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6 mai 2024

Roman en 7 jours : Jour 1 et Jour 2

J'ai décidé d'écrire un roman en sept jours, avec un minimum de 1500 mots par jour. Je souhaitais poster un chapitre par jour. Les débuts étant toujours laborieux le premier chapitre comprend 3625 mots faits en deux jours. 

 

Roman entier

Chapitre 1 - Son Départ.

Sarah D. sort promptement de son taxi, elle laisse un billet de 50 euros au chauffeur de taxi qui couvre plus que largement le prix de la course, le chauffeur ouvre le coffre de sa voiture, le chauffeur sort du coffre la valise taille cabine de Sarah D., le chauffeur de taxi remet sa valise à Sarah D. prenant soin avant de remettre à Sarah D., la valise de Sarah D. de déplier la poignée rétractable de la valise de Sarah D., pour que Sarah D. puisse, en perdant le moins de temps possible, franchir les portes automatiques de l’aéroport. Le chauffeur de taxi garde une impression de Sarah D., en lui, après son départ quelque chose de Sarah D. demeure, qu’il n’associe pas au mépris de certains dirigeants, parlant fort au téléphone, dont il soupçonne toujours, le chauffeur de taxi, qu’ils simulent à moitié la gravité de ces appels, le chauffeur de taxi sourit, en rapprochant leur attitude de celle de Sarah D., et se dit, que, vraiment, il doit lui, le chauffeur de taxi, être d’une très grande importance pour que ces capitaines d’industries, s’abaissent à vouloir l’impressionner, le chauffeur de taxi dit capitaines d’industrie à voix haute et sourit. Le chauffeur de taxi fume une cigarette avant de rejoindre la longue file des taxis qui attendent les voyageurs.

Sarah D., surjoue toujours l’empressement, ça a commencé petite, sept ans Sarah D., avec sa meilleure amie Mathilda R., en voyant déambuler maman, celle que nomme ainsi Mathilda R., au cours d’un dîner, dans son tailleur serré noir, son chemisier blanc ouvert, les talons noirs, vernis, à bout rond. Une assurance de grande personne comme Sarah D., petite fille, ignorait que pût être une femme. Maman croisait et décroisait les jambes Maman fumait de longues cigarettes qui sentait le propre et les bonbons pour adultes. Maman ne prenait jamais le temps pour les hommes, levait la main, souvent, présentant sa paume pour faire cesser un brouhaha lorsqu’elle se baissait vers les deux petites filles pour leur demander d’être sages en échange de quoi Maman leur offrirait des friandises ou un livre. Sarah D. n’ose jamais choisir le livre. Maman glisse souvent un livre dans le sac de voyage de Sarah D., avant qu’elle ne rentre chez elle. Le jeu a continué des années.

Le Madame que les hommes de passage adressait à Maman, firent immédiatement envie à Sarah D., ça lui tordit le ventre de désir, elle y entendait une déférence supérieure à celle de tous les Monsieurs, de tous les s’il vous plaît et de tous ces Mademoiselle, qui flattait sa propre maman, et conférait à Sarah D. le sentiment confus de la honte. Sa vie d’adulte, elle se demandait tout le long de sa projection vers celui-ci, quel serait son titre et son orgueil, Madame ou Mademoiselle, si elle roucoulerait comme sa maman en s’entendant rajeunie, c’est à dire déclassée, puisque dépendante et jugée, ou si elle accueillerait sans émotion le titre de Madame, neutre absolu et, par là, d’insubordination totale.

Sarah D., porte ses lunettes de soleil qui ont la forme d’un regard allongé, dans le hall de l’aéroport, elle cherche le guichet où s’enregistrer parce que un problème informatique empêche l’enregistrement en ligne, la génération du QR code fail à chaque tentative. L’application AirFrance présente un charabia de signes illisibles. Un appel au service client de la compagnie ne lui permet que de recevoir des excuses et une poignée de Miles pour compenser le désagrément. Sarah D., si elle semble toujours occupée, ne paraît jamais débordée. Aucune urgence ne la menace d’impair ou d’erreur. Elle est seulement très occupée.

Sarah D. soupire, les interactions humaines inutiles et imprévues la dérangent parce qu’elles interrompent le mouvement chaloupé de sa pensée. Elle voyait, la veille, l’assemblage de tous ses gestes et tous les espaces à elle, au milieu des impératifs, elle défend chèrement ces ilots et déteste en céder le moindre. Aujourd’hui, pas le choix.

Sarah D., cherche des yeux le guichet Air France, qu’elle ne trouve pas. Le traîneau de la valise à la main, les talons entrechoqués contre le sol lisse, deux pioches, coups saccadés dans l’attente. Sarah D., lève la tête et voit sur les larges écrans « AIR FRANCE GUICHET 15 ».

Sarah D. aime penser à autre chose que ce qu’un regard extérieur supposerait, il y a entre l’air grave de Sarah D., celui qu’elle affiche et que semble traduire la promptitude de ses gestes lorsqu’elle claque la porte d’un taxi, déjà tendue vers un après, et son intériorité de grandes étendues, des paysages bouleversés d’aventures sous-marines, la croûte épaisse d’un mystère à peine, dans chaque rêverie, entamée.

Le guichetier, habit repassé, sourire compassé, lui donne du Mademoiselle, quand, se présentant à lui elle cherche à faire enregistrer, le plus rapidement possible, Sarah D.

Sarah D., sent depuis l’enfance, depuis ces jeux de jeunesse où elle mimait la Madame, ce que Mademoiselle contenait de mise à sac, le quartier d’une petite orange verte couverte de marques de doigts.

Dans Mademoiselle, elle ressent, ou, plutôt, pressent ce qu’on a y dégorgé de substance, pressent cette accumulation de signes négatifs et d’adverbes privatifs, ne pas, pas, point, plus. De ce que Mademoiselle, de ce que dans Mademoiselle ne demeure qu’un être humain en attente qui gagnera, aujourd’hui, ou par l’époux ou par l’âge, son crédit, sa valeur. Sarah D. n’a pas le temps des Mademoiselle.


Sarah D., se souvient, devant l’affabilité du guichetier, de cette place subalterne, ce croquis dessiné en pointillés tout le long de son enfance. Le va-et-vient fatigué des femmes de la cuisine à la table du salon lors des dîners que sa famille bourgeoise, ou qui se croyait telle, nommait réception, les bras chargés, le jet d’eau dans l’évier de la cuisine pour faire tremper les casseroles et les poêles et détacher le fond brûlé des plats, cette attente déjà-encore, réservée aux femmes, ce découpage de leurs tâches qui immobilise longtemps leurs pensées, leur travail s’entrecoupe, interrompt leur vie. Entre les deux attendre, participer, temporairement, sur le qui-vive, à la vie sociale, excusez-moi deux minutes à quoi l’homme répond par tu pourras le faire plus tard ou, si plus généreux, c’est à dire surtout plus menteur, écart toujours entre les promesses de don et les dons réels, je le ferai plus tard.

Sarah D., se souvient, tandis que le steward lui demande si la valise de Mademoiselle ira en soute, l’apathie ensuquée des hommes, ces chaises qu’elle regardait les yeux brillants, dont elle ne saurait dire aujourd’hui ce que contenait cet éclat d’envie, de haine, ces chaises toutes des trônes qui commandaient aux femmes, sans un mot. Leur pouvoir, aux hommes, toujours actualisé dans ce va-et-vient des femmes, jusqu’à ce qu’un jour, on lui dise, à elle aussi, tu ne voudrais pas aider en cuisine ?

Sarah D., sans un sourire, balance la tête de droite à gauche, ce ne sera pas nécessaire. La voix ferme et enveloppante, une voix grave et cassée qui aspire l’oxygène autour d’elle et suffoque toujours interlocuteur et audience. Une voix de femme, tout à fait femme, une gravité de femme. Jamais je n’imiterai les hommes. Adolescente, elle se souvient, la voix tremblante et mal assurée, les premiers Mademoiselle, délivré par un sourire ambigu, la charge soudaine qu’elle sent sur (s)ces épaules de Mademoiselle, partie d’un être humain, pourtant, diminué et s’étonne presque, à rebours, de voir que le Monsieur, pour plus large et plus fort, pèse moins lourd, écrase moins que ce Mademoiselle à la légèreté prétendue, que le poids même de Monsieur semble une soustraction des Madame et des Mademoiselle dont elle, Sarah D., porte séparément ou cumulativement le poids.

Sarah D., pense à Maman, qu’elle n’osa jamais appeler comme ça autrement que dans le monde chambardé de son labyrinthe mental dont elle dessinait, avec les mots, presque comme des calligrammes, les murs et le sens. Sarah D., n’ignorait pas la blessure profonde qu’elle infligerait à sa propre mère de désigner une autre qu’elle de ce Maman, égoïstement gardée, seule possession en titre. Elle les distinguait intérieurement, dans ses dessins et ses poèmes, la Maman avec ou sans majuscules. L’une déclinée Madame et l’autre Mademoiselle. 

Sarah D. surjoue le manque de temps ainsi tout celui qu’elle accorde se transforme en faveur et personne jamais ne se montre assez sot pour exiger de faveurs trop nombreuses, s’y risquer c’est s’exposer à la perte de ce privilège.
A Sarah D. on ne dispute qu’avec parcimonie.

Elle classe, son regard mesure, organise, elle semble, aux yeux extérieurs toujours en train de décompter, et, s’ils croisent son regard, s’imaginent eux-même l’objet de l’évaluation. David A., redoute ces moments, jamais si hasardeux, où leurs regards se croisent, au bureau. Malgré lui, il l’observe, ni de biais, ni de face, attiré par le même réflexe qui nous fait tous regarder les panneaux publicitaires animés des gares. Chaque fois qu’il croise son regard, il se sent le devoir de le détourner, ce qui rend coupable cet accident trop fréquent, et de se remettre activement à sa tâche, n’importe laquelle. David A., scrute alors son ordinateur, l’air soucieux, à la recherche dramatique, d’une erreur dans le tableau Excel, le rouge du rétro-planning ou un mail resté sans réponse. Voilà le regard, la nature du regard Sarah D. qu’importe où qu’il se trouve, face à ses collègues subalternes ou ses supérieurs. Certains regards semblent prêt à tout, celui de Sarah D., quant à lui, coupe tout.

Ceux-là ignorent que Sarah D., le soir venu, loin de compiler les erreurs et les failles de chacun ou, pire de travailler à sa propre perfection, écrit, elle se dédouble dans l’écriture, produit, par ce moyen là, un ailleurs, continuant le labyrinthe enfantin, suspendu à peine par les études, les amours ou les déceptions, les joies. Que, jamais vraiment, elle n’interrompît son oeuvre de création. Les pauses appartenaient à l’apprentissage de l’écriture. Enfant, apprenant à écrire, les instituteurs demandent aux enfants de savoir lever le stylo, avant de reprendre, plus loin, la phrase morcelée.

Sarah D., s’inscrit dans une tradition littéraire, son désir d’indépendance ne la mène pas à ce ridicule de certains qui se voudraient nés de nulle part, par leur génie propre engendré. Sarah D. n’éprouve aucun plaisir à l’orphelinat littéraire. Sarah D. se trouve un parent redoutable, Pessoa qui, bien plus qu’un alias, c’est à dire un être secret et dissimulé, revendique des doubles. Des doubles assumés comme tels, aventuriers du verbe et de la performance.

Sarah D. garde toujours dans le sac à main de Sarah D., un exemplaire empaquetté du journal de l’intranquillité pour l’oublier sur une table de café, insérant, entre les rubans dorées qui ficellent le papier, un encart  « pour qui le trouvera ».
Sarah D. souhaitait ajouter une ligne à cet encart, l’inscription d’un site web trouvailles.net pour que, qui voudrait, en recense, les impressions, celle du livre ou de l’expérience même d’avoir trouvé ce livre. Le nom de domaine, déjà occupé, la dissuada, en se rendant sur le site on lisait :

 
Forbidden

You don't have permission to access / on this server.


Sans superstition, ne prenant pas cette annonce ou cette impossibilité comme un avertissement, Sarah D., repensa sa démarche et conçut que la gratuité totale du geste ne pouvait se doubler d’une quelconque, facultative ou non, contrepartie.

Sarah D., se trouve toujours exacte, c’est à dire parfaite, parce qu’elle habite intégralement l’espace dévolu, sans en négocier un centimètre. Univers en perpétuel extension. Son empressement ne se colore d’aucune nervosité, elle gagne par la rapide exécution des tâches, des gestes, la briévèté de ses sentences, en prestance. Personne ne souhaite lutter, l’importance de Sarah D. précède son essence.

Sarah D. s’organise toujours avec un visage affairé, pressé, tendu vers un ailleurs qui, pour tous ceux qui l’observent, c’est à dire, à plus ou moins courte échéance, l’admirent, leur paraît une hauteur, le sommet d’une côte que, rougissant — mais fier de la côtoyer — ils savent ne jamais pouvoir franchir.

Sarah D., patiente désormais dans le lounge d’Air France, elle y croise Mehdi C., qu’elle aime beaucoup, parce que, très drôle, déjà ivre du champagne ici servi à volonté, Mehdi C. furetant toujours, critique en riant toujours les donneurs d’ordre et, en leur présence aussi, joue avec leurs susceptibilités. Mehdi C., se qualifie lui-même en riant, de langue de pute. Il ne viendrait à personne l’idée de l’en blâmer ou de lui en tenir rigueur, non pas, comme nous pourrions croire, pour se protéger de ses flèches, simplement, parce que le rire et la joie dont il recouvre l’injure, lui retire toute pestilence.
Sarah D., aime ces gens que rien ne peut atteindre, qui ne s’abandonneront jamais à aucune autorité qu’ils ne reconnaîtraient pas comme légitime et aucun emploi, donc aucun patron, N+1, N+10, boss ou führer, ne pourra jamais revendiquer de la légitimité.

Mehdi C. travaille comme tax advisor, pour la succursale B. de S. Group divisé en maintes petites entités dispersées entre l’Irlande, les Pays-Bas et le Delaware, pour d’évidentes raisons fiscales, exprimant par l’exemple à ses clients son expertise fiscalité.

Mehdi C., s’est laissé embarquer là-dedans tout en laissant entendre que le jour de la révolution il échangera sans peine la circulaire Bâle II pour la guillotine. Sarah D., ne le rejoindra pas sur les barricades, elle se préoccupe peu du sort du monde, il va comme il va. Dans celui-ci, Sarah D. croit, surtout, qu’il faut apprendre à se défendre, pour le reste, pour les plus grandes choses, elle avisera. Elle ne tire aucune fierté de son indifférence des choses du monde, elle n’ignore pas sa chance sans toutefois s’en sentir redevable.

L’érudition de Sarah D. contraste avec le contenu minimaliste de sa bibliothèque vide. Le regard connaisseur repérerait aux murs un Sol LeWitt, un (faux) Ad Reinhardt et un (vrai) Frank Stella, offert par Orgasme B., comme elle le nomme dans son répertoire, nom suggéré par Orgasme B. lui-même après s’être brossé les dents, qui leur fit partager un rire que seule la distance qui les sépare empêche de perpétuer à l’infini. Sarah D., lui demande, quand même pourquoi « B. » puisque le nom de famille d’Orgasme B. ne commence pas du tout par B., que ça fait penser à une marque de dentifrice. Parce que, Orgasme B. lui répondit, le A., je te le laisse à toi. Sarah D. accueillit avec un embarras manifeste cette explication sentencieuse dont Orgasme B. n’eût pas honte et insista pour être ainsi enregistré, et demanda, sans sérieux — mais tout de même un peu — la preuve. Sarah D., quant à elle, figure dans le répertoire d’Orgasme B. à Sarah D. Ce qui lui convient parfaitement.

Sarah D. ne se vante pas des oeuvres qu’elle collectionne ni de ses meubles design, Sarah D., les possède pour elle et si quelqu’un, amateur, s’enthousiasme, elle partagera avec lui son élan, le laissera, surtout, s’en émouvoir, Sarah D., elle, vit avec, ces oeuvres décorent et habitent son intérieur, elle ne se sent pas le besoin d’en discuter ce qui finira toujours par une justification qui, frôle, avec quelques interlocuteurs susceptibles, la prétention.

Le jeu plus réel à quoi joue Sarah D., ce qui constitue son oeuvre, son travail secret sur l’irréalité, se trouve lui, dans cette bibliothèque vide de livres mais non de littérature, si l’on peut dire. A chaque rayon de la la bibliothèque de Sarah D., des photographies. Toutes ces photographies encadrées avec soin, toutes représentant, des individus, seuls, en groupe, accompagnés ou non de Sarah D. Les visages se distinguent nettement sur chacune de ces photos et les amis et amants, les collègues et la famille, s’étonnent de n’en connaître aucun et (surtout les membres de la famille) de ne jamais y figurer. Ces photographies provoqueraient le malaise de tout observateur attentif parce que ces photographies ne représentent aucun être réel et que ça se sent.

Personne, trop intimidé par Sarah D elle-même ou le soin enluminé qui encadre les photos, n’est alors un observateur attentif (les gens approchent avec moins de recul les oeuvres de son appartement). Seuls, éventuellement, ceux, très ivres, s’y aventurent et se convainquent, le lendemain, que l’impression bizarre ressentie devant ces visages, tenait à leur ébriété et non aux personnages.

Ces photographies, donc, ne représentent personne. Aucun être réel, né quelque part, d’un ovule fécondé, ne correspond à ces visages humains. Parfois, pour se distraire, Sarah D., s’inscrit parmi eux dans le cadre, se rangeant, à ses propres yeux, dans cet espace liminal de l’existant, générée elle aussi par le site nobodyisreal.notreal.

De quel statut s’investit-elle, associée, à tous ceux-là ? Les montages photographiques nous faisant figurer dans des lieux connus ou à proximité de célébrités, les trucages, existent depuis le début de la photographie. Il s’agissait alors de faire mentir, de replier le monde de telle façon que l’on rapprocherait deux points distants.

La Sarah D. de ces photographies n’existe pas comme ça, les scènes qui la représentent avec ces autres figures, pixels organisés en ce qui semble à nos regards un visage, ne sont qu’une génération informatique pure.

Si toutes les photographies résultent de mise en scène et figent, elles aussi, un être simplifié, qui ne correspond pas et n’a peut-être jamais correspondu, à un soi matériel, nous demeurons voisin de pallier de cette image. La Sarah D. ce ces photographies existe à peine, ceux qui l’entourent n’existent, quant à eux, absolument pas, ils sont des personnages de roman. Chacun, dit-on par rumeur, se connait quelque part dans le monde un double ou un triple, un sosie ou pour les plus croyants, un monstrueux doppleganger, existe-t-il dans le monde concret, un visage semblable à ces visages-là, ou ceux-là, générés par le mélange réaliste de tous les visages, ne ressemblent-ils pas un peu à tout le monde ? Et comment réagir si demain, une de ces images, nous ressemble comme un jumeau, quel frisson parcourra l’être jumelé par une puissance de calcul devenue, pour lui au moins, divine.

 

Sarah D. injecta une quantité gigantesque d’images d’elle-même dans ces logiciels d’IA capables, à partir de ce stock, de recréer, resituer, des individus réels, de les transmuter, eux aussi, en choses, en êtres fictifs, cassant plus encore le lien, fragile déjà, unissant, l’être et son image. L’arrachant, sans presqu’aucune intervention humaine, à sa responsabilité.
Une main plonge au fond de vous, en retire l’image. Vous cessez de vous appartenir.

Sarah D., mène le réel au faux, pousse ce geste de poésie au-delà du discours, au-delà du récit, sa biographie illusoire, ne se compose pas des jets hasardeux et contradictoires des récits. Elle peut laisser parler les images.

Sarah D., documente, avec parcimonie, ses activités, à ses participations réelles aux évènements, elle ajoute ces photos cernées d’inconnus, récurrents, parfois. Leur familiarité elle la tire de la répétition, elle ajoute, sur des aires géographiques déterminées par avance, des monuments qui font, qui ont l’air de. Sarah D. ne publie ces photographies sur les réseaux sociaux que sous forme de story, leur évanescence est la condition de leur réalité. Ces images ne doivent pas être scrutées.

Sarah D., joue dans un monde fluide, Sarah D., traverse à chaque passage dans le monde, une multitude de frontières et chaque espace, minuscule fut-il, à l’intérieur de ces frontières découpe un pays, avec son peuple, rétréci à l’extrême, un groupe de proches - faux -, parfois un arrière fond d’anonymes indistincts, de non-lieux ressemblant à des lieux réels, les générateurs d’images ne reproduisent pas à l’identique les monuments ou les paysages y compris ceux les plus célèbres, Sarah D. vit en un étrange pays, en ce clone d’elle-même, plus bien plus loin que ceux, poètes ou non, qui investissaient second life ou ces autres, bientôt, qui, dans le méta-vers s’il doit voir le jour, habiteront, puisque ceux-là, ne joueront avec aucune frontière mensongère, ne conduiront pas au doute, à l’inhabituel ou à l’abrupt, le geste inaugural diffère et cette différence crée des mondes sans rapport.

Sarah D. vit une double-vie rare, au-delà de celle que l’on prête parfois aux êtres mystérieux, louches et interlopes, elle ne se situe dans aucune marge légale. Son jardin secret, existe sans exister. La vie qui s’y compose ne fait l’objet d’aucune expérience, d’aucun savoir, à l’inverse de celle des jeux de rôle en ligne qui possèdent leur durée propre, leur environnement propre, ou les interactions des avatars comportent de véritables sujets, déduits et issus du joueur. Dans le cas de Sarah D., ces photographies ne prennent sens que si elle en propose un récit, qu’elle les fait passer non pour le tout (qu’elles sont pourtant) mais l’instant figé de longs moments, voyages, visites, amours. Sarah D., aussi, si elle devait inviter un curieux à passer avec elle en revue la vie de Sarah D., sans rien murmurer, sans répondre même aux questions de l’intrigué, celui-ci se composerait une vie de Sarah D., qui ne coïncidera que peu avec toute expérience vécue par elle. Le degré de réalité, d’investissement d’elle repose sur le prompt, c’est à dire la suggestion murmurée à la machine qui, de tout ça, de sa propre expérience, avec son passé, c’est à dire sa connaissance de Sarah D., mais aussi son expérience de machine qui combine les expériences de tous les êtres humains qui ont sollicité avant son expérience.
 

Sarah D., s’envole bientôt pour New-York, les images de son voyage d’affaires, les images, elle pense, ludiques, elle les a déjà fabriquées, qui entrerait chez elle par effraction, à l’heure de son embarquement, croirait au passé ce séjour à New-York, y verrait les souvenirs enchantés de cette femme à la peau parfaite. C’est le jeu de Sarah D., aussi, toutes ces photos irréelles de voyages pourtant bien réels et qui, pour ajouter, sa propre effraction, les fabrique avant l’expérience. Tout a eu lieu avant d’avoir lieu. Le souvenir, ce dont il sera ensuite principalement fait récit, existe avant sa possibilité.

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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