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19 juillet 2011

A Sim Reap je pose le corps

Quelle chance tu as. D’avoir un corps si ample qu’il peut accueillir autant des détresses masculines, féminines qui dans le monde se tendent au bout des pleurs. D’avoir un corps qui a le poumon si grand qu’il a bu à tous les airs des gorges expirées. D’avoir tant de matière que tu as dansé sur toutes les scènes que sont les autres corps. Je le dis sans ironie, sans moquerie. Je le dis sérieusement. C’est un bonheur que je ne me sais pas. Partout si je me palple plutôt qu’un corps je me trouve une névrose, une idée, un drame. Ce que je mets à l’expérience des autres, au péril du regard étranger, de la caresse amicale qui prolonge trop loin les yeux des filles que je chéris, c’est une déraison. Une masse de nerfs lourde. Je me dis, me voilà, moi mais je n’apparais pas, je suis ainsi que ce « corps sans organe ». Si je ne suis pas catholique de n’y croire pas, dans cette absence, une chose coupable, l’héritage sacrilège d’un péché primordial, je ne me sais pas un corps comme le tien, à l’autre bout du sacré –et toujours sacré, j’insiste, je ne moralise pas- entre les deux, dans l’amplitude du corps supplicié et du corps jouissant, et du corps jouissant et du corps supplicié confondu, je ne me trouve pas. Voilà une cosmogonie sans ma planète, je ne me cherche rien de plus qu’à peine de lumière pour avoir chaud dans le noir, pour y voir rouler les cheveux des belles, à peine de terre friable pour y écrire ce grand cri que sans corps je ne peux pas pousser.

Mon corps, souvent, de le sentir en tant qu’il est une absence, en tant qu’il ne m’appartient pas plus que mon extérieur, s’efface. J’oublie de manger, de dormir et de baiser. Je peux avoir les belles formes du repas de noces, ou la nocée elle-même, que mon corps absent au monde, absorbé par des figures qu’on ne voit pas ici et qui pourtant ont de grands yeux farouches, des dents qui quand elles se rencontrent chantent un « la » grave et qui, étreintes de peur, peuvent faire monter de dedans la mâchoire des fugues belles comme le dernier verre du condamné à mort, délaisse. Je peux avoir toutes les tentations du monde et n’y pouvoir succomber de ne les deviner que sous l’entrave de toute cette mystique poétique.

A la négation de mon corps, je me suis fait, avec des anonymes que je rencontre quand il est tard et que mon être a passé dans tous les chas de l’ivresse, un jeu idiot qui les insulte, si la raison leur vient. Si j’arrive avec mes reliquats d’attention à me glisser dans leurs vies. Si je franchis poliment le seuil de leur chez elles, plutôt que les embarrasser de baisers, plutôt que m’agiter dans la danse frénétique qui à la même heure se fait cent mille fois au moins dans Paris, je sors de ma poche de petits papillons adhésifs multicolores, et je les dépose sur le corps de cette promesse aux endroits du plaisir. Sur chacun de ces post-its je note le nom d’une action, là « baiser », là « toucher » là « mordiller » et de m’écrier, devant la stupeur qui la gagne, « c’est la poésie qui te fait l’amour cette nuit ». Oui, la poésie qui n’a pas de corps, qui flotte là dans son habit de fantôme, de rimes incertaines qui pendent au nadir de la nuit, qui balancent dans le vide de l’alexandrin s’il se faut des vers nationaux, bien réglés. Si l’amante sans corps de la nuit a le prénom de France. Demain, demain, je baiserai avec un sonnet.

Alors, oui, tu as de la chance, d’avoir le corps assez léger pour qu’il ne casse pas dans le monde, et assez dense pour qu’il y apparaisse, qu’autour de tes doigts les sexes se durcissent, que dans ta bouche ils dénouent leurs joies si minutieusement préparées pour s’éclore en lys blancs écrasés. Je t’envie, sincérement, de pouvoir faire de ton corps et le jeu, et la vie, et le sérieux, et de passer, selon l’éclairage, d’une voix à une autre, de pouvoir participer à tous les sortilèges du monde, grimper sur toutes les estrades, et t’écrier d’un corps unique « je suis multiple ». Quel bruit fait un corps qu’on piétine avec son propre corps ? J’ai déjà alourdi des pas aimants de larmes, j’ai déjà fait gonfler une poitrine tendrement éprise de cris horribles, mais ce n’était jamais par mon corps, que j’aimerais dire « mon scandale », c’était par mon absence, par cette mort permanente qui ne peut que tourmenter. Je porte bas mes cernes, j’ai des choses à cacher. Elles sont compliquées comme un maquis. J’ai le corps parfois réel, et s’il est réel je le crois sordide, le désir me complexe, et cette maladresse d’être, cette étrange façon de se comporter dans un autre corps que soi-même me pétrifie. A peine me consolé-je de trouver mon propre corps, que j’en apprends les complexes mécaniques que déjà je dois débrouiller dans un autre changé, exigeant. J’ai baisé mille fois, et ce fut toujours la même pitié. Je n’ai de virilité que mes rimes, c’est heureux, le corps ne m’humilie pas, et pour consoler la toute belle je lui raconte « ce n’est pas ma faute, je suis un enfant, je ne l’avais pas dit ».

 

Ma chambre est ainsi que moi, dénudée. J’envie ces gens là qui peuvent s’approprier un espace tangible et à travers lui posséder un autre corps, une autre silhouette, une émanation d’eux que voilà. Peut-être n’en est ce qu’une odeur, une impression, une rémanance, mais c’est quelque chose d’eux, quelque chose depuis le corps, qui a pris appui sur la chair humaine, mobile, mouvante, qui vient du mouvement des doigts, du tintement des mains. Tu as un corps et mille attributs pour ce corps.

 

Je n’ai que le rêve ; l’infini j’en ai fait le tour.

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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