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8 mai 2024

Jour 3 - Chapitre 3 - Sept chiffres

Afin de rendre plus lisible le texte, ici l'intégralité (en chemin) :

Roman entier

Chapitre 3 - Jour 3 : 2000 mots

 


Sarah D., écoute distraite les directions données par la cheffe de cabine, la cheffe de cabine indique à Sarah D., après lecture de son billet, son siège, la cheffe de cabine dirige Sarah D. dans les allées, les précautions de la cheffe de cabine augmentées par la qualité business du billet de Sarah D.

Sarah D. s’installe à la place désignée par son billet et confirmée par les gestes imprécis de la cheffe de cabine, Sabine, comme son insigne l’indique. Pour s’épargner les mauvaises surprises, habitude prise il y a des années, en voyageant avec Mehdi C. — et conforme à sa propre nature, elle s’assure du bon fonctionnement de son siège, si le siège peut se déplier facilement en position lit, si la tablette demeure stable, si les portes coulissantes se ferment sans s’ouvrir. Sarah D., s’assure du fonctionnement des lampes et des prises de courant, la liberté, pour elle, ici, savoir. La cheffe de cabine, avant le décollage, précise à Sarah D. que la presse (une sélection) quotidienne, hebdomadaire et mensuelle, en français et en anglais, se trouve dans les fentes latérales de son siège.

Sarah D., se souvient de son premier vol en business, Mehdi C. et elle, alors collègues, voyageaient ensemble pour la première fois. Lui, tout comme elle, Sarah D., découvrait la business class, leur découverte différait. Lui, Mehdi C., semblait instinctivement déchiffrer les signes, effectuer les vérifications, commander (champagne à volonté, d’un claquement de doigt qu’il dirige vers Sarah D., comme s’il réalisait ici enfin l’un des dix fantasmes les plus importants de sa vie, qu’il évacuait enfin une frustration vieille de dix générations, ces choses anodines parfois auxquelles nous semblons tous préparés, une rencontre entre un désir et sa réalisation).

Sarah D. reprend, machinalement, les gestes instruits et observés, Sarah D., ne mettra aucun orgueil à se montrer, en la matière, originale. Pragmatique, Sarah D., souhaite, surtout et seulement parvenir à destination, avec une fatigue limitée et aucune réflexion parasite. Sarah D. pense à son enfance, dans les hauteurs, Sarah D., le siège en position entre-deux, serre dans sa main la couverture anthracite, la couverture anthracite ressemble à une aurore boréale. Sarah D. spectatrice d’aurores boréales se refusa, obsession de sa performance, à la photographier. Les générateurs d’images ne parviennent pas encore à restituer les phénomènes climatiques ou météorologiques exceptionnels. Sarah D. entend les vagues instructions des hôtesses de l’air dont elle mesure, ici, l’étrange dénomination, elles, hôtesses de l’air, hébergeant, accueillant l’air ou, par le double-sens du mot, elles aussi, ses invitées d’honneur et tous les passagers, chef de bord, bagages et animaux domestiques leurs +1.

 

Sarah D. ouvre son ordinateur, la business class offre une connexion satellite stable et lente. Dédiée au travail plus qu’à la diffusion en flux de vidéos. Les compagnies aériennes mettent à disposition un large catalogues de films et de séries. Sarah D., parcourt les notes en prévision de son rendez-vous qui revêt une importance particulière, décisive et, pour elle-même, Sarah D., peu sujette aux inquiétudes et aux frayeurs, qui Sarah D., ne parvient à garder son calme habituel, total. Elle se demande, Sarah D., en faisant fondre sous la langue un xanax puis en effaçant le goût en buvant une coupe de champagne, à quoi tient cette soudaine appréhension, qu’est ce qui dans la composition humaine, engendre ce processus chimique et mental, elle a beau lire l’état de l’Art sur le sujet, le mécanisme biologique à l’oeuvre, elle en saisit mal l’intérêt, ce résidu d’un ancien temps, cette paralysie plus inutile et dangereuse, cette excroissance, cet appendice tout ceci surnuméraire.
Les angoisses nouées, dures, la déflagration d’hormones, le risque de péritonite mental, une zone du cerveau gonflée à l’extrême de dépôts malsains et ces dépôts contiennent d’inutiles pensées. Sarah D., sent son rythme cardiaque s’accélérer devant cette analyse et les pensées se multiplient, néfastes et obstacles au calme requis pour perpétuer soi-même-l’espèce.

Sarah D., ne consomme pas dans l’avion le xanax et le champagne pour calmer les angoisses, habituellement, elle aime, Sarah D., la sensation d’apesanteur que lui provoque, à dix mille pieds d’altitude et mille kilomètres heure, ce mélange. Sarah D., comme Mehdi C. qui l’initiait à la pratique, sent ce qui distingue le vol en avion de tous les autres modes de transport par ce rituel. Son pain et son vin qu’elle réserve aux courses aériennes, c’est ce privilège, cette attente excitée, jamais déçue, qui motive la sévérité du dogme. Ca et d’en parler, chaque fois, un court message ou un appel téléphonique haché, avec Mehdi C., s’assurer que chacun ne traduise pas le pacte enfantin, un échange de coupe de saké ou une fraternité de sangoisse.

Sarah D., devra, plus Madame que jamais, c’est à dire, probablement, d’énormément de virilité, de gestes tendus, précis et coupants, se présenter à ses censeurs et ses zoïles. Le siège, souhaiterait la nommer au conseil d’administration et, processus formel, la décision, Sarah D. le sait, est déjà prise, favorable, sauf à ce qu’au cours de l’entretien, pure mise en scène, Sarah D. venait à violer les règles élémentaires du rite (et exceptés des propos communistes fervents, Sarah D. ni personne ne voit ce qui empêcherait l’adoubement).

La lutte avec ses rivaux, dont elle ne connût que vaguement l’identité, ne fut pas terrible, pour ainsi dire elle ne s’en mêla pas.
Rare femme européenne à occuper un poste d’executive, la peau mate et, s’il le fallait un jour, au détour d’un portrait de quelque magazine en manque de pages pour son bouclage, la trisaïeule marocaine.

La question, à quoi elle méditait pendant ce long vol et la somnolence propice aux décisions, tenait à ce qu’elle ignorait si, désormais, elle devrait quitter Paris, les habitudes prises, les vols depuis les aéroports parisiens, Orly ou Roissy, l’ordre patiemment construit de son appartement, avec les inventions qui y figurent, cette existence dédoublée de qui lui ressemble et qu’elle devrait, Sarah D., recommencer à zéro dans une autre ville, elle ressent qu’ailleurs, Sarah D., ne pourra maintenir sans contradiction logique et insupportable, cette illusion, son terreau de photos inventées, tire sa sève et son sens de son environnement, transplanter ailleurs ce monde, le corromprait, elle en verrait, Sarah D., les branches pourrir et, plutôt que de continuer à en étendre la croissance, consacrerait l’essentiel de son temps, à un soin vite devenu inutile. Et l’arbre deviendra amer, et ses fruits acides et tout ce qui compte, cette oeuvre au statut incertain, celle qui justifie tout, c’est à dire ce job, ces relations, mourrait et elle, Sarah D., ne s’imagine pas continuer sans cette Sarah D. autre, jumelle de paradis lointains. Voilà, sûrement l’angoisse qui lui serre le gosier, comme si elle ne devait plus jamais créer, elle ne s’inquiète pas — se rassure aussitôt — de l’entretien à venir, du chemin balisé et convenu. L’originalité, la poésie n’entre pas dans les CA des groupes côtés et ceux, start-upeurs, qui en miment l’arrivée, la relègue, la poésie, aux arrières-salles, aux ateliers poteries, aux samedi team-building, ne s’en servent que comme prétextes et arguments lorsque l’on déplore leur manque d’âme. Sarah D., a toujours évité les start-up, il lui est arrivé de travailler avec l’une d’elle, client qui se voulait grand compte, et ne s’exprimer qu’en une langue appauvrie, une langue à la barbe de trois jours ou qui sentait les produits naturels. Sarah D., n’en fit pas grand cas, elle les reçut brièvement, appuya sur la touche du téléphone de son bureau pour que son secrétaire, tel qu’il est toujours convenu entre eux — y compris lors de rendez-vous avec des personnages plus business-friendy —lui signale une urgence en entrant dans le bureau, après avoir toqué mais sans attendre de réponse, affectant une fausse confusion, bredouillant des excuses, insistant sur l’urgence. David A. ou un autre David A. relayait alors Sarah D. et raccompagnait le gêneur

Le CA d’intronisation se déroula comme un rêve ouateux, Sarah D. voyait l’aurore boréale en même temps que tout l’ensemble mécanique se mettait en place, la rémunération concernant son nouveau poste en jetons de présence, l’intimida plus qu’elle n’aurait cru, le décrochage de la France par rapport aux Etats-Unis, comme lui disait, en la prévenant Mehdi C., dans le lounge, lui, en passant la langue sur les lèvres qu’il avait trop sèches, geste et tic dont il s’excusait — lui qui s’excuse si peu — de savoir à ce geste une obscénité très peu metoo soluble. Sarah D., n’aime pas l’effet que l’argent peut produire sur elle, il en va ainsi lorsqu’une partie de son existence se résigne à en gagner beaucoup. Elle peut se féliciter elle-même de voir sa compétence, qu’elle constate relativement aux autres, ainsi gratifiée, elle déteste dans le même temps, cette position de rouage d’une vaste entreprise où, en réalité, dix ou quinze autres, auraient pu tout aussi bien ou presque, effectuer les mêmes tâches. Un mélange de hasard, de chance, de circonstances la font basculer dans les rémunérations annuelle à sept chiffres.

Le bloqueur de publicité de l’iPhone ne fonctionne pas sur les applications. Sarah D., ne prend pas encore le réflexe de passer par le navigateur Brave qui bloque toutes les publicités. Elle se refuse, Sarah D., à payer l’abonnement premium de YouTube puisqu’elle n’utilise l’application qu’épisodiquement, lorsqu’elle reçoit un lien de l’un de ses contacts. La publicité, ici, lui montre des « influenceurs » parlant de leurs « revenus » peut-être parce que le téléphone l’entendit, elle appeler Mehdi C., en lui disant « sept chiffres » qui ne réclame, cette expression, aucune autre précision. Il s’agit d’une catégorie de revenus, d’une position sur une échelle, un seuil de reconnaissance sociale. Sarah D. regarde, hypnotisée, ne connaissant rien à ce monde d’illusionnistes, un homme face caméra, se vanter de son succès financier, de ses revenus à « sept chiffres » et de ce que ses auditeurs, eux-aussi, peuvent obtenir en suivant ses conseils « gratuits ». Tel qu’il insiste. Sarah D., dans sa chambre d’hôtel, cherche le contenu de cet « influenceur » et tombe sur une série de vidéos où il mêle, l’influenceur promesses de gains financiers et séduction de femmes (c’est à dire, en l’occurrence maltraitance puisqu’il faut rappeler aux femmes leur place, ce qui pourrait donner à Sarah D. le sourire, elle qui vient d’être reconnue autrement plus sérieusement). Sarah D., se demande la nature des business que ces gens, dont celui qu’elle regarde ne semble qu’une déclinaison populaire, comptant 100 000 abonnés (vrais ou pas), proposent et dont ils prétendent vivre. Sarah D. regarde avec fascination leur mise en scène, la vie de luxe qu’ils affichent et qui ressemble, de ne se trouver jamais dans les mêmes endroits, à ces manifestations filmées en plan serré pour donner l’illusion du nombre, quand la foule ne se compose que d’une tête de cortège qui en est aussi le milieu et le fond. Ces influenceurs, Sarah D. se laisse emmener par l’algorithme, elle ignore, Sarah D., les vidéos d’américains pour l’instant, quelque chose lui dit que celles-là, les vidéos anglophones sont le modèle et que, en tant que modèles, mentent, certainement moins, du fait du reach notablement plus élevé, ne vivent une vie de luxe que par éclipses, le temps d’une vidéo, ceci, Sarah D., le ressent vivement. Sarah D. voit le faux, l’imité et Sarah D. aimerait savoir quels revenus réels ces influenceurs tirent de leurs pratiques. Sarah D. entend encore « sept chiffres » une promesse et une affirmation de ces influenceurs. Sarah D. sourit, elle ne dormira pas cette nuit, Sarah D., continuera à enquêter, en vain, ces gens ne figurent nulle part ou presque, enregistrent des auto-entreprises au CA limité à 60 k par an, Sarah D., voyage dans ces drôles de méandres, elle pense, Sarah D., à ses labyrinthes mentaux, d’enfant, Sarah D. se demande comment se repérer sans carte dans ces jungles, ces liens qui vous redirigent vers Instagram, Telegram, ces renvois vers des sites internet où une offre spéciale à durée limitée vous est proposée. Sarah D., aimerait explorer avec eux, les possibilités de ce monde faussé, ce jeu où comme à tout jeu (d’un hasard dissimulé) seul gagne qui l’organise. Sept chiffres, tiens…

 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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