ruine c’était le cri toujours retenu, toute sa vie d’indocile projetée, taillée dans la pierre et la chaux. Et le frêne tremblait ; témoignage vivant de la seule vie à vivre. Il clamait ce frêne à la tête de tous que c’était ça la vie. Quelque chose se planta en moi ce jour là. Informe, fragile. En ce temps-là j’étais un jeune homme dissipé et mon savoir des choses végétales se limitait à la Chartreuse. Mon père jamais ne reçut ceci. Il planta un frêne. Il faisait son devoir. Mais ça le faisait chier. Il n’avait pas planté lui-même. Il avait payé un type. Qu’on me fasse pas chier avec ça. Il avait dit. C’est maman. Maman qui vraiment planta le frêne. Non de ses mains à elle. C’était une affaire d’hommes. Mais cassant la gangue de ce grain de frêne. J’héritais d’un arbre. Je descendais de cet homme chêne. Mon père jamais ne sut être. Il manquait de ce poids, d’une histoire. Homme de son temps. Et moi je devais méditer ce frêne à germer.
Pour me dire je suis, pour me libérer de ce doute : « je pense donc je suis ». Je sais que je pense. Mais suis-je ? »
Je suis.
Saez - Groslay
Pour Saez en live en vrai j’avais accès un peu à des bribes. Y avait un site-forum assez dingue.
Tu peux pas faire éclater le cadre. Le faire vibrer aux bordures. Parce que tu casses le spectacle. Enfin tu rappelles que c’est un peu questionnable, un show. C'est un peu désigner tout le monde comme des hypocrites. C'est comme le faire dans une soirée où tout le monde sait qui est un salaud mais à cause des étranges imbrications de loyauté et de pouvoir personne ne le dit. Alors on s'élève hors de la foule et on tremble du doigt et on le dit. Ca ne change rien, on est le seul excommunié de l'affaire. Mais tout le monde a senti sa propre hypocrisie.
Pour donner une idée, Groslay c’est une de ces banlieues du 95 moche et tranquille, vite fait pavillonnaire. Genre le rêve de la classe moyenne des années 80 qui, comme tous les rêves, se montrent d’une irrésistible laideur une fois concrétisés. J’adorais les paninis, ça me paraît dingue, parce que c’est absolument immonde. Il y avait une sorte d’appétit général de panini et une soif d’oasis tropical à l’époque.
Des années après la rupture on avait causé vite fait. Elle trashait Saez et je lui ai dit mais t’aimais pourtant. Elle m’avait dit un truc « c’est pas saez que j’aimais c’était toi connard ».
Enfin, c’est un peu un paradoxe parce que assez tôt, vers 2015 un truc comme ça il a lancé son site. Une aventure on dirait en start-up nation. Ca s’appelle culturecontreculture.
Devant, la télé j’attendais avec impatience son passage. Lola qui avait 13 ans ou 14 ans qui adorait les groupes pops genre je sais pas…l’équivalent de one direction quoi. Quand elle l’a vu sa première réaction c’était « ah mais il est trop beau ».
Mais quand même. C’est pas rien de pouvoir résister au succès. Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l'ai trouvée amère. − Et je l'ai injuriée.
Noir Désir avait fait un truc pareil en lisant une lettre au président d’Universal et tout. Ca a fait date. C’était pas rien, hein. Mais quelque part c’est nul. Déjà c’était un peu intello puis ils avaient déjà leur succès. Quand je dis c’était intello c’est que…ils font de la musique quoi. Dans le happening je préfère la forme brutale, inexplicitée, le manque de respect, l’absence totale de soumission à la forme attendue. Lire une lettre ouverte. Bon, ça se fait globalement. Ca a quelque chose de transgressif, c’est sûr, mais en même temps de comme attendu.
Je projetais mon expérience de Saez sur la sienne. Moi je ne pourrais jamais le renier tout à fait. Il a été une partie très importante de ma vie. Plus de dix ans. Ca a frappé ce point de ma biographie quand il a dit ça.
Carton bouilli.
Ca me fait penser quand elle dit ça. Je me dis. Ca me fait penser à loin en arrière. Le mot carton. Toujours. Ce souvenir il pleut. Il pleut très fort. C’est sur le port de Marseille ou plus haut, bien plus haut. Le Havre peut-être ou Saint-Nazaire. Il pleut.
Le carton, ça fait penser aux valises des immigrés. La pluie qui tape, tape rebondit contre la poignée de la valise, le corps de la valise. Que des hommes c’était. Ils rabattent sur eux un manteau élimé. Que des hommes portant les valises en carton bouilli. Ils venaient. Pas pour rire. Ils venaient, des années pff. Des vraies longues années. Ils venaient, découvrir la pluie et les francs de France. Ils venaient avec des valises en carton trempé. Des valises on disait carton bouilli ça ressemblait à du cuir, c’est tout, mais du cuir pourri, du cuir d’un tanneur qui t’arnaque. Il lèche ses doigts, il dit y’a le compte, tiens mon frère. Il a une caisse enregistreuse, une petite clé pour verrouiller la caisse. Ca ressemble aux clés de nos boites à lettre.
Il faut prendre garde à la pluie.
Je ferme les yeux ; j'ouvre les yeux.
je ferme les yeux j’ouvre les yeux
je recommence je finis
le réveil sonne il m’ennuie
je regarde par la fenêtre le bus électrique passe
je ferme les yeux
mon coeur bat avec la régularité d’un jour sans effort
j’ouvre les yeux
la porte du micro-ondes est ouverte
ça m’agace
je ferme les yeux j’ouvre les yeux
je ne sais plus ce que j’ai fait hier
mon cou me fait mal
je ferme les yeux
mes articulations me font mal
l’enceinte bluetooth déconne
j’ouvre les yeux
je ferme l’écran du MacBook air
J’allume l’écran HD BenQ
je ferme les yeux j’ouvre les yeux
la lumière se rainure se creuse
il y a du givre dans le congélateur
j’appuie sur le bouton une tasse
de la percolateuse
je ferme les yeux
le café ne coule pas
la pompe produit un bruit sourd
j’ouvre les yeux
je ne trouve pas de tournevis cruciforme
je ferme les yeux j’ouvre les yeux
je soupire les grains de café ne sont pas moulus
tout se casse la figure dehors le volet grince
j’ai mal au poignet droit
je ferme les volets
j’improvise une tendinite
c’est le diagnostic malade
je balaie l’écran de l’iPhone
20% de batterie restante
je ferme les yeux
je suis aveugle
j’ouvre les yeux
je suis soleil.
R.
Jeu littéraire : imaginer ce qu'un ami fait plutôt qu’écrire avec notre groupe d’écriture. Le je du poème c’est lui.
J’ai ouvert la fenêtre pour laisser entrer le printemps. Il se pose sur le rebord, oiseau blessé, et tombe, roucoulant dans l’appartement. Il heurte le cadre en bois. Il entre dans la chambre comme cette photographie de moi, imprimée par Julie. Après l’avoir montée sur un bout de bois ; elle avait glissé cet énergumène de papier glacé et de cèdre par la fenêtre.
C’était un drôle de corps, mon corps ce jour là. Je donnais un cours de philosophie à mes élèves par l’intermédiaire de Zoom et de ma webcam. Corps doublé, transmis par la fibre optique. Mon corps de peau et de muscle assis sur la chaise. Triplé.
Ce corps là, surprenant, inattendu, imprévu, glissé derrière moi ; bougeait malgré moi.
J’entends Julie, en bas et le parquet qui grince, la porte du micro-ondes qui claque.
Ce sont les bruits de la vie. Celle qui me reste, encore, à vivre ici. Chaque bruit s’écoule comme le grain du sablier ; comme ce fleuve, ici, tumultueux seulement en imagination. Je ne suis pas triste. Je ne suis pas pressé. Il y a quelque chose de doux à l’inéluctable.
Dans le dossier « brouillon » de mon ordinateur je regarde les différents plans enregistrés à l’aide de mon téléphone portable. J’ouvre Final Cut pour tenter de les aménager en une histoire.
J’y ajoute du texte et des commentaires audio. Cette couture m’amuse, m’excite et m’inquiète. Produire du sens a toujours ceci d’angoissant qu’on ferme le monde dès l’instant où on le constitue.
Faire récit. Je ne sais pas l’étendue de cette expression ni sa densité. Pourtant j’en pressens l’intérêt. Nous faisons récit. Ecrivant, filmant et vivant. Ceci, même c’est faire récit. Eux, qui m’attendent pour écrire font récit.
Le printemps entre. La brise souffle à l’intérieur de la boule à neige. La poésie l’agite comme ferait la main radieuse d’un enfant. C’est encore Pâques pour moi ; la rondeur de verre ; l’oeuf translucide.
Messenger, clignote. Sur le téléphone une petite pastille rouge s’affiche à côté de l’icône de l’app. Un visage apparaît à droite. Jonathan m’a écrit
Il m’arrive de ne pas vouloir répondre. De ne pas savoir répondre. De devoir répondre pourtant. Ce n’est pas une torture. Le pal choisi ne peut être un supplice. Il est une modalité d’existence, une forme de vérifiction.
J’aimerais qu’il soit plus simple de détricoter les impératifs. De couper ce qui me dépasse et me disconvient. Je modère une séquence de mon film. Par défaut, je souris, le logiciel intitule mon film l’objet indéterminé que je constitue et duquel je n’ai pas encore choisi la catégorie.
Lorsque je réduis une séquence ou que j’en délaisse une ; je ne me sens obligé par rien ni personne.
Dans la marge, les lignes, la page blanche je me sais une liberté qui ne réclame aucune philosophie. Aucune système moral.
Parfois, c’est comme si entre le monde et moi une fine couche de latex transparent se tendait et que je devais remuer et lutter, sans en laisser rien paraître, contre elle. Cette espèce de pellicule entrave et intercède. Par elle j’établis un certain régime de rapport social. Contraint et possible.
Je me tais.
Je crois que j’aimerais jouer du piano, faire traîner la main maladroite sur les graves et les autres extrêmes ; y voir comme le frottement du printemps.
Les notes tombent, il ne grêle pas.
Sur le discord jeanlebaptiste me cite, un 12 apparaît à côté du salon général. Comme autant de citations de mon pseudonyme. Je ne sais pas si plus jeune j’appelais l’ami qui tardait trop à descendre de chez lui. Si, ce cri là, sonnait comme ces 12 notifications là.
Dehors, le printemps inspire B. qui finit courageusement une canette de bière. Je ne sais, le voyant boire avec cette vivacité, s’il se donne du courage la buvant ou si la canette de 50 cl bue en 3 gorgées constitue le dernier terme du courage vrai.
Sa voix résonne et complique la brise. Je ne saurais pas boire aussi vite. Je n’essaie pas.
Les vitres ne tremblent pas. Je m’installe au piano pour jouer plus fort qu’il ne crie. Concerto d’un quatuor fendu en deux ; sa voix grelotte. J’accompagne le hurlement, je m’accorde au hurlement, le hurlement me dirige. De là naît le rythme, la musique. Quelque chose de primitif ou de tout à fait contemporain, d’exactement d’ici et de maintenant, se joue, est en jeu. Voilà le présent. Hic et nunc.
Le ventilateur de mon ordinateur portable souffle très fort en assemblant les séquences de mon film que je n’ose pas encore nommer autrement. Il y a quelque chose de grandiloquent à ce titre : mon film et quelque chose plus grave, c’est certain, serait de le titrer moi-même.
Que se passerait-il si j’effaçais ce titre générique, mon film, pour le réécrire à l’identique ; réécrire mais de ma main et de mon choix, mon film.
Je lis ce titre mon film qui sonne avec beaucoup de douceur et d’affectuosité. Aussi, j’y entends une part d’incrédulité. Mon film. Ce quelque chose que j’ai fait.
B. continue de vociférer et c’est désormais le souffle puissant et monotone du ventilateur qui accompagne son chant artaudien.
B. a une peau, une amoureuse et une canette vide. Il a une gorge que je crois puissante mais je ne sais pas ce que signifie cette expression de « gorge puissante » pour moi, dans ce contexte, c’est à dire qu’il hurle. Peut-être hurlerai-je à même intensité si je me le permettais. Je ne saurai jamais. Ai-je la gorge puissante ?
Je double-clique sur le bureau et j’arrive devant tous ces textes achevés ou pas. Ils sont comme un parterre de feuilles mortes. Confiné, le printemps ressemble à l’automne.
Je rejoins l’appel skype où chacun m’impersonate.
Cantique de la Lumière
Atelier d'écriture - verbes d'action