Margot
De Margot j'espérais un enfant et elle n'allait accoucher que d'un personnage, dans les mêmes contorsions, avec le même cri épais comme de la boue qui s'ôtait de sa bouche, dans le même rictus inquiet. Elle ignorait que bientôt elle aurait à s'étonner de ne voir, arraché à ses cris, de ne voir rien qu'une impression douloureuse. qu'il n'y aurait rien à élever, aucune tendresse à adresser qui émane d'elle et qu'un corps douloureusement violacé recevrait. Les personnages ont des membres sacrés qui n'acceptent aucun des amours charnels et filiaux. Les étreintes se font avec l'âme, dans des intentions qui s'élèvent et font des pays aux parfums captieux. Les personnages ne supportent pas les insuffisances de la réalité.
Margot était en prison bien sûr, elle y était né pour ne faire du geôlier que la clé mystérieuse, dont on ignore les portes abouchées qu'elle peut ouvrir, mais on la polit chaque soir, on la tient accroché aux trousseaux au milieu d'autres clés invisibles.
Il faudra être un complice pour faire céder les barreaux qu'elle apprit à adorer.
« Je suis toujours un chêne »dit au roseau le chêne brisé par l'adversité.
Ensemble nous serons une forêt.
Tu crois être amoureuse, tu n'es qu'occupée. Occupée par une puissance étrangère, affreusement terrestre quasi boueuse. Il y pleut des pointes de flèches et d'argile durci. Tu crois être amoureuse et tu ne fais que supporter l'outrage d'une armée mystérieuse, inconnue, qui se jette avec l'habileté d'un espion dans les rouages d'un gouvernement. Tu es infiltrée. Toute entière, il ruisselle en toi des eaux croupies qui remplacent lentement le sang et murmurent de leur écoulement fragile la même prière désespérée. Oui, tu crois aimer, tandis que tu es occupée par des ombres inquiètes et menaçantes qui ne savent pas le répit et ne veulent qu'à s'étendre et recouvrir jusqu'aux avortons de lumière.
Tu étouffes, tu es de lumière, pâle, étonnante, et alors l'ombre t'occupe de sa bouche livide, on croirait les froids métals qui ont fait tant de stylets assassins. J'imagine, en haut de toi, dans cet abîme qu'est ton coeur, profond comme mille ans de guerres où les blessés concurrencent les hommages, une Penthésilée nerveuse, affammée par la revanche qui voit s'élancer de sa gorge les traits fatals aux amours cruels. Il faut tuer avant de pouvoir s'étendre, repu de ces délits que l'on nous infilge. Certaines bouches sont des déïcides et il faut offrir à leurs mains l'arme mortelle qui s'enfoncerait dans le flanc d'un dieu et l'on verrait les muscles gonflés par le vice éclaté sous le poids du crime. Margot, tu es une victime, transparente, quasi informe, et le temps agit sur ton visage comme un acide, tu as des déséquilibres et tu ne peux pas supporter le mot d'aimer quand il ruisselle d'autant de pus.
Sur ta peau j'ai écrit des poèmes que tu ne sais pas, que tu ne peux pas savoir qui se sont épanchés comme de l'encre intense, noire, que tu ne peux pas avaler parce qu'elle forme un bloc épais. Il y a des mots où brûlent dix mille soleils et d'autres secs comme la branche morte du sureau. Oui, où les pas des ombres occupantes, de celles qui ne font que piétiner, craquent et oppressent.
Tu n'es pas obsédée, tu n'es pas malade, ce n'est pas de microbe dont il est question, tu es occupée. C'est à dire qu'il suffit de résister, d'avoir en soi un maquis plein de secret et d'espoir pour échapper au pas des bottes en caoutchouc qui tuent.