Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
boudi's blog
boudi's blog
Archives
Newsletter
1 abonnés
27 avril 2024

Frisée de dessert

Nous marchons, avec Jeanne, de longues heures dans Paris, ce qu’elle nomme mes balades, auxquelles, parfois, je me joins. Si je dis de longues heures, je transforme, ajoutant le temps du courage nécessaire, tout ce moment d’anticipation, à la durée de cette balade qui n’excède que rarement l’heure et demie.
Jeanne l’effectue, elle, deux fois par jour, y compris sous la bruine et le froid, plus rarement sous l’averse.
Nous nous arrêtons, ces derniers jours, à La Grande Epicerie, supermarché luxueux du XVI où l’on trouve des produits d’exceptions, ailleurs absents, dont, même, hors ce lieu, nous ignorons l’existence.
De l’eau noire, improbable liquide, eau réelle, pure, sans adjonction d’aucune sorte, h2o miraculée, noire, comme le pétrole jailli de certains déserts, quand bédouins et assoiffés, aventuriers et colons, creusaient, désespérés la dune.
Cette eau se vend dix euros les cinquante centilitres et son usage se limite à son spectacle, elle remplit son office d’hydrater, bien entendu, comme toute eau de même volume.
Son intérêt réside dans cet autrement ce supplément de noir et de magie. En secouant la bouteille, le noir et le transparent se séparent et le noir, comme un nuage, paréidolie soudaine, s’organise en mille formes possibles. Eau de jouvence, miracle des recompositions enfantines, où tout peut devenir tout, à nouveau.
J’y reconnais de la fumée, de la poussière ou les spectres encore imprécis, mal sortis de leur cachot de terre ou de leur antre de cendres. Des présences maléfiques, indéterminées, issues de contes et de légendes, ce mal moins incarné qu’entité, ce sont les détraqueurs d’Harry Potter ou les ombres sordides du Mordor.

A la Grande Epicerie nous n’achetons que de bons produits comme les désignent Jeanne. Trajectoire suivie, loin l’un de l’autre, de ne se vouloir plus d’agréments que supérieurs, tentation, présente déjà auparavant, minée, ce goût, par un manque. Qui ne demandait, cette tension, qu’à se relâcher dans l’environnement propice où elle mutine. Mis en oeuvre, jadis, beaucoup plus jeunes, par la filouterie et le chapardage, glissant, avec l’astuce de notre bon goût, les vins et les magrets, dans les larges poches de nos manteaux épais.
 
Je choisis avec soin mes épices ou mes alcools, elle choisit avec précaution, son huile d’olive et ses cosmétiques.

Vieillir, ceci, ce confort, de l’âge adulte, ne regretter rien de nos aisances passées, de se faire, jadis, à tout ; ces mélanges de goût d’excès, les regarder aussi avec incrédulité, sans savoir si nous observons ce passé de haut ou si, au contraire, celui-ci nous toise.

les deux jouent mouvement de balancier, personne ne toise l’autre, elles basculent, les deux, jeux d’enfant des squares, la poussée sur le sol mou des terrains de jeu, pour élever l’autre qui nous rend la pareille, oscillant, nous retrouvant, une fraction de seconde, d’une seconde sans cesse répétée, face-à-face, dans une parfaite horizontalité, qui ne se veut pas plus un signe égal que nos positions sans cesse interverties de haut et de bas, c’est une égalité moins ennuyeuse, faite de rebonds et de pauses.

La jeunesse, souvent, la nôtre, son principe, du moins, celui, comme une substance, semble avoir migré dans d’autres, plus jeunes, dans lesquels, nous nous reconnaissons et desquels, aussi, amnésie et modestie, nous nous distinguons. Je pense, l’écrivant, au frère de Jeanne, jeune adolescent brillant de dix-sept ans, dont la présence ensoleille les dîners et les journées.

écrivant ceci avant sa déception du jour, l’écroulement, temporaire, un muret de la vie, celle, aigre comme la première goutte du monde adulte, dans le calice où nous pensions l’amertume autre chose, la découverte, d’un peu de ce goût triste et d’où nous décrivons la fadeur dans vieillir, nous regrettons, alors ce goût que nous prenions pour douleur, ce picotement sur la langue, le même que celui des sucres grelottants des bonbons acidulés.

L’aisance de la jeunesse, cette absence de peur, souvent, face à ce qui nous paraîtrait aujourd’hui d’insondables périls, supporter sans effort les plus mauvais alcools et se goinfrer de nourriture grasse sans jamais ne prendre un gramme.

Eux, un peu des nous et nous peut-être des eux. Jamais nous ne saurons, l’huile d’olive roule en rond dans la salade frisée.
 

Publicité
Commentaires
boudi's blog
  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 49 504
Publicité