26 mai 2020
Quand il revint dans sa vieille maison pour la reconstruire, mon grand-père voulu lui aussi planter un frêne dans son jardin à l
Consigne : la première phrase et la dernière constituent le point de départ et d'arrivée du texte.
Quand il revint dans sa vieille maison pour la reconstruire, mon grand-père voulu lui aussi planter un frêne dans son jardin à la place de celui qui avait été tué par qui les obus.
Il disait « le frêne » par métonymie, de cet esprit d’économie des gens d’antan. Des gens D’avant. Le frêne…C’était toute une petite forêt de frênes assassinée.
Il avait demandé la paix. Il nous recontacterait quand il sera temps. Il a attendu dix ans.
Dans la famille nous plantions des frênes. On disait « dans la famille, on a toujours planté le frêne ». Sans raison explicite. Nous plantions le frêne. Héritage solennel.
Mon grand-père se pliait, me semble-t-il, à ce devoir généalogique. Il rentrait pour s’y astreindre. Les traditions sont le sang des vieillards et les préservent mieux que toutes les médecines.
Il perpétuait à sa façon la lignée. Autrement. Lignée végétale, croissant parallèle, à celle des hommes et des femmes.
Plus importante peut-être à ses yeux.
C’est pour ça qu’il disait « tué » pour le frêne, il disait tué et pas « détruit » ou « arraché ». Tué, ça voulait dire qu’il était en vie, à égalité avec un être humain. Eux, les êtres humains, pareils se font faucher par les obus. Puis remplace dans l’enflement d’un ventre de femme.
Il portait, comme ses aïeux, cet arbre à naître. Il donnait la vie, la vie arrachée par les obus.
Un jour ce sera mon tour peut-être. Je disais. Ce sera mon tour peut-être en riant.
Chez nous, de générations en génération nous ne nous transmettons pas un peu d’or d’où l’on tire des chevalières. Nous portons une autre durée.
Mon grand père avait sur toutes les choses des conceptions…originales. Lorsque le frêne fut planté et la maison reconstruite il nous invita. Dans cette famille d’être brutaux, égoïstes et terreux, seul mon père répondit. Maman, qui était une dame de la ville comme disait mes oncles avec mépris, exprima sa réticence. Elle craignait mon grand-père. Je ne m’étais pas rendu compte, à l’époque, de son teint pâle et malade à l’annonce du voyage. Elle craignait mon grand-père homme chênu, taiseux. Je croyais. Je disais. Elle le craint. Je ne savais rien. Nous ne savions pas. Je crois que souvent, c’est ceci, nous ne savons. Nous ne savions pas ce qu’il contenait en lui de douleur caillée, immobile et drue.
Quand le frêne fut tué. Les voisins ont raconté. On dit. Ils disent qu’il y eut un cri de bête dans le village, un cri d’outre-noir. Ils ont dit « un cri de bête ».
A l’enterrement de ma grand-mère il n’a rien laissé paraître. Il recevait les condoléances avec l’air qui sied à la circonstance. Sans mots, ce lui était facile, avec dignité et réserve. Il avait mené sa vie ainsi.
Souffrait-il à chacune de ces paroles compatissantes, sincères ou non ? Poussait-il à l’intérieur de lui ce cri d’outre-noir, cette bête sauvage assassinée ; ressuscitée toujours pour hurle plus encore et il savait retenir le cri à l’intérieur. Le cri ricochant dans la cage thoracique et qui ne devenait même pas. Ne mourait même pas soupirs. Cris, outre-noir dompté. Contenait-il cet outre-noir ? Aujourd’hui J’en suis certain.
A peine arrivée maman voulut repartir. Elle ne faisait pas des manières, il n’était pas question pour elle de ne pas vouloir tacher son tailleur ou abîmer ses sandales dans la boue. Maman n’affectait aucun grand air ne se donnait le genre d’aucune grande-dame. C’était une femme délicate et sensible. Si elle fuyait tant la compagnie de mon grand-père c’est, elle me l’avoua des années après sa mort, parce que sa douleur à lui retentissait si fort en elle qu’elle croyait parfois en perdre connaissance. Elle m’avoua avoir connu quelques amnésies. Des moments de blancs comme sous l’effet d’un choc à la tête.
J’ignorais tout de la complicité muette qui les unissait. Et je compris, bien tard, bien tard, les silences complices et douloureux qu’ils savaient s’échanger. Paroles, souterraines comme des racines.
Et moi…moi qui fut toujours le plus bavard, l’histrion tonitruant croyant tour régler par un bon mot, une injure, un libelle ou n’importe quel artifice tant que ça claquait de la langue. Moi, comment pouvais-je comprendre ?
Elle voulut repartir parce qu’elle avait vu la maison. Il avait dit reconstruire et une ruine nous faisait face. Une ruine fabriquée par la main humaine et non le passage du temps ou d’un autre Attila. L’obus s’était abattu loin de la maison. Les voisins ont dit. C’est une chance elle a pas été soufflée. Juste les frênes. Vraiment un coup de pot. Pfioou. Même les vitres ont résisté…Une veine de cocu.
Alors mon grand-père a taillé la maison, défoncé les murs pour donner à cette maison l’air de fin des temps. Pendant dix ans. Il a construit la ruine. Et le frêne était planté. Plus vivant que jamais. Gazouillant, presque, sous le soleil magique qui ne brille qu’en Auvergne. On le dit, là-bas, sort du fin fond des volcans locaux.
Face à ceci, maman ne put pas. Elle ne dit pas. Je ne peux pas. Seulement la pâleur dans son regard. Sa main qui tire le loquet de la portière verrouillée. Qui répète le geste inutile pour se dire. Cette fois ça va marcher. Ca va s’ouvrir. Merde. La main palissait. Le sang manquait.
Sûrement, avait-elle compris, oui elle avait compris c’est sûr, compris de tout ce sang refluant, compris ce qu’il nous disait ici. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas. Ce qu’il transmettait, ce qu’il racontait. Elle ne pouvait pas. Moi je souriais. Maman…toujours trop. C’est joli..
Cette ruine c’était le cri toujours retenu, toute sa vie d’indocile projetée, taillée dans la pierre et la chaux. Et le frêne tremblait ; témoignage vivant de la seule vie à vivre. Il clamait ce frêne à la tête de tous que c’était ça la vie. Quelque chose se planta en moi ce jour là. Informe, fragile. En ce temps-là j’étais un jeune homme dissipé et mon savoir des choses végétales se limitait à la Chartreuse. Mon père jamais ne reçut ceci. Il planta un frêne. Il faisait son devoir. Mais ça le faisait chier. Il n’avait pas planté lui-même. Il avait payé un type. Qu’on me fasse pas chier avec ça. Il avait dit. C’est maman. Maman qui vraiment planta le frêne. Non de ses mains à elle. C’était une affaire d’hommes. Mais cassant la gangue de ce grain de frêne. J’héritais d’un arbre. Je descendais de cet homme chêne. Mon père jamais ne sut être. Il manquait de ce poids, d’une histoire. Homme de son temps. Et moi je devais méditer ce frêne à germer.
Pour me dire je suis, pour me libérer de ce doute : « je pense donc je suis ». Je sais que je pense. Mais suis-je ? »
Je suis.
Quand il revint dans sa vieille maison pour la reconstruire, mon grand-père voulu lui aussi planter un frêne dans son jardin à la place de celui qui avait été tué par qui les obus.
Il disait « le frêne » par métonymie, de cet esprit d’économie des gens d’antan. Des gens D’avant. Le frêne…C’était toute une petite forêt de frênes assassinée.
Il avait demandé la paix. Il nous recontacterait quand il sera temps. Il a attendu dix ans.
Dans la famille nous plantions des frênes. On disait « dans la famille, on a toujours planté le frêne ». Sans raison explicite. Nous plantions le frêne. Héritage solennel.
Mon grand-père se pliait, me semble-t-il, à ce devoir généalogique. Il rentrait pour s’y astreindre. Les traditions sont le sang des vieillards et les préservent mieux que toutes les médecines.
Il perpétuait à sa façon la lignée. Autrement. Lignée végétale, croissant parallèle, à celle des hommes et des femmes.
Plus importante peut-être à ses yeux.
C’est pour ça qu’il disait « tué » pour le frêne, il disait tué et pas « détruit » ou « arraché ». Tué, ça voulait dire qu’il était en vie, à égalité avec un être humain. Eux, les êtres humains, pareils se font faucher par les obus. Puis remplace dans l’enflement d’un ventre de femme.
Il portait, comme ses aïeux, cet arbre à naître. Il donnait la vie, la vie arrachée par les obus.
Un jour ce sera mon tour peut-être. Je disais. Ce sera mon tour peut-être en riant.
Chez nous, de générations en génération nous ne nous transmettons pas un peu d’or d’où l’on tire des chevalières. Nous portons une autre durée.
Mon grand père avait sur toutes les choses des conceptions…originales. Lorsque le frêne fut planté et la maison reconstruite il nous invita. Dans cette famille d’être brutaux, égoïstes et terreux, seul mon père répondit. Maman, qui était une dame de la ville comme disait mes oncles avec mépris, exprima sa réticence. Elle craignait mon grand-père. Je ne m’étais pas rendu compte, à l’époque, de son teint pâle et malade à l’annonce du voyage. Elle craignait mon grand-père homme chênu, taiseux. Je croyais. Je disais. Elle le craint. Je ne savais rien. Nous ne savions pas. Je crois que souvent, c’est ceci, nous ne savons. Nous ne savions pas ce qu’il contenait en lui de douleur caillée, immobile et drue.
Quand le frêne fut tué. Les voisins ont raconté. On dit. Ils disent qu’il y eut un cri de bête dans le village, un cri d’outre-noir. Ils ont dit « un cri de bête ».
A l’enterrement de ma grand-mère il n’a rien laissé paraître. Il recevait les condoléances avec l’air qui sied à la circonstance. Sans mots, ce lui était facile, avec dignité et réserve. Il avait mené sa vie ainsi.
Souffrait-il à chacune de ces paroles compatissantes, sincères ou non ? Poussait-il à l’intérieur de lui ce cri d’outre-noir, cette bête sauvage assassinée ; ressuscitée toujours pour hurle plus encore et il savait retenir le cri à l’intérieur. Le cri ricochant dans la cage thoracique et qui ne devenait même pas. Ne mourait même pas soupirs. Cris, outre-noir dompté. Contenait-il cet outre-noir ? Aujourd’hui J’en suis certain.
A peine arrivée maman voulut repartir. Elle ne faisait pas des manières, il n’était pas question pour elle de ne pas vouloir tacher son tailleur ou abîmer ses sandales dans la boue. Maman n’affectait aucun grand air ne se donnait le genre d’aucune grande-dame. C’était une femme délicate et sensible. Si elle fuyait tant la compagnie de mon grand-père c’est, elle me l’avoua des années après sa mort, parce que sa douleur à lui retentissait si fort en elle qu’elle croyait parfois en perdre connaissance. Elle m’avoua avoir connu quelques amnésies. Des moments de blancs comme sous l’effet d’un choc à la tête.
J’ignorais tout de la complicité muette qui les unissait. Et je compris, bien tard, bien tard, les silences complices et douloureux qu’ils savaient s’échanger. Paroles, souterraines comme des racines.
Et moi…moi qui fut toujours le plus bavard, l’histrion tonitruant croyant tour régler par un bon mot, une injure, un libelle ou n’importe quel artifice tant que ça claquait de la langue. Moi, comment pouvais-je comprendre ?
Elle voulut repartir parce qu’elle avait vu la maison. Il avait dit reconstruire et une ruine nous faisait face. Une ruine fabriquée par la main humaine et non le passage du temps ou d’un autre Attila. L’obus s’était abattu loin de la maison. Les voisins ont dit. C’est une chance elle a pas été soufflée. Juste les frênes. Vraiment un coup de pot. Pfioou. Même les vitres ont résisté…Une veine de cocu.
Alors mon grand-père a taillé la maison, défoncé les murs pour donner à cette maison l’air de fin des temps. Pendant dix ans. Il a construit la ruine. Et le frêne était planté. Plus vivant que jamais. Gazouillant, presque, sous le soleil magique qui ne brille qu’en Auvergne. On le dit, là-bas, sort du fin fond des volcans locaux.
Face à ceci, maman ne put pas. Elle ne dit pas. Je ne peux pas. Seulement la pâleur dans son regard. Sa main qui tire le loquet de la portière verrouillée. Qui répète le geste inutile pour se dire. Cette fois ça va marcher. Ca va s’ouvrir. Merde. La main palissait. Le sang manquait.
Sûrement, avait-elle compris, oui elle avait compris c’est sûr, compris de tout ce sang refluant, compris ce qu’il nous disait ici. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas. Ce qu’il transmettait, ce qu’il racontait. Elle ne pouvait pas. Moi je souriais. Maman…toujours trop. C’est joli..
Cette ruine c’était le cri toujours retenu, toute sa vie d’indocile projetée, taillée dans la pierre et la chaux. Et le frêne tremblait ; témoignage vivant de la seule vie à vivre. Il clamait ce frêne à la tête de tous que c’était ça la vie. Quelque chose se planta en moi ce jour là. Informe, fragile. En ce temps-là j’étais un jeune homme dissipé et mon savoir des choses végétales se limitait à la Chartreuse. Mon père jamais ne reçut ceci. Il planta un frêne. Il faisait son devoir. Mais ça le faisait chier. Il n’avait pas planté lui-même. Il avait payé un type. Qu’on me fasse pas chier avec ça. Il avait dit. C’est maman. Maman qui vraiment planta le frêne. Non de ses mains à elle. C’était une affaire d’hommes. Mais cassant la gangue de ce grain de frêne. J’héritais d’un arbre. Je descendais de cet homme chêne. Mon père jamais ne sut être. Il manquait de ce poids, d’une histoire. Homme de son temps. Et moi je devais méditer ce frêne à germer.
Pour me dire je suis, pour me libérer de ce doute : « je pense donc je suis ». Je sais que je pense. Mais suis-je ? »
Je suis.