Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
boudi's blog
boudi's blog
Archives
Newsletter
1 abonnés
20 avril 2020

R.

Jeu littéraire : imaginer ce qu'un ami fait plutôt qu’écrire avec notre groupe d’écriture. Le je du poème c’est lui.

 

 

J’ai ouvert la fenêtre pour laisser entrer le printemps. Il se pose sur le rebord, oiseau blessé, et tombe, roucoulant dans l’appartement. Il heurte le cadre en bois. Il entre dans la chambre comme cette photographie de moi, imprimée par Julie. Après l’avoir montée sur un bout de bois ; elle avait glissé cet énergumène de papier glacé et de cèdre par la fenêtre.


C’était un drôle de corps, mon corps ce jour là. Je donnais un cours de philosophie à mes élèves par l’intermédiaire de Zoom et de ma webcam. Corps doublé, transmis par la fibre optique. Mon corps de peau et de muscle assis sur la chaise. Triplé. 

Ce corps là, surprenant, inattendu, imprévu, glissé derrière moi ; bougeait malgré moi.


J’entends Julie, en bas et le parquet qui grince, la porte du micro-ondes qui claque.
Ce sont les bruits de la vie. Celle qui me reste, encore, à vivre ici. Chaque bruit s’écoule comme le grain du sablier ; comme ce fleuve, ici, tumultueux seulement en imagination. Je ne suis pas triste. Je ne suis pas pressé. Il y a quelque chose de doux à l’inéluctable.

 

Dans le dossier « brouillon » de mon ordinateur je regarde les différents plans enregistrés à l’aide de mon téléphone portable. J’ouvre Final Cut pour tenter de les aménager en une histoire.

J’y ajoute du texte et des commentaires audio. Cette couture m’amuse, m’excite et m’inquiète. Produire du sens a toujours ceci d’angoissant qu’on ferme le monde dès l’instant où on le constitue. 


Faire récit. Je ne sais pas l’étendue de cette expression ni sa densité. Pourtant j’en pressens l’intérêt. Nous faisons récit. Ecrivant, filmant et vivant. Ceci, même c’est faire récit. Eux, qui m’attendent pour écrire font récit.

 

Le printemps entre. La brise souffle à l’intérieur de la boule à neige. La poésie l’agite comme ferait la main radieuse d’un enfant. C’est encore Pâques pour moi ;  la rondeur de verre ; l’oeuf translucide.

 

Messenger, clignote. Sur le téléphone une petite pastille rouge s’affiche à côté de l’icône de l’app. Un visage apparaît à droite. Jonathan m’a écrit

Il m’arrive de ne pas vouloir répondre. De ne pas savoir répondre. De devoir répondre pourtant. Ce n’est pas une torture. Le pal choisi ne peut être un supplice. Il est une modalité d’existence, une forme de vérifiction. 

 

J’aimerais qu’il soit plus simple de détricoter les impératifs. De couper ce qui me dépasse et me disconvient. Je modère une séquence de mon film. Par défaut, je souris, le logiciel intitule mon film l’objet indéterminé que je constitue et duquel je n’ai pas encore choisi la catégorie.

 

Lorsque je réduis une séquence ou que j’en délaisse une ; je ne me sens obligé par rien ni personne. 

Dans la marge, les lignes, la page blanche je me sais une liberté qui ne réclame aucune philosophie. Aucune système moral.

 

Parfois, c’est comme si entre le monde et moi une fine couche de latex transparent se tendait et que je devais remuer et lutter, sans en laisser rien paraître, contre elle. Cette espèce de pellicule entrave et intercède. Par elle j’établis un certain régime de rapport social. Contraint et possible.


Je me tais.

Je crois que j’aimerais jouer du piano, faire traîner la main maladroite sur les graves et les autres extrêmes ; y voir comme le frottement du printemps.

Les notes tombent, il ne grêle pas.


Sur le discord jeanlebaptiste me cite, un 12 apparaît à côté  du salon général. Comme autant de citations de mon pseudonyme. Je ne sais pas si plus jeune j’appelais l’ami qui tardait trop à descendre de chez lui. Si, ce cri là, sonnait comme ces 12 notifications là.

 

Dehors, le printemps inspire B. qui finit courageusement une canette de bière. Je ne sais, le voyant boire avec cette vivacité, s’il se donne du courage la buvant ou si la canette de 50 cl bue en 3 gorgées constitue le dernier terme du courage vrai.

 

Sa voix résonne et complique la brise. Je ne saurais pas boire aussi vite. Je n’essaie pas. 

 

Les vitres ne tremblent pas. Je m’installe au piano pour jouer plus fort qu’il ne crie. Concerto d’un quatuor fendu en deux ; sa voix grelotte. J’accompagne le hurlement, je m’accorde au hurlement, le hurlement me dirige. De là naît le rythme, la musique. Quelque chose de primitif ou de tout à fait contemporain, d’exactement d’ici et de maintenant, se joue, est en jeu. Voilà le présent. Hic et nunc. 

 

Le ventilateur de mon ordinateur portable souffle très fort en assemblant les séquences de mon film que je n’ose pas encore nommer autrement. Il y a quelque chose de grandiloquent à ce titre : mon film et quelque chose plus grave, c’est certain, serait de le titrer moi-même.

Que se passerait-il si j’effaçais ce titre générique, mon film, pour le réécrire à l’identique ; réécrire mais de ma main et de mon choix, mon film.


Je lis ce titre mon film qui sonne avec beaucoup de douceur et d’affectuosité. Aussi, j’y entends une part d’incrédulité. Mon film. Ce quelque chose que j’ai fait.

 

B. continue de vociférer et c’est désormais le souffle puissant et monotone du ventilateur qui accompagne son chant artaudien.

 

B. a une peau, une amoureuse et une canette vide. Il a une gorge que je crois puissante mais je ne sais pas ce que signifie cette expression de « gorge puissante » pour moi, dans ce contexte, c’est à dire qu’il hurle. Peut-être hurlerai-je à même intensité si je me le permettais. Je ne saurai jamais. Ai-je la gorge puissante ?

 

Je double-clique sur le bureau et j’arrive devant tous ces textes achevés ou pas. Ils sont comme un parterre de feuilles mortes. Confiné, le printemps ressemble à l’automne.

 

Je rejoins l’appel skype où chacun m’impersonate. 

Publicité
Commentaires
boudi's blog
  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 49 389
Publicité