03 octobre 2020

Roman 7 : Amitié

Estelle a demandé à Etienne d’être à la maison ce soir. Elle lui a envoyé le lien vers sa page 6annonces, sa page de « pute », elle dit. C’est plus simple. Elle s’épargne la gêne du début, le moment du « oui tu sais…enfin, voilà…je suis pute »  et faire face à l'autre là qui prendrait un air circonspect et espérant, attendant qu’on lui dise « mais c’est une blague, t’es con!!! » pour qu’il réponde « putain tu m’as fait peur ». Il n’y a pas de blagues. En lui envoyant le lien, elle leur épargne ce malaise. On parlera direct de ce qui compte..

Qu’est ce que c’est stressant. Elle regarde l’heure sans cesse. Tente de s’occuper. Ca m’emmerde, putain. Elle donne un semblant de sens à ses gestes. Elle se fait couler un café qu’elle ne boit pas. La porte du frigo, s’ouvre, se referme. Elle n’en sort rien, n’y range rien.
C’est le bordel, putain. Elle range. Réorganise. Revient à l’ancienne version. Sans cesse. Elle rature l’appartement puis se met d’accord sur un nouveau brouillon.
Elle regarde son téléphone. Etienne a laissé un vocal « coucou ! déso pour ce soir je sais qu’on devait se faire une bouffe et tout…mais y a Salim qui passe à Paris, il a loué une énorme baraque ». Sa voix est gênée, il essaie de parler ample pour mimer le ravissement genre putain, je vais m’éclater avec Salim, rien à voir avec le lien que tu m’as envoyé. Il ne l’évoque pas. Elle se demande je lui en parle, ou quoi. Elle entre, dans sa chambre à lui, tant pis là. Elle ouvre le placard, il y range son whisky. C’est sa seule richesse genre. Elle se sert un grand verre. Putain c’est dégueulasse, comment il peut boire ça. Elle envoie une photo de son verre sur whatsapp. Voilà, j’ai besoin de parler. Vraiment. C’est pas des blagues. Rentre s’il te plaît.


Lui, il a la haine. Il éteint rageusement sa clope. Il dit à Salim, j’ai la haine putain. Elle m’emmerde. Je suis pas son père, je suis pas son mec quoi.Salim demande mais c’est quoi le problème ? Rien, rien, des affaires de fric / Tu sais moi je peux te dépanner si besoin / Non, non c’est vraiment autre chose, c’est une sale histoire / Tu peux me parler tu sais il dit Salim / Ouais, je sais, je sais, t'es un vrai pote...dis tu peux me prendre un truc au bar ? Je vais l’appeler vite fait. Il s’arrête. Ca te dérange si elle nous rejoint ce soir ? Tu déconnes, cette meuf est excellente. Vas-y qu’elle vienne. Dis lui d’être sexy hein !! Non, Salim, ça non. C’est compliqué, s’il te plaît viens tu lui parles pas de ce genre de trucs / Waaaa relou…vous êtes tous devenus comme ça à Paris, là. Vous avez paumé vos couilles ou ça se passe comment ? Juste lui en parle pas stp / Ouais, tranquille, tranquille. Salim part en soupirant. Il appelle. Bon. Elle répond dit. Je peux pas parler au tel. Ca coupe. Il dit dans le vide. Viens, ce soir dans la baraque c’est à Ville d’Avray. Il écrit « viens ce soir  ». Il ajoute. « Pour l’instant je peux pas te donner plus ». Il attend en tremblant que le « vu » s’affiche. Il a peur de je ne sais pas quoi. Il se sent pas à la hauteur.

Elle répond. Les trois petits points, là, qui s'affichent. Ca l’angoisse. C’est quoi ce sadisme. Elle dit d’accord.
Elle dit merci.
Elle dit
Je t’aime, vraiment tu sais.
Il dit moi aussi meuf;
Moi aussi t’es conne pfff

Salim revient. Il guettait sur le seuil du bar la conversation. Les réactions. Il voulait comprendre. Ca avait l'air grave, il veut faire gaffe. Ne pas poser trop de questions. Il préfère demeurer dans la périphérie des choses, ne pas trop s’investir. Donner l’impression de ne pas s’investir. Il veut être le meilleur copain de tout le monde. Le meilleur ami de personne.

Pour ça, il connait tout

Il se pose à la table.

Mais si elle propose de me sucer ou quoi, je réponds, "non, désolé je n'ai point le formulaire B-32 sur moi, ni l'autorisation de Madame Simone de Beauvoir ?

Putain, mais t'es vraiment trop con mec. 

 

Posté par boudi à 16:08 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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