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31 mai 2023

Trauma

Eprouver le suicide, sa mort proche, reste une expérience traumatisante comme d’autres déclarations qui ne furent pas des faits. Ma recherche du bon quai, la découverte du E et F où les trains ne s’arrêtent jamais, les allers-retours pour m’assurer, en descendant les marches de la gare, de ce que les trains ne s’arrêteraient bel et bien pas. L’écran tout blanc des quais E et F que je pris d’abord pour un dysfonctionnement avant de comprendre que, cet aspect livide, désignait l’absence d’arrêt, pâleur du mort.

Je revois, souvent, le visage du cheminot entrant en gare de Clichy-Levallois, ce train, que je savais être celui sous lequel me jeter. Celui-ci, précisément, le téléphone en mode avion pour que personne ne puisse me déranger. Déconnecté. La mort avançait, elle semblait avoir des yeux, ceux de personne. Je me souviens du froid qui passait en moi, ce froid que je reconnais encore, la nuit, lorsque je me réveille en tremblant, à 5 heures du matin, incapable de me rendormir, les rêves clairs, prosaïques - un suicide prosaïque réaliste - que donnent la sertraline. Les premiers trains, je les laissais passer, comme au base-ball, le batteur, souvent, pour jauger son adversaire et mesurer son adresse, laisse filer le premier lancer. Les premiers trains, j’évaluais à travers eux, la réalité de ma mort, je mimais le passage sur les voies, je feintais la mort, certain d’y venir, plus tard. Le désir devenait plus urgent à mesure que le courage décroissait, le geste sortait de son mode abstrait et entrait là. Violent. Noir. Je ne voulais plus vivre. Puis il y a eu ce train, la chemise blanche, à carreaux verts, je ne distinguais pas si bien, tout allait au ralenti, comme si le temps ainsi appesanti me donnait une ultime chance de réfléchir (c’est à dire d’avoir peur plutôt que de me raviser), la coupe de cheveux très classique, ses mains sur les manettes du train. Puis il est passé devant moi. Je n’ai plus pu.
Je rallume le téléphone pour le airbnb mais les pompiers et le SAMU me géolocalisent et me traquent et la peur de l’hôpital psychiatrique prend le pas sur tout, sur la détestation de la vie, la douleur, sur tout, cette peur d’un endroit où, plutôt que nous tuer, on nous annule. 

2.

La mort, ce jour là, je me dis que je la choisissais mal, qu’elle exigeait, celle-ci, de sous les trains un courage dont je ne disposais pas, voir arriver cette grande machine de métal face à vous, vous donne la certitude d’un combat perdu. Nous souhaitons, pensez-vous, cette défaite. Nous ne la souhaitons pas en ces termes, vouloir la mort et redouter la douleur, la douleur, encore, c’est la vie, une forme intense de celle-ci, que nous voulons quitter et non, ne fut-ce qu’un instant, accentuer.

Le train semble rouler trop lentement, il porte, dans ses phares, l’incertitude de notre mort et la possible et l’affreuse agonie, la peur, la peur qui monte, cette peur que je ressentis, la première fois, en faisant de l’escalade et que je devais me jeter dans le vide, attaché, que je ne le pouvais pas. Cette peur là, décuplée, métastasée.

Les suicides médicamenteux offrent l’avantage de vous endormir, la substance ingérée, lentement la mort se dépose en vous, elle pousse, vous n’agissez plus, elle rampe tandis que vous vous endormez, irrésistiblement, sans douleur. Trop inquiet de me rater, je me renseignai sur Internet pour assurer mon succès. Si je choisissais, par exemple, le train plutôt que le métro, c’est en raison de la vitesse de circulation de l’un et de l’autre. Les données lues demeurent abstraites, je sais que le métro entre en gare à une vitesse approchant les 40 km/h et cette vitesse d’un vecteur d’acier me paraissait porteuse d’agonie plus que de mort. Les trains, quant à eux, circulent plus rapidement, surtout, les transiliens, ne ralentissent pas à chaque arrêt parce qu’ils ne les desservent pas tous. Je crois, aussi, que le plein air de ces trains me plaisait davantage.

Le suicide médicamenteux, j’y renonçai quand j’appris, moins mortel que je ne le concevais d’abord, le risque de se réveiller, nauséeux, des jours après. Nauséeux parce que vivant ? 

Le compromis, celui à quoi je pensais, après l’échec ferroviaire (que j’avais envisagé), c’était de louer un appartement au sixième étage sur l’île de la cité. Je montrais à L., en riant désormais, que je négociai le prix avec le loueur qui, loueur, m’exprimait combien déjà sa proposition, pour un logement situé là-bas, dépassait tout espoir. Je n’osais lui dire que, moi, je manquais d’espoir. Je lui précisais, comme s’il pouvait y prêter le moindre intérêt, que je devais, pour la nuit, quitter mon appartement à cause de travaux, ils existaient, alors ces travaux, en moi-même, une démolition que j’espérais.

Sur le quai, comme une fronde, s’entrechoquaient les pilules des médicaments, si je devais sauter du sixième étage, je prévis de combiner le saut à une prise de médicaments et d’alcool pour me traîner, à demi-ensommeilé, au rebord du vide et tomber.

J’ai été hanté, longtemps, par cette phrase de Sarah Kane, dans 4.48 psychose je crois où, elle prévoyait son suicide (ce qu’elle finit par accomplir) par la prise de médicaments, de lacérage de poignet et de pendaison, tout ça en même temps pour bien signifier que, non, elle n’appelle pas au secours. Elle déclare, je veux mourir par la répétition des signes de sa mort, se couvrant de cette sursignification elle indique, clairement, je ne veux pas être sauvé, être sauvé dans vos termes ce n’est pas ma salvation. 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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