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7 juin 2023

Saint-Georges et la grève du Dragon

Je considère, depuis mon emménagement dans le IXè, avoir trouvé, dans le monde, ma place, que cette géographie, dans un appartement que j’adore correspond à mes désirs les plus chers. Le quitter me déchirerait le coeur, tout changement s’y déroulant m’y altère. La fromagerie Chataîgner, en bas de la rue des Martyrs, qu’Yves tient depuis (si je me fie à societe.com) le premier janvier 1958 avec son épouse Annie, a vu toutes les transformations du quartier. Je disais à Marie-Anaïs que, le jour de leur fermeture, quelque chose en moi se briserait, je déteste toutes les faims (je voulais écrire fins mais ma bizarre dyslexie prend le dessus) comme je le disais à M., quand elle et moi nous soûlames à la maison et qu’elle voulait retrouver le VIè, cette année où tout se brise, comme une chose naturelle a aussi vu la fromagerie Chataîgner fermer. Après les vacances d’été, la grille demeurait fermée, longtemps, sans un mot, puis, en début d’année, un petit mot affiché sur la devanture remerciait les clients pour leur fidélité. Ce merci comme une oraison. Dans le quartier rien ne dure longtemps, ces remerciements d’adieu nous les trouvons à toutes les portes, au bout de cinq ans. Dans ma rue, le retoucheur, encore, seul, appartient à un monde ancien, le même en sursis, dans sa boutique ancienne où on ne le règle qu’en espèces ou en chèque bancaire ; lui aussi fermera, forcément. Il en va ainsi de la vie dont, moi, je ne supporte pas le passage. A cause de ceci, et, bien sûr, du sens qu’il a, je mentais sur mon âge, je ne pouvais me résigner à l’usure. Je tentais, qu’importe par quelle ruse, d’en limiter les signes apparents. Un jour, ça ne tient plus.

La fromagerie Chataîgner, après 65 ans d’existence a présenté son grillage clos, sa petite affichette, les passants et les habitués, glissèrent des fleurs et des mercis, comme pour une cérémonie muette. Sophie, La pharmacienne de la Place Saint-Georges, où je ne me rends plus parce qu’un jour elle me parlait mal, vit aussi dans le quarteir depuis, comme elle dit, toujours, et, la fromagerie Chataîgner préexistait à son toujours. La fromagerie où Yves et Annie faisaient le compte à la main. Yves, toujours casquette sur la tête, l’air bougon, la barbe un peu folle, les tâches de vieillesse, l’énergie toujours, Annie, aimable, bien maquillée, sans cesse, profitant de l’absence du mari pour se montrer généreuse, lui, radin, facturant tout, ne faisant jamais aucun cadeau, méfiant, un peu, bougon. Avec ce charme ancien qui, chez n’importe qui, nous paraîtrait insupportable, ici, l’âge, ce dont il témoigne, aussi, l’exotise.

Michel, l’épicier juif tunisien, de Tunis, de la goulette, Tunis centre, il ajoute aussi, lui aussi travaille ici depuis toujours, cette année il fête ses 66 ans. Un an de plus que la fromagerie d’Yves. Michel travaille six jours sur sept plus de dix-huit heures, il ne fait pas son âge, mais il fatigue, forcément et, aujourd’hui, ne trouve pas de repreneur pour son fonds de commerce. Aujourd’hui, aux épiciers tunisiens succèdent des épiciers bengalis ou sri-lankais, il leur cédera probablement son commerce. Je m’arrêtai pour parler avec Michel, récemment, alors que je me rendais au métro et que je le saluais rapidement, écouteurs aux oreilles, comme d’habitude parce que, l’été, il installe sur le trottoir un tabouret de bistro et discute avec les passants. J’ai défait mes écouteurs et j’ai parlé, et il m’a dit, alors tu as changé j’ai trouvé cette phrase amusante, les phrases que, les vieux amis normalement, vous disent, ou les parents, tu as changé, comme le quartier s’altère, sûrement, celui qui me ressemble, ma vie, aussi tout autant changée. Alors nous avons parlé de sa vie de juif tunisien arrivé en France il y a longtemps, je n’avais pas remarqué ses dents, il lui manque des molaires et quand il rit je vois luire un plombage, ceux qu’on faisait il y a longtemps. Maman, qui souffre des dents, compte de fausses dents, des couronnes (les appelle-t-on ainsi pour justifier le prix royal?) qui ressemblent à des dents naturelles. Il me disait, Michel, j’aime bien parler avec toi. Alors nous avons parlé, maintenant je m’arrête plus souvent et plus longtemps. Tout le monde connait Michel (d’ailleurs, je l’apprends, tout le monde me connait aussi), plusieurs générations, de grands parents, de parents et de jeunes enfants. Michel, m’a dit tu n’achètes plus rien puis j’ai bien vu que Madame était partie puis la pauvre puis perdre un beau gosse comme toi puis et tu as retrouvé quelqu’un.

Je peux faire, depuis mon arrivée il y a 7 ans dans le quartier, un petit fil des commerçants à l’ancienne. Il y a le cordonnier portugais de la rue Henri Monnier, son échoppe poussiéreuse, sale, ses prix deux fois inférieurs à la moyenne française, le fonds de commerce à céder depuis des années, en redescendant, il y a Michel, l’épicier, au croisement de Clauzel et d’Henri Monnier, juste avant la rue Notre-Dame de Lorette, si on tourne à gauche, c’est la rue Clauzel, le retoucheur turc auquel je n’ai jamais demandé le prénom. Je sais que, récemment, son fils s’est marié. Il y a, dans la rue, le grand parking marmoréen, un salon de coiffure qui semble de toute éternité et d’autres, eux, plus modernes, où les coiffeurs pour hommes, tous homosexuels, agitent avec talent et mépris leurs ciseaux. troc en stock a fermé, plus loin, encore, dans la rue Clauzel ma rue, deux boutiques, des dépôts ventes, à l’ancienne, vendent des pièces toutes diverses, certaines de collections. La dame blonde qui la tient, Monica, fume souvent sa cigarette sur le trottoir, elle parle avec Maxime, de l’autre côté de la rue, qui après avoir ouvert une boutique de vêtements, a décidé de la remplacer par une salle de sport, un de ces trucs hyper rapides, avec des machines qui ressemblent à des caissons futuristes. Je ne sais pas quelle promesse commerciale il formule. Monica est à l’ancienne, elle parle avec une voix rauque, reçoit de beaux vêtements, qu’elle adore faire essayer à C., parce que sa silhouette, est parfaite lui dit-elle. David, lui, a ouvert, un magasin de vêtements, une sorte de friperie de luxe, rue La Bruyère, il la tient avec son compagnon et sa fille, il l’appelle la débardeuse, a eu, me dit-il, du mal à trouver un local et aurait bien aimé s’installer Rue Clauzel. Ca m’émeut, chaque fois que le nom de ma rue apparaît quelque part, quand il suscite une émotion. La boutique de David, toute récente pourtant, deux ans je crois, m’a l’air d’exister ici depuis toujours. Elle se remarque parce que sur le trottoir un mannequin paré des choses les plus excentriques et toujours changé, se tient. Un peu comme moi, prince du quartier, comme dit Michel.

Michel, quand nous sortions avec C., avant d’aller au Silencio des Près, nous a parlé, nous étions un peu ivres et il s’apprêtait à fermer, pour une bonne nuit de sommeil, je lui demandai. Il était 23h et, me dit-il, le réveil sonnera à deux heures trente, pour qu’il aille se réapprovisionner à Rungis. Encore. 

 

Il y a deux mois, je crois, j’ai vu de la lumière dans la fromagerie Chataigner, et j’ai eu peur que la tragédie s’augmente de la destruction, une boutique de cookie, de madeleine, un lunnetier ou un marchand de saumon. J’entendais, régulièrement les perceuses, puis je n’ai plus entendu aucun bruit. Il y a deux semaines, étonné, j’ai vu la fromagerie ouverte, à nouveau. Tout le monde s’y pressait, tout le monde racontait, au nouveau gérant, l’émotion de voir, le nom intact Chataigner, encore affiché. Augustin, celui qui a repris la boutique, quand je lui exprimais, en mâchant dans la tomme de chèvre laissée à libre disposition, le soulagement (la joie?) de voir, ici, une fromagerie encore et non un marchand de lunettes, sourit, il me dit qu’ils y tenaient, Annie et Yves, à ce que ça demeure une fromagerie, qu’ils vivent juste au-dessus et qu’Annie, dès qu’Yves ira mieux, viendra faire la caisse parfois. Yves a subi un double ou triple pontage, sans quoi il aurait continué, jusqu’à la fin. Pendant, le COVID, encore, quand tous les vieux se terraient, lui, continuait de se rendre à Rungis, nous n’avons jamais autant parlé qu’à cette époque, le monde, rétracté, condensé en quartier, un monde d’un kilomètre sur un kilomètre.


La vie renaît, à Chataîgner, maintenant, est accolé le mot sauvages, les fromages sauvages, Augustin prépare, pour l’entrée un chèvre frais comme une crême brûlée, un peu sucrée, à mon goût, mais très belle. La boutique se ressemble toujours, le carrelage demeure le même. Mais maintenant les fromages ne sont plus exposés à l’air libre, tous se présentent derrière une cage en verre, obstacle transparent. Un geste de plus. Je me demande pourquoi, Yves, en 1958 devînt fromager, ce qui le guida, là, à cette profession. S’hérite-t-elle ? Trouve-t-on ce qu’on trouve comme les commerçants tunisiens de Djerba, achetant les épiceries arrivant en France, parce que réputés commerçants les djerbiens reproduisent ici leur nature ?

Le primeur tunisien de la rue des martyrs, au croisement de (?), vient aussi de Djerba, ainsi que tous ses collègues, nous discutons souvent. Il vivait, il y a plusieurs années, dans le XVIIIè, puis, souhaitant une maison pour ses enfants, en acquît une dans la région d’Auxerre, le forçant à faire plus de 4 heures trente de route aller retour chaque jour. Mais les arabes paressent, dit-on. Aujourd’hui, plus âgé, il lui manque lui aussi des dents, il reeménage dans le quartier, de l’autre côté de la butte, à Marx Dormoy. Ses avocats, à 2,99euros pièces sont les meilleurs que j’ai goûtés, ils sont énormes, deux ou trois fois plus lourds que leurs imitations de piètre qualité à un euro en supermarché. Il vend aussi des herbes fraiches, de grandes et belles bottes à bien meilleur prix que celles sous plastique de la marque florette à quoi je me résignais avant.

La réapparition de Chataîgner donne à la vie la vie. La rend. Différente. Comme la mienne devient. Je l’écris sans rancoeur, aujourd’hui, je vais mieux, je rencontre des gens, mon quartier s’amplifie, je me mets à connaître chacun et chacune. Marie, la serveuse du café du Père Tanguy, qui, pendant des années minaudait auprès de moi, qui, tout récemment, me proposait un verre. Je rencontre. 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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