


Chicorée tu dis et colchique
des bas prés
blé au milieu
des champs bluns
c’est mars et le
désert
la paille séchée
du
papier de verre
ta lèvre
la basse surtout
une coupure le mot-
cassure.
yeux-lierre
la chienlit tort-
dû
houblon clématite chèvre-feuille
lobes arbustifs 5 fois
Le pas une plongée dans les sables ah le désert
quêté la main tendue un peu de sable on te verse
mendiant le temps du
verre rompu
Tu casses et cesses
aventure ratée il faut rentrer le premier
bateau n’importe quoi la cale même poncer si
on demande le mat le pont lisse pour abriter -
superstition de gens d’eaux -
le soleil
reflets rayons entassés
éloignent
scorbut
de Surcouf je tiens
ce savoir
tu manques de tout
sunshine
nouveau
state
Immortel de peu décrépite la vie liane tendue roulée sur mur mort toi roué mains absence des foudres enrouées rien ne tombe sable ta vie dé-
com
peau
zée
basse-cour lumière récoltée à Jacksonville acide la lueur pressée un plein bain la vitamine
C’est le chlore
l’insolation des éléments chimiques
le désert l’aventure t’ont chassé ils ne restent de toi rien que ces mots effacés dans le sable moisi on ne savait pas que sous l’écoulement nasal le pus des larmes sable pourrissait c’est bravo à toiil fait un grand soleil c’est encore mars pourtant la plante rampante rétrécit dans ma main casse sèche ronces à l’odeur de brûlé
d) que mon poème est une réaction reprenant les motifs pour les détourner
et quelque part la progression mais pour la faire échouer là où le poème gradue et étend la réussite métaphorique
je la fais sombrer incarnant, quelque part, le poème dans ce personnage ce tu qui est l’autre poème et ce je apparaissant brutalement qui est prise en charge par l’auteur-narrateur de l’hostilité.
Irruption de ma psyché, à moi, dans le poème de l’autre pour protester.
pour l
Que suis-je sans passage, ma peau brune granuleuse sans méplatissements.
Que-suis-je, longue figure peinte,
jaunes zigzags peints au feu-chalumeau
être de pétrole et de chaux.
Ils m’étaient coutumiers le vacarme et les cris ; enfant turbulent de la ville ; naissance toujours à naître le fracas
S
i
l
ence
Le grand camion ELIS, déposant aux trois hôtels de moi-même, le linge propre. Trois hôtels, deux, trois et quatre * ; valeur décernée ô haut ministère du tourisme
Eux aussi goûtent la mort humaine ;
à l’entrée ont remplacé les baies vitrées
des planches de bois
qu’on devine
coupées à la va-vite
sur un parking d’une banlieue lointaine
Avec soin peut-être ou négligence il s’en est coupé tant
depuis quelques semaines
et l’homme et la scie
s’émoussent
indistincts
Tout ferme
on ne savait pas
à quoi ressemblait
les désert des villes
LA
De combien d’étoiles me sanctionnerait-on
mais on ne note pas les rues
sinon quelques unes admirables
celle qui me coupe par le travers
comme un obus
rue des martyrs
c’est tout
Dans ce moi-rue Clauzel (sens unique) le camion trois fois s’arrêtait ; pour défaire sa charge (disparue aujourd’hui). Alors, derrière-lui s’engageait la fanfare des klaxonnages pressés.
Je pense à ton sort à toi
soeur humide du canal de l’Ourcq
Tes fumées transparentes
saleté régurgitée
de tout ton long
s’étend l’usine de tôle
(comme un accordéon
de fer)
où entrent et dé-rentrent
le Permis C
linge sale
sang sperme sueur
draps propres
ainsi vont tulle et tutu
bringuebaler à l’arrière du camion
ballet secret des froissures.
le linge et le kaxon sont
cartes postales des gens de notre sorte
de toi je n’ai plus de nouvelles
de tes
ô berges eau éclaircie
par ce silence humain
pourriture draînée
par l’absence
des hommes
et des femmes.
que vois-tu chemin de halage
le liquide transparent peut-être
où
roucoulent les poissons-fées.
Où est-elle la bringue place Gustave Toudhouze qui retentit jusqu’à moi la sono grésillante des soirs de chaleur où sont-ils les cris du 20 rue Clauzel, le garagiste interpelle la bagnole qui faillit filer sans payer son plein d’essence ou de diesel.
La pompe est vide.
Tout s’est tu
et je ne sais si encor j’existe encore
à 20 h quelques minutes
dé-torpeur se naît
mais fragile fanal
aussitôt dé-germe.
Au bar, il demande un verre. Une liqueur amère, dense, noire comme du pétrole. Petit goût d’amande sur la finale. La première gorgée endolorit les lèvres. On ne sent plus ni la morsure ni le baiser. Sur le comptoir, quelques gouttes de sang. Celui, qui se mâchonne les lèvres ; les coupe avec les dents.
C’est un bar d’une autre sorte on y sert le sommeil et non l’ivresse. C’est là bas qu’on vient le trouver, toujours. En disant encore. Tu es encore là. En protestant mollement. Par devoir. Garder les apparences de la colère quand la colère a passé. Ca aussi, c’est un devoir.
J’aime me confondre, liquide, sableux dans la substance somnifère. Sentir, s’engourdir, chaque morceau de moi et devenir mon tout dans la narcose. Adieu, les désensoleillés ; les sibériens ; adieu la toundra et l’herbe sèche. Ah, laissez tranquille mon être mortel. Ah, vers grouillants. On ne prête pas attention aux vers solitaires.
On l’appelle, désormais, narcotique. Ca ne fait rire personne. C’est pour lui conserver une identité sociale. Le reste de lui, progressivement, s’est défait. Son prénom, même. Il y aurait quelque chose d’indécent à le nommer, comme s’il était le même.
Il est cet autre somnambule qui se déshonore lui-même.
Saviez-vous, vous, que les êtres humains ça pouvait se rétrécir comme ça, jusqu’à ce point. Se plier, une fois, deux fois, puis quatre et huit comme des feuilles de papier. Un être humain ça peut diminuer comme le papier d’Arménie sous la flamme.
Le costume nous rappelle ta forme passée. Tu t’es rapiécé bien avant lui. Tu ne te ressembles plus. La main, peut-être, quand tu redresses sur ton nez tes lunettes neuves. Je me demande quand tu les as achetées, ces lunettes neuves. Quand les as-tu achetées tes lunettes ?Elles sont neuves.
Je ne sais pas combien de fois tu as cherché cette brume. Tu as fini par la trouver, hein. Le néant, cet aspect du sommeil même dans la vie. Toujours tu t’es tenu au rebord de quelque chose. Ton appétit démesuré ; à combien ne t’es tu pas essayé…Les drogues, les filles, les garçons, la musique…quelle erreur on a faite. On s’est dit. Voilà, un ogre vorace et féroce.
C’était l’inverse. Tu étais, l’inverse, exactement, narcotisé depuis le premier jour tu te mouvais pour échapper à la gerçure de ta nature. On s’était trompés. On t’a pris pour un autre. On a pas aidé.
Oui, tu étais un puits sans fond. De vide et non pas de désir.
Je vous fais peur et j’aime vous faire peur. Quand j’appuie mon être dégoûtant contre ta poitrine ; je me laisse tomber, répulsif, sur toi. Je vomis Ton sourire qui vomit.
Quand tu parles, on ne comprend rien. Tu bredouilles ou tu marmonnes. On ne peut guère dire que c’est parler, ça.
Oui, le souvenir des petits poings serrés dans le lit d’enfant.
Tourne, sur le côté. L’un, puis l’autre. Le retour en arrière.
La première forme ; l’attitude primitive ; la dernière apparence ; la mort.
Oui, tu me charmes, quand tu dis comme ça.
Mais c’est du vice. Je ne suis pas d’accord. Pas besoin d’être saint. Humain, voilà. Durable. Ferme.
Maintenant, c’est dans la vie ; l’éveil que tu joues au défunt. Je ne savais plus même que c’était la mode, ça. La cyanose, on savait, les lèvres bleues ça a du style et le mot il en jette ; on pourrait se retenir de respirer de longues minutes pour le plaisir simple de dire : je suis cyanosé, oui, regardez mes lèvres
« coloration bleutée des muqueuses lorsque le sang contient
plus de 5 grammes par décilitre d’hémoglobine désoxygénée ».
La cirrhose
« du grec ancien roux est une maladie du fois résultant d’agressions biochimiques
répétées le plus souvent par la consommation chronique d’alcool »
on connaissait oui, c’était d’un banal. Ca on comprend que tu n’aies pas essayé. Enfin, un peu tu diras. Par accident.
Mais la narcose, ça. On aimerait dire : c’est épatant. Ca l’est pas du tout. De te voir traîner là en ta forme périclitée.
Voilà, à quoi ça ressemble une noyade de plein air.
Un échoué, c’est.
Je les vois et je m’étonne de tant d’agitation. Je tente, souvent, de m’exprimer d’un geste simple de la main dont le sens dépend du contexte. Il ne signifie pas toujours l’extrême lassitude. Ils défilent devant moi. Lentement, comme des diapositives, ils m’ont l’air plus vieux que le cinéma muet. Chameaux ils ne peuvent pénétrer ici. Il y eut un temps jadis où l’évanouissement valait bien des succès ; c’était le tout du monde sa façon de tomber. Les tapis persans accueillaient la chute ; les corps très humains s’épanouissaient mandragores muettes. Peut-être on finissait par mourir mais on finit toujours par être le repas des vers ou du vent…Alors. J’aimerais bien qu’on me demande, et toi, comment tu tombes ? et non plus « que fais-tu dans la vie » ou alors qu’à cette question on puisse répondre, moi, je tombe, j’ai la chance de tomber et qu’on me regarde ébloui comme si j’avais dit j’ai fait HEC ou l’ENS.
Moi je dis, je suis Monsieur Morphée.
Ils souhaitent le sauver malgré lui et cherchent sur Internet un thérapeute spécialisé. Spécialisé en quoi…C’est une addiction, ça le sommeil ? Une addiction sans substance. Le bar…même sans lui il parvient sans peine au néant. Le bar, c’était comme pour parachever le mouvement. Pour signifier sa défection totale et irrévocable. Il a déménagé de ce côté de la vie, traversé une rive mais d’un autre mode. Ils s’interrogent. Certains sont fatigués ; se rattrapent par une blague ; ne t’endors pas…on a déjà assez à faire. Un s’écarte du groupe, ne comprend plus bien à quoi bon. Deux fois par mois, cette réunion dans le petit salon de l’avenue Jean Jaurès.
C’est comme s’il était devenu le dernier prétexte à leur amitié. La bave du sommeil devenue ciment. Le temps passe. On s’éloigne. C’est normal. Certains deviennent de droite. On les oublie. D’abord en prétendant se faire une trop haute idée de l’amitié pour leur en tenir rigueur. Mais ça ne dure qu’un moment. On se sépare. Il se dit « tiens moi je suis fatigué, vraiment fatigué ».
Tu devrais me rejoindre, tu sais. Je ne parle pas souvent. Pas beaucoup. Si tu comprends ça, ces signes là, si tu déchiffres quand je bouge de droite à gauche. Si ce langage moins lisible encore que le morse tu le comprends sans peine ni atermoiement s’il t’éclate à la figure comme un b.a.ba alors…viens essaye, toi aussi. Je ne te dis pas pour toute la vie…tu sais ce que j’en pense à la fin…il ne s’agit pas de se convertir. Tant qu’à faire. Je veux dire, tant qu’à faire, depuis combien de temps deux ans, cinq ans, j’ai perdu ces notions là moi, vous parlez de ça comme d’une chose étrange et dangereuse et moi j’en suis le repoussoir ; le totem c’est pour ça qu’on me garde ; on m’entretient comme un mauvais diable ou une mise en garde, la bonne action sous le coude, la bonne excuse quand ta meuf ou ton merde t’emmerde tu dis « j’ai monsieur narcose » comme on va au chevet d’un mourant. Alors…pas…joins toi, mais tente. Si tu comprends, c’est déjà que tu as pénétré le périmètre. La chute, c’est le vertige. Tu vois, la chute, on néglige, cet aspect là. Cette chute elle dure toujours…tu ne finis pas écrabouillé. C’est ça la vérité, tu vois…Ils l’ont choisi la chute. C’est le grand mensonge depuis 5000 ans. La chute, c’est un choix.
Deux, ils sont deux maintenant…
Oui ça n’a plus aucun charme si on est deux, ça se fissure.
C’est trop d’énergie, et puis pour quoi faire, à quel titre.
Haha, oui quand c’était singulier ça avait un air de sacré et de sacrifice. Mais deux, deux on dirait une contamination. A qui le tour, maintenant. Ce n’est plus pour rire. L’effroi il est pour de vrai.
J’ai ma vie, pourquoi de toutes les façons les gens changent, voilà, on ne les abandonne pas ; ce sont eux avant tout qui nous ont quitté.
Tu te dis, j’ai fait de mon mieux, franchement, je me suis bien battu mais s’il ne veut pas être sauvé. Mais depuis le départ il n’y avait rien à sauver.
Si ça leur plaît la merde…je n’ai pas à juger des préférences des autres.
Tu es tolérant tu te dis « chacun sa merde ».
Lui se dit, à la fin, que tout ceci était un bien piètre artifice. On tente de donner du sens à sa vie en prenant des poses christiques. Deux fois par mois on a accompli son devoir de charité et nul besoin de Dieu, d’enfer ou de paradis pour ça. L’ego, sans aucun problème, supplée et condense ces trois-là. Il ira, les voir. Parfois, sans régularité. En silence. C’est donc ça l’amitié.
Parfois, tu viens nous rendre visite. Ce n’est pas ta vie et sans mépris ni violence tu te risques à nous puis tu te dis le non-vertical que ce n’est pas pour toi. Un jour de grande douleur ou de grande joie, tu tentes le coup, mais c’est temporaire. Le temps d’une nuit, une visite, ça fait plaisir. Ca me fait plaisir de partager ça avec toi. Les autres…ça finit toujours pas révéler sa vraie couleur et c’est moi qu’on croyait du vide et du néant ? Les narcotiques ce sont eux ; la contagion de tout ; leurs gueules pandémiques.
L’ordonnance prescrit 2 cachets de lamotrigine 200mg par jour. La pharmacienne précise : un le matin un le soir. Demande, s’il sait comment ça marche. La question n’est pas claire. Parle-t-elle du processus chimique, la digestion, le passage dans le sang, la partie rejetée dans l’urine et toute la secrète métaphysique de la pharmocopée.
Parle-t-elle de la méthode d’administration du traitement. Un verre d’eau ou le laisser fondre sur la langue, le comprimé dispersable.
Le loxapac
la quétiapine
le lithium
sont prescrits en cas de troubles bipolaires de type 1 ou 2
quand les patients souhaitent mettre fin
à leurs corps
ou
quand leur corps déborde
sur d’autres corps.
Le loxapac
la quétiapine
le lithium
assomment le patient
le privent de corps
de l’exercice social
civil
du corps.
C’est encore mon corps la chose gisante que je sais gisante et sans conscience
quand 15 heures ont passé dans un éclair
je n’ai pas attenté à ma vie
pendant 15 heures
ni à celle des autres
pendant 15 heures
le monde n’a pas bougé
15h
sous mon influence
moi non plus
pendant 15h
suis-je encore dans mon corps absent
ne pouvant désirer ni refuser le désir
inapte rendu inapte mon corps par l’ingestion
sérieuse et constante
le respect scrupuleux
de l’ordonnance
en bon élève
en bon patient
ne donnez pas confiance aux psychiatres.
Parlant de votre esprit c’est votre corps
les possibilités de votre corps
qu’ils visent
et mutilent
circoncisent
circonscrivent
votre corps leur fait peur
et ce sont en vérité
des légistes plus que les légistes
eux-mêmes
qui vous démembrent
et vous rendent au monde
après retenue.
le lithium provoque la chute de
cheveux.
Ce chapitre fait suite à un que je n'ai pas posté. Deux personnages, celle qui parle ici et son ami, vivent en colocation dans un petit deux pièces. Elle est au RSA, il est pion. Tous deux touchent les APL. Un contrôle de la CAF, les soupçonnant de concubinage, menace leurs allocations.
Des doigts ce sont de gros doigts velus qui gros doigts velus malaxent l’espace.
Je suis composée…je suis l’espace même malaxé par les gros doigts velus.
Je croyais…j’ai cru que j’étais faite de ciel. Même pas le plâtre d’un plafond insalubre s’il faut tout…trop dire.
Je suis ce volume creusé malaxé par les gros doigts velus
pendant qu’ils…
je regarde l’étoile dansante au mur, la télévision allumée, la télécommande pressée par les gros doigts velus étaient-ce ceux là ou d’autres.
On m’a dit, travaille, bosse…sinon…on m’a dit…récure des chiottes sans quoi…on m’a dit c’est pas si mal…on a compté sur les doigts…l’intérim, auto-entrepreneur…C’est bien ça…ça vous irait bien…beaucoup de liberté le statut…oui la précarité…mais il faut voir les avantages. précaire…oui….bon…le SMIC au pire…C’est un bon début…le SMIC. Le C de SMIC vous savez…ça veut dire croissance. SMIC ça termine par une promesse…il faut voir les choses du bon côté…moi je fais de mon mieux…mais…
J’ai dit d’accord…on va essayer ça…Déjà je voyais sur son bureau des gros doigts, des gros doigts velus, qui malaxent. Ses doigts à elle.
En rentrant, j’ai pris des photographies de moi. Le plus difficile ça n’a pas été le corps nu, les poses et tout. Ca a été le visage. Ca devenait vrai à partir de là ; moi sans aucun doute possible. J’ai hésité à flouter puis j’ai pensé à des chiottes, des chiottes pleines de merde. Ca a été plus facile.
J’ai hésite à attendre Etienne, mais il bossait et je ne voulais pas lui en parler tout de suite. Je ne sais pas encore où et comment mais je lui en parlerai. J’aurai besoin de l’appart desfois sans qu’il ne soit là, ni ne risque de débarquer.
L’appareil photo posé sur le trépied, autant faire ça bien. Régler la vitesse d’obturation, la profondeur de champ pour faire comme il faut. Me donner, sous l’objectif, un air de promesse.
(j’ajouterai ici des détails techniques de meilleure qualité) 1600 iso f/5,6.
J’ai dit d’accord sans haine, avec dépit et dégoût.
D’accord oui…il faut bien haha…sinon…contribuer voilà…s’insérer c’est mieux…C’est pas une allocation d’attente…comme vous dites…quelque part c’est une incitation…je n’avais pas perçu la chose comme ça…c’est intéressant…haha oui non pas un choix de vie…quand même…
on a ri ensemble avec l’assistante sociale et qui, occupant sa fonction d’agent de contrôle me rappelle le gouffre qui se tend devant moi. La rue, le dénuement le plus total. Le passage de la pauvreté à la misère. La précarité, tant que l’on a un toit, ça se gère. Le problème de la rue c’est qu’on ne vit plus au jour le jour mais carrément heure par heure. Que parfois, à 23h30, il nous manque 5 euros pour l’hôtel social ou un repas un peu consistant. Un soir, un type de 20 ans est venu me voir pour me demander quelques euros. Il en avait besoin pour loger sa copine ce soir là. Ils avaient trop peur tous les deux de la laisser à la rue. Le nombre de viols commis sur les femmes SDF est monstrueusement élevé. Le mec avait abandonné son job à courtepaille où il était agent polyvalent (ça veut dire qu’il prenait les commandes, les déposait, rangeait le stock, passait la serpillère). Le SMIC, évidemment. La boîte refusait la rupture amiable qui lui aurait permis d’obtenir des indemnités chômage. Il avait 20 ans. Inéligible au RSA.
On me menaçait de ça. De la rue, de la misère, de la précarité extrême, du viol. On me menaçait dans ce bureau dépouillé en ne prononçant jamais directement la menace ; l’énonçant par détours mais inflexiblement. J’aurais aimé, j’aurais du lui cracher à la figure : l’alternative que vous me proposez c’est le viol rémunéré ou le viol tout court.
« Femme de ménage (et les hommes??), métier à risque. L'emploi de nombreux produits nettoyants toxiques met en danger la santé des agents d'entretien. Benzène, éther de glycol, acétone, autant de substances connues pour leur toxicité et pourtant manipulées quotidiennement par certaines catégories professionnelles. »
C’est ça récurer les chiottes, les produits chimiques simplifient la tâche. Il faut frotter un peu moins fort pour récurer plus de chiottes, au final. Ca ne diminuera pas l’amplitude horaire ni n’augmentera le salaire. Les gains de productivité sont pour d’autres.
Les dirigeants, lors de la réunion annuelle présentent ainsi les faits : L’incorporation de moyens modernes (mortels c’est moi qui commente) a permis d’augmenter la productivité de 12%, de limiter l’augmentation des effectifs de terrain et de maintenir la compétitivité de notre groupe. Ceci à périmètre salarial constant. Je vous invite à consulter la page 42 du rapport remis à l’entrée et d’observer la progression du CA.
On en oublierait presque l’odeur de pisse.
Quelques clics. Attendre que les photographies chargent. Imiter les autres profils en variant un peu, histoire de s’adapter au…marché. Se distinguer tout en demeurant dans la norme ; ne pas trop choquer les attentes mais les surprendre assez. Efficace. Proactive. C’est marrant, chaque fiche ressemble à un C.V. On énumère les compétences, on évalue même sa maîtrise linguistique. Français, Anglais, Russe…Trois étoiles le maximum, pour dire courant. Une pour notions, « je comprends tes ordres » j’imagine. Un nombre incroyable de pages mentionne le russe comme langue maternelle. Je ne sais pas, ou je ne sais que trop, le parcours de ces femmes.
Les clients notent les escorts qu’ils ont fréquentées et commentent la qualité des prestations. Plusieurs catégories : massage, social time, propreté… Certains clients exigent, au-delà, du cul, du 69, de la levrette, du cum in mouth, du french kiss ; exigent au-delà de la variété des contorsions sexuelles amitié et considération. Simuler le plaisir. Simuler l’affection. Ils se comportent avec les femmes comme face au dîner à noter sur tripadvisor.

En continuant de remplir ma fiche, je m’aperçois de la terminologie étrange employée. Pour parler de baise on dit « massage » tout en listant, pourtant, les pratiques sexuelles proposées ; quant à l’aspect monétaire on le dissimule sous un ironique romantisme : on ne dit pas 200 euros l’heure mais 200 roses. Prolongeant ce langage les prostituées se divisent en deux grandes catégories, poreuses l'un à lautre, les PSE ou les GFE. PornStar Experience ou GirlFriendExperience.
Sur Chrome j’ouvre un nouvel onglet pour oublier un peu tout ça. Sur le site de franceculture, j’écoute une émission j’entends « entre récurer les chiottes et être pute j’ai choisi de braquer ».
Texte à visée ironique - concours Guerlain - Parfums d'amour - les mots de sperme de chatte de bite de fluide de liquide de pleurs se manifestent implicites dans l'hypocrisie de ce texte.
La porte claque. Il est en retard. Il a traîné. Mes mains le retiennent. Mes ongles longs s’accrochent. Mes ongles peints le retiennent ; l’agrippent. Il part. Il laisse dans le lit du soi-même. Une odeur différente tous les jours et pourtant chaque fois la même. Celle de l’amour. Il claque la porte et l’air alors déplacé emplit la pièce de son odeur. Ce parfum par lequel il dit « c’est moi, je suis de retour ». Ce parfum qui le précède et l’annonce. Ce parfum partout avec lui comme une ombre, une ombre paresseuse, une ombre toujours en retard, une ombre indépendante de toute lumière, indifférente à la lune ou au soleil.
Il l’appelle depuis le bureau où il est arrivé à la bourre. Entre les bouchons des trop grandes villes et son départ tardif il lui était impossible ne pas être à la bourre. Son boss l’a convoqué dans le bureau, il a claqué la porte. Une porte inodore. Alors il l’appelle, il l’appelle elle, et il rit en racontant son entretien. Elle dit, tu ris alors que tu t’es pris une soufflante. Il dit pour ce que j’ai vécu ce matin…des soufflantes je m’en prends tous les jours.
J’aimerais ne pas partir il lui dit. J’ai du boulot moi aussi, elle répond. Il dit oui c’est vrai mais voilà. Non, pas voilà, c’est elle qui dit.
Je suis obsédée par son odeur, en manque de son odeur. Présent, je le renifle comme un animal sauvage. Ce parfum là, ce parfum provenu d’aucun parfumeur. L’odeur de sa peau, la manière dont la sueur tourne, jamais aigre, sur sa peau lisse, sur son torse imberbe, son torse d’adolescent rieur. Le parfum de ses mains, tu sais, entre chacun des doigts, je ne sais pas ce qui s’y loge, c’est comme du magnolia, comme s’il portait aux phalanges d’invisibles champ de fleurs. Parfois, c’est l’odeur sèche du sel. Je ferme les yeux contre lui et s’annonce un saccage de vagues et la voix silencieuse de la nuit. Je ferme les yeux et je chavire contre ces odeurs toujours changeantes et pourtant identiques.
Il rentre. Elle n’est pas là. Il arrange sur la table le bouquet de fleurs qu’il vient d’acheter. Un bouquet maladroit qu’il a composé sans l’aide de personne. Elle adore ce qui sent bon. Elle adore les odeurs. Elle en parle et déjà elle emplit l’air de saveurs et d’amour. Alors, pour l’attendre et la retrouver ombre, il se glisse dans la salle de bains. Il ouvre le meuble, au-dessus du lavabo, où le chapelet multicolore des parfums l’annonce. Il saisit un parfum, au milieu du tas d’un geste. D’un geste brusque, maladroit, le même geste qui le fit composer le bouquet offert. Contre la faïence tout se brise et éclate et de ce mélange impossible il la ressent. Il la ressent en saccades, en décharge, il la ressent, comme démultipliée, cinquante fois elle-même déployée, enivrante.
`
Puis la panique. Il transpire.
Merde, elle va être en colère. Merde elle va me. Je dois. Je ne sais pas. Il saisit son téléphone, commence plusieurs fois le même message. Désolé. Non. Pas comme ça. Il reprend. Je suis arrivé ! Non, toujours pas. Il tourne dans sa tête le message pour lui dire. Il s’épuise. Il transpire. De grandes auréoles envahissent sa chemise. Il dit, maintenant en plus je pue. Je pue, je sens pas bon, je sens la lâcheté, la maladresse. Il ouvre une bière, qu’il renverse sur son pantalon. Maintenant, je sens l’alcolo. Merde, merde, merde. C’est grave ? Oui ? Je sais pas. Merde. Quinze ans d’efforts, paf, je les ai réduits en morcaux. Fais attention, elle dit, fais attention, en souriant. Elle dit, quand je casse tout. Quand je dépareille tous les services à thé. Merde.
Il s’assied par terre, sur le carrelage froid de la cuisine. Il observe la mosaïque, les petits carrés multicolores importés de Positano où d’une autre ville côtière italienne.
Il s’assied et il se dit qu’il l’aime. Il ne sait pas pourquoi il se dit ça à ce moment là. Il l’aime.
Alors il retourne dans la salle de bains. Range comme il peut ranger ce qui s’est brisé. Il se coupe et dans le lavabo il ajoute l’odeur insensible du sang.
La porte s’ouvre. Elle en a marre de cette serrure elle le dit. Elle la graisse tous les deux mois. A cause de l’humidité ça s’entête à bloquer. Elle ferme la porte.
Elle s’avance, il n’arrive pas à parler. Il lui dit, j’ai merdé. Elle s’inquiète, elle imagine le pire. Elle sent l’odeur de la bière et de la sueur. Ce n’est pas son parfum. Elle se dit ça y est il a merdé, il m’a trompé, c’est ça, c’est sûr. Ce parfum. C’est un autre qui s’est déguisé en lui, c’est pas possible. Il sent le parfum de cinquante femmes au moins. Des mélanges de poivre, de cire d’ambre de fossile l’odeur de… Elle rit un rire nerveux d’abord, le rire qui ne comprend rien, qui tord la bouche, qui donne au visage une autre senteur. Il panique, il doit se dire que c’est mort, que c’est trop grave, que c’est un assassinat presque. Puis son rire s’apaise, clair, comme du verre, elle reconnait dans ce chaos de senteurs tout ce qui est à elle, elle voit le doigt qui saigne. Ce doigt même pas pansé, la petite traîne rouge qu’il a semé sur le parquet du salon et dans la cuisine, des gouttelettes à peine semées sur son chemin, s’entrecroisant là et là.
Alors elle sourit, elle le prend dans les bras, malgré l’odeur de bière. Elle cherche dans son cou, elle retrouve son odeur à lui. Parfum d’amour rival toujours victorieux de toutes les eaux de parfum. Elle le pousse un peu. Montre-moi l’ampleur de la catastrophe. Elle rit. Elle dit, on verra plus tard. Elle remarque le bouquet de fleurs.
Estelle
Des doigts ce sont de gros doigts velus qui gros doigts velus malaxent l’espace.
Je suis composée…je suis l’espace même malaxé par les gros doigts velus.
Je croyais…j’ai cru que j’étais faite de ciel. Même pas le plâtre d’un plafond insalubre s’il faut tout…trop dire.
Je suis ce volume creusé malaxé par les gros doigts velus
pendant qu’ils…
je regarde l’étoile dansante au mur, la télévision allumée, la télécommande pressée par les gros doigts velus étaient-ce ceux là ou d’autres.
On m’a dit, travaille, bosse…sinon…on m’a dit…récure des chiottes sans quoi…on m’a dit c’est pas si mal…on a compté sur les doigts…l’intérim, auto-entrepreneur…C’est bien ça…ça vous irait bien…beaucoup de liberté le statut…oui la précarité…mais il faut voir les avantages. précaire…oui….bon…le SMIC au pire…C’est un bon début…le SMIC. Le C de SMIC vous savez…ça veut dire croissance. SMIC ça termine par une promesse…il faut voir les choses du bon côté…moi je fais de mon mieux…mais…
J’ai dit d’accord…on va essayer ça…Déjà je voyais sur son bureau des gros doigts, des gros doigts velus, qui malaxent. Ses doigts à elle.
En rentrant, j’ai pris des photographies de moi. Le plus difficile ça n’a pas été le corps nu, les poses et tout. Ca a été le visage. Ca devenait vrai à partir de là ; moi sans aucun doute possible. J’ai hésité à flouter puis j’ai pensé à des chiottes, des chiottes pleines de merde. Ca a été plus facile.
J’ai hésite à attendre Etienne, mais il bossait et je ne voulais pas lui en parler tout de suite. Je ne sais pas encore où et comment mais je lui en parlerai. J’aurai besoin de l’appart desfois sans qu’il ne soit là, ni ne risque de débarquer.
L’appareil photo posé sur le trépied, autant faire ça bien. Régler la vitesse d’obturation, la profondeur de champ pour faire comme il faut. Me donner, sous l’objectif, un air de promesse.
(j’ajouterai ici des détails techniques de meilleure qualité) 1600 iso f/5,6.
Je lui répondais d’accord sans haine, avec dépit et dégoût.
D’accord oui…il faut bien haha…sinon…contribuer voilà…s’insérer c’est mieux…C’est pas une allocation d’attente…comme vous dites…quelque part c’est une incitation…je n’avais pas perçu la chose comme ça…c’est intéressant…haha oui non pas un choix de vie…quand même…le C de SMIC haha...C'est contribuer aussi...haha...
on a ri ensemble avec l’assistante sociale et qui, occupant sa fonction d’agent de contrôle me rappelle le gouffre qui se tend devant moi. La rue, le dénuement le plus total. Le passage de la pauvreté à la misère. La précarité, tant que l’on a un toit, ça se gère. Le problème de la rue c’est qu’on ne vit plus au jour le jour mais carrément heure par heure. Que parfois, à 23h30, il nous manque 5 euros pour l’hôtel social ou un repas un peu consistant. Un soir, un type de 20 ans est venu me voir pour me demander quelques euros. Il en avait besoin pour loger sa copine ce soir là. Ils avaient trop peur tous les deux de la laisser à la rue. Le nombre de viols commis sur les femmes SDF est monstrueusement élevé. Le mec avait abandonné son job à courtepaille où il était agent polyvalent (ça veut dire qu’il prenait les commandes, les déposait, rangeait le stock, passait la serpillère). Le SMIC, évidemment. La boîte refusait la rupture amiable qui lui aurait permis d’obtenir des indemnités chômage. Il avait 20 ans. Inéligible au RSA. La boîte lui refusait la rupture conventionnelle, ce qui voulait dire le chômage. PourquoI ?
On me menaçait de ça. De la rue, de la misère, de la précarité extrême, du viol. On me menaçait dans ce bureau dépouillé en ne prononçant jamais directement la menace ; l’énonçant par détours mais inflexiblement. J’aurais aimé, j’aurais du lui cracher à la figure : l’alternative que vous me proposez c’est le viol rémunéré ou le viol tout court.
en cherchant sur google première occurrence femme de ménage.
« Femme de ménage métier à risque. L'emploi de nombreux produits nettoyants toxiques met en danger la santé des agents d'entretien. Benzène, éther de glycol, acétone, autant de substances connues pour leur toxicité et pourtant manipulées quotidiennement par certaines catégories professionnelles. »
(ici il y aura l'insert des comptes consolidés et du rapport remis aux actionnaires de l'entreprise Nicollin)
C’est ça récurer les chiottes, les produits chimiques simplifient la tâche. Il faut frotter un peu moins fort pour récurer plus de chiottes, au final. Ca ne diminuera pas l’amplitude horaire ni n’augmentera le salaire. Les gains de productivité sont pour d’autres.
Les dirigeants, lors de la réunion annuelle présentent ainsi les faits : L’incorporation de moyens modernes mortels (c’est moi qui commente) a permis d’augmenter la productivité de 12%, de limiter l’augmentation des effectifs de terrain et de maintenir la compétitivité de notre groupe. Ceci à périmètre salarial constant. Je vous invite à consulter la page 42 du rapport remis à l’entrée et d’observer la progression du CA.
On en oublierait presque l’odeur de pisse.
Quelques clics. Attendre que les photographies chargent. Imiter les autres profils en variant un peu, histoire de s’adapter au…marché. Se distinguer tout en demeurant dans la norme ; ne pas trop choquer les attentes mais les surprendre assez. Efficace. Proactive. C’est marrant, chaque fiche ressemble à un C.V. On énumère les compétences, on évalue même sa maîtrise linguistique. Français, Anglais, Russe…Trois étoiles le maximum, pour dire courant. Une pour notions, « je comprends tes ordres » j’imagine. Un nombre incroyable de pages mentionne le russe comme langue maternelle. Je ne sais pas, ou je ne sais que trop, le parcours de ces femmes.
Les clients notent les escorts qu’ils ont fréquentées et commentent la qualité des prestations. Plusieurs catégories : massage, social time, propreté… Certains clients exigent, au-delà, du cul, du 69, de la levrette, du cum in mouth, du french kiss ; exigent au-delà de la variété des contorsions sexuelles amitié et considération. Simuler le plaisir. Simuler l’affection. Ils se comportent avec les femmes comme face au dîner à noter sur tripadvisor.
En continuant de remplir ma fiche, je m’aperçois de la terminologie étrange employée. Pour parler de baise on dit « massage » tout en listant, pourtant, les actes sexuels pratiqués ; quant à l’aspect monétaire on le dissimule sous un ironique romantisme : on ne dit pas 200 euros l’heure mais 200 roses. Prolongeant ce langage les prostituées se divisent en deux grandes catégories, poreuses l'un à lautre, les PSE ou les GFE. PornStar Experience ou GirlFriendExperience.
Sur Chrome j’ouvre un nouvel onglet pour oublier un peu tout ça. Sur le site de franceculture, j’écoute une émission j’entends la voix d'une femme « entre récurer les chiottes et être pute j’ai choisi de braquer ».
Voeu-x, porter les peaux de léopard vrai
Ensanglanté-es encore un peu
De la chasse séchée
un peu de poudre ou-ù
le froid métal laissant dans la peau l ' incision
précise
par quoi butor
enfon$a profonde
lame
où balle
de
marines
avant de smuggle
tel carnivore
dans la soute
rugissante
d’un coucou à hélice
je m’imagine paré ainsi des atours
du meurtre
devenant moi fauve
des villes des ponts
des chaussées
moi animal de l'animal
dos du crime le porteur
emprise féroce ouvrir
non mains et paumes
plutôt
à la bouche le désir
n
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Fin de la discussion
Écrivez un message…
Je n’ai plus rien à dire
comme les droits de la défense
me le permettent et même le prescrivent
je garde désormais silence

Le versement de l’AAH n’est pas conditionné, contrairement au RSA, à la recherche active d’emploi.
Dans la ville de Paris, par exemple, le RSA contraint à la signature d’un contrat d’engagement, renouvelé tous les trois mois, en présence d’une assistante sociale.
Il s’agit d’un contrôle protéïforme des pauvres. Une forme de manipulation. La somme est conditionnée à cette procédure qui responsabilise l’allocataire mais, en réalité, le menace et le culpabilise. Tous les trois mois lui est rappelée la précarité de l’assistance, puisque c’est ainsi qu’il faut le considérer, qui lui est versée.
La caisse d’allocations familiale n’hésite par ailleurs pas à suspendre les aides en cas de soupçon
Une femme hurle devant les portes closes de la CAF. A la suite d’une dénonciation, son RSA parent isolé lui a été retiré. On exige d’elle le remboursement de plusieurs milliers d’euros. Elle se tient là, fermement. On l’accuse de vivre en concubinage. Elle hurle.
Ce qu’ils veulent c’est qu’on crève sans rien dire. Qu’on crève, qu’on accepte tout, n’importe quoi. Le trottoir, récurer les chiottes. Je fais quoi de mes gamins. Je le laisse toute la journée à la maison, en tremblant de peur, et s’ils suffoquent qui est ce qui me le rend ? Ce sont mes droits, je les exige ; je refuse qu’ils soient discutés, débattus, soupesés. Parce que ces droits c’est ma vie et personne n’a à en juger, personne n’a à me donner honte de les exiger.
C’est parce que je baise de temps en temps que vous me dîtes ça. On m’a vu avec un homme, ils ont dit, on m’a vu avec un homme. Vous vous êtes approchés ? Vous avez senti les draps ? Il y en a un ou dix et ça vous regarde en quoi.
Et peut-être il m’a payé. Peut-être je suis une PUTE.
Estelle et Etienne vivent ensemble en colocation dans un petit deux-pièces de Pantin. Estelle occupe la chambre et Etienne a aménagé le salon de façon à en faire sa chambre. La disposition de l’espace permet à chacun de conserver sa solitude. Après la petite entrée le salon se trouve à droite et la chambre au bout d’un minuscule couloir. Il n’y a que la douche, séparée des WC, qui trouble un peu cette initimité. Il faut traverser le salon pour s’y rendre. C’est supportable.
Le loyer est accessible malgré les faibles ressources d’Etienne qui travaille à mi-temps comme pion. Estelle, épuisée, après une rupture difficile a obtenu le RSA elle dit, lorsqu’on lui demande « je suis au RSA et j’attends » au début elle avait honte. Surtout auprès de ses amis diplômés. Elle avait toujours un entretien à venir et lorsqu’on lui demandait comment il s’était passé le poste n’était pas intéressant.
Estelle et Etienne touchent tous deux l’aide au logement. Versée, comme le RSA, par la CAF de seine saint-denis.
Le logiciel alerte les contrôleurs qui se rendent sur place après avoir notifié les colocataires. Une enquête de voisinage a lieu ; de cette investigation il ne sera rien rapporté aux suspects. Les pauvres se trouvent fichés par un algorithme et une rumeur. Ce qu'on appelle avec emphase le data mining. Ces termes, big data, data mining etc dissimulent, sous leur technicité la surveillance, la surveillance la plus stricte, la plus intense. La surveillance qui ne nécessite même plus un traitement humain a priori, même pas la nécessité de capter votre image par un observateur humain ou une caméra. Ce sont vos clics qui vous biographisent.
L’enquêtrice entre dans les lieux, sort un iPad, le range. Tire de sa serviette un document dont elle grise ou hachure certaines cases. Elle ouvre les placards, retire les vêtements de la commode. Demande à qui est la culotte dans la chambre d’Etienne « Vous couchez ensemble » regarde d’un air dégoûté les préservatifs posés sur la table de chevet. Trouve la pilule contraceptive sur le petit meuble de la salle de bains. Compte, il y a deux brosses à dents elle dit « il n’y a que deux brosses à dents ». Ils se regardent…bah on est…deux ?
Elle ne pose pas de questions et continue de griffonner son document. Elle dit que c’est clair pour elle, elle fait la moue et dit « c’est clair pour moi ».
Elle demande l’attestation vitale, la CNI, les derniers avis d’imposition, les trois dernières années de revenus.
Elle dit « Vous me remettrez … »
Ils ont du mal à répondre.
Ils ne comprennent pas.
Elle dit il y a suspicion de concubinage dès lors que deux colocataires de sexe différents vivent ensemble.
Ils disent mais
on est amis
Ils regardent et chacun à son tour
dit
on est amis.
Oui
Elle a l’air de dire
elle ne le dit pas mais à l’air de dire
ça c’est à moi de le décider
Comment prouve-t-on l’absence de relation de concubinage. Comment prouver que ce qui n’existe pas n’existe bel et bien pas.
Peut-être on a couché ensemble, déjà, c’est arrivé. Mais ça ne signifie rien.
Elle hoche la tête.
Elle dit, oui, c’est ça.
Vous couchez ensemble.
Elle dit comme une vérité générale non comme une chose occasionnelle. Elle dit et tire de tout ça une conclusion.
Elle demande
c’est une habitude
Elle dit c’est habituel pour vous de…faire l’amour ensemble ?
Je sais pas si ça la regarde il se dit je ne sais pas si ça la concerne vraiment
Elle dit oui non ça arrive quoi comme deux adultes il y a d’autres gens parfois vous savez quand on est ivres et voilà on rigole bien devant un film…ça se fait, ça arrive, c’est tendre
Non, je ne sais pas c’est tendre vous dites.
Il grince
frigide
il veut dire plus
il veut dire
salope, flic, il veut dire nazi il veut mais il sait qu’il doit se taire. S’il avait su. Il aurait dit. Il avait peur.
Elle dit vous avez dit quelque chose là non ?
Non, j’ai dit
je suis fatigué…toute la journée avec les adolescents je travaille. Ca use, vous savez.
Oui, bon, je rédigerai mon rapport, j’ai tout ce qu’il me faut là.
Vous m’enverrez par mail à agnes.griveaux@caf-saint-denis.fr les documents demandés, hein.
Ils se regardent et ne comprennent pas. Il s’effondre, c’est lui qui s’effondre le premier. Il le sent pas. Alors il se rue sur google et là il voit défiler des pages entières de contrôles similaires. La même détresse, les mêmes messages, le même abattement, la même solution. Le couperet. Merde, cet argent c’est mon droit, c’est pas de la mendicité…j’y ai droit, on me flique.. On m’infantilise, on contrôle mes faits et gestes. Ils vont regarder mon compte en banque, ça veut dire voir mes dépenses…j’ai envie d’aller dans un sex shop, j’ai envie d’afficher sur mon compte en banque des choses horribles, demander à Moha de me virer de l’argent, dix euros avec comme libellé « pour le dijhad ».
J’ai la haine. Je veux qu’elle voit ça. Qu’elle ait honte, qu’elle soit dégoûtée comme devant le préservatif, comme devant la sexualité.
Estelle, va dans sa chambre, elle ne veut pas parler. Elle non plus ne le sent pas. C’est arrivé à Etienne, il avait foutu sa piaule sur airbnb quelques jours…on l’a dénoncé ou je sais pas, mais un contrôleur est arrivé. A la main il avait ses relevés bancaires. C’est dingue. Le contrôleur, en entrant, tenait les relevés bancaires de Etienne. Il les avait avec lui, à sa main. Une liasse, les deux dernières années : ses rentrées d’argent, ses dépenses. L’administration ne se fatigue pas à tendre un piège. Elle pourrait ruser et demander, faussement candide, qu’on lui remette les pièces nécessaires à l’instruction et ainsi contrôler l’honnêteté du contrôlé. La CAF ne se donne pas cette peine. Entrant chez le bénéficiaire de prestations sociales elle exhibe sa toute puissance, l’accès à l’intimité du pauvre. Accès garanti trois fois : l’enquête de voisinage interroge les voisins pour connaître la relation matrimoniale des individus, s’ils ne vivent pas au dessus de leurs moyens. Voilà, la première intrusion. Puis l’entrée dans le domicile à laquelle on ne peut se soustraire ; quelqu’un entre chez vous et malgré l’hostilité de sa démarche vous ne pouvez lui refuser l’accès. Il fouille. Puis, il sait ce que vous mangez, ce que vous dépensez.
Ils ne veulent même pas jouer…direct on te met face à ton impuissance. L’administration t’écrase.
C’est quoi la conséquence. Un travail, trouve un emploi, n’importe quoi sors toi de ce trou.
Contrairement à ce qu’il paraît ce n’est pas une incitation, un soin, c’est une lame, pure dure. Point.
Il est admis, en économie, que les aides sociales permettant un minimum de vivre permettent le maintien de salaires à la hausse. On peut refuser un job dont la rémunération serait inférieure au minimum social. Ce qui évite, en France, de subir les jobs à 1 euros, les contrats ultra-précaires de l’Allemagne et des Etats-Unis. Aujourd’hui le statut d’auto-entrepreneur fait prendre l’escalier dérobé à l’exploitation.
Sur ce graphique de l’INSEE qui compare les situations de différents pays on observe que la qualité de l’emploi au RU et en Allemagne (mettre graphique INSEE qui montre nature des contrats selon pays + tx de chômage)
Estelle écrit sur son blog :
C’est pas de l’incitation, c’est pas une aide de retour à l’emploi, une cautère c’est une lame à double tranchant. On veut s’arracher à cette asphyxie. Ils me rendent prêt à tout.
L’énergie non déployée pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscale se trouvent toute concentrée ici. Sur la peau impuissante des plus démunis.
Lorsqu’on se retrouve chez moi avec Estelle. On contemple notre impuissance. On ne peut. On ne sait rien faire. Ils trouvent que je suis chanceux d’avoir échappé de justesse à tous ces trucs là. Je ne sais pas trop comment. Bon, en échange j’ai la pharmacopée et les coups de pression la psychiatre. La différence c’est qu’elle ne peut pas grand chose sur mes conditions matérielles d’existence. Pendant 3 ans.

On traite sans assez de sérieux nos lectures intellectuelles. Elles demeurent dans des pays abstraits ; on les raconte pour faire chic comme des cartes postales. Puis un jour ça nous éclate à la gueule et ces mots là, ces théorèmes et tous nous saisissent, c'est pour de vrai.
Le grand renfermement de Foucault s’est ouvert pour moi. C’est sa clinique qui me dit je te garde mon enfant. Doucement, sans tendresse, on m’expose à cette radiation normalisatrice. La rémission, ici, toujours c’est de correspondre à un humain type et on serait bien en peine de nous en fournir la définition. La demanderions nous qu’on nous dirait je ne peux pas définir ça, mais je sais les reconnaitre lorsque j’en vois. Avoir des ambitions salariales, envisager de se reproduire et posséder un appartement. Pourquoi pas une toyota hybride. Exercer son droit de vote.
L’effet produit sur moi est exactement l’inverse. J’aimerais leur hurler à la figure qu’il faut vivre avec la maladie, vivre dans la plus sincère, violente, douce, entière extension de ce mot. Mais cesse bordel de faire de la maladies, de la maladie mentale plus encore - ou pareil, pareil pour l’handicap physique en fait - une anormalité, une difformité du dernier degré. On passe un test de normalité. Au-delà ou en deça d’une capacité à être normal on doit subir un traitement plus ou moins violent. L’anormalité, la vraie, se loge dans cette volonté d’écraser la maladie, de la rendre la plus discrète possible, la plus adaptée à ce à quoi elle demeurera toujours inadaptée. Il faut la vivre comme une normalité alternative et non une modalité altérée ou diminuée de la vie.
Bien sûr, ce n’est pas aisé. Bien sûr des choses graves se passent dans la déraison et certains états réclament des soins et des inquiétudes légitimes mais ce n'est pas le sujet. Comment faire avec, vivre avec
Ce n’est pas une vie moins valable, ce serait mentir de dire qu’elle est facile.
Ce qui me sauve c’est de penser à Foucault, d’affronter ce qu’il appelle le processus normalisateur. Ce processus je lui fais face, il se déroule devant moi, contre moi. Dire qu’il m’assaille serait excessif ; le plus souvent il se présente en de doux atours ; doublé d’aucune menace autre que la culpabilisation latente. Tu ne fais rien, tu es un poids.
Pourtant, ce regard bleu coupant du médecin, qui me fixe jusqu’à ce que je cède ; me pèse, me censure, m’ordonne.
Nous avons tous appris à être, en apparence au moins, de bons élèves et à nous soumettre aux injonctions des autorités légitimes.
Son obstination fixe constitue à elle seule une politique de l’emploi.
Un épisode éminent traduit clairement, pour qui en douterait, ce processus de normalisation. Lorsqu’une phase maniaque commence chez moi transparait en elle une grande inquiétude. La phase maniaque, pour moi, ne contient aucun péril ; je gère. Que l’on tâte le pouls de cet excès, ouais pourquoi pas. Il s’agirait alors, seulement, de faire son travail avec un zèle excessif, peut-être, ou une empathie débordante. Voilà, inutile de chercher des histoires.
Dans son cas, et ce cas est général et institutionnel, il s’agit bien d’un processus d’écrasement, de pilonage de toute vitalité malade ou non. Un épisode dépressif s’amorce, il va être violent, la mort guette, je l’articule comme ça ; pas un jour ne passe sans que j’imagine la mer m’engloutir. J’ai une vision, je marche, je porte un pantalon aux poches profondes et je les remplis de pierres. Virginia Woolf s’est suicidée, par noyade. A cause de son livre les vagues je l’imagine engloutie par la mer. Je me rêve la même chose. Je regarde où la mer tonitrue, ce sera la côte Atlantique. Je raconte ça à l'interface psychatrique, avec moins de poésie et de continuité, je raconte. Je raconte ça et face à ces discours, ces discours qui disent en fait au secours, ces discours de la plus terrible terreur, je raconte et face à ces alarmes, elle me regarde négligemment. Tente, au mieux de me donner un médicament qui fait dormir, la quétiapine. Elle baille. La psychiatrie agit contre la vie.
Comment peut-on bosser en prenant de la quétiapine. Un mec sous hero serait plus efficace. 400 mg avant le coucher. Le sommeil devient irrésistible, le sommeil chimique, le sommeil qui engourdit et qui ne repose pas, qui appauvrit, sommeil sans rêve, sommeil exténué de l’exténué lui-même. Sommeil où l’on étouffe sans qu’aucun oxygène de secours ne puisse vous sauver.
C’est moi du côté de la vie qui l’effraie non ce penchant de mort
Elle a dit, devant la présentation de ma vie métarmphosée en splendeur. Elle dit devant la monstration de ce bonheur gigantesque. Elle dit parce que c'est trop, je me dis, elle doit être jalouse pour me regarder avec cette méfiance. Elle dit.
- HM, je vais vous prescrire du Tercian.
J’ai dit
- non, je ne prendrai pas ça
Je pense à Valentin qui en crevait à moitié. Qu’on trouvait la nuit, parfois étendu, inerte presque. Se relevant quinze heures après. Tous les jours de sa vie. Ou luttant contre le sommeil lorsque le réveil sonnait. Ayant l’air, chaque fois, de s’arracher à l’enfer, de décoller de lui la pellicule de sommeil chimique et échouant toujours ajoutant, le lendemain, nouvelle peau morte vivant sous cet amas de valentin mourant.
- C’est pour vous protéger de vous-même.
Toujours, cette phrase face à l’anormal et le pathologique..
Toujours, c’est pour moi, en ma faveur, à ma fin. Cette généreuse insistance à me sauver et particulièrement non des idées morbides mais de l’état d’excitation, jugé morbide. Comme ces universalistes qui arrachent le voile des femmes musulmanes.
Je lui dis
- vous quand vous êtes triste et pas bien il y a une raison, ça dure un instant, plus ou moins long mais le temps en la matière finit par faire son affaire.
Votre chagrin, pas question d’en nier l’intensité ou la mortalité. Tu peux en mourir toi aussi de ta douleur, hein. Vivre une crise. Mais voilà, ton chagrin c’est parce qu’on t’a trompé ou quitté ; parce que tu n’as pas eu l’augmentation que tu voulais ou que dans la rue on t’a agressé. Toi, ça a des raisons, tu sais ce contre quoi, atroce, oui atroce desfois, tu dois lutter, tu peux concentrer toute ton attention sur un phénomène précis. Ecrasant, ce phénomène, desfois et invincible c’est vrai. Mais à la fin tu sais ce qui est en cause. Les stratégies de soin, tu les appliques à un objet circonscrit, ça peut échouer c’est évident, on a pas toujours la force de vaincre ses ennemis. Mais on le connait, on peut viser. Au pire dans ton cas c’est la douleur qui exagère et qu’on ne comprend pas.
Moi, c’est pas ça. Moi, ça m’arrive Comme du dehors, comme un sortilège. Je tourne une rue mais c’est dans mon humeur. Et je ne vois plus les choses de la même façon ; si l’état de détresse m’abandonne je ne parviens plus à comprendre le malheur antérieur et, à l’inverse, lorsque la douleur me ressaisit me devient inenvisageable ce bonheur passé.
Voilà c’est ça être fou, souffrir sans raison. C’est ici le départ entre les fous et les autres, Je suis dépourvu de raisons.
Alentour de moi, monde instable, toujours. Pour les autres, tous les 3 mois, les saisons changent. La lumière varie, la température aussi. On raccourcit les manches et les robes. Voilà. Et moi, tous les trois mois le changement me ravage. C’est d’Univers, tous les trois mois, que je change. Univers de lambeaux et de chutes de soie.
Elle ne veut que mon bien, je me demande comment elle se sent à l’intérieur d’elle, je ne puis pas rapporter ici ce que j’imagine ses pensées. Je doute même qu’elle en ait de véritables et profondes au sujet des patients. Elle applique méthodiquement et mécaniquement une procédure, une recette que face à elle se tienne une personne ou face à l’ingénieur une donnée. C’est à peu près de la même façon que ça se traite. Peut-être l'ingénieur développera de l'empathie envers un algorithme bien avant la psychiatrie.
Céline, dit, en dix ans d’étude de médecine, on assèche lentement, sûrement ça, on te dit
c’est comme un marais
on te purge
Tu n'as pas besoin de retenir tes larmes.
Je me demande moi si après ceci on peut encore aimer ; si des émotions humaines, réelles, durables, paradoxales durent en nous ? Ou si tout devient utilitariste, mathématique. Les études de médecine enseignent aussi une sorte de psychopathie. Instituent une psychopathie indéchiffrable ; ceux qui nomment les malades sont des malades !
Elle m’a regardé, interloqué. Moi, moi je me présente comme un patient plus ou moins normal d’habitude. Elle doit se dire « il a la flemme il croit qu’il est malade il a juste la flemme ».
J’ai, on, nous avons envie d’hurler. Quelque chose doit sortir ; le cri, le cri retenu, le cri le plus raisonnable, le plus justement mesuré, et s’il s’extériorisait furieux, aurait l’air de folie pure et brute ; ce cri poussait avec son scandale et son scandale était toute sa vérité