Camé à l'esquinte.
Ca ne peut pas marcher indéfiniment de se camer à l'esquinte, il faut des drogues plus souples, plus femmes qui viennent mettre de la poésie dans la gorge. Je sniffe, je cherche à m'injecter directement dans la plume quelque saloperie poétesse, des muses en poudre à avaler comme une posologie. Soigner la médiocrité qu'on appellerait ce traitement fait de petite mort. Il m'en faudrait moi, des semi-remorque pour tout évacuer, tout cracher aux latrines ce talent nonchalant. Je suis un musicien sans instrument, je joue des mots, je les fais divaguer, ils sont là puissants, rageurs, s'élevant en fracas. Mes mots marquent chaque porte contre laquelle ils se griffent. Mes mots copulent de substantifs en adjectifs, ils muent, émergent, de l'un en sort un autre, c'est une rime interne, une meute hurlante, c'est une musique personnelle, tout est enfoui, tout est intestinal quand j'écris, quand je parle. Ma poésie n'est qu'un gargouillis. Mes yeux sont la braise éteinte, noirs, noirs comme la foudre que je vois se renverser dans ma bouche, noirs, noirs, comme la répétition qui grince avec ses cheveux fous attachés, séparés de chaque côté du mot. Une raie de milieu. Je crois, qu'ici, systématiquement, je vous mets à la vue des palindromes translucides et vous êtes surpris d'entendre les mots bruts ainsi chanter, ainsi danser. Le prélude de Tristan, encore lui, qui fait donner ses gammes, qui ordonne aux Walkyries, les Walkyries puissantes et enragées, de mettre le feu au théâtre, de mettre le feu aux rideaux. Ils ne tomberont plus ! la pièce doit à jamais être jouée, acteurs essoufflez-vous de déclamaisons -et ça m'appartient-, actrices mourez violées du verbe de vos amants. Et ça je le pique dans des veines d'ombre déguisées de lumière. Je vole, je suis un escroc poète comme Lacordaire en était un meurtrier. J'ai jamais eu le cran, moi d'enfoncer mon verbe dans l'omoplate de sentir le sang gicler comme l'encre du poète. Je jouis, je me cherche une muse, moi, désespérément je la traque dans les rues. Ne l'oublions pas c'est là le sex-toy du poète. Et pour construire il doit d'abord jouir, répandre homogène sa semence sur des carreaux imaginaires, la planter sous la peau des femmes au sourire de verre. J'en ai connu et je m'en fous, je m'en fous et c'est tragique de n'avoir de cœur que fossilisé, pourri, complétement vendu à la seule littérature. Je n'ai pas d'amante, que des objets, des jolis objets aux yeux pâles. Pas clairs, jamais, pâles et abîmés c'est ainsi qu'elles sont mes muses, abîmées, froissées, et je tente, moi de leur faire disparaître les plaies originelles, je tente moi de les guérir de mes mots thaumaturges pour ouvrir au coeur un nouveau cimetière où mon verbe gerfaut plongera ses serres, où mon verbe vautour pillera leurs trésors ignorés. Les femmes me suffoquent des fumées brumeuses qui s'échappent de leurs corps. Je suis malade, je suis camé, je VOIS le parfum, je ne le sens pas, ça n'a pas d'odeur mais une couleur, grise, veloutée, qui danse et s'enflamme. Je vois le parfum qui s'arrache des boucles et des croches il a la couleur des matins calmes, je le sens goutter, tomber, s'effondrer et se relever comme une pluie qui passe à l'envers. Je vois le parfum que les femmes crachent à chaque respiration et je m'étouffe. Je suis amoureux de tous les jolis corps, je suis amoureux de toutes les lignes que je vois dans leurs yeux pâles. C'est ainsi que je sens, c'est ainsi que je vis, je vois sur vos ventres plats des lignes, des milliers, des centaines de milliers de lignes qui me font bander loin. Et je me touche, je me touche pour écrire, je sens vos odeurs qui m'envahissent, je vous sens vivre en moi, mes enfants, mes victimes, mes disparues déjà. A peine aimées déjà oubliées. Je suis ainsi tragique qu'après vous avoir écrit je vous tue, sans sursaut, sans remords. Comme un avortement. Clinique. J'essuie de mon visage l'encre qui gicle de vous et je me rends dans la vie indifférent, costume rayé mais serviette remplie de nos traces nocturnes, de nos rages intimes. Vous toutes. Je n'aime pas, personne, ni toi, ni toi et toi encore moins que les autres je vous possède, vous êtes A MOI, et que d'autres glissent leurs organes dans les vôtres je m'en fous, que d'autres viennent s'ébattre petitement, vous arracher des sanglots d'extase, ne me touche pas, vous m'appartenez autrement, dans un corps impalpable et désincarné que je vous prête et vous reprends selon mon besoin, selon mon désir. Je te jouis dans la bouche, chérie, quand je sors de ma poche le stylo aux dents d'encre, je te jouis dans la bouche à chaque seconde que je pose la première majuscule de mon génie malade. Je suis navré, vous autres, amants fades, personne ne peut prendre ce corps que je façonne, cette armure sans chair que j'offre aux muses. Personne ne vous eût avant moi, personne ne vous aura après, je vous ai faites, je vous ai construites, chimères, homuncules, vous sortez des doigts alchimistes du poète, des forges biologiques de mon ventre vous n'avez de demeure que mes latrines. C'est terrible à dire, encore plus à hurler, mais je vous ai, pour toujours, pour toute les nuits à venir, vous n'échapperez pas aux cellules que je vous dessine, vous ne quitterez pas ce masque que je vous greffe. Qu'un visage, celui que je vous prête, qu'une voix celle du silence. Je suis navré, vous toutes, de vous oublier, de vous promettre le temps et de déposer à vos yeux le silence. Je suis navré de n'être que d'une autre dimension que vous, ma chair, mes sangs vivent à l'envers, autrement, je dessine avec des mots et j'ai l'Univers entre les mains, l'Univers bille de verre que je lance contre les murs. Qui se brise et qui me coupe la langue. Je saigne, je crois, je saigne sur l'Univers décapité.