Fendu
Je suis coutumier des crises nerveuses, des grands drames synaptiques, ces cessations de paiement de l’ordre ordinaire des logiques, des gestes admirables et bien tenus qu’on fait, disons, administrativement, afin d’obtenir, au guichet des existences, son salaire convenable, son allocation d’au-secours. Moi, souvent, je craque quand ça déborde, barrage fragile quand sourd le typhon, quand la mousson monte sanglante à mes yeux.
Souvent, en ces cas là d’exaltation douloureuse, je me mets en danger. En danger physiquement quand tout malingre je grimpe une statue et, pris de vertige à mi-hauteur, ignore maintenant comment redescendre, où se trouve le chemin inverse si aisément pourtant, cabri de surprise, parcouru. En danger, surtout, autrement, faisant feu comme si seule cette seconde existait, comme s’il n’y avait pas d’après, un monde affreux, quand tout devient permis parce que chaque seconde se consomme comme l’ultime…si plus rien, ensuite, ne demeure, alors l’instinct, celui de survie, de vie tout court même, qui ne se projette nulle part, la dernière, la primitive inconséquence. Tout est permis, non pas si dieu est mort, tout permis parce que non plus de futur, seulement l’expression de la rage antérieure, de l’explosion des intestins, nous pourrions jeter par là, puisque rien ne suivra jamais, ses entrailles, ses organes, prélever à soi-même le rein gauche tout gluant et palpitant avant de le jeter, lapidation toute charnelle, ceci est ma pierre, sur tous les ennemis.
Souvent, ma raison se fissure, alors, plus rien ne compte que l’expression de ma rage, mon goût presque obscène de la justice exacte qui ne peut se rendre qu’éclatante, procès pressé, le parquet lustré, la haine lustrée, les cordes tendues, feu, feu, feu, un poleton d’exécution.
Puis, ma raison revient. Parce que je reçois un appel, parce que la rage se tait, parce que le sommeil, enfin sans rêve, me console. Alors, je me rends compte ma démence, l’immense champ de ruines semés, les blessés, les autres, celles ou ceux qui d’abord me blessèrent, je retournais les balles à coup d’obusiers, je vois la terre dévastée, toute vaine devenue, dans les trous d’artillerie, où l’acier fond encore, s’élèvent de nouveaux fruits, des plaintes vertes qui préparent à leurs branches, les nouveaux poisons de folie.
Ma raison revient, je ne regrette qu’à moitié parce que je devais, parce que je voulais survivre, ne disposant alors que de ma folie pour me faire entendre, si ma bouche ne permet pas à la parole de s’imposer, alors j’ouvre mon estomac en deux, de chaque côté de la plaie, dans l’estomac digérant, sucs, les injures, une bouche ce trou de grisaille. Une bouche.
Ma raison revient.
Je me suis encore moi-même abîmé.
Me voilà passant devenant le fou affolant
Celui fou bouffon disant pourtant
comme tous ceux couronnés de breloques
la vérité pourtant
En attendant, la prochaine fissure.