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21 octobre 2012

j'écris avec le clou des crucifixions

Une rémission.

D.

Pour son prénom.

Pour première syllabe

De ma

Défaite

 

Je suis de l'espèce des volcans inviolés.

 

J’écris avec le clou des crucifixions :

 

Soudain, j'avais assez souffert.

Je m'en étais défait. Enfin ! Je m'en étais défait, en cris inégaux, en gestes dépareillés -il faudra y mettre plus tard de l’ordre, peut-être dans un roman. Je m'en étais défait. Et comme le primitif qui fit le premier feu -et feu pourtant forcément pitoyable- je regardais incrédule mes doigts et ce qu'ils venaient de rendre possible. Mes chers doigts... Je l'avais quittée ! Avec ce geste calqué sur la nuit, démesuré et précis. Geste...geste à décrire cent fois, geste comparable aux manières de l’évadé, aux façons du tricheur à la table de jeu. Geste saint mais geste trompeur : un catholique se signe, voilà mon geste.

Dans sa tête, à ce moment là, les pensées banales qu'on a à dix-huit heures quand on ne se doute de rien : le repas du soir, le teint du ciel, le week-end à venir, peut-être un sourire par la magie de se souvenir. Elle viendra -elle vient déjà, j'entends dans ma tête le pouls de ses pas, je reconnais le « mi » très précis de son talon butant sur un trottoir imaginaire «ton coeur ?» «non pas mon coeur»-, l’œil ordinaire, prendre son courrier et ma stupeur -pleine du parfum familier des regrets, lui sautera au visage. Cette lettre qu'un baiser oblitère, cette lettre où son initiale dans sa majuscule grave -presque vivante, vivante forcément ; écrite avec mon sang- s’affole ! 

 

Tout à l’heure je rentrerai, je raconterai ma matinée, mon front pâle, mon front de mutilé de guerre, front de cimetière, honoré de roses mortes -toutes les roses mortes du monde- et de vodka.

 

Tout à l’heure :

 

Le clou volé à la crucifixion ;

 

Enfin, j'ai pu dire « je t'aime » et de la même foulée, trop dérangé par cet aveu d'impuissance, je l'ai résorbé dans le pas d'un adieu. Je l'aime, oui, et je m'en vais. Mieux, je l'aime, alors je m'en vais. Et pourquoi ? De n'en plus pouvoir de dire son prénom comme un prénom banal, de quitter son chez elle en murmurant trois fois, inaudible, « je t'aime » à sa porte. « je t'aime » discret, un «je t’aime» de désert, un « je t'aime » de soupirs, de buées, de givre. Mais un «je t’aime» fatigué du secret gardé pour de faux. 

Qui encore était dupe ? tous mes gestes depuis longtemps pesaient de cette nuit là, tout mon corps ployait sous l’aveu. Partout déjà elle avait pu déchiffrer les signes de mon amour. Mimant de n’avoir rien vu, revenant à moi dans la cordialité d’une ignorante, d’une innocente. 

 

N’est ce pas tu savais tout, tout, tout, depuis le début, depuis que j’avais récité devant tes yeux Baudelaire -pourtant je le hais, lui, ce faux-galeux, ce vrai chien, j’avais parlé de tes yeux avec ses vers à lui, et par ses rimes à lui et dans ma bouche à moi j’ai vu ton regard mûrir, devenir malade d’une lueur inaudible. Et à cause de ces vers là «tourne vers moi tes yeux plein d’azur et d’étoiles» tes yeux se sont posés sur ma langue et moi je n’ai pas pris garde à ce moustique insatiable, je n’ai pas pris garde à sa maladie pire que toutes les maladies tropicales. C’est à moi devenu voix récitant Baudelaire qu’ils ont pris ce pouvoir de bourreau, ce sortilège de sorcières. C’est Baudelaire qui a relâché toute la force, que tu ne te savais pas, Baudelaire avec ma bouche à moi -sale mort Baudelaire, sale mort.

 

Des mois durant, voleuse malhabile, fausse discrète, elle est passée lire ce que je laissais d’aveux – qu'importe le lieu et comment elle y eut accès, elle s'y rendit, me le dissimula, et tout ça je le sus. Je décrivais alors mon Amour-initiale : «D.», cheveux longs(I) tombant sur les épaules(a) comme un renard pris au piège(n), clavicule mûre comme un coeur(e)...C’était elle, désignée par mille soupçons .

 

Alors, ce matin, je me suis révolté contre cette fièvre, je me suis saisi de tous mes souvenirs, de tout mon amour ; je me suis saisi de toute mon impuissance, toute ma lâcheté. Voilà l’aveu dans ses chaînes. Son pas peureux, sa voix fragile. Le voilà lui et me voilà moi les yeux sales d’insomnie, les cernes comme des baisers commencés dans les rêves et jamais finis dans le concret, moi qui hurle avec toute ma peur, moi qui hurle pour les poètes avec mon foie, mes reins, avec mes ongles de naufragé, mes cheveux de péri, avec toute mon intimité moi qui hurle et étouffe...

 

Assez de dire « bonjour » comme on dit « bonjour » à tout ce qui ne compte pas vraiment, à tout ce qui n’est pas l'invraisemblable - toi. Assez de trembler par tous les membres à l'heure de te croiser, assez de tout cet effort vain pour priver ma voix de sa panique quand tu me rejoins - et me surprends, même à l’heure que je t’attends - pour un café désespérant, un dîner ennuyeux aux chandelles de tout ce qui va amoindrir le ciel. Assez de ce souffrir banal et quotidien. Je renverse la table, je renverse tous les mets fanés, tous les bâillements comestibles. Assez du vertige minuscule. Ce sera l’Univers ou rien.

 

D'un mot toutes les douleurs peuvent cesser je crois : « adieu » étrange pouvoir pareil au suicide dans les mains des désespérés. Silence. 

 

Mais je ne peux pas t’haïr, depuis le premier jour je n’ai pas pu, peut-être t’ai-je aimée pour cette raison ; de ne pouvoir laisser quiconque en dehors des grands sentiments, et ma haine, ma haine allait à toutes les choses, à ce qui fait que le temps passe, que c’est la nuit, qu’on est demain. Mais pas à toi, tu étais hors de ma haine, hors de ma force, tu as traversé ces marécages, ces pièges, cet Univers intérieur, sans t’en apercevoir et sans le vouloir tu t’es trouvée là, là dans ce périmètre minuscule de mes suffocations, au siège vacant de douleur, où les quatre lettres de MORT me dominent pour toute éternité.

 

Et ce mot d'amour, et ce mot d'adieu comment les avais-je poussés ?  J'ai étudié ma voix pour faire barrage à ma raison. J'ai regardé mes doigts se rendre, regardé ma bouche, ma bouche pitoyable, ma bouche effarée se convulser. J'ai pris les mots aux parfums désastreux, faits uniquement de terminaisons et de suffixes. On aurait pu dire «faits d’éclairs, du point calciné du réel». J'ai choisi la plus belle des façons et la plus belle des façons était aussi -par bonheur- la plus lâche. Combien il est commode de faire des aveux muets, combien il serait plus aisé de croire en Dieu avec les gesticulations propices à son adoration si prier n'était que gestes silencieux, paroles nécessaires. Correspondre... Mais il faut dire, confesser, chanter, gaspiller sa voix dans les «Te-Deum» comme autant de témoignages du mal. Dire...Toute cette fragilité qu'on montre de soi, qui nous franchit par les lèvres malgré nos dents fortifiées...la voix cette faiblesse que jamais on ne rattrape qui partout nous dépasse. On est toujours béant par le parler et l’on voit visible, brillante l’âme coupable. Toi qui bégaie, toi qui doute et puis qui ment, mais toi aussi que je reconnais et qui hurle. Ta colère c'est toujours ta faiblesse. Ta voix forcément découle d’un crime. Si j'avais pu naître muet, jamais je n'aurais pleuré.

 

Tout s’achève en un instant. Un geste nous échappe ; la pièce est jouée. Alors débute la tragédie véritable, dans le silence intime. Tout recommence mais en la forme obscure des rues coupe-gorge. Dans la loge du dedans, le sommeil impossible, les paupières brulantes. 

 

A l'heure de partir je me tiens là, Dans le hall de son chez elle. Prêt au désespoir. Il vient de se passer ceci :

Mes mains pour faire ma bouche. Je reconnais son nom sur la muraille des boites aux lettres et je le prends pour son corps. « Enfin je vais t'effleurer ». Enfin Je vais dire ce que trop j'ai tardé à dire mais que déjà pourtant elle sait -tu sais. Celle qui me hante me bouleverse. Tout ce bégaiement affranchi d’un seul gémissement. Gaspiller d'un seul spasme, d'un seul verbe, tout mon fardeau, tout ce que j’ai de nuit polaire. Voilà ce geste tant et tant entraîné qui me quitte. Un muscle, c’est un muscle que je dépose ici. « Le coeur ? » «Ne dis pas n’importe quoi, inconscient ». Je glisse dans la fente, au-dessus de ce nom tant chanté, mon long pleur contrarié. Cette lettre d'amour qui, pour ressembler à ma tragédie, pour devenir miroir et reflet, est aussi une lettre d’adieu. C'est une chose amusante -j’arrive encore dans cet état critique à rire, désespéré heureux, va- et qui lui donne un air de patronyme ; patronyme d'aimer. Je n'arrive plus à les imaginer autrement qu'ainsi fiancés « je t'aime-adieu » Comme un grand auteur, comme on ne sépare plus jamais « Victor d'Hugo » ou « Émile de Zola ». « Avenue je t'aime-adieu » dans les villes mal famées de l’amour. Je l'ai dit voilà, « je t'aime et adieu ». Synthèse de la longue orgie des douleurs et des luttes, abîmée dans un seul cri, dans un seul gouffre...

 

oui, je t'aime, et j'en meurs, et chaque seconde de ma peau est réglée sur ton méridien, je suis le mystère vaincu par la science, le soleil humilié par la nuit et la nuit surprise par le courant électrique mais tu ne pourras jamais me dominer. Je suis un ciel évadé. J'ai la couleur des matins étroits. Oui je te dis je suis ton esclave et je viens vers toi. Je viens sous le faix de ces chaînes, éclatant de mon fardeau, de ma sueur, beau comme une fiancée la bague au doigt. Mais moi, paré de douleur, je ne vais pas obéir, pas me soumettre, moi ainsi paré je suis encore un poète, encore un rebelle, et je me jette dans la nuit, dans le vide, dans ce qui va m’aspirer. Je me détourne de la raison, ta berge, je m’enfonce dans l’eau froide, profonde, je m’enfonce dans cette nuit liquide, insondable et tu vois s’effacer ma main. Enfin noyé, je te reprends le pouvoir que tu avais cru recevoir de mes «je t’aime». J'abolis tes mains, tes gestes, toute ta tyrannie par mon naufrage. Je suis esclave dans l'amour et affranchi dans l'adieu.

 

La lettre :

 

Tu te souviens ? Toujours je voyais à tes yeux allumés par la démence cet air de folle que tu n'as jamais su détromper avec ta bouche pleine d'arguments et de la logique raisonnable des insensés. Je te joins la « folle amoureuse » de Morand. Je le fais pour donner à ma lettre un air littéraire qu'elle n'a pas, pour te tromper en même temps que je te quitte. Quel amoureux ridicule je fais, je n'ai jamais connu tes bras et déjà je les ai trahis, et déjà je les ai fuis. 

 

Ce geste, ce geste..ce geste fabriqué de moi-même, ce brouillon de grandiose, ma fierté secrète...quand enfin on a dit qu'on aimait et qu'on laisse le sentiment pour dernier mot, pour limite au langage. L’étoile pour pierre tombale ; le ciel pour mausolée. Ce silence de la vie, quand elle soupire libérée de sa crampe immense «Le coeur ?» «Non pas le coeur». Un sentiment ça se porte bien, surtout la nuit, à des seuils d'abandon, comme une mésange faite de l'ombre de ses mains et qui chante des pensées ! La bouche bavarde enfin scellée ; la bouche prétentieuse étonnamment consolée par l’impuissance, et le merveilleux emplit le silence comme un ciel pâle. « Je t'aime et désormais je me promets de ne plus jamais rien te dire ». Ce « je t'aime » que j'ai voulu dans son habit de deuil, délicat dans ce magnifique jupon d'adieu qu'avec mes lèvres je lui mets. A-t-on vu souvent des « je t'aime » crêpés de noir, des je t'aime en soie livide ? Belle veuve ma passion. Mon triste « je t'aime » mon enfant de la catastrophe ! Splendeur deux fois et splendide surtout par son drame ! Enfin j'avais pu trouver un sens à ce cœur porté partout -asiles, baisers, opéras- douloureux et malade. Voilà sa vérité éclatante, voilà sa lumière déchiquetée : souffrir. 

Toute la vie je m'étais préparé à aimer, comme tous les maigres j’y cherchais mon appétit, ma force, ma colère. Je savais la nuit, l'ombre, les pleurs et toutes ces choses sensibles. J'ai lu les plaintes des poètes...mais je ne savais pas encore être poète.

Et puis que peut-on face à son goût du miracle, quand on joue depuis toujours à basculer son siège en arrière à la recherche du point prodigieux du vertige -malgré l'inquiète colère de la mère. Là où le coeur retient son souffle, où le ventre brûle de peur. Toute ma vie j'ai cherché ce moment de tension, cet instant de danger et de déraison.

Alors je me suis préparé à aimer (ou prier, ce qui pour les faillibles du coeur n'est que la conséquence la plus naturelle) avec ce soin de l'actrice dans la loge quand elle sent à ses mains faibles et son corps lâche que c'est pour la dernière -déjà- fois qu'elle joue. Pour ce dernier acte -de sa vie et de sa gloire mais sa gloire et sa vie se sont mêlés comme le monde et la scène confondus en l'espace qu'elle occupe (toujours scène, et toujours monde)-, elle rallume ses gestes et trouve dans sa volonté une nouvelle jeunesse -précaire, brûlante. La voilà qui se lance dans le feu, elle n’est plus que brûlure. Cernée de cendres, portant son propre deuil.

 

Je ne peux pas faire plus simple, j'ai trouvé toujours le banal et l'ordinaire vulgaires Ma vie je l'ai embarquée dans ce grotesque de l’extrémité, dans cette soute pleine à ras-bords de désastres dans tous les orients à toutes mes décisions j'ai donné le fracas d'une catastrophe même au banal d'avoir froid l'hiver je devais mettre un plein ciel de safran, un tremblement d'obsèques. Alors à aimer, à cette confluence de toutes les canicules comment peindre ses ongles d'une autre couleur que celle de démence ? Quel sacrilège serait-ce alors de dire « je-t-aime » seulement comme on déposerait son cœur dans le bocal de la grammaire. Dans l'ordre bien mis de la syntaxe honnête, ce dispositif des processions funèbres, cette détresse de défilé.

 

Je me suis souvent imaginé acteur de théâtre avec cette vie entière pour scène et entendant dans tous les bruits ordinaires une rumeur de public. Dans les grands éclats de voix des trains à suicidés le bavardage des critiques. Si seulement au dernier jour, parlant de ma vie, on pouvait graver à mon front épitaphe « Quelle mauvaise pièce, mais quel acteur ! »... Partout où il y avait du dramatique je me suis essayé, toutes les voix dans ma bouche je les ai portées et pour ce faire tant de lèvres goûtées. Des sucrées comme si elles avaient dix ans, des amères comme de l'aubépine en fleur, des austères aussi qui jamais n'avaient pu dire « je t'aime » sinon à la messe . J'ai goûté des bouches mutines et des marines si belles que je les appelais coquillages dérisoires. Tant j'ai vécu, tant ma vie a suivi sa route à sa déroute. A faire quoi d'autre que ce grand chant longtemps, toutes ces matières sonores à inventer dans ce grand rire content que mon cœur battant. Toujours dire « vivant » à chaque pas, à chaque fois que la démesure devait remplir mes paumes de frémir et ma gorge de cédilles. J'ai gardé les mains ouvertes pour accueillir tous les visages, tous les yeux de cruautés. Tous ces orphelins de la beauté, par mes phalanges désunies leur faire demeure. J'ai bu un vent si pur...un alcool merveilleux d’air. Vivre, vivre, vivre toujours et partout, j'ai suivi mon destin compliqué jusqu'à son terme, je me suis élevé bien haut et j'ai retenu la leçon, le ciel est rigide comme une paume sévère; aimer est l’extrémité d'un balbutiement. Si jusqu'à ce pleur longtemps contracté dans ma paupière et qui l'attendrit, j'ai donné un masque de tragédie c'est de ne connaître de suprême raffinement que dans le souffrir, de croire même souffrir le plus bel honneur aux belles, la plus belle fleur de son jardin intime, celle dont les racines plongent jusqu'en enfer. Tiens, colchiques de braises, chardons décapités, renoncule de lave...

 

Ne bornez rien ! Suffisent vos camisoles à l'infini, assez d'entraver. Libérez tout.

 

Il n’y a de jeunesse qu’à ce désespoir...cette extrémité de la sensation, hors du spectre de raison, pris à la palette des déments, ce bleu, ce bleu-roi, bleu de Klein, d’éclat, de fou. En mettre partout sur sa vie, tout peindre fût-ce sa cage. Je refuse d’être épargné par ma jeunesse, d’en éviter là par un bond habile -une prudence en vérité, une grâce de vieillard- la tempête. Je garde les cheveux longs pour les grandes expirations du vent, il faut être bien décoiffé pour être jeune. Toujours j’ai croisé quelques uns  «le feu au coeur», le pouvoir incorruptible de la jeunesse, la frontière jamais franchie. Pays, désert, ce que tu veux, mais infini. Ceux-là -témoins de cette nuit plus noire que la musique-  se raréfient, armée décimée par la mort, le mariage ou l’ambition. Les autres...comme je les trouve risibles. Ils jouent depuis le lycée l’âge adulte, raidissent leurs visages juvéniles, aggravent leurs doigts, mettent à leur gestes un tas de gravité comme on imaginerait les mains rauques d’un muet sérieux. Jeunesse...grand pays, grande mer, où brûle un soleil insubmersible. Oui soleil serpent affamé.

Vieillir c'est de l'orgueil et ça en a perdu ça dans son marécage des générations de poètes pour les faire minuscules, infirmes, et quand on coupe le costume d’adulte on arrange aussi l'homme, on lui raccourcit l'âme, on ne sait pas faire de col à idéaux, ni ce qu'il faut pour le sexe. Alors on tranche. On circoncit. Vieillir cette affreuse mutilation.

Montrez-les moi ces imbéciles modernes jurant  « ah c’est fini les rites initiatiques, les techniques du corps» et pourtant voilà la jeunesse, pour devenir adulte, mutilée, entaillée, blessée, ridée. Comme amour et adieu se confondent désormais je ne trouve pas le point de contact, l’endroit où les coutures se voient, pour lier «Diane» et ma jeunesse. Dire l’une c’est entraîner l’autre, me perpétuer dans la seconde c’est refuser sa disparition à la seconde. Je vis comme j’ai aimé. Pas un amour général, distribué à telle Marion, à telle Sandrine. Je vis comme j’ai aimé Diane. Comme «aimer» a trouvé son sens le plus pur, le plus touchant.

 

 C'est la moindre des choses d'étendre ce grand sentiment à ma vie, de plonger dans ce geste à l’infini, de me répéter par lui, d’y boire tout de l’existence : l’espoir, la peur, le cri. D’apprendre et réapprendre tous ses signes, y briser tous ses objets. Toujours le drame mais jamais la gravité, la gravité c'est âgé, ça se racle la gorge, ça sent le parfum très cher et prétentieux, insuffisant pourtant à sentir la seule marque valable « La Vie ». J’entends ce mot et je le sens se débattre comme une chose vivante, gorgée de sang, fruit inquiétant. La Vie.

J'aime, j'ai aimé, j'ai été brisé. Ce sentiment à quoi d'autre peut-il servir que vous donner le vermeil de la douleur ? Je suis fait pour souffrir Mon visage a déjà pris ses marques dans la douleur. J'ai cherché la poésie, et voilà mon coeur en miettes. M’achever. De toutes les façons possibles. Pour me compléter, me finir. Celle si loin de moi qu'aucun de mes gestes accomplis même dans le mensonge -qui n'est qu'un instrument d'optique de plus à l'usage du poète- ne peut atteindre vraiment. La douleur comme le désespoir nous élèvent, ils sont des professeurs d'esthétiques et leurs leçons se déroulent dans nos nerfs. Faculté sensible...La vie a entendu ma supplique, elle a pris en pitié mon gémissement, mon désir d'horreur. La vie a mis Diane sur ce chemin où je défaillis. Elle était là, avec ses cheveux prétentieux, ses doigts minuscules et sa voix trop aigüe, là, avec ses yeux surtout qui à l'instant que je les vis, eurent cet éclat de ma défaite. Un instant, pas assez pour y prendre garde, la lumière m’a gêné Je voulais être perdu, mais pas de n'importe quelle façon. Je ne suis pas seulement une victime, je suis un martyr. Si d’abord je n’ai rien compris de ce qui se passait en moi, malgré moi, en dehors de ma conscience et qui pourtant s’insinuait par tout mon vide, par tout mon manque, par tout ce que j’avais d’absent et d’ensommeillé. Partout infiltrée en moi ; présente en moi ; libre en moi. Je n’ai jamais su faire une prison à ta mesure. Je ne mets pas mes doigts dans son matériau premier : la morale. J’aurais trop peur d’en ressortir les mains sales, abimées, les mains croyantes. Si moi le manipulateur, moi le rieur, moi le cynique je me suis laissé prendre si facilement à ce piège naïf, si j’ignorais ses doigts de mort, si j’ignorais pouvoir me réveiller un matin la cible de ce jeu tout ça tient à une certaine forme d’horreur et de catastrohphe. Je veux dire par là de médiocrité : Margot. Si Margot affreuse n’avait pas ainsi saccagé mon être en même temps que je rencontrais Diane, la poésie compterait un poète de moi et la mort, et bien, un suicidé de plus. 

 

Je ne peux pas parler longtemps de Margot sans me boucher le nez, serrer les poings -tout comme je ne puis demeurer dans la pièce où l’on prononce le prénom de Diane sans défaillir. On peut écrire, même ainsi, même les doigts noués dans la colère.

Margot

Dix-sept ans

Cruelle comme l’innocence

A t’épuiser en moi en cris mignons

A t’abimer en mensonges ; souffrances archaïques

Nuit partout quand tu es là, tu baisses la lumière de toutes les choses

Du ciel, du matin, du baiser.

Jolie, jolie fleur sans parfum, sans magie, sans danger

Fleur des bouquets en plastique offertes aux mariées affreuses

Fruit sec, fruit peureux, tremble contre les dents.

Margot angoisse, jamais jolie, mes yeux n’étaient pas encore prêts à tout.

Margot, Mara Sans saveur. Epaules vulgaires. Margot aux yeux sombres, veinés de rien, nulle dans la folie, nulle dans la démence. Margot aux yeux sombres capable seulement de molles passions. Je n‘ai jamais eu les yeux tout à fait prêt à la médiocrité.

 

Regards de nuits fatiguées -surtout pas tragiques ou tragiques il y a longtemps avant ma septième naissance dans les rêves d’une mère qui ne sera pas la mienne, nuits déchiffrées puis défrichées -ou l’inverse. Sans mystère. Nuit d’une seule ligne ; point du jour. Margot. Regard de vierge mais pas regard de biche, pas regard d’asile, pas regard d’au-delà le bégaiement.

 

Margot, occupait toute ma force. Comme une tâche quotidienne vous expulse de la vie, un travail répétitif, d’ouvrier, gratifié pareil. Incapable -lâche comme tous les garçons- de m’en défaire, et puis comment se détacher de ce sexe gluant, purulent de désir. Margot...je ne pouvais pas la laisser sans une lutte, sans qu’un muscle ne battit «Le coeur ?» «Les paupières». Margot était l’enjeu d’une lutte avec qui deviendra mon ami, et entre nous toujours subsisteront des femmes. Nous jouions sans choisir qui Aragon, qui DRIEU et à la fin qui le mort ? Nous avons fait de cette fausse rivalité la condition de notre amitié. Je ne suis pas tant efféminé que je le prétends, par virilité je suis demeuré prisonnier d’un pari. On se tient là, et la vie passe, et Diane marche derrière moi, déjà son ombre humide me monte aux mollets et bientôt me noiera. Je ne sens rien. Quand la tempête surviendra, quand l’algue sera attachée à mes chevilles, toute ma force déjà aura été gaspillée dans cet amour ridicule pour Margot, dans cette lutte virile.

Ruses imparables de l’amour, le ciel tenait vraiment à faire de moi un poète.

 

J’étais prêt à l’amour ? Je l’attendais. Je traquais ma catastrophe avec mes sens nocturnes. Pas à Diane. Pas à cette voie insupportable. Pas à cet instant de ma faiblesse, pas à ce coeur vanné, nuits blanches, cris, secousses, nuits presque pour toujours parce que c’était l’hiver, quand le ciel a dix-sept heures déjà se trompe de cauchemars.. C’était l’hiver. novembre, quand il fait si triste. J’étais prêt à l’amour, pas à ces pièges d’acier et de bleu. Margot terrassée - et si mal encore- Diane aimée. Sans défense. Violé, encore une fois, violé. 

 

Le rire de Marguerite empli les pages et le lecteur ne se doute de rien, si ce n’est un frisson à l’instant d’avoir lu le mot «violé». 

 

Deux ans de drame, de courses, deux ans à haleter et haletant encore prononçant ton prénom. Comme un coeur bat. Comme un coeur souffre, se rappelle à toi par tous les bouts, tous les débris. Le monde -toute la beauté du monde- est un vestige de toi. 

 

D'accord je veux bien ma défaite en entier, je veux bien son vacarme, mon talon brisé, je veux bien mes paupières condamnées, mais pas n'importe comment. Qu'on me prive de voir seulement après m'avoir trop ébloui. La lumière est la seule que je laisserai me brûler les yeux. La beauté à elle je me soumets sans résistance, je lui offre mes poignets maigres, mes yeux insolents, tout ce qu'au reste du monde je ne sais présenter qu'avec effronterie.

 

Alors à cette humiliante confession, à cette rudimentaire génuflexion d'aimer -mon abîme ; mon suicide- j'ajoute l'explosion sinistre. A cette dissolution de moi j'adjoins l'attentat. Suicidé, certes, mais pas de n'importe quelle espèce. J'ai appris ma leçon de courage et d’extrémisme. Allah, l'amour...traduction approximative depuis mon arabe élémentaire.

 

« Je t'aime, mais adieu. Je me tue là en te le disant, mais je ne te laisse pas indemne ». Ce n'est pas grand chose pourrait on croire et j'entends déjà ceux qui ricanent, naïfs et méchants, « mais c'est toi qui l'aime, c'est quoi ton attentat qui ne touche qu'à toi». C'est qu'adieu ça ne se dit pas d'une voix paresseuse et digeste, à cet adieu j'ai mis tout le raffut rituel de la crucifixion toute l'accumulation splendide de ma rage. « Adieu, oui, parce que tu n'es à hauteur d'amour que dans mes pensées, il te faut cette estrade de ma poésie, cette paume de mon fantasme pour arriver à ma bouche, à mon aveu. Dans ta vérité, dans la lumière pertinente du soleil, pf, tu n'existes que de la façon méprisable qu'on a pour les autres. Sans moi tu es charnelle, je te confère l’éternité, l’infini dont tu te fiches» .

 

Je me répète :

 

J'ai aimé Diane pour l'inatteignable de sa jupe, pour son œil tremblant. J'ai aimé Diane le jour qu'elle m'a écrit « tu me bouleverses » et que sans faire exprès je l'avais émue. J'avais dit ce mot qu'elle n'avait plus lu depuis tellement longtemps, qu'elle ne connaissait qu'avec son air historique et fossile attaché aux frontons des édifices publics : « liberté ». Liberté dont on ne pouvait croire qu’il s’animerait un jour, s’arracherait comme un dragon de fable pour hanter le ciel.

 

Diane ma merveilleuse aventure, mon édifice impossible. Tout son visage reflue à ma bouche de noyé...

Son regard ; l’oeil obéissant, conforme à la coiffure, aux talons, au maquillage, l’oeil bien élevé, fixe sur le destin -cette chose atroce et obligatoire- cet oeil insensible à la poésie et à l’amour ; l’oeil révolté, remuant comme un coeur. Sauvage, fâché avec la morale et penche comme une fleur de désert vers moi. Cet oeil au charme des dents mal arrangées. Cet œil sans quoi je n'aurais pu l'aimer et cet oeil ; j’ai toujours aimé pour les mauvaises raisons. Il était couleur d'aurore émue, l'air toujours agacé contre la direction de son destin auquel rien ne pourrait le soustraire. Qu'est ce ça peut un œil tout seul? Le sien, éblouir, et c'est déjà bien davantage que la plupart des êtres. 

 

II

 

Et, sortant, enfin de cet immeuble libre de ma lettre mais non de mes pensées et non plus de mon amour, j’espère la croiser. Etre surpris, moi, tout haletant de mon geste, de mon sang, tout éclatant de cet air de crépuscule minaudant, forcément, jusque mon teint -il est impossible que sinon l’encre, au moins la douleur ne fasse passer sur soi un peu de l’infini. 

 

Viens faire ce que tu as toujours fait, viens me surprendre s’il te plaît, arrache de ma figure ce sourire victorieux, et puis victorieux de quoi ? D’avoir écrit, d’avoir pu aller jusque’à ce prolégomènes du courage ? Ridicule. Je suis hors de chez toi, tu n’es pas avertie où que tu te trouves par tes miroirs, tes amoureux chéris, eux qui toute la journée te félicitent et te flattent ? Tes miroirs complices de ta gloire à toi ; de mon désastre à moi. Tu ne sens pas mon odeur de propre, odeur quand je suis libéré de toi ? Donne à cette fin, ton front de statue, écrase dans ton rire cet avorton formidable -mon geste déplié jusque’à ce terme, cette fin ; ma fin- dont je suis si fier. Viens surprendre les caractères nerveux, insoupçonnables gravés dans mes yeux. Encore je te parle. Libre ? De quoi donc ? Appauvri au mieux de quelques feuilles de brouillon, d’un peu d’encre et d’un bouquin. Si tu venais maintenant et me voyais prisonnier de mon visage préparé pour toi...tu rirais, et tes yeux heureux -toujours heureux sans que jamais même je ne t’embrasse- me démaquilleraient de ce mensonge. Tu as toujours rendu sa vérité à mon existence, tu me détrempes, me détournes de tous les artifices. Grande eau trop pure. mer invasive, humide à nos cuisses avant même d’y avoir trempé les pieds, surprenante, oui, je l’ai déjà dit. Une mer qui vous prend et vous mouille, non pour flétrir mais pour purifier. Tu n’es pas là, et je ne peux pas attendre, ce ne fait pas partie de la pièce -je le sais je l’ai écrite- ni du rôle -je le sais, je l’ai choisi, je ne peux pas...mais si tu me touchais juste là, juste sur mon pouls -partout- moi encore fragile de ma splendeur en toc, je prendrai une couleur d’écume, une couleur de rêves d’enfants. 

 

Absente. Depuis le début, le premier jour, absente.

 

Bien entendu elle n’est pas là. Il est l’été, il fait un grand soleil, elle a le front quelque part humide  -pas de sueur- de son futur, le métro lui fait quelque chose, les autres corps. Je ne pouvais pas attendre très longtemps, à supplier sur ce trottoir du quinzième arrondissement pour mon asphyxie, à chercher une gamme de douleur.

« Torture moi. Étouffe moi ».

De l’autre côté du seuil. Personne. Le vent. La folie. Un faux espoir.

 

J’ouvre la porte de chez toi, celle qui donne vers le vide, vers le dehors, vers ton absence. Les paupières closes, pour jouer à avoir peur, comme l’hiver où l’on se fait avoir froid avant de trouver le sommeil. Je voulais tant ton témoignage à ce spectacle de l’adieu, à ce moment baroque -c’est à dire ridicule- sur lequel je ne peux pas revenir. Frémir encore de ton existence concrète, palpable, et parce que tout ça, parce qu’existence réelle, entière, alors toi douloureuse. Tu existes, c’est tout mon bonheur. Tu n’es pas là, toute ma douleur. Et moi je vais mourir, tu l’ignores, mais je ne peux pas vieillir, il y a un terme à mon existence, le ciel ne me laissera pas aller plus loin. Je le sais, tant d’angoisses font ma vie, je suis malade, malade de la tête, pas du corps. Bipolaire. Fou. Ca veut dire fou.

 

 

Je veux qu'elle soit là, à ce dernier moment de l'adieu, que ses yeux se posent sur moi, que sa bouche m'effleure/m'effrite, je veux ce dernier frisson de son existence. On croit avoir tué par ce mot répugnant qu'adieu et le corps indifférent à la blessure continue son spectacle ! Adieu cette dague ridicule des littérateurs et leurs crimes minables. Ce moignon d'agir qu'il y a dans l'écriture. Je ne peux pas effacer ce goût amer, ce goût de feu glacial et pourtant son existence véritable, son existence en dehors de celle que je lui ai prêtée, son cœur mis dans sa vraie draperie de sens, se perpétue. Et que son existence ne puisse être annulée par mon écriture, que cet amour qui a hanté mes nuits ne puisse, lorsqu'il arrive au dernier spasme de sa maladie, l'affecter elle est une injure, injure polie, injure mesurée, faite à tous les poètes rejetés. Comme à chaque fois que son bon sens vénéneux réduisait mes effusions à son périmètre ridicule, qu'elle exorcisait de mon chant toute l'arabesque pour en ramasser comme un débris, comme un limon ou une racine, le sens seul, le fond seulement. «Tu ergotes» dirait-elle, me lisant. 

 

Le vertige de la croiser combien il m'excite, oui, cet indispensable vertige... mais toute sa violence il la tient de l'imprévisible torsion de ses vertèbres, sa force c'est la surprise. On ne doit jamais se préparer à son supplice. S'y préparer c'est le diminuer. A demeurer là, immobile, attentif, à le provoquer vulgairement par ma patience j'en gâcherai toute la saveur, j'en frelaterai l’ivresse. Je veux préserver ce sortilège en ne déchiffrant rien de son antiquité, de sa mystique. C'est une obsession bien étrangère à moi-même que de tout vouloir traduire et si on avait pu rendre la musique banale comme un abécédaire sûrement l'aurait on fait. Avant toute cette mathématique ennuyeuse je veux ressentir, être envahi. Comprendre...la vie n'est pas une leçon de philosophie. C'est en voulant expliquer Dieu qu'on l'a tué. Alors je pars sans regarder derrière, sans surveiller autour de moi -dans l'horaire, dans les bars- les indices de sa présence. Je vais à cet endroit gigantesque et désert où elle n'a jamais mis les mains et que je ne peux pas quitter : moi-même.

 

Que fait-elle de son pas ? Pourquoi ne la mène t-il pas là où je l'espère ? Je me suis toujours cru la grande contrée, l'inévitable Amérique tout ce qu'on finit toujours par atteindre. La preuve elle avait été là, à un geste de ma vie et ce geste amer, allemand... Je désire sa présence, je suis affamé de vertige. Je presse l'impatience pour en goûter le jus. Alors comment un fantasme si solide, une idée si furieusement dessinée ne peut réaliser un corps tangible ? Il faut que les pensées restent dans leurs cloisons d'imaginaires... et qui enfin trouvera la clef pour les libérer, pour déverser tout son penchant, tout son vacarme intérieur dans le pays des formes ennuyeuses ? Animez vos pulsions. Faites tomber en cascade vos fureurs. Donnez leur des yeux, des mains, vos gestes si vous ne trouvez rien pour les arranger aussi bien que vous même. Greffez votre délire à ce réel infâme. 

 

Je suis nerveux. Mes pas sont lents. Tous les parfums l'esquissent. Je reconnais là un octave de sa voix, là une déclinaison de son soupir, je reconnais une mèche de ses cheveux dans le soleil marié dans mes yeux. Je marche pour oublier, et plus je marche plus je m'éloigne du danger. Et de la vie ? Et de la vie

 

 Qu'est ce que je fais ? Qu'est ce que je fais ? 

Qu’est ce que tu fous ?

 

Mes gestes, mon impatience, ma frénésie et cette façon de dire « je t'aime » presque pour se venger. Voilà, à quoi l'a réduite mon geste, un objet brisé, un souvenir J'aimerais que tout le monde comprenne, tous ces gens là dont je sens l'haleine de spectateurs et les yeux sales, tous ceux-là que je reconnais et qui n'ont pu empêcher le rire de borner leurs lèvres. Je veux la croiser pour un vertige de pleutre c'est vrai, pour un précipice en trompe-l’œil mais je n'espère rien d'autre que la croiser, si la folie devait lui percer les tympans, si la démence devait lui animer la bouche et  que, rompue de délire, trompée par un cœur devenu malade, elle s'écriait « je t'aime » moi du même pas je la fuirai, ma main gesticulerait du même au-revoir qu'aujourd'hui et peut-être même moins victorieusement exécuté. Je l’aime, oui, mais pas davantage, le couple, les histoires d’amour, c’est autre chose. 

 

J'ai mis mon corps hors de son pouvoir - pour survivre et je ne peux l’aimer que vivant -là où le sentiment avait déjà abdiqué en sa faveur, mille fois il l'a couronné, couvert de son hermine, de son sang mais à ce concile d'abandon où mes organes inconscients ont voté ma soumission je n’ai pas engagé ma volonté. Je n’ai pas dit «Très bien j’abandonne, fais de moi ce que tu veux même si ce n’est rien, exerce sur moi ton pouvoir même par le néant, même par le blanc, par l’absence».

 

Bien entendu il y a une lâcheté infinie à ce déni. Je refuserai que la vie la jette avec mépris contre moi et pourquoi faire ? La voir déformée par son exactitude, réformée par la laideur précise de son théorème de voix, de cheveux, de centimètres et de poids. Cherchant une mesure arrondie au centième ne vous jetez pas sous mes mains, elles sont pleines de sensations inexactes, mobiles, fausses même. Vos précisions malades et forcenées allez les traquer dans votre codex, vos casernes, tout votre état civil du réel. Ah, vous en avez fait de générations en générations des petits génocides marrants, des papillons à crucifier et pourquoi? Il fallait absolument mettre de l'ordre dans le réel, vous ne pouviez pas être bouleversé sans donner un nom, une explication, une loi à cette émotion. vos théorèmes me dégoutent ; mon coeur est un triangle rectangle rebelle ; angle coupant. Il fallait que ce soit profitable, rangé comme une chambre d'enfant docile. Que tout soit à sa place et même la peur ! Dans vos cinémas, vos légendes minuscules. Partout où il y avait de la nuit vous allumiez des torches effrayantes, vous avez fait la lumière de vos ampoules très petite pour oublier qu'autour de vous c'est l'abîme, l'abîme, l'abîme rauque et incorruptible. Je me souviens de terreurs nocturnes formidables, de cauchemars qu'aucun éclairage public n'aurait pu diluer. Quand nous sortions la nuit nous promener en forêt sans autres lueurs que nos pupilles dilatées, sans autre vigueur que notre effroi. Chaque bruit, chaque pas, chaque mouvement était l'impensable ! Laissez la nuit tranquille. Arrêtez de la vouloir apprivoiser, l'incroyable laissez le tout seul, il ne sera jamais au calme, jamais en paix, c'est un tumulte incessant, un grand ouragan de violence et d'éternité. Diane, sa splendeur elle la tient de l'imprévisible de son mirage, de tout ce que sa réalité se confond avec l'illusion par moi inventé.

 

Mon fantasme d'elle je lui ai donné un nom comme un fou furieux qui ne craint pas d'avouer que oui, celle qu'il aime n'est pas celle qui existe avec l'argile prévisible et impérieux du réel. « D. »/Diane Comme j'oubliais toujours avant la voir tout ce qui les faisait distinctes. Je l'oubliais dans le chemin qui me menait à nos salles de cours communes, à nos fêtes, à nos joies. Une vérité parfois ça s'égare comme un rire, une pièce de cuivre, un rivet qui tient le monde à la raison. C'est tant insuffisant les bornes d'un corps de nerf et de chair, des digues prosaïques. Pf. Le déluge n'y monte pas. Il faut des toits de certitudes, de la chaux ennuyeuse, des fenêtres de fatigue...

 

Elles se ressemblaient comme un reflet au miroir, comme un reflet au miroir à qui toujours manquera la voix, le parfum, la coiffure. Comme un reflet ça n'est qu'une monnaie rendue, un appoint de son visage. C'est fou comme aussi peu on peut être être l'exacte réplique de sa photographie. Il existe de chacun une infinité de visages, celui qu'on prépare à sa lumière de salle de bain, celui qui nous fait honte sous l'éclairage d'ascenseur, mais un seul véritable dont l’étrange pouvoir se libère dans l’étreinte.

 

Je l'ai taillée -devrais-je dire « elles » ? je ne veux pas- avec des instruments de fièvre, avec des compas d'hystérie, les équerres de la folie, j'ai fait ses yeux avec des larmes gelées, à elle j'ai répandu le parfum sauvage d'une première fois et j'ai cru trouver dans cette chimie son visage : l'eau forte de la folie. Mais ce n'était pas Diane, elles étaient assemblées de solides différents, de fluides impossibles, d'un métal conjuré. A celle-là tous les précieux du monde, toutes les matières d’invraisemblable pour lui faire bouche, pensées, voix. Des dents de diamant pour déchirer les choses de l'irréel, pour mordre dans l'infini et y laisser l'incroyable. Des mensurations de sonnet, des veines de déchirures où dix mille désespérés traînent dans leurs terreurs son cœur et son sang. 

Je dis : « Si je ferme les yeux qui vois-je ? Mon spectre inventé, ma statue de blessures et de cire, je vois ton visage à toi crêpé de noir, ton visage des jours de tragédie, ton visage qu'aucun miroir n'a pris à son piège de cristal poli, qu'aucune réalité n'a eu le courage de révéler. » Parfois, dans elle, j'ai cru surprendre ce linge de D., cette ligne de poésie ridicule. Ce n'était que coïncidence, espoir mal toussé. Des mots aux paupières closes. Tragédie, tragédie, à tous les théâtres il faut ces rideaux de chair

 

Je suis obsédé par les miroirs. Ces ombres colorés.

 

« Tu y avais, dans cette initiale à laquelle je te forçais -et qu'est ce que ce fut d'autre que toujours te déchirer sans un gémir, sans une douleur cet écrire depuis toi que tu regardais avec tes yeux d'effroi- tous les incarnats possibles. Tu avais des souliers d'ombre, tu paraissais à moi dans la démarche époustouflante d'une odeur, dans le bruissement des forêts ensanglantées, tes deux yeux je leur avais donné la beauté d'un vol, la gravité d'une chouette, je les incrustais à l'envers du papier à musique. Je te donnais un air de désordre et de foudre que tu n'as jamais eu qu'un jour en voyant ton reflet refuser tes gestes tant tu avais bue. Il était très tard et j'étais moi-même très tard. Francfort s'étirait et sans trop que je comprenne comment, tu t'es échappée d'un pas vaste -je me disais « quelle chose étrange que la Russie toute entière puisse tenir dans une foulée »- du groupe et je ne comprenais pas bien, tu es partie vite, comme on court vers la peur, comme on poursuit une idée, comme on fuit un e habitude -et peut-être était-ce ce que tu faisais- et je t'ai suivie dans ce pays d'étrange, ce pays qu'un banc formait. Il faisait froid mais le froid nous évitait. J'étais fâché de ce que tu parlais à « tes copines » de ce que j'écrivais, j'imaginais ta voix, les mots que tu disais, les rires que vous y mettiez. J'étais fâché, comme si de tout il fallait se défendre, que toujours dans écrire rimer ne récoltait que moqueries et parfums de rance Mendicité d'écrire. Et puis. Puis ce soir là « Bonne nuit Diane ; adieu D. » que je t'envoyais, comme on ferme la serrure d'un possible, comme on se bannit soit d’un ciel. Voilà la réalité, seulement la réalité, quelle tristesse. jardin public, comme on finit d'escalader un grillage improbable.

 

 

Je réfute sa voix en chantant très haut, parce que oui, si je crie forcément je chante. C'est ainsi qu'elle disparaît, je vais me souvenir de plus en plus mal de son ombre. Chaque pas que je fais trop bruyant recouvre et efface son corps, sa vie. Transparente, transparente, c'est de plus en plus transparente que je l'imagine derrière ma course. Mais, la semant en une multitude de pas qui va d'elle à moi même je peux, petit-poucet, remonter ces traces pour la retrouver et par là faire de ma fuite aussi aussi un chemin.

 

Ma vie va continuer, évidemment. Sans toi. Différente. Pas moins bien, pas meilleure. Seulement autre. Je ne sais plus qui écrivait « aimer c'est mourir deux fois » je crois que c'est aussi s'offrir le bonheur de ressusciter. N'est-ce pas la leçon de Christ ? Il a aimé et il en est mort et il en est revenu, pour aimer encore. 

 

Je sors.

 

Je t'invoque. Toutes les minutes je te parle. Tu me réponds. Tu n'as pas ta voix, tu parles comme si tu étais malade, mais c'est bien toi je reconnais tes yeux de perfection inhumaine.

 

 

Oublier :

 

Cette nuit je vais voir ma Emma rue notre-dame des victoires, défaire ses cheveux tristes, réunir son parfum et m'émouvoir quand par un accident des sens elle te ressemblera. Je l'ai choisie différente. Grande et les yeux sombres. Je l'appelle toujours ma nuit et le temps qu'on dure ensemble fait naître à mon visage des cernes pareilles à la mélancolie. Que la vie est belle quand tu es dans ma poitrine, je dégage une lumière impressionnante. Evidemment, je ne reste jamais longtemps dans les draps trop légers de femmes aimables mais que moi je n'aime pas. Elle me retranche si mal de la nuit, j'entends sa plainte qui me réclame, j'entends sa dentelle noire qui m'appelle. Ces bras là ne savent pas me garder bien longtemps, ils me mènent si mal au jour, j'y arrive tellement gris que le matin pourrait me fondre dans sa brume, me confondre avec Paris et m'emmener dans toutes les ruelles qui ont bien pris son noir éteint. ,

 

Tu me manques. Evidemment.

 

-J’ai une idée 

 

 

 

 

 

E. ne comprend pas et m'interroge. Mais qui pourrait comprendre ? E. ne comprend pas tous ce faux-incroyable, ce précieux imbécile et illusoire dont je m'efforce d'arranger ma vie. E. ne comprend pas que nous ne nous mêlâmes, que jamais je ne m'essayai à un de ces gestes comestibles par la réalité « Un mot, juste un mot, une phrase avec ta bouche, pourquoi pas ? ». E. comprend d'autant moins qu'un instant où nos corps pouvaient se compromettre, où tous nos gestes pouvaient se recouvrir, où nous aurions pu devenir interminables l'un par l'autre, je me suis échappé comme le soleil courbaturé de minuit. E. Ne peut pas comprendre «ta peur ?»  E. ne peut comprendre que la réalité est un passage trop étroit pour que j'accepte de l'emprunter. L'embrasser, l'abîmer, vulgairement la faire mienne -et je reste convaincu que ce n’aurait pas té possible, elle n’aurait pas voulu, jamais- c'était aussi nous rendre exacts et ordinaires, la précipiter au bas du vertige, à l'intérieur de l'étuve du réel où l'on s’assèche. Je refuse de perdre ce pouvoir de métamorphose qu'on a au rêve... Devenir définitif, habité par une vérité stricte et inflexible...je ne cherche pas à être si minuscule, à devenir un détail. Je suis trop lâche pour ne pas fuir un destin d'ordinaire ! Qui peut comprendre ? Que rien n'est pire que rendre son fantasme réel malgré soi, c'est à dire lui trouver une réalité hors de soi, hors de sa propre imagination. Surtout c'est risquer découvrir dans ses traits les minuscules détails-affronts ignorés -non, je ne l’aime que parfaite, je n’apprendrais pas à aimer ses défauts, je n’apprendrai pas à aimer ses ongles en deuil, ses ronflements, ses lectures médiocres- obsédé par le seul inaccessible des lèvres. La saisir, la sentir, établir la comptabilité de son parfum, mettre sa sueur au débit, sa colère au crédit, pouvoir démembrer son sommeil et en faire des tranches rassises à vous dégoûter du matin, comprendre que son visage certaines mauvaises nuits se froisse et se délabre, tout ça me révulse. L'extase qu'on limite, qu'on tempère et qu'on règle avec ce thermostat précis, pouah ! J'ai le goût de l'absolu et de l'interminable et si d'interminable on ne trouve que des abîmes c'est avec joie que je m'y jette, c'est une mode bien récente de n'avoir appris à compter qu'en positif ; de zéro vers le ciel. Je veux des vertiges qui ne finissent d'être vertiges que dévorés par eux-même, assez de ceux qui lentement s'épuisent dans un vieillir banal et linéaire, que fatiguent des riens du tout entassés en une pile de rien du tout que par des jeux d'ombre on va dire « dramatiques » ! Vie administrative, fonctionnaires de leurs sens, longue file d’attente avant d’atteindre la sensation. L'aimer décharnée -je veux dire sans sa propre chair, uniquement en son idée- c'est l'aimer immortelle. Comme on a fait des Chimène, des Roxane, qu'on les a mises bien à l'étroit dans des vers et que toujours par nos mains, nos cris elles ont débordé je fais Diane de la matière de ces mots arrachés au diable. Oui Diane, pareilles à elles débordera, m'excèdera, me dépassera, me noiera. Oubliée, inconsommable dans l’adieu, perpétuité de son souvenir. Ma poésie l'embaume pour toujours, rien ne rétrécira l’aura bleue dont je la biseaute, cette éternité de...déportée. Quand même ce visage aimé n'aura plus rien à voir avec son visage officiel, quand les photographies auront même commencé à l'oublier moi je me souviendrai, moi je me souviendrai ! L’âme est immortelle, et son visage dans ma mémoire c’est son âme.

 

Je t'aime, et jamais je ne ferai perdre à ce mot sa saveur, jamais je ne fanerai ton teint pervenche, ton ciel d'orage, t'aimer c'est formidable. Je ne savais pas qu’on pouvait avoir aussi mal et je ne savais pas qu’on pouvait survivre à semblable douleur.

Les péniches jonchées sur tes yeux me surprendront toujours

Comme tes cils d'acqueduc le parloir de ton rire

Ces cages à ronger.

 

 

son corps et moi :

 

A Francfort nous nous étions retrouvés seuls et ivres au très tard de la nuit et c'était cet instant, cet instant où il aurait suffi que le vent autrement souffle, que dedans le déluge de nos mains un aveu s'entende, qu'on y comprenne des mots décisifs...Des mots. Je ne veux pas abuser le lecteur un peu crédule, celui qui imagine au courage une vertu décisive. Cette nuit-là, prononçant les mots décisifs, les mots de faiblesse, rien n’aurait changé. Ou tout, mais non pas dans le sens attendu par la littérature, pas dans une interminable étreinte. Je suis tragique. Définitivement moi-même. Sans composé.

Nous nous étions retrouvés à cette distance parfaite, celle d'un baiser infranchissable. J'ai hésité et fatalement la minute du prodige est passée. Fatalement. Nous ne nous sommes croisés que par accident, dans ce long et étroit corridor de la vie, dans un de ces minuscules tubes où l'on ne peut passer qu'en se frôlant. Ne pouvant tout à fait nous éviter nous nous sommes effleurés. Tout le vertige de ce geste gêné et pourtant à demi volontaire...

La minute est passée et parce qu'elle est passée, plutôt que la chasser comme une proie grotesque je l'ai regardée mourir. Je l'ai vu défaire ses cheveux de poursuite, je l'ai vu expirer son chant d'oiseau définitif. Je n'ai pas voulu lever le flou de son visage. Je l'ai gardée intacte moi qui ne veut que rien ne soit intact, qui n'a de goût que de déchirer comme -ironie- la diane du poème. Il ne peut exister de moments aussi caniculaires que l'instant du non-agir. Ma peau a ri, mes lèvres ont renoncé et le moment est passé. Une minute, une seconde, par une maladresse de la nuit, par une mauvaise réverbération de la lumière peut être nous sommes nous aimés. Ca a duré cette minute, et la saisir en souvenir, déjà la brise.

 

Ce n’est pas un regret, une honte au plus Diane a fini de dire son texte, elle a rejoint la grande fresque invraissemblable des corps et des émois, et cette fresque achevée je ne peux m'empêcher de la toucher souvent, d'y poser les mains, la bouche, de respirer sa matière palpitante. Vivante. Incertaine, incessante.

«Comme un coeur ?»

«Cette fois, oui, comme un couer»

 

Je ne m'explique pas et pourquoi faire ? Je vous emmerde.

 

Je me souviens en couleurs. Plus précisément : en gris et en saison. De grands moments de ma vie sont une déclinaison de tous les automnes possibles. Ma jeunesse je l'ai passée à éclaircir la tristesse du ciel, à tenter d'y faire émerger un soleil. Quel dommage qu'il faille vieillir pour enfin connaître le bleu du ciel. Voilà que finalement la lumière y geint mais mes yeux d'enfants, ceux qui auraient su d'instinct sans émouvoir, sont perdus. Quel ciel sera d'avoir aimé ? Une grande nuit, une grande nuit étoilée.

 

 

Certains soirs que tu avais bu beaucoup de vin et que tes lèvres prenaient la couleur bleue-nuit des algues, je croyais que tu revenais de ta noyade.

 

Je ne veux pas vieillir. Pas oublier. Pas durer. Vieillir c'est s'habituer à la mort, c'est la régression du vivant, lentement cesser d'être, pour se réduire soi à sa portion congrue. Devenir sa fonction utile. Résorber l'enthousiasme en une minuscule chose, vieillir et devenir fragment de soi-même. Je refuse de faire comme vous avez fait au verbe vivre avec vos rites -que vos dites des lois- de tortionnaires. Cette langue d'après vingt ans qui bouge du même bruit visqueux dans vos voix ce bruit, cette plainte: « ma jeunesse je l'ai bien bue, je la rebouche pour toujours et plus jamais que dans l'hystérie je n'y toucherai, celle qu'on franchit après nos cheveux à quarante ans dans l'adultère, le divorce, les hurlements de faux-dément. Cette jeunesse qu'on effraie à vingt ans comme une biche craintive avec les fusils factices de l'ordre, et le bruit de bottes de la milice». A cette bouteille je boirai toujours sans peur de renverser la liqueur qui vous paraît si précieuse qu'on y touche jamais plus qu'en photographies, qu'avec les précautions d'un vendeur de constellations. Parce que ça existe oui les vendeurs de constellations ! Les publicitaires, mange ta jeunesse, bois ta jeunesse, lave toi de ta jeunesse. De ma jeunesse je vous tacherai, je salirai vos trottoirs qui sont aussi vos corps. Au café de vivre je dirai « Garçon encore à boire. Encore à voir. TOUJOURS A VOIR. ». et sur son plateau d'éclairs il m'apportera tous les alcools de vos caves secrètes, tous : le vin rouge de votre honte, le blanc de votre effroi, le vin bleu quand il a séché dans votre oubli.

J’aime pour vous tous.

 

A chaque instant de me rassembler après avoir aimé une fille, je ne peux m'empêcher de penser à tes cheveux couleur de forêt à son corps gonflé de lumière irrespirable. Emma (blablabla).

Je croyais derrière moi l'avoir semé mais elle continue de me hanter.

 

Elle se compose de bouffées d'inexactitudes, je l'assemble malgré moi, avec son œil terrible, son œil d'orage et de tempête. Et plus j'écris sur elle plus je crois écrire sur la Claire de Chardonne, je ne parle d'elle que comme morte et pourtant elle continue de répandre son prodige inexact sur une bouche, à faire entendre sa voix aigüe dans des réunions ennuyeuses. Morte seulement pour moi. 

Elle me manque. Je m'en doutais. Elle me manque. Tout son corps bouge malgré elle en moi-même respire dans mes gestes. Certaines nuits d'angoisse, quand j'ai éteint les lumières pour annoncer au rêve que je suis disponible par ce signe morose et que le sommeil est en retard, mon cœur tremble doucement de sa présence et ressemble à une barque mal amarrée qui tangue et heurte sans cesse le ponton de ma vie. Je la sens y frémir, y incliner la nuque, c'est de son poids imperceptible et mouvant, de son poids solennel et tranquille que cette barque s'enfonce dans les flots. Je reconnais sa présence à ceci que mon coeur-esquif est mouillé jusqu'à son quart.

 

Une journée où je n'ai pensé à elle m'apparait une journée perdue à dire « je n'ai pas été sensible »

 

 

Les journées sont jonchées de toi, débris de ton parfum, mèche de ta voix et regret de tes yeux.

 

Jamais on ne devrait se dissocier de l'étymologie du miracle.

Miracle, certes, mais pas uniquement : miraculé. Survivre à soi même, au temps, à ses déceptions, retrouver dans des visages, des yeux son origine, le primitif de ses gestes et quand tous les corps insatisfaisants vous seront passés entre les mains alors fabriquez les à partir de vos larmes gelées, rendez leurs des pleurs purs comme l'eau d'un mirage.

Vivant et soudain -enfin ! ce n'est plus seulement un mot.

 

Je suis de cette race des égarés. J'ai besoin de me tromper beaucoup et souvent avant d'arriver à moi-même, je me trouve au détour de sentiers improbables, je dois buter dans les impasses, atteindre des précipices pour seul sortir de  mon propre dédale. J'existe après l'erreur, elle me complète, je me tiens à son bout. Je ne suis véritablement que pour m'être trompé. Si je me trompe c'est que je vais me trouver.

 

Qu'on me reproche enfin de mentir souvent me paraît une chose aussi grotesque qu'amusante, voilà mon maquillage à moi, mon travestissement des nuits hirsutes. Si toi tant tu aimes la vérité, allez, va lui faire des petits, des baisers parfaits, et tu verras tu te retrouveras tout seul avec elle, dans cet hospice glacé d'amoureux austères. Comprenez ! Mentir c'est rendre à la vie son fantastique, c'est ne pas accepter la brique triste de la vérité, ses édifices précis et sans formidable, mentir c'est faire revenir Dieu de sa tombe de matières prétentieuses : la philosophie et la science dures comme des matières inertes. Inutiles. Le soleil ? C'est une croyance, et si ça te plaît d'imaginer le ciel assez malade pour l'y peindre c'est ton affaire, moi je te dis recrache toute ta cosmogonie imbécile, désapprends tes théorèmes prétentieux. Le soleil c'est ma bouche que je suspends au ciel pour le décorer un instant d'un chant de muet. Mentir c'est mettre la poésie à chaque seconde dans sa vie, articuler le désastre, la démence, c'est ouvrir son ventre comme on force la porte d'un asile. Que tous les furieux de moi-même filtrent vers vous, vous touchent, vous empoisonnent, que leurs mains pareilles aux dents des enragés vous contaminent. Mentir c'est ne plus s'occuper de cette chose commode et imbécile que la vérité et mieux l'ignorer comme un amant débile Je ne veux m'occuper que du merveilleux et du miracle mes très chers rois martyrisés. Jamais on ne devrait faire de nos gestes comme des denrées périssables à peser sur des balances précises pour en être mieux économe. Ne garde rien, gaspille tout. Le prodige c'est ta fortune illimitée. Le ciel est une paume, la mer une pierre insensée. BRISE LES. Je voudrais vous rendre malades du beau, du vertige et j'avais ce plan élaboré dans la fabrique de mon imaginaire de déposer sur chaque portière, à chaque entrée trop sérieuse, à chaque visage grave comme un portique de banque, un peu de LSD pour autoriser le délire partout, dans toutes les vies qui ont barricadé leurs sens, qui ne croient que par des verbes désuets et austères comme des parchemins illisibles. J'ai toute ma force à gâcher sur ton corps, sur tes mains, sur tes yeux. Je peux tout salir avec mon cœur.

 

Parler de D. c'est m'émouvoir.

 

Je suis parfumé d'étés lointains. Ceux capables - dans certaines régions très au nord de mon coeur - d'abolir la nuit.

 

 

Souvent, la vie est longue. Obligatoire. Partout on me parle de vacances, l'été est là et me soulage. Partout, on me parle de départs, de grands là bas dépareillés. ET j'écoute, attentif. Mais je ne me laisse plus tromper. Je sais que partout on porte soi avec soi-même, on affaiblit sa névrose, sa peur, mais on ne la perd pas. S'il existait de véritables vacances ce seraient celles de soi-même, on peut bien entendu imaginer la drogue ce minuscule interstice vers le repos de soi, mais ce n'est pas le cas. La drogue n'est, au mieux, que l'immense jouissance de son exactitude, sa réinvention. Le problème de vivre c'est qu'il le faut tous les jours, inexorablement. Au travail l'on peut se porter pâle à la vie l'on ne peut que se porter mort, aucune dispense ne la satisfait, aucune fatigue ne nous en épargne et -hélas ?- je préfère exister douloureusement que ne pas exister du tout.

 

 

 

 

 

 

 

J'ai la couleur du gibier incapturable.

Je suis vivant et finalement je suis entier. 

Cette vérité soudain : je suis aussi fait de ciel.

 

 

 

 

 

Toi aussi au bout de toi même tu n'as plus la force de te recommencer 

On ne nous a rien appris 

On nous a regardés gacher.

 

 

Théâtre :

 

Qu'est ce que tu vas faire maintenant ?

 

Continuer, forcément, continuer. Autrement, moins bien, moins fort, mais continuer. Comme toi tu as du continuer quand elle est partie, quand tu as compris que toute cette douleur te marquait pour la vie mais que quand même il fallait se poursuivre soi. Que mourir c'était une façon trop vulgaire de dire au revoir, un geste trop définitif, pas assez épique. Le poète c'est celui qui refuse toute la fatalité et malgré nous on a toujours eu cette barbe des inadaptés lyriques...

 

On continue pas, on essaye, on ment, on truque, on joue aux cartes. On a compris c'est un casino miteux. On a bien appris toute la vie les bons gestes, on les reprend, on se découvre une grande qualité de tricheur ! Et puis c'est le même métier de toutes façons, acteur, amant, tricheur. Qu'est ce qu'on imite bien. Ce texte ridicule qu'on a appris toute notre vie d'un œil las on lui trouve soudain une utilité. Ce vieux parchemin illisible. Regarde les, tous à parler de sciences, de molécules, de physique quantique et de philosophoe analytique. Quoi qu’il arrive, qu’on pose de nom sur la souffrance et qu’on en établisse la typologie, le terrain, les causes, tout ce qui la fabrique, on aura rien réglé. C’est la  poésie qui doit venir ici, mais elle aussi elle est impuissante, avec ses pleurs légers. Crève Baudelairechercher avec leur carbone 14 et toutes leurs obsessions maladives ce stupide chaînon manquant, mais le chaînon manquant c'est l'amoureux brisé quand il est réduit à ce chimpanzé mimétique. Alors oui, on va continuer à porter haut sa voix, et puis on a assez ri, la bouche s'en souvient. Le corps a plus de mémoire qu'on croit, il faut juste le plier, et le tordre. Et puis se tordre, se plier, elles nous y ont bien accoutumé. Allez on va être cette les jolis, les mous, les souples. Je suis content que tu me rejoignes dans la grande fonderie des désespérés. Cet asile de nos ombres. Tu vas voir toutes les formes qu’on peut prendre quand on en est au désespoir.

 

Continuer. C'est tout ce qu'on peut faire. C'est tout ce qui nous reste. Je ne veux pas croire qu'on va devenir des êtres restreints, qu'on va toujours regarder ce paysage englouti avec regret. La vie nous en a banni, et ces collines, ces souvenirs sont partout sous nos cris, partout sous nos poings. On ne peut rien y faire l'eau est montée jusqu'au cou, alors on va se rendre dans des ailleurs moins humides, on va quitter ces marécages là. Les semelles sales, peut-être même plus de semelles, et puis alors ? Parce qu'il faut continuer, on ira salir des visages, on terrera notre souffrir, on ne montrera rien. C'est secret, c'est caché, on se reconnaît entre nous, c'est une marque bien précise qui incruste son rubis à tous les déchirés. Voilà on est des déchirés.

 

Tu n'écoutes pas. J'ai marché partout où tu as marché et j'ai cru entrevoir la même voie que tu comptes emprunter...Si tu crois que se résoudre c'est aussi facile qu'une démonstration mathématique, qu'il suffit d'appliquer le théorème à cette géométrie que ton cœur forcément insoumis c'est que tu es encore tellement crédule... Le sentiment partout a semé des pièges contrariants. Son algèbre est pleine de retenues que tu ne remarques pas et tu arrives à son bord, à sa falaise, privé de toute ta force. Même pas assez pour t'en mettre au bas. Tout ça tu l'as perdu en chemin et tu te croyais immortel et tu te croyais immobile...Ça te met à genoux pendant des nuits et des nuits... tu vas découvrir des mots, des mots qui te feront peur quand ils se montreront avec leurs robes longues et accusatrices. Un jour tu arrêtes parce que tu n'en peux plus, et quand tu reprends tu es tellement changé que ce n'est plus vraiment toi. Tu ne continues pas, tu recommences, voilà, avec ce toujours goût de cendres qui te hante, et cette tête que tu ne peux pas t'empêcher de tourner sur ce bonheur dévasté. Tu as gardé ton état civil exact et précis, mais tu te reconnais mal sur les photographies et quand on t'appelle, quand ce n'est plus sa voix qui t'appelle parce que sa voix elle ne veut plus de ton prénom, plus jamais tu ne te tournes. Et parce que tu vas espérer ce sera souvent douloureux. Chaque fois que ce surviendra l'abîme te reprendra, toujours égal, pas méchant, constant comme une femme mariée qui connait son affaire. Ou une pute, voilà. Une pute. 

 

Continuer, c'est tout ce que je peux croire, que cette vie là ne va pas cesser pour se recommencer ailleurs en moins formidable, en plus mesurée. Je ne veux pas que mon âme trouve sa température stable et solide aux alentours de 37,5 degrés celcius, je veux toujours lui connaître sa chaleur de volcan perturbé. Dire «là où c’est chaud c’est mon âme ; le reste mon corps» Non, non, non ! comment ce qui doit tant nous élever peut autant nous écraser. L'amour c'est une presse sans pitié, on croit toujours que le malheur a réservé son ardeur à tous les autres, qu'à nous les grands champs de dorés, le plaisir infini, les soleils convulsés, les baisers de la nuit. Et soudain. Ce drame. Soudain on entend ce qu'on crût des constellations s'ébouler en un fracas mortel sur soi. Juste pour soi, seulement pour soi. Triste privilège. Tout l'infini qui s'en va du ciel pour nous huer, pour nous briser ! Infini loué ; traitre maintenant. Mauvais maître (comme tous les maitres) J'ai l'impression depuis que c'est terminé pour de vrai que je quitte, misérable et trempé, un pays d'infortune. Que toutes mes économies je les égare dans ma fuite. A ce lointain que les lendemains sans elle je ne parviens que démuni et informe. . Tous les jours je prends mon cœur dans ce chiffon de ma peau pour le mener à cette berge incertaine et décevante de l’aujourd’hui. Ce continent où se préparent toutes les défaites. Ou un jour attend la mort, patiente, jouant aux cartes avec elle-même, trichant sûrement même.

 

C'est toujours le même air connu et on l'apprend comme une chanson étrangère à l'école, on n'écoute pas vraiment les paroles. On l'a fredonnée mille fois pourtant sans y toucher vraiment. La mélodie triste est passée sur nos lèvres et nous n’avons rien compris. Trop confiants, trop prétentieux..on moquait les superstitieux et regarde nous à avoir tant cru au pouvoir illimité de notre jeunesse. Ça semblait d'un temps lointain, mythique ces tragédies-là. Des contes pour enfants ou pour religieux. Nous on avait... on avait la saison de notre immortalité. On était trop modestes pour croire que le destin s'emploierait à nous meurtrir avec cette hargne. Que souffrir nous empoignerait avec toute sa force antique et tout son cortège légendaire. Ah les bourreaux.

 

Comment tu t'en es sorti? Comment tu fais tous les jours ?

 

Je t'ai dit je fais semblant le plus souvent, mais parfois, c'est vrai, j'oublie. Ça ne dure jamais assez longtemps parce qu'on s'en souvient toujours. On devient étrange quand on oublie ; Pas heureux. Étrange, on a le front trempé de faux-calme. On est calme, mesuré, on fait comme les autre. 

 

Alors c'est ça...On étudie, on pleure, on feint de vivre, on découvre nos lèvres à moitié et on espère avoir brossé nos dents assez pour que personne n'en voit le charbon. On se débrouille, finalement vivre ce n'est que ça quand déjà on n'aime plus. Qu'on a usé frémir jusqu'à son terme. On se débrouille, on devient un peu banal, on a cet air de victime qu'ont tous les vaincus ordinaires, tous les passants, les mariés. Le quotidien c'est la pire des défaites. On va finir par leur ressembler quand on aura fini de se souvenir tu crois ? Quand notre cœur sera devenu régulier et praticable.

 

On ne s'en débarrasse jamais. C’est très facile à prouver. Regarde : DianeAlors qu'est ce que tu vas faire alors maintenant ? Tu vois l’état dans lequel ça te met. Ca te mettra toujours comme ça. Tu ne t’insensibiliseras jamais à son prénom, à tout ce qui reste de son existence, petit à petit tu te souviendras moins en détails, mais il y a des choses irréductibles, un prénom, son visage, son parfum. Tout ça, chaque fois que ça reviendra, et ça reviendra toujours.

 

J’ai toujours eu bonne mémoire.

 

Alors tu souffriras beaucoup

 

Mais moi je serai toujours vivant

 

Et vivant pour quoi ? Vers quoi ? Où est ce que tu vas diriger toute ta faiblesse ? Parce que ce n’est déjà plus une force, c’est ton amour dégénéré, de la faiblesse, tu seras pathétique, comme les autres. Mais je te connais, tu trouveras quelqu’un, tu lui diras «je t’aime» et elle t’aimera sûrement, elle aura de grands yeux bleus gentils, et des mains toutes petites, mais tu ne l’aimeras pas.

 

Elle est déjà là. Je l’appelle constellation.

 

Tu vois, tu la nies, comme Margot, tu lui interdis d’exister en elle même, tu l’as déportée, rejetée dans un autre prénom que tu as choisi, qui correspond à ta mystique, à ta poétique, à ce que toi tu veux, tu l’as déjà transmutée. Reste là. Tu ne vas pas t’en sortir comme ça. Ce n’est pas juste pour elle. Je ne suis pas moral. Ne me dis pas que tu retournes à ton désespoir, tu ne peux pas retourner à ce que jamais tu ne quittes, à ce qui te suit. Non, pas ce qui te suit, ce qui te constitue, tu ne peux pas fuir ta matière, même les yeux clos, même la conscience essoufflée par l’alcool. Ce sera toujours là. Sale lâche. Sale lâche. Tu vas faire souffrir une toute petite qui n’a demandé rien d’autre que de l’amour, et qui le crois là, qui l’entend qui arrive, qui doit écrire ton prénom partout où elle peut. Salaud. Ne me dis pas que tu fais ce qu’il faut, tu la déformes, tu en fais un prétexte, un poème. Ah, tu as beau dire avec des grands mots «j’ai fait de Diane un prétexte ; ta réalité n’est pas à hauteur d’amour» toujours est il que tout est depuis elle, toute ta vie. Tu crois que je ne le sais pas, quand tu fuis, quand tu es courageux, quand tu as peur, quand tu es fier, c’est toujours avec l’impression qu’elle te regarde. Reste là. Je suis fatigué, je ne vais pas te poursuivre comme ça longtemps encore. Qu’est ce que tu fous. Tu crois que c’est difficile pour toi seulement ? Tu crois que ça ne m’a rien fait quand E. Ne m’a pas choisi, quand elle m’ a refusé d’exister ? Mais pas ça, pas faire souffrir, pas se venger -oh tu diras ce n’est pas se venger- dans une autre. C’est fictif, factice, tu vas lui faire croire, et un jour tu n’auras plus la force, tu ne peux pas t’inventer une patience pour celle que tu n’aimes pas. Ca va se terminer dans ses pleurs. Dans ses pleurs. C’est cruel, si cruel...

 

 

 

 

Plus aucun son. Evidemment. Comment parler de «ça». Et quelles extrémités cette année je n'aurais atteintes ? Partout où il y avait des bordures, des corniches, des falaises, je me suis rendu. L'illimité... C'est le vide. Je l'ai appelé Diane, poèmes, catastrophes Tous les gouffres me sont des amoureuses. Je me suis jeté dans l'amour et pourquoi ? Pour l'allure de falaises des yeux bleus, des nez imparfaits. Je me suis effondré dans des vertiges, j'ai supplié l'abîme de me prendre et de me garder comme fait la mer de ses désespérés. J'ai cherché le traumatisme sur tous les visages, à tous les embranchements, dans les jungles lointaines même qui tant ressemblaient à des vulves. Partout je les ai suivis comme une rumeur, comme on veut un pouvoir quand on les épuise déjà tous de son orme. Ah, j'ai tant chanté, tant promené la vie sur mes lèvres, et c'était un immense chemin pour la vie, comme elle n'en avait jamais vu. Mon baiser...cette terminaison des éclairs. Et un matin, j'étais guéri, la forêt orgueilleuse m'avait pris mon éternité.

Je suis en chemin. Ce chemin est fait d'un seul phare « je ne veux pas mourir ».

Partout où il y avait du désastre je suis allé, pour moi me compléter de tout l'Orient de la légende, de tout l'infini qui me ressemble comme une soeur, un reflet. Alors désormais, je vais aller à la vie normale, la vie rangée, la vie avec sa natte prétentieuse et couarde. Voilà. Je vais retourner cette coutume du geste pour le défaire de tout son impossible lointain. J'abandonne le miracle de mes ongles, je délaisse ici la saveur comme on abdique. Ramasse la toi si tu veux, elle a cet aspect des fougères gisantes, des femmes qui n'aimeront plus jamais, des comme partout tu en vois quand elles ont fini d'avoir vingt ans. Vingt ans, quel âge trop poli, âge sournois, âge comme on a un matricule de bagnard. Tu reconnaitras facilement l’ardeur que j’abandonne ici, c'est tout ce qui ne te ressemble pas, c'est l'ombre parfaite dont je ne veux plus et qui ne suivra plus aucun corps. Je remplace mon corps par la robe d'avocat et plus aucun soleil ne me fabriquera une silhouette brûlée. Je veux être toute ma fonction. Un minuscule comme partout il y a des minuscules et cette dernière perversion, celle qui me manque, celle qui ne m'a jamais hantée pourtant, celle que je goûte dans vos yeux ennuyeux et dont je vais vous dire le nom effrayant et barbare : banalité, celle-là désormais j'en ferai mon destin. J'ai déjà appris vos dos d'esclaves, vos rires utiles, j'ai déjà retenu la leçon de vos cœurs paresseux, il y a longtemps j'ai appris vos versets de l'abandon, toute votre résignation moderne. Votre religion, votre liturgie d'impuissants. Allez, baptisez moi de votre matérialisme ! « Vivant » demain ce ne sera rien de plus qu'un mot et c'est tant mieux. Allez désespéré lyrique, range tes strophes, tes ongles, tes façons, ton adresse, deviens vulgaire c'est comme ça qu'on réussit. Viens, viens, pas pour te laver, pour te vider. J'ai fini d'aimer.

 

 

 

III

 

Depuis que je l'ai quittée six mois se sont passées. Mes façons ont buté sur son souvenir depuis cet instant, mais la blessure d'aimer a appris son silence, elle ne s'exprime plus qu'avec une grande patience. 

 

 

 

La vie a continué, je n'ai jamais voulu la laisser tranquille, je l'ai traitée comme une habitude, un costume à peine cher. La vie si elle doit être calme comme un fauve dressé je trouverais les ingrédients de son excitation, les parfums les plus sordides, tout son instinct primal à régénérer d'un cri. J'irai à tous les sommets, tous les sonnets, je traquerai l'endroit de sa métamorphose pour rendre encore éclatant son œil et sa dent cruelle. J'irai à la bouche des amoureuses sadiques prendre la perle parfaite du mal.

 

Ne pas se laisser faire.

 

Qu'est ce que ce sera d'autre que longtemps m'adresser à toi. Ecrire, forcément c'est tutoyer. « Tu » c'est le pivot d'écrire. Je dois fixer un objet sensible et rassurant. « Tu ». Comme c'est doux sur ma langue « tu », c'est certain, ça y traine ses longs plis, sa tendresse et son au-revoir, ton oeil, celui que j’aime.

 

 

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16 octobre 2012

J'écris avec le clou des crucifixions

J'écris avec le clou des crucifixions /

 

Aujourd'hui maman est morte. Je te l'écris et tu dois te demander pourquoi. Aujourd'hui Maman est morte, et pour moi, la moitié des femmes est partie avec elle. Voilà. Voilà pourquoi je t'écris, parce que j'ai perdu la moitié d'un sexe, la moitié de toutes les femmes. Tu comprends ? Tu es ce qui reste des femmes....La Femme maintenant que je suis orphelin.

Ne me réponds pas, s'il te plaît, en énumérant toutes celles que tu as croisé la veille, et toutes celles que tu vas croiser tout à l'heure, quand le coupe-papier t'ouvrira le coeur et les lèvres. Celles-là, ce sont des ombres, des restes, la portion congrue. Une foule de maigres, d'invisibles.

 

 

 

boudi's blog
  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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