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22 février 2020

Roman 4 : Foucault

On traite sans assez de sérieux nos lectures intellectuelles. Elles demeurent dans des pays abstraits ; on les raconte pour faire chic comme des cartes postales. Puis un jour ça nous éclate à la gueule et ces mots là, ces théorèmes et tous nous saisissent, c'est pour de vrai.
Le grand renfermement de Foucault s’est ouvert pour moi. C’est sa clinique qui me dit je te garde mon enfant. Doucement, sans tendresse, on m’expose à cette radiation normalisatrice. La rémission, ici, toujours c’est de correspondre à un humain type et on serait bien en peine de nous en fournir la définition. La demanderions nous qu’on nous dirait je ne peux pas définir ça, mais je sais les reconnaitre lorsque j’en vois. Avoir des ambitions salariales, envisager de se reproduire et posséder un appartement. Pourquoi pas une toyota hybride. Exercer son droit de vote. 

L’effet produit sur moi est exactement l’inverse. J’aimerais leur hurler à la figure qu’il faut vivre avec la maladie, vivre dans la plus sincère, violente, douce, entière extension de ce mot. Mais cesse bordel de faire de la maladies, de la maladie mentale plus encore - ou pareil, pareil pour l’handicap physique en fait - une anormalité, une difformité du dernier degré. On passe un test de normalité. Au-delà ou en deça d’une capacité à être normal  on doit subir un traitement plus ou moins violent. L’anormalité, la vraie, se loge dans cette volonté d’écraser la maladie, de la rendre la plus discrète possible, la plus adaptée à ce à quoi elle demeurera toujours inadaptée. Il faut la vivre comme une normalité alternative et non une modalité altérée ou diminuée de la vie.
Bien sûr, ce n’est pas aisé. Bien sûr des choses graves se passent dans la déraison et certains états réclament des soins et des inquiétudes légitimes mais ce n'est pas le sujet. Comment faire avec, vivre avec

Ce n’est pas une vie moins valable, ce serait mentir de dire qu’elle est facile.

Ce qui me sauve c’est de penser à Foucault, d’affronter ce qu’il appelle le processus normalisateur. Ce processus je lui fais face, il se déroule devant moi, contre moi. Dire qu’il m’assaille serait excessif ; le plus souvent il se présente en de doux atours ; doublé d’aucune menace autre que la culpabilisation latente. Tu ne fais rien, tu es un poids.

Pourtant, ce regard bleu coupant du médecin, qui me fixe jusqu’à ce que je cède ; me pèse, me censure, m’ordonne.
Nous avons tous appris à être, en apparence au moins, de bons élèves et à nous soumettre aux injonctions des autorités légitimes.

Son obstination fixe constitue à elle seule une politique de l’emploi.

Un épisode éminent traduit clairement, pour qui en douterait, ce processus de normalisation. Lorsqu’une phase maniaque commence chez moi transparait en elle une grande inquiétude. La phase maniaque, pour moi, ne contient aucun péril ; je gère. Que l’on tâte le pouls de cet excès, ouais pourquoi pas. Il s’agirait alors, seulement, de faire son travail avec un zèle excessif, peut-être, ou une empathie débordante. Voilà, inutile de chercher des histoires.

Dans son cas, et ce cas est général et institutionnel, il s’agit bien d’un processus d’écrasement, de pilonage de toute vitalité malade ou non. Un épisode dépressif s’amorce, il va être violent, la mort guette, je l’articule comme ça ; pas un jour ne passe sans que j’imagine la mer m’engloutir. J’ai une vision, je marche, je porte un pantalon aux poches profondes et je les remplis de pierres. Virginia Woolf s’est suicidée, par noyade. A cause de son livre les vagues je l’imagine engloutie par la mer. Je me rêve la même chose. Je regarde où la mer tonitrue, ce sera la côte Atlantique. Je raconte ça à l'interface psychatrique, avec moins de poésie et de continuité, je raconte. Je raconte ça et face à ces discours, ces discours qui disent en fait au secours, ces discours de la plus terrible terreur, je raconte et face à ces alarmes, elle me regarde négligemment. Tente, au mieux de me donner un médicament qui fait dormir, la quétiapine. Elle baille. La psychiatrie agit contre la vie.

Comment peut-on bosser en prenant de la quétiapine. Un mec sous hero serait plus efficace. 400 mg avant le coucher. Le sommeil devient irrésistible, le sommeil chimique, le sommeil qui engourdit et qui ne repose pas, qui appauvrit, sommeil sans rêve, sommeil exténué de l’exténué lui-même. Sommeil où l’on étouffe sans qu’aucun oxygène de secours ne puisse vous sauver.

C’est moi du côté de la vie qui l’effraie non ce penchant de mort

Elle a dit, devant la présentation de ma vie métarmphosée en splendeur. Elle dit devant la monstration de ce bonheur gigantesque. Elle dit parce que c'est trop, je me dis, elle doit être jalouse pour me regarder avec cette méfiance. Elle dit.

- HM, je vais vous prescrire du Tercian.


J’ai dit

- non, je ne prendrai pas ça

Je pense à Valentin qui en crevait à moitié. Qu’on trouvait la nuit, parfois étendu, inerte presque. Se relevant quinze heures après. Tous les jours de sa vie. Ou luttant contre le sommeil lorsque le réveil sonnait. Ayant l’air, chaque fois, de s’arracher à l’enfer, de décoller de lui la pellicule de sommeil chimique et échouant toujours ajoutant, le lendemain, nouvelle peau morte vivant sous cet amas de valentin mourant.


- C’est pour vous protéger de vous-même.

Toujours, cette phrase face à l’anormal et le pathologique..
Toujours, c’est pour moi, en ma faveur, à ma fin. Cette généreuse insistance à me sauver et particulièrement non des idées morbides mais de l’état d’excitation, jugé morbide. Comme ces universalistes qui arrachent le voile des femmes musulmanes.

Je lui dis

- vous quand vous êtes triste et pas bien il y a une raison, ça dure un instant, plus ou moins long mais le temps en la matière finit par faire son affaire.
Votre chagrin, pas question d’en nier l’intensité ou la mortalité. Tu peux en mourir toi aussi de ta douleur, hein. Vivre une crise. Mais voilà, ton chagrin c’est parce qu’on t’a trompé ou quitté ; parce que tu n’as pas eu l’augmentation que tu voulais ou que dans la rue on t’a agressé. Toi, ça a des raisons, tu sais ce contre quoi, atroce, oui atroce desfois, tu dois lutter, tu peux concentrer toute ton attention sur un phénomène précis. Ecrasant, ce phénomène, desfois et invincible c’est vrai. Mais à la fin tu sais ce qui est en cause. Les stratégies de soin, tu les appliques à un objet circonscrit, ça peut échouer c’est évident, on a pas toujours la force de vaincre ses ennemis. Mais on le connait, on peut viser. Au pire dans ton cas c’est la douleur qui exagère et qu’on ne comprend pas. 

Moi, c’est pas ça. Moi, ça m’arrive Comme du dehors, comme un sortilège. Je tourne une rue mais c’est dans mon humeur. Et je ne vois plus les choses de la même façon ; si l’état de détresse m’abandonne je ne parviens plus à comprendre le malheur antérieur et, à l’inverse, lorsque la douleur me ressaisit me devient inenvisageable ce bonheur passé.
Voilà c’est ça être fou, souffrir sans raison. C’est ici le départ entre les fous et les autres, Je suis dépourvu de raisons.

Alentour de moi, monde instable, toujours. Pour les autres, tous les 3 mois, les saisons changent. La lumière varie, la température aussi. On raccourcit les manches et les robes. Voilà. Et moi, tous les trois mois le changement me ravage. C’est d’Univers, tous les trois mois, que je change. Univers de lambeaux et de chutes de soie.


Elle ne veut que mon bien, je me demande comment elle se sent à l’intérieur d’elle, je ne puis pas rapporter ici ce que j’imagine ses pensées. Je doute même qu’elle en ait de véritables et profondes au sujet des patients. Elle applique méthodiquement et mécaniquement une procédure, une recette que face à elle se tienne une personne ou face à l’ingénieur une donnée. C’est à peu près de la même façon que ça se traite. Peut-être l'ingénieur développera de l'empathie envers un algorithme bien avant la psychiatrie. 

Céline, dit, en dix ans d’étude de médecine, on assèche lentement, sûrement ça, on te dit

c’est comme un marais

on te purge

Tu n'as pas besoin de retenir tes larmes.

Je me demande moi si après ceci on peut encore aimer ; si des émotions humaines, réelles, durables, paradoxales durent en nous ? Ou si tout devient utilitariste, mathématique. Les études de médecine enseignent aussi une sorte de psychopathie. Instituent une psychopathie indéchiffrable ; ceux qui nomment les malades sont des malades !

Elle m’a regardé, interloqué. Moi, moi je me présente comme un patient plus ou moins normal d’habitude. Elle doit se dire « il a la flemme il croit qu’il est malade il a juste la flemme ».

J’ai, on, nous avons envie d’hurler. Quelque chose doit sortir ; le cri, le cri retenu, le cri le plus raisonnable, le plus justement mesuré, et s’il s’extériorisait furieux, aurait l’air de folie pure et brute ; ce cri poussait avec son scandale et son scandale était toute sa vérité 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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