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11 avril 2023

Lèpre.

Dans la ville des chasseurs solitaires, une jeune adolescente se pend dans la grange familiale. Lorsque je pense à cette mort, que je me souhaite en ce que, bien exécutée, elle tue, je m’inquiète toujours de mon habileté. La perspective que cette corde, d’un noeud mal coulé ou d’un support trop fragile, me verrait m’effondrer plutôt que mort, la nuque douloureuse, la position ridicule d’un pantin sans ses fils, couvert de plâtre, travaux d’une vie échouée, blanc, romain sous Néron, l’orgie en moins. 

 

Savoir mourir requiert un art saltimbanque, qui pouvait le deviner avant sa première aventure, la traversée de ces jungles, la machette aiguisée, le compte exact et tout prodigue des comprimés, l’eau dure, le pont haut, le train rapide. Il faut filer à toute allure. 


Le premier suicide, je le comprenais aussitôt que j’y renonçais, entraîne tous les autres. Une porte que l’on ne savait pas s’entrouvre, un jour, bayant, nous patientons, devant, attendant d’y entrer.

 

Il en va ainsi de la plupart des transgressions, la première des tentatives offre un permis de recommencer, elle déleste, cette première traversée, de tout ce que l’acte possédait d’imaginaire et de fantasme, il trouve, alors, sa forme pure, dure, que, désormais, nous façonnerons à l’image de notre vie, de notre désir. Il en va ainsi du meurtrier, de l’adultérin, du tricheur aux cartes ou aux jeux-vidéos. C’est la première fois, aboutie ou non - et dans le cas du suicide la première fois ne peut être que la dernière, qui permet les suivantes. Le terme en est l’abolition, le meurtrier l’arrestation, le tricheur le goudron et les plumes, l’adultérin le divorce, le suicidé la mort, singulier, celui-ci, que sa transgression, menée au bout, l’accomplit et ne l’en détourne pas sauf, si, happé par les méchants, on le met aux fers chimiques de l’hôpital psychiatrique. Le suicide est la transgression la plus juste parce qu’elle concerne son propre corps.

 

Le suicide, je le pensai toujours calmement, à ce calme, aujourd’hui, s’ajoute une véritable mesure, un professionnalisme technique, breveté, que jusqu’alors j’ignorais. Il ne se présente plus seulement comme avant, carrière possible avec son degré d’abstraction qui le confond avec le rêve, le fantasme et donc le non-faire, il se présente comme futur permis. Il existe un écart, inconnu avant, entre le permis et le possible, découverte ajouta,t à l’acte une dimension de justice qui, auparavant, n’importait pas. Ce qui, nourri par un égoïsme indifférent, apparaît aujourd’hui légitime et alors plus sûr.

Je sens, en moi, comme un cancer ou un buisson ardent, les suicides monter, je les sens sans les redouter, ni résigné ni impatient, attendant la prochaine impulsion, la mauvaise nouvelle qui suivra, la déception ou la trahison. J’attends un événement, ici, parce que la gravité du geste demeure, je dirai l’événement. Désormais, d’ailleurs, comme pacifié ou indifférent, ne me centrant que sur la pousse de ces fleurs, métastases ou tournesols, je ne souhaite plus briser. Dans ce qui, auparavant, s’apparentait à un meurtre et aurait entraîné dans la tombe, les autres, au sens, parfois juridique (Chloé  qui, elle, devra rendre des comptes), rendant leurs vies impossibles ou presque, par l’humiliation qui en aurait résulté, pour Esther, H., Marine Simon. Les gens oublient, trop facilement, leur passé et les marques que celui-ci laisse, se croient, à cause de ces amnésies, protégés. Terrifiante, la vie, parce que des actes - je ne parle pas de moi - innocents peuvent, déplacés dans d’autres contextes, présentés à qui devrait les ignorer, briser de honte. 

 

Dans le manga Kingdom, dans la Chine féodale, le personne de Shou a vu son visage, enfant, brûlé par un aristocrate pervers, il dissimule, en permanence son visage sous une cagoule pour s’épargner le regard des autres. Pourtant, lui, innocent de l’immonde blessure, la porte avec honte, et, chaque fois qu’il expose ce visage, déplore, tristement, que les réactions, jamais ordinaires, soient de répulsion ou de pitié. Or, pourtant, cette honte de ce qu’il est une victime le force à cacher, ce visage défiguré, son passé qu’il porte. La marque. Nous devrions briser la honte. Je repense avec un peu d’effroi à ce que la première inquiétude de Marie-Anaïs ne fut pas pour moi ni pour l’autre, qu’elle fut pour la réputation et la crainte que tout ceci soit porté à la connaissance de sa mère. Ce premier réflexe, ce premier mouvement racontait déjà la suite, ce n’en était pas le prologue mais la chute. 

 

Aucune vengeance ne m’anime plus, cette route, nouvelle, ouverte, avec ses cordes ou ce vide, saut à l’élastique sans l’élastique, s’est vidée du reste du monde. J’y vis, côtoyant l’acte en suspens, l’événement a déjà eu lieu, c’était le 1er mars, ce décret qui n’attend plus que son paraphe, sa pompe, son rite.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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