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17 février 2024

Où sont les gros

(novembre 2023-février 2024)

J’éprouve, pour les corps des autres, une grande fascination, corps, souvent, que j’espère réussis.

Réussite distincte de la perfection formelle des attendus de beauté des injonctions médiatiques. J’y admets, certes, avec exceptions nombreuses, l’un des critères les plus actuels : la minceur. Ma typologie de la réussite admet difficilement un corps gros. J’accorde, avant toute réflexion, une plus grande mansuétude aux trop maigres qu’aux trop gros. Si je condamne les seconds je m’indiffère vite des premiers, admets, même, leur possible salvation. Ils entrent, encore, dans ce quelque part humain, la porte étroite.

 Jeanne, si elle me lisant, empruntant ce ton autoritaire et démiurgique, se moquerait de moi, elle s’amuse, souvent, riante ou mécontente, de cette manière définitive que j’ai de m’exprimer qu’elle, non moins dépourvue, exerce aussi.  

 

Je peux projeter les trop maigres, hypothèse de beauté.

 Les gros suscitent, chose très ordinaire contre laquelle je lutte, une répugnance tenace, répugnance jusqu’à moi accolée lorsque de mon corps le ventre pend, distendu, plein d’air et de rien. Si je m’amplifie de la sorte je ne vis qu’espérant, hypothèse à nouveau, la disparition à brève échéance de cet excès.

 La réussite des corps se confond avec l’idée de leur grâce, c’est à dire de leur légèreté. Je la trouve, le plus souvent, c’est à dire le plus aisément, dans les corps sportifs, taillés dans l’effort. Cet effort, comme Jeanne le remarque judicieusement, ne se déploie pas dans les salles de sport, les corps qui s’y fabriquent, plein d’air comme elle mentionne (des années le mot gonflette avant le pullulement des coachs sportifs et influenceurs fitness donnant à la gonflette sa noblesse, une noblesse de Pire cela va sans dire), sentent la pauvreté, le prolétariat, ils sentent les peaux tannés des paysans chinois ou japonais, le dos courbé, la faucille à la main, polluant les marais de leur selles.

 Le culturisme, comme bien des pratiques, valait en tant qu’il résidait dans la marge, la bizarrerie, la curiosité, c’est à dire le spectacle et l’élite. Ces corps, laids, s’imposent, laids lorsque, surtout, corps masculins qui, s’ils se découvrent des critères d’évaluation, ne se mesurent, les uns aux autres, que par le volume, en dernier terme…par le volume. Celui-ci s’apprécie, le volume, bien entendu, comme en tout art, c’est à dire pratique cristallisée et codifiée, avec des subtilités qui m’échappent tant esthétiquement que scientifiquement.

 Les femmes, elles, pratiquant ces activités, à quelques exceptions, ne visent pas ces extravagances hideuses, elles se dessinent, elles soulignent, rien de leur corps ainsi décuplé ne contient de hâte virile et conflictuelle. Elles dessinent. 

 Elles découvrent d’elles, la silhouette d’une danseuse puissante ou d’une gymnaste paresseuse. Leurs corps demeurent corps véritables. Ce n’est pas à dire que leur ego, en raison de leur sexe, ne les entraînerait dans aucune lutte, aucune concurrence, aucune, même violence, celle(s)-ci se déroule(nt) sur un autre mode, une autre scène, par définition, presque, moins brutale parce que plus désarmée. Le massacre dépend aussi de l’arsenal à la disposition des belligérants. Arsenal, ici, systémique. De ces femmes la minceur, elle encore, demeure l’horizon, le point nodal et matriciel : la finesse de la taille. De Kim Kardashian à Jujufitcat. 

 Je touche, aussi, beaucoup les gens, comme un aveugle tentant de comprendre, avec ses sens exclusifs, le corps. Revenu, ici, à un principe pré-social, pré-esthétique, de nature, si j’en crois la primitivité de mes mains, cet héritage inconscient, ce qu’on nomme je crois instinct. Longtemps, tout social, non animé de la puissance reproductrice, je n’aimais que les visages, les corps, la tenue du corps, m’indifféraient. Aujourd’hui, pour moi, l’excitation, toujours, ma main, sur la taille, la forme que ma main ici posée prend, elle évalue, malgré moi, en dépit de moi, la durabilité de mon désir, son envie de recommencement. J’ignore comment décrire cette forme, je peux citer, simplement par exemple, qui y convînt jamais, un nombre d’or.

 Pour moi, le corps, il est là encore dans sa perfection regardant les gestes maladroits du jeune serveur du Bo-Zinc, sa coupe de cheveux, travaillée, le chignon haut, un catogan, je crois que ça s’appelle ainsi, à quoi il ajoute, latéralement, un liseré, une frise simple, faite d’un ensemble de triangle. Maladroit, de jeunesse, juste et empoté dans le même temps. Il dit, m’apportant mon deuxième double amaretto, après mon remerciement, avec plaisir. Depuis le commencement de ce texte, ce jeune homme s’emporte d’assurance et squatte en bas de chez Jeanne avec les derniers clients devant le bar fermé, tous parlant fort, malgré nos protestations qui à force de répétitions chassent les importuns. Nous ouvrons les volets dont la vibration métallique fait comme un échauffement de voix avant notre demande puis notre exigence. Premier geste poli dont nous espérons, vertu toujours prêtée à la politesse, qu’il suffise. 

 

Je n’aime pas ce au plaisir qui devient, chez lui, dans sa maladresse souriante, un plaisir. Diane, je me souviens, jadis, me racontait un quasi-amour de vacances, dans je ne sais quel coin du monde, ça devait être une sorte de village de vacances criblé de petits appartements pour jeunesse fortunée.

Un garçon, resté quasi, avec qui elle passa, non sans joie ni désir, la journée, après l’avoir raccompagnée au seuil de chez elle et pour préfigurer le rendez-vous à venir, la quitta d’un au plaisir, qui la figea et la conduisit à l’éconduire pour toujours. 

 Le corps de Julien lavant avec plus de science que de soin les verres des clients, il y a aussi la serveuse, qui lui ressemble, je me demande s’ils sont frère et soeur, le même mouvement dans l’espace, des coordonnées trop voisines pour n’avoir pas été toujours à proximité, évoluant côte à côte. Les gens se reconnaissent entre eux, comme autre soi, comme me disait Cassandra avant de me rencontrer, la première fois, m’avoir lu seulement. Ceux là, Julien et qui je suppose sa soeur, se ressemble au-delà d’un quelconque aspect physique, ils se superposent et se décalquent.

Elle, la soeur supposée, porte un ensemble rose fushia, je cherchais la précision de ce rose, ça ne pouvait pas être pâle ou thé qui réclament un autre passif, une autre disposition, son corps, et par là son être, rend fushia tous les rose. Elle prend soin d’elle, ses cheveux roulent sur ses épaules, ils sont blonds et probablement éclaircis (je ne saisis pas ces choses là comme je ne remarque pas, Jeanne s’en amuse, la chirurgie esthétique sur les visages des femmes lèvres, pommettes et qu’en sais-je encore ces subtiles manigances plastiques). Ils finissent, ses cheveux, comme les gros rouleaux des vagues, presque des anglaises. Chloé, elle, porte de la même façon, presque, ses longs cheveux blonds, Chloé, parce que comédienne et artiste, en change le signe, le bascule dans le spectaculaire. La serveuse l’est-elle tant moins ? Spectaculaire ? Captivant mon regard, lui consacrant, consacrant à sa chevelure, dix fois plus de lignes qu’à celle de Chloé, plus apte, pourtant, à entrer dans mon esthétisme. 

 Dans les grandes villes, les mondes se chevauchent en de brèves rencontres, certains lieux en forment les intersections, à cause de leur géographie, de leur prix, de leur histoire. Ici Chloé, la comédienne, l’artiste, la somme sensible, comme elle nomme son collectif, croise par le hasard des cheveux débordés, cette femme avec qui elle ne partage rien d’autre qui ne soit visible. 

 Je me demande souvent à quoi ressemblent les gens déshabillés, les hommes, plus particulièrement dont le corps surprend, qui l’on imaginait maigres ou transparents, se révèlent tout de muscles parés, qui l’on imaginait mince se révèle gras, qui l’on imaginait gros se révèle de muscles garnis. Josef, lors de notre randonnée dans les Vosges, m’illustra absolument cet écart entre qui ne développe de muscles que volumineux et qui en possède des pratiques, sollicités pour le seul effort, il marchait devant moi, grimpant la côte, je voyais ses mollets tripler de volume, ses biceps, lorsqu’il écartait les branches nous barrant le chemin, tendre le t-shirt. Voilà ce que c’est la force.

 Enfant, dans le Nord de la Norvège, sur l’île d’Ilgness précisément, où je passai avec mes cousins des vacances sans nuit — l’été ces endroits du septentrion comme mon amour ne connaissent de crépuscule qu’un prêt à se changer aussitôt, sans pause, en aube — un garçon, habitant de l’île, de notre âge ou plus jeune, jouait avec nous sur un bout de vallée, il se nommait quelque chose qui sonnait dans le voisinage de triplhamburger pour moi et je le nommais alors ainsi, tentant, invitant dans la lutte mon cousin, à le faire rouler à cause de ce que nous avions vu (ou, plagiat d’anticipation) le film où Robbie Williams joue un Peter Pan adulte et dans lequel un des personnages, gros enfant noir, roule comme une boule de bowling pour faucher les pirate hostiles.

 Avec Jeanne, malgré nous, nous sommes grossophobes, nous nous trouvons toujours trop gros, tandis que, rapportés aux métriques et aux classifications objectives, nous nous trouvons très largement dans la norme. Mais la norme à Paris est une norme déformée. Je compte, pour m’amuser, le nombre de gros apparents, dans mon quartier ou celui de Jeanne. Nombre faible, moins d’un pour dix. A la bibliothèque où je finis ce texte au lieu de préparer mon cours de demain, je ne trouve que peu de personnes en surpoids, malgré la disparité des âges. Les bibliothèques municipales accueillent une population curieuse, des vieux, des lycéens, des enfants avec leurs parents, des sans-abris ou des égarés. Mais, à Paris, pas de gros. 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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