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22 avril 2023

Mohammed

J’avais découvert avec toi la saveur umami quand on essayait plein de restos différents et qu’on tâtonnait en cuisine. La cinquième saveur, avec sucré, salé, amer, acide. Aujourd’hui, la vie, un peu toute entière, a une sixième saveur, un goût d’algues très sucrées, jusqu’à l’écoeurement.


Ca doit avoir le goût un peu pareil le dernier repas du condamné à mort.

Je me souviens de cette phrase de Nicolas Sarkozy à Dakar je crois quand il était président « l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ». Je pense à mon grand-père, Jedi, comme on dit grand-père en arabe, il s’appelait Mohammed et je ne l’ai presque pas su et de lui comme de ma famille là-bas je ne sais rien. Ca revient souvent, ça, chez les descendants d’immigrés, l’obscurité de leur passé. Chez les plus européens c’est plus facile, même quand on sait pas, on peut faire les arbres généalogiques, retracer, retrouver un peu les gens, tisser les fils, trouver une branche et des cousins, la colonisation n’a pas mis tout ça à sac.
Pour nous, y a la honte, ça bloque déjà, cette sorte de pudeur, elle se retrouve aussi chez les pauvres, c’est un truc de non-classé.
Parce que la colonisation elle écrase la mémoire de façon bien vicieuse, il y a la honte déjà, bien sûr, on a dit, puis il y avait la pente naturelle des pudeurs et des réserves, mais y a aussi l’écrasement des institutions antérieures, l’état civil avant, les logiques de village. Ils ont dissous les autorités et les registres parce que ça correspondait pas à la civilisation, alors, ce passé il s’est perdu, il s’est tu, il a plus eu des lieux où s’exprimer, les griots ont déserté la place, la mémoire elle était vivante.

Je pense à mon grand-père décédé à l’été de 2013, j’arrive pas trop à y penser, il s’est beaucoup occupé de moi, à sa façon, j’ai rejeté un peu le deuil, ça me ressemble bizarre ça, remettre à plus tard la douleur. Quand j’entends parler du pays ou du bled de ceux venus depuis le Maghreb qui traversent la Méditerranée et se noient en France je pense aussi à mon grand-père. Avant la guerre d’indépendance, je crois, il appartînt à ce bataillon de damnés qui vinrent ici crever de froid, de faim, d’insalubrité. Les dates, je ne suis même pas sûr, ça se dit comme ça vague. Ma mère je ne crois pas qu’elle était née, elle est née en 1963, Mouloud, l’aîné, lui je crois que si. Il était parti travailler en France, seul, avec un tas d’autres comme lui. La ville, je ne sais plus ce qu’elle. Saint-Etienne me vient en tête, j’ignore pourquoi.  Il a regretté d’avoir rejoint l’Algérie libérée maman m’a dit parfois. Ce rêve il en a déçu beaucoup. Moi, je ne sais rien. Il touchait un peu d’argent en France, sur un compte à la poste, je me souviens, tous les ans quand il venait, il en faisait le compte, une sorte de bout de retraite de ses années de labeur ici. Dans quoi travaillait-il ? Je l’ignore. Qu’en pensait-il ? Je ne sais.
Sûrement c’est mieux d’être rentré au pays, il a pu acheter un appartement, quitter l’habit de forçat pour un petit travail d’employé à Air Algérie. 

C’est mieux, comme ça.
Moi je ne sais rien, elle est bizarre cette mémoire toute obscurcie quand moi je laisse sur ces pages, toute ma vie, des forêts et des forêts d’archive. 

 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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