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19 mai 2023

Les résédas.

Lorsque je vois le rapport à la religion de mon père, je m’amuse autant que, plus jeune, encore moi croyant mais déjà distancié de sa religion, je m’agaçais de ses contradictions.
Me révulsent, l’hypocrisie autant que l’incohérence, depuis toujours et plus encore affecté de la pureté adolescente d’alors et plus encore quant au sacré, sensément la chose la plus importante parce que touchant à l’âme, à l’éternité, au secret.

Plus tard, j’imagine, j’attachai à l’amour la même dignité et les mêmes indignations

puis, cette foi là, aussi, a vieilli, je l’ai aménagée, j’imagine, or l’amour comme la religion pour qui comme moi poète ne peuvent être que jungles et pierres au hasard. Si demain j’édifiais jamais un bâtiment religieux je le fabriquerasi avec les pierres que tous les autres croyants croyant me lapider jetteraient à mon endroit. 


Aujourd’hui je vois mon père pratiquant sa religion comme un enfant ou un jeune adolescent pensant duper ses parents, visibilisant à l’extrême les signes de sa dévotion.
Nous affichions, chose commune, à ces âges, ostensiblement nos pratiques, ne nous laissant observés que consacrés aux tâches légitimes - c’est à dire scolaires - avec nos livres ouverts sur le bureau, l’air concentré - mais pas rêveur - qui traduisait non l’attention portée à l’apprentissage mais à la proximité des parents. Tension relâchée dès lors que les pas, ah ces naïfs, s’éloignaient.
Puis nous pouvions nous adonner à la vie, console de jeu portable ou téléphone mobile, scrolling et même lectures (hors programme) ou n’importe quoi qui ne ressortait pas de l’enfer.

Mon père agit ainsi, il laisse sur le sol de sa chambre, toute la journée, son tapis de prière déplié comme un cahier ouvert, prêt aux implorations si Dieu devait entrer dans la chambre ou, nous, témoins de sa dévotion, la rapportant à un Dieu trop occupé pour surveiller chacune de ses ouailles.

Le contraste avec maman me saisit, elle prie, depuis toujours, discrètement, j’ai déjà écrit à ce propos sans pouvoir épuiser cette foi parce que cette foi me dépasse. Maman, lorsqu’elle prie, nous ne la voyons que rarement, nous le devinons parce que l’appelant, elle, toujours si présente, trop présente, ne répond pas, ce silence signifie deux choses, ou bien qu’elle dort, ou bien qu’elle prie. Elle noue - je ne l’ai jamais vu le nouer - son foulard, le même depuis toujours j’ai l’impression, marron, neutre, consacré à ce seul usage et, si alors j’étends mon amour, je dirai saint de cette exclusivité. 

 

quatre mille répétitions font une vérité écrivait Orwell ou Huxley, dix millions de prières peut-être du foulard un saint-suaire.

Le lien que maman entretient avec Dieu relève d’une verticalité ténue, un lien invisible entre elle et lui, nourri d’une expérience personnelle, de tâtonnements, loin, bien loin de toute intellectualisation et de tout prosélytisme.

sa foi est restée simple comme les hangars de port-aviation.Elle nourrit sa religion qui en retour la nourrit, elle confronte sa croyance à son expérience avec les naïvetés inévitables - superstitions diraient les oulémas - mais, à coup sûr, une grande part, une part décisive de la foi, se niche ici, dans ce lieu maladroit, cette faute qui est de vérité, l’Eglise ou la Mosquée véritables, leur première pierre, justement, j’en suis certain, repose sur l’erreur et ses coordonnées incorrectes en sont le porche et la porte.

Si j’écris maman et mon père c’est, reproduisant par le langage, l’intimité que je sens de mon rapport à elle et si, je dis maman, lorsque je l’appelle dans le monde, je dois écrire, lorsque je la nomme, maman. Mon père, j’inscris, ici, alors, la distance, une distance non absolue mais relative, une distance liée à l’extrême proximité que j’entretiens avec ma mère et si même mon père devait occuper, ici la seconde place, cette place se trouverait à des milliards de kilomètres.

puis je pense à ce que mon père, parfois, regrettait que maman ne portât pas le foulard, comme s’il déléguait, alors, l’exemplarité de sa foi à une autre et, encore, ne la forçant - c’est heureux - jamais, échouant encore dans sa pratique

Mon père, pendant le ramadan, jeûne avec sérieux et gravité. En ce mois sacré, les croyants, supposément, se nourrissent l’âme aux heures d’inanition. Mon père se purifie, aussi, se nourrit de son verbe, sa foi devient comestible parce que visible. A lui-même il peut se dire, je crois, et le tapis de prière - il ne prie pourtant pas tellement - devient miroir mon beau miroir dis moi qui croit le plus.

lorsque nous allumons la radio attendant la parole du muezzin, avant l’heure autorisée de rupture du jeûne, deux bip sonores retentissent, ils ont toujours été pour moi plus précieux et plus attendus que la prière, en arabe, que je ne comprenais pas et qui ne m’intéressait pas. La rupture du jeûne intervient quelques trente secondes après cette tonalité. Lorsque je pense au ramadan, je pense à ces bips, aux dattes, aux bricks, à la chorba que je n’aimais pas, au coca-cola sur la table et les jus de fruit réservés à cette période de l’année, celle de grande abondance, je ne pense pas à Dieu, je pense à orangina, à coca cola, à la vache qui rit. Finalement presque comme déjà un occidental (et les pays musulmans subissent exactement la même chose). Nous le savons, toutes les fêtes religieuses, même celles d’abstinence, le capitalisme les digère. La tradition n’en demeure pas moins belle et, aujourd’hui, loin de toutes mes croyances, je jeûne avec plaisir me rendant, à cette période de l’année, chez mes parents. 

 

Papa (ici par je ne sais quel étrange pivot, il devient papa, d’écrire sur lui et d’écrire maman sans cesse, papa se rapproche de moi, je le sens, comme, enfant, jusque treize ans, je lui demandais de dormir avec moi, je sens, écrivant, cette chaleur d’alors, toute une explosion d’amour)prolonge le jeûne, chaque nuit du ramadan, poussant le zèle à ne le rompre qu’après l’heure commune, appliquant une autre règle, plus rare et plus difficile, après la récitation du muezzin à laquelle nous, affamés, pensant au ventre plutôt qu’à l’âme, nous suspendons, attendant l’autorisation que sa prière nous offre.

Chiite il imite, ici, en version polie, les flagellations de ses corréligionnaires qui, une fois par an, défilent, se flagellant, pour revivre le martyr de leurs saints, Omar et (?) enfants d’Ali, l’imam qu’ils reconnaissent comme l’héritier légitime du prophète (sws). Le conflit entre chiite et sunnite repose sur un conflit de succession. Les chiites considèrent que les liens du sang priment sur tous les autres, Ali doit succéder au prophète (sws) parce qu’il en a épousé la fille, les sunnites considèrent, au contraire, le calife Abû Bakar comme successeur légitime et chef des croyants parce que jugé, par eux, le plus compétent et le plus pieux, il est élu par une assemblée de chefs.

Ali, par ailleurs, finit par atteindre le rang de calife, le 4ème, après quelques bains de sang et d’autres bains de sang suivirent et les liens du sang dynastiques reprirent leurs marches ordinaires le pouvoir finit toujours par ruisseler dans le même patronyme

 

MC Jean Gab1, dans sa chanson j’t’emmerde, dans laquelle il rafalait tout le rap français, se moquait de Kerry James et sa foi

 La première qualité d'un muslim c'est d'être humble, et tu l'es pas

Et sache que la religion n'est pas un sprint, mais une course de fond


Le ramadan, parce que bref, est un sprint alors mon père peut s’y adonner et contempler dans son effort la pureté de sa foi.

Mais quand j’entre dans sa chambre ou que je vois par la porte entrouverte, le tapis de prière déplié, vigilant ou suppliant, je n’éprouve aucun mépris pour papa, une immense affection me surprend. Dans cette exubérance maladroite une pureté synonyme de la retenue de maman doit exister, elle existe j’en suis sûr. 

et le sprinteur parcourt avec sérieux son couloir. 

 

addendum : j'ai demandé en rentrant chez mes parents à maman "avec quel foulard tu pries en ce moment ?" et, elle m'a dit "ah, tu parles du marron ?" elle pressentait que je l'associais à celui-ci et, me décevant presque, me dît "non, je ne prie plus avec depuis peu" "ah" "mais je l'ai gardé précieusement, c'est ta grand-mère qui me l'a donné quand je suis venue en France". Puis, tristement, je me souviens de cette couverture, aussi, qu'elle m'avait donné et de laquelle elle m'avait demandé de prendre soin parce que cette couverture aussi yaya, ma grand mere, la lui avait donnée, qui s'est abîmée, hélas, que nous avions jeté, Marie-Anaïs et moi. Elle m'a dit, là, "c'est pas grave" mais je voyais bien que c'était triste quand même

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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