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boudi's blog
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23 octobre 2010

Le pleur des vents sauvages.

 

A toutes celles qui m’ont brisé
je dédie l’effort.

«  Ils ont voulu t'avilir ou t'honorer. Et qu'importe, tu les as tous enterrés, ces hommes, et tu en baises le front de Paris, Place de la Concorde, quand tu vois des autos embouteillées qui forment le bicorne de Napoléon, où les marches forcées de César. Elle rit l'Histoire de toutes ces femmes qui la défièrent dans la grâce, de Tarpeïa -brûlant d'or- qui voulut la gloire et n'en supporta pas la lumière, qui se tient debout sur le ventre de l'Histoire, à une petite place, un minuscule éclat comme les muses, les Chimène, les Roxane, à l'étroit dans des poèmes, toutes celles qui ont des points d'argent dans les cheveux, des cendres de diamant rapé à la lèvre. Petites lépreuses, dit l'Histoire à son scribe.  » 

Toutes les femmes de ma vie sont de celles là, muses insignifiantes que l’Histoire ride que le temps lent et la seconde cruelle moquent. Ce sont elles malgré tout que j'honore de ma tristesse. Vrai je ne sais plus pleurer, alors j'écris.

 

 

 

I

 

J’ai faim. J’ai froid. J’en suis heureux, c'est-à-dire que je suis libre. 

 

 

La traque.

 

La porte s’est entrouverte. Son grand corps de ciment et de lilas s’est évanoui en floraison sur les draps défaits de la chambre à soupirs et, de se défaire ainsi, la chambre est devenue de printemps et de lilas. Elle promenait à la manière d’une traîne, les douces saisons odorantes, le sureau en fleur, l’aubépine, les œillets, les violettes en mèches, le jaspe décoiffé et tout un bouquet qui, de ne se respirer que dans les encyclopédies, en gardaient l’odeur de papier gris.

Couchée sur son lit, tandis qu’elle respirait, calme, Je me suis introduit du pas invisible et criminel des fugitifs, je me suis approché pour respirer les tourments qui s’échappaient d’elle, et y dérober un peu de tiédeur machinale, en garder les impressions pour tous les jours futurs dont- malgré la langueur épaisse du présent- je sentais déjà les boucles froides et les vents glacés de peurs de givre, dont la lueur mortelle des rails brillants de larmes et des ponts figés en arcs brisés par le vide excitaient mes attentes, je sentais et les foules et les visages et les nuits et les bêtes mythologiques qui dorment -en moi- comme cent villages pillés et les oublis et les alcools et les femmes captieuses et les toux animales et les échecs et les pièges à loup hors d’un pays et les yeux mesquins du passé et les rires acides du futur et le trou fait au présent par la fuite et la jeunesse et les vingt ans sans espoir et...elle.
Une nuit –celle que je sus la dernière, d'instinct- j’ai ouvert grand les yeux pour la boire par ces deux pores sensibles, j’ai écartelé les sens, éconduit la fatigue –à l’haleine de café- j’ai rejeté le monde comme une mer dépose un mort, j’ai tout abandonné de ma physiologie, du temps et de la raison, j’ai tout voulu consacrer à l’absorption –cognition sensuelle. A la mémoire j’ai fait une promesse : que son corps de lumière m’éblouisse pour toujours, d’en garder l’ascension de luminaires ; je ne fermerai plus jamais les sens et je l’emporterai, enroulée dans ce suaire de paumes et de sens, dans le baluchon de mon errance. Mes écoutilles sont ouvertes, mes ouies peuvent étouffer et le monde m’envahir : son corps de lumière est imbriqué dans mon ombre, elle est la matière mélangée à moi, le soufre dans le salpêtre et dont la pate délayée, épaissie par les espoirs des hommes inventaient la poudre à canon. Sous chaque lueur inquiète, sous tous les ciels, je la retrouve, introduite de ce reflet plat et sordide que le soleil jette à mes pas. S’il faut survivre à la nuit, s’il faut vaincre l’épuisement pour garder vivants les souvenirs, ériger de soi des redoutes menaçantes, des mantelets frileux…je lutterai contre le poids des heures qui alanguissent la vigueur avec les secours de femmes odieuses, les lèvres blanchies par les amours terribles, . Mes paupières ne claqueront pas, la bure de peau solidifiée en volet métallique, brûlée à la soude des maladies, maintenue en l’air par les mêmes ingénieux systèmes du théâtre, n’autoriseront aucun écart. Je jouerai la fatigue sans rideaux  ; sans oublier.

Je n’oublierai pas.

 

Son grand corps avait tant servi le jour, tant servi la nuit, qu’épuisée, elle l’accrochait au sommeil comme à un portemanteau. Négligemment. Les bras jetés en travers du corps à la manière d'un désespéré sur les voies. Le reste n’était que mobilier, cadeaux, tous les signes de son oisiveté et de sa grâce. Dans cette chambre le nombre d’objets –immuables, multiples- égalaient le nombre d’hommes et de femmes qui y avaient épuisé des tristesses, pesté, insulté, craché. La chambre, pleine de brûlures et de cicatrices –alcools incandescents, tabac froid - tenait davantage du corridor. Par sa forme d’abord, par sa fonction ensuite. Plus longue que large on l’arpentait sans intention d’y demeurer il fallait atteindre un but impatient – un lit, un désir- on le traversait pour atteindre une autre pièce –son corps. Il s’agissait d’une transition, d’un pivot, d’une ponctuation mal assurée, de soupçons de cris, de parodies de plaisir. Pièce toujours mobile sa chambre faisait office de liaison nécessaire à la prononciation correcte de l’amour rimé. Endroit temporaire, aux attributs précaires malgré le luxe et l’effort d’outrance des meubles, espace bouleversé de corps, d’odeurs, de sueurs commandés par l’ordre, pressé du plaisir –empereur nostalgique du présent, au froc réséda-, poussé par les râles, par les pleurs. Il ne figurait à peine dans la topographie des sens, changeait de propriétaires, d’ennemis, chaque soir, géographie incertaine aux contours flous. aux frontières menacées, révolues, où frémissent quelques patrouilles gémissantes, sans l’espoir d’une relève.

 

Cette chambre était paralysée dans le souvenir comme un musée où l’on entendait d’un sonographe ce murmure jeune « regarde le joli corps de femme qui ne vieillit pas, regarde ses épaules parfaites, crènelées comme des tours et ce nez fier qui tend le cou jusque dans la lumière des bougies ». Nombreux sont venus à la visiter, à l'applaudir dans ce forum d'intelligences et de vices, une réunion ouverte aux grouillantes voluptés des abandonnés, des transis, des écrasés, des furieux, de cette foulée d’adjectifs encloqués prêts chacun à suppurer.
Bien sûr que des hommes sont venus se tenir là, comme une masse de nécessités, comme la charpente de sa psychologie. Ils sont venus. Ici. La voir défaire ses cheveux de printemps et de lys, ils sont partis dans la nuit et ne l'ont jamais attendue, tremblante des mêmes soubresauts que l’aube bourdonnant dans la nuit, prendre délicatement de ses deux doigts de tiges sauvages son crayon noir qui lui dessinait des impressions de soir sur les yeux –la même chose inquiétante qui demeure dans le matin, en une filigrane où figuraient les formes étranges des indiens tatoués. De la distance morale de laquelle il désirait son corps ceux-là n’ont jamais pu observer les bas qu’elles remontaient sur ses jambes pour imiter la douceur des mains d’un amant « jusqu’en haut des cuisses » ni vu sa voix se gonfler de larmes devant ses robes déchirées d’angoisse et de solitude au matin, respirant du bouillonement–les autres font des petits riens des mouchoirs de leurs poches. Eux, anonymes, plus froids qu’un fantôme n’ont rien vu de ses bras troués de douleur où des ombres légères, la bouche pleine de voix d’enfants, ramenaient du passé les souvenirs flottants brassés par le temps et les mains crispées de la nuit, sa peau était un fin voile blanc semblable aux fleurs de sel qui couvrent la Guérande de leurs cristaux de neige. Elle portait la nuit sur ses plaies, qui, à la manière d'une herbe sauvage et parasite, lui couvrait du corps à la raison, obstinée, impatiente, prolifique. La lucidité n’apparaissait plus que par hasard, perçait rare comme la lumière au milieu des forêts denses, aux épaules noyées de brouillard, dans le grillage blanc qu’y érige le soleil des brumes. Elle ne pensait plus qu’à travers ces failles de verdure dans des lucidités striées de délire. Son intelligence était un habit bariolé de garde suisse.


Je suis venu souvent dans cette pièce faite pour l’amour –à son invitation, dissimulé sous les rideaux de serges et les habitudes, me tenir fuyant comme l’électricité. Elle me considérait comme ses grands lustres aux éclats de cierge « tu jettes sur la ville la même lumière douloureuse, mais toi tu ne dis rien, tu ne tintes plus, ta voix n'a pas de ces brillants ruisselants ». Toutes les nuits passées ici dans l'attente immobile des départs oublieux, j'ai entendu la discrétion maladroite d'un amant qui froissait les draps pour les fuir, se débattait contre le reptile de linge, s’avouait vaincu sur le flanc inflexible de l’amante, soulevait son torse dans un effort brusque, rassemblant les muscles muscles et comme sous des balles invisibles s’abattait, essoufflé, défait. J'ai vécu une moitié d’enfance, dissimulé au milieu des mites et du rayonnement bleu de la veilleuse. A travers la pâle clarté des ampoules orangées je voyais un cortège d'indifférents, de corps identiques aux attentes égales et aux cœurs truqués d’alcool et de dépits. C'était la longue procession des fantômes, l’ultime communion de ces disparus d’avec la vie, leur messe dernière. J'ai vu des chiens qui sillonnaient la nuit et se jeter sur les femmes comme sur des os. J'ai ri souvent en imaginant, si j'avais esquissé un pas hors de ma cachette d'enfant, leurs visages. J'ai sculpté dans un marbre mou -celui des songeries, leurs bouches figées de surprise, leurs gestes muets, effondrés d'avoir été épiés par mon oeil aux rires inquisiteurs et flamboyants. AH ! Qu’ils auraient été doux  les bûchers dressés d’innocence et les jugements frivoles d’un juge-môme. «  Amants ! Gardés de fièvre j’ai rêvé vous rouler dans des braises ! Vous ouvrir la nuit comme une tombe !  » J'ai rêvé leurs fureurs pour ériger les joies de ruer à travers ces pièces, de sauter sur le canapé usé par la sueur et la fatigue pour échapper à leurs mains butées sur l'outrage. Mes nuits m’essoufflaient autant que les leurs.

Mais elle était la seule à me savoir ici. J’appartenais au mobilier et je la voyais s’ébattre et pleurer derrière le miroir sans tain de mon silence.  Jamais les amantes, jamais les amants ne devinèrent mes angoisses et mes hoquets muselés par les rideaux, ni mes yeux d’enfant émerveillés de corps nus et de lumières nomades. Je les voyais tout parés d’horreurs et d’audaces, je les observais posant leurs mains comme des aveux sur ses seins, et se confessant de plaisirs, de joies et de désirs, patient à la sanction –l’onction  ?- de sa vertu. Ils racontaient déjà, dans chacune des caresses qui se posaient là avec la même allure d’un mot de poète- c'est-à-dire de mensonge- l’abandon, l’oubli qui viendrait quand son grand corps feindra de boiter de fatigue et de ployer sous la nuit et la nudité. Imbéciles. Les chênes ne ploient pas, ils se brisent avec fracas et emportent avec eux la terre humide à laquelle s’accrochent les mains fêlées des roseaux. J’ai appris à faire l’amour en la voyant fracasser la nuit malsaine.

Son corps était une Eglise accueillant tous les réprouvés, les chassés des chapelles officielles, son corps consolait, sa bouche baptisait, son sexe purifiait.


Elle
, que je ne nommerai jamais, m'offrait son corps comme une friandise ou une consolation, les soirs tristes où mes vingt ans battaient plus fort qu'à l'accoutumée dans ma poitrine. Elle se déshabillait, alors, dans le geste curieux, lent de la mère soigneuse d'un jardin, rendant par sa tendresse les couleurs dérobées par la nuit dense de l’hiver, pour panser de ses mains de neige la blessure immense de la jeunesse. Sa nudité calmait mes ardeurs. Cette jeunesse plaie immortelle, ouverte comme un sexe de femme affamé, irrigué de son amour, ne vivait qu’en s’élargissant. Quand le soir avait bien bu les aubes rousses, la blessure souriait de deviner sa main qui sans recoudre le mal, le contournait, le brisait, cette âme fragile, brûlante, gardée sous une  matière obscène, jaillissant de la nuit, et du jour de la même façon hirsute, de la même impatience blême. Cette âme, blessée, dont la chair n’était que le saignement, la croute réunie autour de la blessure. Je peux détailler chaque partie de son corps que j'aperçois toujours, en faction, dans le corps du reste de mes amours. Sentinelle vigilante, elle éduque encore mes passions à travers le dos de ce milliard de femmes que je désire, que je ne sais pas. Elles portent toutes les vestiges de sa présence et accueillent comme une urne funéraire la cendre du souvenir que déposent mes lèvres usées sur leurs peaux neuves. J'aimais son calme dans ma furie, comme elle enroulait très soigneusement mes poings dans les bandelettes de ses malheurs. Oui, c'était à la manière de la nuit qui pour vaincre le bruit furieux de la ville, le borde par la périphérie et en brûle lentement les contours, siège lent, tactique, multiséculaire. Souvent, à l’heure de triompher, il est déjà l’aube qui pointe et la nuit posée victorieuse, moqueuse,  sourde de gloire, usée de la longue lutte n’entend pas la relève du jour qui fait frémir l’ombre de taches lumineuses. Ses seins rompaient ma détresse, débordant de lait dégoûtant, invisible, de maternité indigne. Le temps de l’extase, celui imperceptible égal au temps de la victoire de la nuit sur le jour, mes détresses décroissaient jusqu’au germe. De la même façon que la nuit épanche les saignements roses du jour elle suçait les venins de ma pauvre peau violette. Elle me tenait chaud la nuit, et je lui répétais –de la violence de mes dix-sept ans- que je ne couchais avec des femmes seulement d’avoir trop froid dans la vie, qu'hors d'un corps de fille, les saisons de la mort sont obsédées par ma chair d’enfant, qu’elles ont de grandes dents de glace et une mâchoire de méchanceté ouverte de la taille exacte de mon corps, dessiné selon les contours labiles de ma géométrie.

Les nuits de mon enfance étaient un climat subtropical, parcouru dans le même moment de deux saisons disjointes, établies de chacune des oppositions et des polarités. Je me souviens, mes mains gercées, fatiguées de sable, cuite de ce soleil mystérieux qui desséchait la peau aride et pendait à toutes les extrémités froides de la pièce  : le bois des lattes, l’humidité des murs, le fer des arceaux, de l’autre bord, alors que le sommeil enfin me recouvrait de son linceul suffoquant, l’hiver brutal, bref, craquait de dessous le repos pour envahir ma peau. Mon sommeil je le partageais entre l’hiver et l’été, tendu entre il s’était fragmenté en deux moments capricieux, imprévisibles, le jour du Sahara traqué par la soif et le soleil, cherchant dans tous les rebords, dans tous les recoins une de ces ombres où la nuit a fait sa maigre retraite et la nuit du Sahara où la chaleur rusée du soleil travaille son manque, éduque son absence. Vacance de la tyrannie, De Gaulle à Baden-Baden. De là, je tiens mes insomnies, de la peur d’affronter ce climat illogique, unique, qui débute à mes pieds et finit à mon cou ainsi qu’une guenille, cette atmosphère qui n’est qu’autour de moi comme une aura ou une menace, cette saison illogique, sur un seul territoire  : mon corps.

 

Alors. Je lui parlais encore. Je croyais qu’elle pourrait m’arracher mes yeux morbides, mes instincts d’assassin – le moi n’est précieux que pour celui qui s’ignore, lui, qui ne sent pas dans sa peau tout le désespoir fragile, celui qui ne s’est pas brûlé les doigts à la lumière d’une lampe à huile-  ; que je pourrais la sortir. Doucement nous nous sommes tus. La vie était pleine de mots chargés à blanc, des balles de cinéma. Le silence impatient, le langage muet, qu'aucun maquillage ne pouvait poudrer, ni aucun artifice réparer, s'exhalait d'elle en invisibles perles. La sudation de la parole ne tachait plus ses vêtements, mon langage ne la touchait plus.
Des amants elle n'en oubliait aucun, elle refusait de ne garder d'eux que des nuits de plaisirs tressés, attachés, noués qui bétonnaient la route des âges, d'années. Elle se souvient -aujourd'hui encore, j'en suis sûr- de chacun d’eux, de chacun d’eux au moins en sensation et n’en confond aucun. Elle les récite en jours, mois, semaines, elle les précise dans l’éclat de la lune, dans le gouffre céleste des étoiles, elle les raconte dans le haussement de sourcil d’un visage d’ange, où les muscles de cuivre d’un imbécile. Elle se souvient d’eux dans leur singularité et refuse d’en faire des masses indistinctes, agrégées de souvenirs et de râles. « Je n'en ferai pas de synthèse, pas plus que je ne les construirai en orgueil et en bijoux. A travers eux, j'étais il y avait une voix singulière, une voix accordée à des doigts de musique, une voix qui suivait les orchestres d’adresses ou d’hésitations. Je refuse d'oublier, je refuse de les associer, je refuse de disparaître, je ne serai morte qu'enterrée, et encore, encore ce jour là je te dirai de veiller sur ma tombe, d'y déposer un baquet d'eau que, quand fatiguée de la mort, j'ouvrirai les yeux, j'aurais besoin de nettoyer ce corps parasité par les bruits de l'enfer ou les trompettes des anges. Je ferai inscrire sur ma pierre tombale –non je ne ferai pas inscrire, j’inscrirai moi-même- des mots, je dirai aux hommes « ne pleurez pas ici pour mon repos, je n'y dors pas, j'y pense ». Tu comprends, je refuse de me supprimer ».Elle conserve précieusement l'image des mentons fiers ou des gestes timides glissant vers les trésors convoités. Son appartement, en réalité, est une immense chambre noire où sa mémoire traite du souvenir comme d’une photographie, ils se développent un à un dans le bain de la nuit et  pour en tirer des portraits, des visages «  ce que je garde c’est l’âme, c’est le dedans, la densité, la chair, elle s’en va, le corps est mobile, c’est un astre suivant son incessante courbe, il se déplace à l’égal de moi, nos orbites se confondent. Tu crois que ce sont des souvenirs, des histoires ces hommes là, ces femmes ci, mais c’est bien davantage, ce sont des instants, des parcelles de moi. Si je te montre mon bras, il faut bien que tu comprennes qu’il est constitué de baisers, de griffures, de crachats même, que mes seins que tu adores avec les yeux, avec les mains ont pris la forme exacte de leurs envies, ont été pétris par leurs salives, se sont gonflés de leurs désespoirs. Le lait invisible que je crachote ce n’est pas du plaisir, c’est du temps, du temps construit, du temps conscient, ce sont des gens en moi, des hommes dont je perpétue l’existence de nos mains indissociés, de nos corps unis, des frontières qui le temps, le temps de quoi  ? Le temps de s’aimer s’abolissait, le temps de jouir si tu préfères, si tu ne veux pas dire aimer pour du cul, mais c’est bien davantage, la peau, c’est bien autre chose cette matière précieuse et périssable, toujours craintive et qui ne naît vraiment que dans la caresse de l’autre, là, celui qui s’en va déjà, celui qui ne vient que pour partir. Ce n’est pas ce qui importe, qu’il soit là, puis là-bas, que son corps soit soumis à d’autres attractions physiques que le mien, que toutes ces constellations, se croisent, s’embrassent, se dispersent, que dans les grandes révolutions des planètes certains ne se trouvent que pour former des éclipses…  »


Il lui est arrivé, sans donner de prénoms, de prendre l’accent d’un gitan qui la berçait de sa voix de guitare, elle m’a raconté surtout ce soldat israélien, déserteur, les yeux jaunis de crimes pour qui son corps sentait liberté et sommeil. Elle prenait, raidissant ses membres pour l'imiter, l'allure d'un militaire hébété. Sa figure plongé sous la lave crâne d’un cauchemar déroulait toutes les images irréfléchis de sa pauvre. Son insomnie, étonnamment, figurait le premier de ses cauchemars, les cris qui habitaient en lui se faisaient corps et matière, qu'ils avaient tous des prénoms d'Orient, pas de l'Orient des épices envoutantes et des mandolines, des Shérazade et Jasmine, pas l’Orient des contes et des nuits chaudes, des fleurs de miel, des jardins mélancoliques, des princesses aux prénoms doux comme des fleuves tranquilles non un Orient de poussières et de bombes. Un Orient arraché du fracas de la modernité pour se devenir un autre fracas, un grand rugissement piétiné et balafré. Elle me racontait avec son esprit délicat comme il lui était drôle qu'un juif cite l'Evangile malgré lui « Le Logos se fit chair ». Elle avait décidé, pour pousser l'ironie, de ne le voir qu'une fois par an le jour du Vendredi Saint, et tous les ans celui-ci lui répétait comme un psaume « J'ai deux morts, deux morts immortelles : l'enfance et le Christ ». Ils se verront cinq fois, jusqu'à sa gloire minuscule dans l'actualité, les honneurs militaires, les larmes de parents, les youyou des mères vengeresses. Il était schizophrène « les enfants que j'ai vus mourir habitent en moi, pensent en moi, pleurent et désespèrent en moi. Je ne comprends pas leur langue inamicale, mais je peux en isoler le parfum essentiel, bouillonnant de rage ». C'était son dernier mot, d'une écriture précise, presque dactylographiée. Il est mort un vendredi saint.

Aurait-elle ri de ce même rire de chaines que l’on débarrasse–« ce sont des cris de porcelaine »- si elle avait su qu’à la manière des juifs leur Dieu, je ne l’appelais qu’elle. J’aurais pu la dire Yahvé. Déïté jalouse.
Si toutes ces composantes de son existence étaient des sortes de contractuels de ses affections ils n'en perdaient pas pour autant leurs qualités particulières, ils conservaient l'intégralité de leurs conditions individuelles affectées à sa vie. De les considérer en tant que les fragments d’elle-même mêlait l’amour de narcissisme , les objets chéris sur sa peau, les heures face au miroir à scruter vigilante son corps parcellisé d’aventures, «  je suis une mosaïque d’instant  ». Quant à moi j'étais partie des objets, extérieur à elle, jeté en dehors d’elle , moins que le souffle expirait que les choses. Mes yeux avaient la même utilité que le grand miroir devant lequel, tous les matins, elle replaçait sa tiare de souvenirs, et collait à ses paupières de faux cils, où elle appliquait sur ses joues creusées de passion un nombre déterminé de pétales de roses comme autant d'années à retrancher. J'étais un miroir doté de parole. Pas de volonté. Ma bouche était close, c'était un cercueil fermé par la modernité, il n'y avait pas la violence d'un clou ou d'un marteau, mais le tendre mécanisme d’une ferrure qui déposait son souci de métal. Définitif, comme un baiser d’adieu.

De l'avoir rencontrée cloutait une semelle à mes pas de départ, elle l’influençait, y faisait circuler un sang libre, impatient de mouvement, elle ordonnait presque, à me regarder, déçue, de ma présence. Pas encore parti. « Tu n'as pas d'avenir Jonathan, tu n'en auras jamais ». C'est que j'ai un destin, oui, j'ai un destin, et cette phrase, je me la récite jusqu’à sentir le destin, cette providence athée, m’envelopper et me promettre, jusqu’entendre le futur qui se disloque, J'étais un désordre de courage qu'elle organisa. Ses injonctions étaient tendres, c'était une voix de père dans un corps de délice. Elle savait combien je brûlais dedans d'idées de mort. Ell eavait lu mes poèmes-édredons, et devinaient ce que mes yeux d'encre écrivaient sur son corps au milieu de nos caresses. Elle avait lu que je voulais savoir, une fois par jour, « le bruit que fait la mort quand elle renverse un homme ».

 

D’être dans ce train comme un voyageur des années folles, sur ma banquette en simili-cuir, avec ce crayon qui parcourt ma mémoire comme une carte, bute sur quelques montagnes, rature, trace, recommence parfois les chemins invraisemblables qui se tissent, les cordes-frontières qui naissent, les pays que l’on hachure gaiement du trait laborieux du conquérant épuisé. D’être dans ce train, vers l’hiver de Budapest, réintroduit dans mon organisme sa voix dont je croyais être purgé, son souvenir dont j’imaginais que l’absence effacerait le tatouage.


A travers elle s’effaçait tout ce qui me rattachait à une réalité quotidienne, ordinaire et rationnelle. Les bouts de moi, de cette tunique que peut être le «  je  » s’effilochait jusqu’à n’apparaître qu’en nudité, de ses habits écorchés le long d’une fuite barbelée. Mes parents n'existaient plus, ils se dissolvaient dans la matière imprécise du souvenir. Elle avait l'attribut de la mère et du père, elle était ce double visage qui cumulait deux sens opposés : ses mouvements figeaient la contraction du myocarde, s’associait en contradiction et complémentarité qui possédaient cette nature duale propre aux images de cérémonie(l'image de Marie-Madeleine moitié putain, moitié sainte, envahissait mes jugements) lorsque l’on croyait au déchirement tout se rassemblait, quand les coutures apparaissaient tendues comme des veines bouillantes l’image s’apaisait soudain . Son ambivalence sexuelle ne m'aidait pas à l'installer définitivement dans la dignité de la mère ou la sévérité du père, ce au point que je ne savais plus d'où je venais, de quel charnier matriciel je tenais mes yeux, mon nez, mes doigts, de quelle histoire j'étais l'héritier, quel souffle devais-je prolonger ? Quelle lignée mon suicide mutilera-t-il ? Parfois, en moi, surgissait des peines d'orphelin qui me gonflait la gorge de mon parricide-fiction. Mon père, je l'avais déjà tué à 16 ans, en pensées, et j'avais pleuré son deuil dans les bras de Marion, la douloureuse Marion, sur les lèvres de Wendy au corps de sucre et d'or. La douleur était réelle ce même alors que mon père perpétuait son existence, dinait à mes côtés et mes joues frôlées de ses baisers répandaient la terreur dans mon corps d’avoir en affection le fantôme de mon crime, d’être ce corps hanté par la présence matérielle de châtiment de «  Papa  », je n’avais plus l’audace de le croiser, de le rencontrer, de lui baiser le front et les joues. D’être le seul dans toutes les pièces familiales à savoir que je l’avais tué, qu’ils avaient face à eux le résidu de mon crime littéraire, de mon désespoir factice, aménageait tel qu’il pourrait réinventer mes traits pour les jolies jeunes filles. Je saluais tous les matins un spectre. Sa chair vivante ne consolait pas ce deuil que je faisais par vilenie, Croyé-je. J’avais résumé mon père en une foi. Je croyais en mon père. Jusqu'à la rencontrer, je croyais encore en mon père quoi qu’assassiné fantasmé. En observant ses bras soulevant la vie avec grâce et force, je me demandais si mon père avait existé, s'il avait eu ici une matérialité ou s'il ne s'était pas agi davantage d'une masse arbitraire de souvenirs réunis en un être que, par caprice et fantaisie, j'avais nommé papa auquel j’attachais des affections convenables, d’ordinaires comme d’autres en unissant leurs craintes et leurs espoirs fabriquent précipitamment des dieux imparfaits, sortis très vite des fours brûlants de leurs erreurs.

Papa, de la place organique –vivante, tout de même – du souvenir, se décomposait lentement, le souvenir devenait littérallement le cadavre rongé de vers, de mensonges, où le regrets immiscé partout, où la punition inflexible dévorait ma geste littéraire de parricide. Elle ignorait tout de ce dépôt paternel reposant dans ses yeux, dans le dessus de sa lèvre où le fin duvet des filles de soleil se devinait. Saprésence, d’effacer méthodiquement –et involontairement- le souvenir de mon père, d’en nier l’existence en recomposant les attributs dont je l’imaginais lui le seul détenteur, nous dissociait lentement. Sous les rideaux où je voyais la vie avancer de son pas saccadé et jouisseur, ma discrétion se révoltait, j’agitais la main dans le dehors. Une crise d’adolescence, envers cette parenté monolithique, je n’écoutais plus qu’une musique le soir, en veillant les yeux plein de morsure son sommeil  : des fugues.
Je savais qu’il faudrait partir, que ces conversations qui s’épuisaient entre nous y conduiraient, c'était le sortir du couloir, la porte au fond du corridor, enfin la lumière dans la chambre noire :« Jonathan, j’oublie presque toute ta voix, pourtant tu te tiens là, en face de moi, mais je ne me souviens plus de ta voix, tu ne dis plus rien, tu parlais avant, tu criais même, on entendait que toi dans toute la ville. Tu te répandais par le son. Tu attendais la nuit pour qu’elle fasse un bâillon à la mesure de ta révolte. Tu es jaloux ? Tu as peur des colères en toi ? Ne dis rien, ne dis rien, j’oublie presque tout à fait ta voix. Elle se confond dans un bloc d’autres voix, elle s’accroche au clou usé de tous les morts que j’ai pleurés. Je ne me souviens plus. Je te plais ? Je te plais toujours ? Mes mains n’ont pas trop durci sous les pleurs, la vie, sous cet âge qu’aucune révolte n’arrête, qu’aucune indignation ne trouble? Son pas lourd m’écrase. Tu le sens, n’est-ce pas  ? Je sais ce que tu as écrit sur d’autres, que ce ne sont pas des mains, ce sont des cals, des racines, je me souviens de ce que tu dis, mais pas de ta voix. Je me souviens du sens, ce que je perds c’est la forme. C’est comme te connaître derrière un voile, derrière ce rideau tendu d’où je t’enseignais la passion. J’ai l’impression que tu expires du silence. Ne dis rien s’il te plaît. J’essaye de me souvenir de ta voix. Elle est quelque part, je sens bien qu’elle est quelque part, je l’entends qui remue à la manière d’un vivant qui gratte son cercueil. Je l’entends dans ta gorge pleine de nuit, quelque part, que tu étouffes en mettant dedans les mots d’autres. Elle est quelque chose ta voix. Qui ne m'appartient plus. Un objet qui m’appartenait. Une babiole ? Quelque chose là. Qui hésite dans ma mémoire, qui tremble. C'est un bijou ? Une boucle d’oreille pendue à mes lobes de soleil  ? Une nuque cassée  ?C'est une cloche dorée ? Je crois un murmure ? Non ? C'est le vent fendu ? Je ne sais plus ta voix Jonathan. Tu ne dis rien, n'est ce pas. Tu ne me dis plus jamais rien. Est-ce que je te rêve ? Je te rêve je crois. Tu es l'innocence qui contemple le crime. Tu es l'innocence et son oeil borgne et pur qui s'agenouille près du crime et lui tends sa main. Mais le vice n'a plus de mains, il fallait les vendre, comme tout ce qui est beau, comme tout ce qui est digne, comme tout ce qui est haut. Il n'a même plus de temps. Tu comprends Jonathan ? Je ne peux plus t'entendre, parce que si je t'entendais je saurais que je suis vieille aujourd'hui. Que mes mots sont des mots âgés, aux os fatigués, plein de sommeil et de lenteur. Je crois que tu parles trop vite et ta voix me remplit les oreilles en bourdonnant ». Je ne savais plus lui parler mais voir son visage très beau, très fou, où roulaient des souvenirs, où les mots se déchiraient et n’arrivaient qu’en loques au milieu de ses bégaiements était devenu insupportable. Elle ne me parlait plus, c'était à mon souvenir qu'elle adressait ses suppliques d'eau, ses franges décolorées. J'étais un enfant dans les bras d’un fantôme. Encore. Un enfant qui soulevait les jupes et les draps de cette femme déjà éteinte, aux joues grises et enfoncées par tant de mains, tant de corps. Je ne pouvais pas me réaliser. Je ne le pouvais pas, je n’apprenais qu’à étouffer. Avec elle. La poésie congestionnée. Avec ses gestes de poussière, elle en ramenait toujours de dehors, de la poussière qui sentait la mort. Alors. Quand la grande horloge acheva ses gestes à deux doigts, je pris un dernier germe de son printemps, une dernière respiration à ses lèvres mauves de porto, de nuit ou de sommeil...j’entendais sa respiration de somnambule qui invitait la nuit jusque dans l’appartement. Calme. Je m’évadais.
J'ai récupéré ma parole. Elle était posée dans un coffret en bois où jouait une berceuse, c'était une partie de son sommeil -l'autre étant la veilleuse- que je dérobais ici.

Je la laissais face à la nuit, aux hommes, à l’insomnie. Je ne veillerai plus en gargouille immobile la cathédrale de son corps, je ne surveillerai pas de mes pensées glacées les gestes des impatients ni la musique du plaisir ni le silence du sommeil. 

Par la fenêtre je voyais la nuit perturbée, interloquée des lueurs incessantes qui interdisaient son triomphe, la ville était en fête. Une année de plus s’était brisée et semblable à une bouteille qui répandait son ivresse dans les rues et les corps, le temps formait des mares multicolores où se mirait quelque chose. Un futur, dirait-on…

Je suis né le 1er janvier et, aussitôt, je sus me tenir debout et marcher. Non pour avancer mais pour fuir. Je l'ai quittée. Sur la vieille chaîne silencieuse Sans un bruit l’animant, j’ai introduit la fugue en ré mineur de Bach, pour accompagner la mienne grésillante.  J'ai tourné la clé dans la serrure. Je crois que j'avais l'habileté d'un évadé. Sa précision vitale de chirurgien, où tout geste s’harmonise à la pensée, se fond de vigilance se mélange à l’opportunité d’une ruse. L’erreur est mortelle –donc humaine. Je l'ai quittée en rasant les coteaux de ses bras, je l’ai quittée en laissant les versants de son corps à d’autres, ses bosses, ses dunes, en la quittant une émotion étrange, saisissante comme une crampe, me figea  : j’abandonnais le désespoir. Le monde entrebâillé laissait filer de la lumière et du froid, il pendait sa main de guide par la porte grelottante pour me la tendre. Je l’entendais, le monde, de l’autre côté du silence et de la pénombre, au milieu des sons arrachés aux enceintes surprises de posséder une voix encore, j’entendais les sursauts d’une existence qui m’appelait au dehors. Il fallait naître. Naître dans le froid, la ville, dans les voix aux serments de fête. C’est là qu’est ce destin que je sens rugir en moi  ? Lui cette voix schizophrène qui brutalise mon sommeil  ? «  Ce partir muet  »  ? Il faut partir. Toujours, partir. J’ai vu Minetti au théâtre, et il s’exclamait « partir ». La porte entrouverte a jeté sur mon corps de la limaille de fer. Invariable. La liberté a une bouche d’aimant. 

 

 

Je crois que j’ai glissé dans la rue en même temps que la pluie le long des toits d’ardoise, dans le mouvement sinueux, râpeux de l’habit évidé du fil unique qui le brodait. A ma façon je dévalais un ciel, je chutais d’un gouffre vers un autre, plus profond. Dans les rues où je trainais ma loque, chauffé du poêle arraché à son sommeil, le poison semblait répandu uniforme, épais comme de la solitude fondue dans l'air : je ne respirais pas, j’humais cette nouveauté douloureuse, cet apprentissage d’un monde étranger, débordant d’angles coupants, de rues, d’avenues, de choses imprécises. Paris est étonnante, c’est une ville en désordre, monomanique, que le traitement d’Haussman ne permit pas de guérir de ses obsessions tortueuses, de ses impasses. Paris, tableau de maître, repentirs multiples. J’humais l’oxygène aux particules brûlées et les longs bras de chaos, radicelles de loques enroulées sur moi comme l’anémone sur le grillage de fer. Je disais à mes pas las «  Il est l'heure, que l'ennui cesse enfin. Que ce chaos que j'expire depuis ma naissance jusque dans les ports anglais pour former la brume épaisse et gluante qui habille le ciel et les yeux de Manchester m'étouffe.  » De mes notes, je retiens ce passage là  : «  Je crache l'âme ; j'expire la peste. J'ai dîné, tout de même, j'avais vingt ans, je ne les ai plus, j'en ai donné un morceau –là où se tient la lâcheté- à Tania, à Tania qui me jouait avec les doigts Chopin, qui en cherchait la note bleue pour se la mettre aux yeux, en faire un fard, de la note, et la maquiller, et la voir danser de cyan, d'azur, enfin, de tout ce qui peut rendre vivant en elle. J’avais rencontré Tania au théâtre, deux avant de l’abandonner, je traînais chez elle comme dans un bar : c'est-à-dire un endroit qui s’il peut vous soulager d’un morceau de nuit, se sait des horaires impératifs. Tania fermait, alors et après la marée de son corps, me rejetait au rivage, épuisé, sordide. Comme un lieu public. Aujourd’hui que je l’avais quittée, que je devais trouver des motivations à mes départs, je m’installais sous son comptoir. J’allais dormir avec sa colère. Repousser ses fermetures jusqu’aux prochaines ouvertures (HIC)


Tania, celle qui avait trop de nuit en elle ; trop d'années aussi, à nier qu'elle était née furieuse, fumée, ombre, tout ce qui de la vie est bouleversée. Les torrents, les tourbillons, les tornades, la Terre vue du ciel quand les nuages se massent et dessinent une étoile sans pointes -une séquelle, une simple trace de vie, forme confuse engendrée par l'Univers un jour de colère.


Tania, tapait frénétiquement sur son clavier, elle fracassait la pédale, elle voulait faire, disait-elle, "hurler la musique", et elle lui arrachait de petits glapissements, elle trouait le son, de semblants de colère. Elle avait étudié, longtemps, dans de grandes académies, au milieu des meilleurs professeurs sans que personne ne la fasse dévier de son but : être une pianiste virtuose. Quand elle atteignit son but, qu'elle se produisit dans de grandes salles où la foule qui même instruite demeurait foule, elle ne sut plus. Toute sa musique, chose liquide, fluide délicieux, s'était évaporée au seul contact de la masse, à l'idée de la moiteur de ces corps opaques. Aucune note ne s'échoua au public aride, traqué par la soif. Sa carrière de virtuose s'achevait dans un murmure suspendu. Sa musique dans son bel habit avait accroché les surprises des murs, les clous des crucifiements et arrivait nue, silencieuse de honte. Dans la salle le bois qui craque, la toux qui monte, le rideau qu'on froisse, l'agacement. L'assistance, hagarde, étourdie, inculte aussi, s'étonnait de ce silence et ignorait qu'elle se tenait face à l'Histoire : le premier requiem sans note, ces quatre saisons réduites au chaos primitif de l’Univers  ; ce silence annonciateur. Pleyel qui inhume, quatre cents spectateurs et autant de tonnes de terre pour la couvrir, de la pourriture arrachée à l’Art jetée au dessus du piano, autant de souffles de respiration de noyés. Tania est morte à vingt-sept ans, dans un habit de pianiste virtuose ; muette du geste. Elle avait vu, dit-elle pour expliquer le mutisme du piano, se lever de l'ivoire des fleurs malades bleues-mauves –sorte de canneberges- qui voulaient lui mordre dans le cou et lui sucer le sang, elle disait qu'elle avait vu ces choses affamées, issues des jardins de la mélancolie où la musique était servile et ne jouait qu'aux ordres, ne répondait qu'à des commandements. Elle n'avait pas joué, répétait-elle encore, parce qu'elle était pianiste et non tambour, qu'elle savait se faire la main des muses qui volète dans l’Art et qu’on prend dans son éprouvette, qu’elle savait transposer avec la main les voix qui se tiennent titubantes sur le fil fragile de l'horizon, mais qu’elle refusait, oui, qu’elle refusait en des cris de terreur d’être une estafette qui prolonge le sabre du colonel, le casque du caporal, le barillet du commandant. « Je ne suis pas le grésillement de la radio, je suis le cri horrifié qui s’arrache de la bouche du compositeur quand la maladie l’effondre, quand le temps ramène à sa précarité. Je suis celle qui prolonge les morts, la prêtresse qui par sa croyance oint le corps de spectre du saint, ma bouche est la mère des béatifications » La musique, dit-elle encore, est chose d'assassin et non de militaires. Parce qu’elle tue oui, mais elle tue librement. Le crime plutôt que la guerre avait elle gravé sur sa peau.Tania, chaque fois, qu'elle frôle le piano, qu'elle entend les Variations Goldberg blêmit. Elle s'incarne dans un corps différent, ses trente-trois ans en paraissent cinquante, son dos se voute, ses muscles se nouent, raides semblables à des nerfs en crises. On ne peut plus la toucher comme un être, mais comme un minéral creux et en fusion, aucun maquillage ne peut soudoyer le visage qu’elle prend alors pour le rendre conforme aux exigences de logique, aucun prix ne permet de se le concilier. Il ne reste d'elle plus qu'une intention, qu'une idée. Personne ne l’interroge sur son état du jour, les banalités d’usage s’exilent par la simple terreur qui ponctue son front d’albâtre, on peine à croire que cette chose –cet être  ?-, qui fume encore d’avoir brûlé, abrita un jour quelque chose qui s’approcha d’un sourire, ce corps était mort. Elle n’avait pas menti, la musique tue. A son rythme, comme le désespoir, ou la maladie. 


Tania. Tes grands yeux bleus ont échoué à répandre dans le ciel le liquide blanc des alcools nouveaux. Elle voulait devenir un pinceau –ce doigt métamorphose de la couleur- une trace de lumière sur la grande toile, et voir ses lèvres gercées, striées de petites routes à caresser devenir une plaie étonnée. Quand elle ajuste son reflet dans le miroir elle voit sur sa bouche qu'elle a tant mordu, des lignes de partition, des tas de lignes sur lesquelles ses dents sont des copistes aux martèlements de graveur : le sang doit calquer des notes : blanches ou rouges. Tania ne se mord pas les lèvres, elle compose. Elle veut dire qu'elle ne parle plus, qu'elle joue. Qu'elle ne fait que ça, sa virtuosité lui est remontée, dit-elle, un matin, comme une nausée de femme enceinte. Elle parlait de la musique, de son désir et croyait jouer, à la manière des petits cacographes qui disent écrire tandis qu'ils bavardent. Elle opérait cette même substitution entre l'intention –l’idée de l’objet- et l'objet…la seule croyance de la création suffisait à la persuader de la réalité de la création, ce biais cognitif me surprit avant que je m’y fasse. J’aimais qu’elle refuse de concéder au réel, ce réel si obstiné, tyrannique qu’on laisse avancer sur nous, nous piétiner, nous écraser, nous faire rompre, et elle niait, simplement elle refusait toute la physique, la douleur, elle se mettait face au réel et se moquait de lui, de ses mains flétrissures qui lui passaient dessus pour la raidir, en pincer la peau et le temps, entraver la jeunesse. Avec son chapelet d’années aux nombres de perles en bois indeterminées. Elle avait l’âge de ses humeurs. Décidait selon sa condition mentale l’âge de son corps, c’était question de fraicheur et d’envie. J’appris  qu’entre vingt et cinquante ans une folle avait l’âge de ses vouloirs. Elle était musicienne parce qu'elle prétendait à la musique, et tandis qu'elle discourait je voyais ses doigts gourds, incapables de la moindre mélodie. Elle parlait souvent de musique, allumée comme une forge d'enfer, elle en disait de la musique comme on dit d'un amant qu'on éconduit, comme la nuit aux rebords usées par les mains frêles encore des premières lueurs blondes du matin, qui l’effondre tout à fait pour se redresser. La rosée au creux de ses lèvres fades, au goût d’eau croupie… Les mains fêlées, tombe en morceaux la nuit, s’éboule en pourritures, eaux d’égoût

Tania…ma Tania à la musique effrontée était ma découverte de contrées lointaines, imperceptibles, mon premier véritable voyage, ma première communion avec l'ailleurs menaçant. Elle était un continent, Tania l’Océan qui la bordait, qui l’entourait, la tenait, que ses doigts humides enserraient de l’ombre. Je m'étais accoutumé à voguer sur l’habitude me jurant de l’originalité de ces douleurs usées, à y traquer la densité de la marée, le danger d’une vague gonflée de ruptures. Je dérivais la tête dans le torrent furibond, mais torrent tout de même  ; qui à a mer dangereuse, gorgée d’aventures, est l’égal du caprice face au deuil. Petite marée. Petite eau. Petite noyade. Apprentissage.C’était une femme pleine de modernité, ses tailleurs étaient modernes, ses bijoux étaient modernes et jusque sa façon d’aimer sentait la modernité, la vitesse, la promptitude, cette sorte d’exactitude, de précision mathématique, cette économie de gymnaste au cœur de l’effort, comme un amour plein de mesure, de rejet, d’expulsion. De n’être plus pianiste en uniforme l’avait restitué à la vie civile –en dehors des arts il est une vie civile, qui habite un corps profane, soumis de contraintes. Le soir elle paraissait après avoir dansé, et aimé, dans des robes qui sentaient le cocktail, l’argent et la fadeur, elle paraissait dans des embrasures de porte, partout postée comme pour être au milieu des éléments la peinture dans le cadre. Le point de fuite. Mon point de fuite. Le début de mes perspectives.

J'étais impatient de ses absences, des tourments que son retour jetterait sur moi. Dans son attente je creusais des tranchées avec le temps pour subir son retour débordé de grondement. Pour tenir ma position de Verdun, sous les obus-postillons de sa colère, soixante millions d’insultes pendues au plafond, prêtes au moindre de ses ordres à se décrocher pour atteindre mes failles. J’attendais, comme un esquif qui traverse les eaux stagnantes de la vie, et chaque fois que je l'apercevais, blême encore de sa nuit d'outrages, violette de sa cerne unique qui lui tachait le visage (C'est le vin qui m'imprègne. C'est elle qui parle.), je muais en guetteur qui hurlait, "terre, terre" et se déchirait les lèvres brûlées d'eau de mer dans ce cri qui ne cessait pas "terre, terre" et cette terre était sauvage, veinée de mœurs barbares. Chaque débarquement me faisait un peu plus croyant –les canons ont toujours été de meilleurs missionnaires que les prosélytes fanatiques-, un peu plus supplicié. Je voyais terre sauvage et marécageuse depuis la nuit sombre et ces sommeils perdus, là où s'arrangeait le jour vertical pour corrompre l'œil et lui offrir des mirages, la lumière était sur son corps une épice. Rare et envoûtante, elle glissait sur son ventre, disparaissait contre ses reins, s'enfonçait dans sa gorge et ne rejaillissait jamais qu'en effluve, sa peau évaporée suffoquait mes audaces, une main invisible remontait sur ma chair des sensations, des joies. Certains yeux reçoivent la lumière, les siens la dérobaient et la recrachaient lentement, en poussières de nuit, en blocs serrés de cendre, en la volute boisée du violon. Disparaitre, voilà le mot que faisaient ses caresses, quand elle m'en habillait le corps. Quand pour se croiser et se jeter l'un sur l'autre j'hurlais encore "terre, terre" du haut du mat et j'ignorais déjà, mes mains au contact de ses sucs, que la terre était chose pourrie, recouverte de vase et d'une salive ténébreuse et visqueuse : que l'on nommait désespoir. Tania ne me laisserait jamais partir. « Tu ne peux pas partir. J’en ai mis à genoux des plus fébriles de la joie, j’en ai écrasé des désespoirs avant le tien. Tu ne partiras pas. Tu resteras là, là, pendu à mes manières, attentif à mes gestes sourds, fou de ma musique. Tu te tiendras là, dans les angles que j’aurai choisi pour toi. Ils te serviront de chambres à coucher ; de cabinet d’écriture ; de lieu de vie. Ce sera chez toi, les ronds que je ferai avec mes cigarettes. Ce sera chez toi mon corps, et tu devras y allumer toujours des feux aux formes infernales, tu devras toujours entretenir des braises et remuer des flammes. Toujours. Mon corps n’abandonne rien, il dispose l’amour et le plaisir comme deux pièges égaux. Je t’offre deux cages décorées par l’extase. »


Les cuisses de Tania étaient la plus solide des prisons, prison d'impressions et de jais ; de sensations et de vapeurs ; prison chimique et nécessaire. Plus bagne encore que prison : je l'appelais Cayenne. Elle me laissait voir le ciel, ciel parcouru d'ombres et de voilures noires, sevré d'étoiles, comme les forçats : d'un côté la jungle, de l'autre l'océan. Au cœur l'enfer du bagne brûlant et la main du bourreau suspendu, luisante de sueur, éblouissante de crime…Tania ne connaissait aucun évadé. Cayenne avait jadis joué de la musique, en taillant des cithares dans le bois de balata avec des cordes tressées d'une chevelure indigène. Elle avait pendu des hommes, cette Cayenne, aux cordes de marin qui se balançaient encore, les chairs bourdonnantes de miasmes au bout de ses doigts devenus étoupes. Tania imaginait me faire subir le même sort, au milieu de nos tragédies, et régner sur la plainte fumante, le sourire brisé, la main tendue, fière, enflammée par le torchon  ensorcelé des victoires. Elle imaginait me soumettre avec ses yeux funestes, bleus comme la flamme au bord des becs de gaz. Sûrement en avait-elle écrasé des plus résistants que moi, des plus fiers, des moins fragiles, des fabriqués avec des audaces, forgés dans le métal des candélabres infinis. Elle ignorait seulement, d’où je venais, l’endroit d’où je m’étais extrait. Qui a fui le cimetière ne craint plus la mort, il s’y est accoutumé, rien des choses vivantes ne peut plus le menacer. Comment craindre l’ombre d’un regard, d’une intimidation, lorsque l’on sut s’habituer aux gouffres des fantômes, aux corps transparents et glacés des spectres, à coucher près de deux fantômes, et abriter dans soi le parricide lointain. Pauvre Tania, qui ignorait que de muscienne, je la faisais lentement entrer dans la profession de cordonnière, toute sa rage ferrait mon pas sauvage.


Elle
comme Tania chaussait de certitudes mes départs, c’est en piétinant ses mains amantes, vibrantes de folie, que je me convainquis qu’il fallait partir d’ici. Elle m’offrit, dans la nuit de ma course, de la première course prise dans l’orbite de la vie, qui subissait pour la première fois expérimentait la gravité, gravité physique, réelle, pesante, une jambe, une jambe solide, de fer, de muscles, de peaux. Tania, m’avait offerte un membre factice, une prothèse. Mon départ boitera, ma fuite claudiquera. J’ai déjà un pied en enfer. Je saurai l’en sortir. J’y suis né.

 

Ces raies de rage qui pénètrent par toutes les fentes de la joie et tachent le bonheur.

 

XX.XX.2011

«  Il faut partir, avec mes deux jambes et mon pas infirme. Il faut partir et pour partir, il faut une chose : du courage. Traduit, c'est-à-dire de l’argent.  »

 

J'étais trop pauvre d'abord pour voyager, pour découvrir les continents et m'offrir un destin d'aventurier, de marins à la bouche édentée et aux gencives énormes du scorbut ; il me fallait commencer en d'autres voyages, d'autres découvertes, apprivoiser l’immensité du monde sur des bateaux de fortune, des radeaux instables. Je justifiais de mes lâchetés par mes gueuseries, mes haines se mettaient en travers de l’objectivité. J’avais des mépris jaloux pour les bourgeois qui pouvaient partir avec des rires apaisés dans des labyrinthes sans lumière. Ils avaient l’argent bien sûr, le crédit pour tisser un fil d’Ariane, allumer une torche, reflet de la monnaie jouant la .Ces cris de haine figeaient ces jambes monstrueuses, plantées comme des arbres indéracinables, fixes, immobiles de couardise. Il fallait bien trouver une alternative à ce départ insolent, trouver les petits affluents qui créaient les Tania, embrassaient ces femmes comme des Nils convergeant dans la Méditerranée. 

Alors, j’ai prolongé autrement ma fuite. Je lui ai cherché moins des motivations que des courages, j’ai rassemblé dans des autres corps les membres de moi. A travers elles, j’apprenais les territoires mesquins, les typologies du terrain, de tous les terrains. Un entraînement. Le départ ce n’est pas question de géométrie, de mesures, je veux dire ce n’est pas ce que mesure l’arpenteur du tangible mais le risque, cette chimie pleine d’orage, ce danger contenu dans chaque centimètre, l’inquiétude qui exhale ses formes, qui développe ses épines, qui libère ses poisons. C’est de ces chemins là que j’ai fait mes voyages, c’est à l’ombre des mancenilliers que j’ai cherché mon repos…


La gravité terrestre, celle qui oblique le sens, qui entrave le mouvement, retient les vocations. Peu importait alors que Tania dans ma lutte m’avait expulsé violemment d’elle, vers cette destinée dont je me persuadais. La gravité moquait les forces d’inertie qui déplaçait les corps célestes, les impulsions, les explosions étaient sans nécessaire, dans la cascade du déplacement cette chose, ce vent, que pouvait-il recouvrir autrement que la volonté qui anime les muscles, qui les gorge de pétrole  ? Il me fallait réunir, en moi, assez de connaissances des cavités de l’humanité, des recoins les plus dissimulés aux usages, tout apprendre dans une leçon pratique au milieu de caractères identifiés. De femmes de réputation. Je tenais, à ce moment là, un carnet où je consignais mes souvenirs d’amoureuses je l’appelais «  L’Atlas  ».

 

J'ai commencé autrement. L’importance d’un départ ne se chiffre pas aux kilomètres parcourus mais au risque engendré par chacune des distances.


Je vais chez R, A, V, C et dans cette géographie d'initiales, de prénoms, il y a du voyage. Chacune est un État dirigé par un tyran derrière sa porte, celle de ses origines, de la rocaille de la voix, du r roulé qui tombe comme la mer sur le torse des bateaux, comme la pierre de l'avalanche dans les chemins qui montent au ciel. Ma jeunesse se forme sur ces corps ; ce sont des ébauches de départ.


De Frida, c'est l'Allemagne, les bottes en caoutchouc à la voix de colosses, le pas haut des soldats, les frontières qui s'en vont et, plus loin que les frontières, c'est l'Histoire qu'elle assemble dans ses yeux, dans sa voix, dans la langue et jusqu'au trou de la gorge « oh encore un souffle, dis moi « Guerre », et quand elle prononce Krieg, je vois dans le ciel des armées sortir des souffleries du ciel -d'éclair- se fendre les côtes, je vois, je vois oh, une cerise –Kriek- sur sa voix qui se tait et disperse les images. « Annexe-moi ; Anschluss » et je l'annexe. Toutes ces ombres d'Histoire qui courent au plafond. Chaque fois qu’elle crie je sais la terreur de Montmartre tandis que la Grosse Bertha vociférait ses hoquets bavarois dans la nuée soucieuse.


Il y a Nastasha au prénom de tsarine, à la peau blanche, et quand sa voix tombe avec son geste qui monte, quand elle me raconte au milieu des cendres du jour -la nuit- le bruit de départ que firent ses parents quand ils entendaient la rumeur des Révolutions, quand elle devenait la voix du peuple, la Révolution, je crois que je cherche à la tuer, à lui faire chanter l'Internationale à chaque cri d'extase que je lui arrache. J’ai en horreur l’argent, les riches, jusqu’à avoir placardé dans ma rage un libelle sur la porte de l’innocente Emilie, à l’avoir assaillie d’outrages, d’offenses, de baves et d’insultes, à avoir inscrit sur sa peau ce que l’argent tenait de crime, ce qu’il était d’implacable souillure, de définitive salissure, de péché qu’aucune eau lustrante ne saurait baptiser. Chaque porte est un pays ; et chaque pays un instant. J'ai mille États souverains, des qui ont disparu même de la géographie officielle et surviennent dans le souffle des historiens, je cherche avec la main, quand j'embrasse Songul, l'empire Ottoman, et je ne trouve sur le Bosphore que la Turquie, quand je plonge la main dans les lignes d'eaux je croise des régions arides où le trait bleu s'affine jusqu'à former les yeux de Lucie, je ne trouve dans les Balkans qu'une nuée de petits États plus faibles que mon biceps.


Putain.

J'ai faim, j’ai faim déjà dans ce départ sous les morcellements de Paris, faim ici, aux rues immenses, sans risques, où tourbillonnent les charités et les charitables. J’ai faim, dans ce Paris, gris où le jour chante à la lisière de l’ombre, où se promènent dans la robe d’odeur le pain chaud et frémissant, qui craque comme l’aurore jaune et dorée, lève avec le levain des aubes. Il me faut trouver quelqu'un où m'inviter,  quelqu’un à taper d’un déjeuner au troc de ma conversation, quelqu'un qui sera heureux de me recevoir, qui dansera de l’intelligence. Je vais appeler Guillaume, je vais le visiter, avec son nez qui s'allonge toujours plus que son sexe. C'est un être désincarné, il est science -et donc juif- parce qu'il est presque verbe. Le verbe est un cartilage, une articulation, le verbe c'est tout ce qui n'est pas comestible de l'être humain, tout ce que l'animal affamé jetterait s'il découvrait un homme dans sa famine. Et Guillaume n'est que ça ; intelligence sans corps, un adjectif : génie. Nous nous ressemblons. Moi, les mains des êtres me traversent quand elles me caressent. Mais Guillaume, Guillaume va me donner un bout de pain, et ce bout de pain, de mon corps transparent et risque d'échouer, dans ce moi de futur, d’espoir, de départ, sur la place Attila Jozsef, de me traverser. La nourriture est une arme ; la faim une plaie. Mais je ne suis pas encore là-bas. Je dis « j’ai faim » et c’est un espoir je dis « je suis mort » et c’est un fantasme.


J'ai mes vingt ans qui ne sont déjà plus vingt à offrir à des mères qui n'en veulent pas ; et si personne ne les nourrit je les avalerai pour en digérer vingt de plus. J'ai vingt ans qui gémissent de froid dans des parcs, des avenues, et se lassent d'être libres s'il faut avoir faim. J'ai vingt ans qui ont la tuberculose et crachent du sang sur les peaux lisses prunelles de celles qui n'ont rien à m'offrir qu'un peu d'Histoire, de géographie, une miette entre les dents de l’éducation. Bonjour collège, lycée, bonjour bancs, femmes, amourettes. J’apprends.


Je vais rencontrer d'autres passés dans les rues. Je vais boire Paris jusqu’au dégoût, mauvais alcool, infiltre toi comme de la pluie, forme sous ma peau, à l’intérieur de mes veines, des nappes épaisses de boue. Je vais rencontrer des ignobles imbéciles, des frénétiques de la bêtise, qui ne l’abdiqueraient pour rien. Je vais traquer les bavards pour déborder de leurs mots croupis et puants. Je vais leur parler pour raconter, loin là-bas, dans cette langue sans souillure, ce que c’est que boire l’eau d’un égoût.


Tiens. Salut Mikhaïl, il me raconte, comment il a la bouche plein de musique, et dans son pas lourd je vois qu'il a échangé la danse, je vois sa cuisse gonflée, je vois son corps qui grandit -, je vois tout ce qu'il a éteint de lui-même pour être si plein de ce chant. Il n'a pas trouvé Wagner : il en serait revenu ébloui ; il n'est que bruyant. Bruyant Mikaïl, qui me dit, ce qu'il a visité de femmes et d'hommes, et tant qui l'ont aimé "tant qui m'ont aimé". Les hommes comme un orgueil de plus, qui viennent s'ajouter à ce qu'il pourrait appeler « morale hésitante » et qui est déjà trop morale et n'a d'outrance que de bégayer assez pour refuser la vertu. Elle ne dit pas « oui » au vice, elle n'a seulement pas le temps, dans sa bafouille, de dire « non » à orgie qu'orgie l'a déjà renversé et qu'elle danse sur des tables minuscules, avec les bras d'envie, avec les seins de luxure, et paresse est sa morale, et tous ces archanges noirs dont il me conte et décompte les baisers. J'ai bu à sa coupe à la manière d'un empereur romain qui, sachant, les intrigues nouées dans les dédales de son palais, entendant les murmures de complot qui hérissaient ses caves, boit tous les matins une mixture de différents poison afin d'y accoutumer son organisme et qu'il défende efficacement toute tentative d'intrusion par les sens. J'ai bu à Mikhaïl, la grossièreté, la veulerie, l'imbécilité pour y lutter de toutes mes forces, dans toutes les circonstances.


J'ai faim, et ma faim me fait briller dans le noir, elle me rend visible à tous les passants qui s'inquiètent d'un être pareillement phosphorescent. C'est que je brûle, regardez moi, regarde-moi, toi qui ne brûle pas, comment c'est d'avoir vingt ans et d'avoir faim. Regarde, comme j'ai faim, regarde comme mon ventre est rond de désir pour toi, comme il est prêt à se vendre, comme mes vingt ans peuvent t'offrir leur jeunesse pour un lit, un drap, pour un chiffon, pour un os à moelle. Laisse-moi goûter le sucre qui coule à tes pieds, qui baigne ta bouche, qui s'égare dans la ville. Je vois le jour qui grimpe et scintille comme des cristaux de sel quand il conquiert les hauteurs, le jour s’élève, il fume, se répand très haut, très lourd, très pesant presque boiteux.
Et cette faim, ce bruit, cette voix, qui grogne comme la nature affamée tout ça est mythologique, je veux dire la mythologie c'est l'habit de lumière de la réalité, c'est la croyance, la mythologie, c'est son obsession, son évidence, c'est la peau noire de l'esclave ; la jaune des mathématiques, toute l’élégance du préjugé. La mythologie, c'est la poussière et le fracas qui nimbe la balle qui s'échappe du pistolet, c'est le cri que pousse l'agonisant, c'est tout ce qui est hors du corps, hors de l'Histoire, c'est tout ce qui prend de la place dans la bouche et n'en occupe pas dans la mémoire. Ce qui la sépare de l'Histoire, qu'elle nous habite le corps et abandonne l'intelligence. La mythologie, c'est la beauté du monde, c'est ce qui lui permet de durer, c'est enfin, quoi, la musique qui s'est soudain levée comme un vent pour porter les tambours de Napoléon et prendre Arcole ; c'est celle qui s'éboulait -soulevée par les Walkyries- sur les corps des génocides. Celle dont on se demandait, pourquoi elle ne s'est pas tue, pourquoi l'horreur l'a tant nourrie, pourquoi elle avait faim de drames, la misère, de violences, d'âmes brisées et de corps décomposés. Pourquoi la musique -l'art- est un tel charnier. Tania refusait de jouer aux ordres et je ne pourrai alors jamais lui révéler cette découverte récente. C’est l’Art qui a exigé comme tribut aux hommes la guerre pour célébrer leurs désespoirs, pour ériger aux morts des stèles de prétextes. Pour sa défense H., officier nazi, s’exclama ainsi «  vous m’accusez d’avoir fait des orphelins, et je vous dis que j’ai enfanté des artistes. Vous me reprochez d’avoir accablé des veuves, et je vous affirme avoir taillé des muses. Ce n’est pas mon procès qui se déroule sous le grenier de vos mentons, dans vos palais mentholés. Faites bien attention, messieurs, mesdames, faites bien attention ce que vous vous apprêtez à condamner c’est l’Art. Prenez garde à sa vengeance. Prenez garde à ses déceptions. Ne défiez pas les choses impossibles. Baisez les doigts et les paumes hauts des doux che-valiers-bourreaux, célébrez le criminel. Votre extase est depuis lui.  »


La mythologie est l'anecdote de la vie.


J'ai faim, j'ai déjà faim du départ, faim de la faim qui là-bas sera mon estomac. Faim de femmes, faim par tant de bouches de loups. Je vois Anne pour. C'est déjà fait. Elle me met les yeux sous le nez, et me dit « regarde comme ils sont beaux » et elle adore ses yeux qu'elle montre comme des boucles neuves, comme deux immenses vanités. Ses yeux ce sont deux pierres bleues, des opalines, minéraux morts, de l’apparence des cristaux de voyants jetant la mystique lueur sous des tentes étudiées pour les effets. Ses paupières retroussées, maquillées d’un trait brutal, agissait de la même façon que les repaires des cartomanciennes. Seulement. Dans ses yeux. Je n'ai rien vu, d'avenir, de passé, ou d'émotion. Elle me tend le regard, et c'est comme si elle les caressait, ses yeux, comme si elle me disait touche comme ils sont doux et profonds, on dirait des sources –taries, de me renvoyer ainsi à ma jeunesse objet, à mon allure de miroir bavard.... Et je lui rétorque amusé, que la seule profondeur du monde est le sexe des femmes. Mais elle insiste, elle veut que je lui touche les yeux comme les hommes bafouent, que je dise la naïveté.

Je ne l'ai pas dite. Je me suis tu. J’ai bien appris par cœur le silence avec elle.


Je préfère les prostituées, elles sont muettes. Muettes comme un criminel. Je crois que c'est ça, le crime rend muet. Il censure la parole inutile, puisqu'il y a un geste, un acte, ô un acte sublime, qui suffit pour parole. Celui de cet H., inconnu des livres d’Histoire.


J'attends le criminel qui ne parlera pas mais dont on saura qu'il a voulu parler alors qu'il assassinait, violait, pillait lorsqu'il s'est mis sous l'ombre de la Cour d'Assises qui finit toujours par s'étendre assez pour coincer la fuite avec l’assistance milicienne du jour. Je veux qu'il dise qu'il voulait parler, mais qu'il était trop lourd de crimes, qu'il l'avait déjà en lui et qu'alors il ne pouvait rien dire, que sa bouche, refusant d'articuler, ne pouvait que déchirer.


Je veux l'entendre -sans un mot- indiquer qu'il devait parler et qu'il devait le faire de tous les moyens, par tous les gestes, qu'il devait soulager son muscle du crime qui le tétanisait.
Alors il a tué. C'était sa voix. Ce geste. Son langage de signes.
Qu'il dise ça, enfin, sans un mot. Et que je l'entende.


La parole ne sert pas les gens beaux, qu'ils ouvrent la bouche pour lécher, embrasser, ce sera bien assez pour ceux que la poésie a déformé ou que la fortune a élevé. La beauté, chose muette, statue, qui jonche les jardins de rois, dans l’ordre précis de l’architecture cosmogonique, des planètes fixes, des bulles de chaleur immobiles. J’ai connu de ces belles en mouvement, à l’existence aussi utile que le jeûne d’un loup.

Elodie –la belle bavarde- est une femme dont on se demande pourquoi elle n'est pas née en marbre ou figée dans le bronze de son corps. Pourquoi merveille de chair et de formes était capable de tremblents, d'abandon et d'exercice –factice, illusoire, trompeur- de volonté ? Son corps ne devait être rien d'autre qu'un objet posé sur son socle de pierre -désir des hommes la portant haute, qui traverserait le temps dans sa matière brute, dans sa primitive éternité, dans la nuit blessée où elle serait une légende. Ce devait être une autre nuit, une nuit basse, qui monterait de la Terre, tandis que la nuit haute y tombe. Elle devait être fleur -rose et pissenlit- mais se pensait humaine, croyait aux choses du bonheur, aux bassesses que sont les paroles des garçons, abandonnait vertus et vêtements dans des draps -mes draps- jusqu'à force de cris, user tout entièrement sa matière, à force de larmes effacer la perfection de son visage . J'ai connu sa peau et  mon cou a gardé la brûlure de ses lèvres. Elle était puissance et toute sa puissance était corrompue par ses tentatives d'esprit. Son humanité l'avait avilie. Quoi qu'elle fût elle a fini de l'être. Elle manquait de vices, du vrai vice, pas de celui qu’elle croyait, et qui lui interdisait le sommeil alors qu’elle trompait son imbécile d’alors. Elle manquait du vice qui fait peser de tout un crime sur la bouche pour la grillager, pour déchirerOui. Je pars d’ici, pour rencontrer le crime, pour rencontrer la géographie des dissimulés. Aux assises, dans la religiosité républicaine, sur le parquet résonnant d’éloquence pleine d’actions réglées.
Le crime dessine des muscles et sublime ; le remords défigure. Combien j'en ai vu d'amoureux, les jambes nouées à la place de l'accusé ? Combien sur ce trône, sis dans la majesté qu'exhalaient les regards réprobateurs des curieux, qui abdiquaient dans l'aveu ? J'ai vu alors le laurier lourd s’élever en des vapeurs méphitiques, sa beauté dévorée par le suc de l'abandon, et l'hermine leur glisser des épaules, j'ai vu leurs traits se creuser, j'ai vu que le regret était la première ride dans la beauté et la beauté -qui n'est beauté que parfaite, inaltérée- était fatalement touchée. Ces visages dont les profils s’échappaient des Odyssées lointaines, avaient soudain l’âge de la légende. Les deux mille ans de poussières, la beauté dans le remords était rogné de l’acide coupable, les lèvres arrogantes décomposées, les cheveux malades chutaient en mèches enitères. La beauté est chose prédatrice qui ne consent aucun sacrifice d’elle-même, ne se retranche pas. La grâce du crime, est trop lourde quand elle bouscule –et féconde alors- la morale. La cruauté se délite, et s’use, ce poignard passé sur le fil des dents animales, des plantes carnivores s’effilent jusque la rupture. Et cèdent. Le craquement bref, le court séïsme secouant les Assises, est celui-ci. La cruauté brisée. Ce poignard en trois morceaux qui renonce à l’immortalité.  


(intégrer mon truc sur mes yeux de bile ici qui recouvrent le monde)


Les avocats de la défense, quand le criminel avoue, ont un geste d'humeur qui n'est pas celui- vulgaire- d'avoir perdu une affaire, d'avoir taché une réputation ou envoyé en enfer un innocent mais celui du déçu amoureux, d'avoir chéri une grâce qui était faiblesse, faille que le juge, frappant de son marteau, fend en deux corps  : ici l’homme  ; là bas le crime. Les avocats ne défendent pas des clients mais des amants. J’ai abandonné le droit à cause de la lâcheté qui pend dans le corps de chaque criminel, de ces vertus qui apparaissent sur la peau sublime comme des mélanomes grincheux. Parce que j’ai fait du droit. Jusqu’à l’agonie. J’ai fait du droit jusqu’aux escarres, les peaux mortes noirâtres que l'on retrouve dans ses cauchemars, j’ai fait du droit et vu, vu les yeux éteints de mes condisciples, les bouches glacées des professeurs. J’ai fait du droit et pour continuer de brûler j’ai rencontré M. Qui avait mis le feu à sa conjointe. Ses doigts de cendres amoureuses carressent.


Je vais aller voir des criminels. D'autres. des rangées, légions, bougres et bougresses, raides de principes et de désir puis voûtés de gloire. Ceux qui ont une mémoire de papier journal ou, pour les plus beaux, de photographies en noir-et-blanc du jour où la nuit, lasse, a abandonné leurs corps à la justice. et ceux dont on a trouvé aucun corps, que la justice a poussé d'une main plus faible en prison -et qui savent la séduire, de leurs muscles toujours là, qui lui remontent le bras, en baisent la main, et bientôt recommenceront.


Je veux visiter des prisons, m'égarer dans ce « corps social » où chaque être est déjà une cellule, je veux voir ce bâtiment gris qui fait un automne à la ville où il a poussé, et toutes les caresses que s'adressent les prisonniers, ces caresses où personne ne fait la femme, mais où l'un des amants fait le mort. Comme les prostituées que j'aime tant de leurs silences qui se disloquent en autant de larmes, ces larmes qui ne percent pas, qui ont durci sur la peau, pour en faire une autre peau, douce mais rugueuse, à laquelle s'accrochent les mille envies du monde.

Je suis en prison, dans mes nuits, et je sens la brutalité vile d'un homme trop grand, trop imposant, et je me sens pousse qu'abîme le fruit qui chute de l'arbre, le gland que le temps décalotte et qu'écrase le pas sauvage. J'ai peur de sentir l'envie du bourreau qui traverserait la nuit, qui fracasserait le phantasme pour entrer dans la réalité. Peur, de sentir le sexe qui se dresse, peur que tout ça devienne une histoire, où le sperme lactescent qui jaillirait me crèverait le poumon et m'asphyxierait le cœur.


Je n'aime pas les hommes ; je désire des criminels, je désire ceux qui sont jetés là par la vie, ceux qui subissent les événements ou même parfois les nés criminels, guidés là par la seule pulsion primitive. Ces siamois du crime, hydre de l'infraction. Ce crime qu'ils ont attendu de commettre, la gestation du traitre, le plasma de forfaiture, ce qu'ils réalisaient déjà dans l'imagination, qu'ils ont commis cent fois d'un plaisir décroissant par-delà le rêve. Combien d'images et de corps virtuels ont péri dans leurs bras avant que ne s'abattent le premier corps, avant que ne s'écrase la première victime. Ils ont perfectionné leur art –parce que c'est d'art qu'il s'agit- sur des images, avant d'atteindre les hommes. Tous ceux là se sont mélangés au délire jusqu’à ne plus pouvoir s’en distinguer, en former l’une des parts.


J'essaie de leur ressembler parce que je voudrais être beau, j'essaie de me distinguer, de me farder les yeux de petits brouillons de crimes que sont les ruptures brutales, les adieux cruels, que sont les départs en sursaut des corps amoureux. Souhaiter avoir le poing qui serre un crime qu'on ne montre pas.


Je n'ouvre plus les doigts, je ne montre plus ma paume, parce que s'y tient un crime, que j'étouffe, et s'il se libérait, s'il venait à percer, à montrer son dos, ses épines au jour ferait tourner trop de têtes, évanouirait trop de corps. Je le chéris, jusqu'à ce qu'il dévore/crève ma main, que le crime m'honore de sa première souillure. Mes amantes d’ici et plus encore mes amours jusque Margot –pour Margot nous avons le temps, Margot c’est plus tard, ce sont les roues du départ, les grands souffles des locomotives et leurs trainées de charbons et de sueur, Margot embrassait la route-


C'est ce qu'il faut dire au procureur qui énumère les victimes comme un mauvais comédien, c'est qu'il en manquera toujours un, que la police lui a remis un mauvais manifeste, que le décompte est erroné, il me manque « moi ». C'est secouer la tête en entendant le silence qui suit la prononciation du dernier péri, silence pesant et imbécile, rempli de volontés et de paroles, silence bavard, qui nous répète précisément, d’une voix affligée « Vous entendez bien ce silence, voilà ce à quoi le criminel condamne ses victimes, vous entendez bien, vous remarquez comme il pèse, le silence total après que ce juge illégitime se plut à disposer d’une vie. Vous remarquez combien l’heure est grave, comme le temps est inquiet. Vous remarquez bien, n’est ce pas ? ». Reprendre avec tendresse ce pauvre acteur de boulevard. Lui dire « ce n'est pas grave ».


Et les criminels s'ils avaient encore une voix, une parole, diraient "ce n’est pas grave" et ajouteraient « Je suis le premier sang, la première blessure, la première plaie de ce crime qui gémissait en moi. Il me faut le nourrir ce crime, celui dont on est enceint, qui jaillit de nous, plein de barbarie. Devrait-on laisser mourir de faim son enfant au prétexte du reste de l’humaité ? Comment dites vous avec vos phrases pleines de manières drôles « nécessité fait loi  », je dirais «  nécessité fait crime »


Il faut déserter. Toujours déserter. Abandonner les ambitions, les orgueils, les armées, la vie. Après.


Ces nuits s'épuisent ; et je m'endors la paume serrée sur un secret, le ventre tremblant contre le corps d'un prisonnier.

 


Aujourd'hui il me faut visiter un ami, savoir combien il me doit, recouvrer toutes mes créances pour partir, pour visiter la Hongrie et avoir faim et apprendre cette langue qu'un peuple fit sienne en entendant le diable tomber du ciel. J'accumule des centimes, des petits océans de monnaie qui se cherchent des affluents impurs.


Je voudrais dire "j'ai faim" pour être heureux, pour dire, par transparence, "je suis libre". Les ventres repus, plein de graisse épanouie, sont des fabriques de serfs.


Je pars. J'ai mes vingt ans, quelqu'un là bas en voudra, ou bien au moins de mon accent français, ou bien au moins de mon élégance, ou bien au moins, parce que j'ai un cul et une bouche, je n'aurai pas faim. Je crois que je pars. Je crois qu’il le faut. Il y a des nécessités qui ont des forces de courant invariable


Je vais voir les amantes, avant, je vais m'habituer aux voyages, à l'Histoire que je connais de ces endroits, de ce pays qui se tenait -jusqu'à mon départ- derrière cette porte, rue Gallienni, Kristina est hongroise, et je vais savoir le bruit lourd des Csikos -qui sont déjà une poésie- dans ses mains qui m'attraperont le ventre, dans ses soupirs, dans nos corps mutualisés, dans ses cris. Dans quelle langue elle jouira ? J'en apprendrai les mots, les sons, pour quand ce sera mon tour, là-bas, de jouir. Kristina s'endort ; sa conscience est plus lâche. On dirait une morte. Une petite fille que le sommeil éteint, un néon essoufflé. Je lui murmure mes haines, tout ce qui disparaitra de cette chambre. J'attends une réaction, d'être sûr qu'elle est déjàplus loin que la réalité, quand je m'en assure, je me lève. Je fouille ses poches. Il y a des restes de panique dans mes gestes, et c'est pourquoi je me suis allongé sur son flanc, pourquoi j'ai souillé de vomissures son corps d'aube, pour apaiser mon corps, pour épuiser dans sa bouche tous les bruits qui me révéleraient. Les crimes se commettent sans lumière parce que le noir va mieuxau criminel : mon khôl. Je compte l'argent, fragmentés en pays -c'est un premier voyage- pounds, dollars, yen, yuan, dinar, pesos -et des taches de sang- les bijoux, je vole les diamants et tout ce qui brille-ce qui m'épargne ses yeux. J'ai les poches pleines d'elle ; ses reins plein de moi. « Ô Balances Sentimentales ». Premier pas dans le crime, au nom doux à l'oreille : « délit ». Je fouille, je cherche, je racle, pour des trésors ici, une richesse, quelque chose qui luira, fera un plastron quand la faim tentera de me fendre l'estomac, quelque chose qui me rendrait immortel et vivant si je n'ai nulle part où dormir, si les bancs se dérobent, et que la prison me refuse sa chanson Je cherche une noblesse, une distinction. Un solitaire, là, pour manger, une chevalière frappée de grandeur pour servir de veilleuse. Oui. J'ai le corps mou de l'or chauffé pour que s'y impriment tous les blasons du monde...

[transition + pb de structure, incohérence corrigeable. Identifier mouvement du départ, les raisons, accumulation, rupture. Entre nécessités et dégoûts idée centrale = je mis longtemps à comprendre pourquo ije boitais :  elle m’offrait une jambe solide quand Tania ne m’offrait qu’un moignon. L’une était le besoin ; l’autre le dégoût = volontaire et subi, ce qui est volontaire est moins précipiét, a le temps de se penser..]


Je suis obsédé par l'idée d'exister. D'apparaître au monde et m'assurer de n'être pas impropre à la réalité. C'est pourquoi il faut fréquenter dans les endroits de la foule qui pense faire du bruit et ébranler le monde quand elle y bruisse. Je couche avec C, que j'ai rencontré chez G., et le craquement qu'elle produit sur mon corps me fait penser à celui des feuilles mortes que je foule. Elle est l'automne sur lequel a marché l'hiver. C, A, V, F, D, sans poésie, ni musique. Prénoms d’automates
Ça me facilite le silence, l'absence d'aveux, de commettre un crime dans une langue que je ne parle pas. J'ai la bouche cousue de l'assassin ; ouverte de l'affamé. J'ai trouvé cette noblesse chez Pauline à la bouche si close qu'elle ne s. pas.


Anthony, que j'ai appris dans le bruissement des foules, est le seul que je peux évoquer sans l'odeur de dégoût qui émane de moi ; sans l'odeur de désespoir qui émane d'elles. Il est une image de la sainteté en tout ce qu'elle a de naïve, de grand, de tendre. En tout ce qu'elle a d'immaculée, comme si toutes la sournoiserie du monde ne pouvait l'atteindre qu'il errait là, dans le monde, avec un corps qu'il savait se faire confronter à d'autres corps amoureux, mais sans que jamais, ce corps ne devienne une trivialité qui justifie la déliquescence. Il n'était pas de chair, mais de grâce. Je ne l'ai jamais vu se recoiffer, et alors qu'il portait la main au sommet de son crâne je le voyais replacer une auréole. La malice du monde lui glisse sur l'âme comme les mains de l'homme sur le corps de la sainte. Il était de cette puissance qui se rend éther pour les autres, que leurs vices ne peuvent pas pénétrer. L'argent, surpris, dansait devant lui, montrait les cuisses, les jambes, les beaux yeux gris, dorés, son corps à froisser et toutes les promesses de soumission, et Anthony riait, il passait sans voir l'argent dans sa longue parure de papier. Poison inerte ; ombre à peine.


Bientôt j'ouvrirai la main, dans un autre pays, dans un autre Etat, dans des villes basses comme les eaux d'égout qui les gorgent, je desserrerai le poing et les doigts feront tous une tige en floraison, les pétales éclos du crime. Dix doigts surmontés de l'éclat brillant du courage ! Dix doigts qui se découvriront des bagues desquelles qui auront chacune dissimulée dans leurs éclats de pierre. Bientôt je commencerai ce voyage, je détournerai les kilomètres, j'escroquerai la distance, je la ferai pâlir.


Les gens se trompent. On ne cherche pas de raisons de vivre, mais des prétextes à mourir. Toute ma vie j’avais mis ma mort en scène, j’en avais orchestré les chœurs, les chants, préparés les discours, et aménagé la tristesse. J’étais encore vivant et l’on me pleurait, on déclamait des oraisons, je crois même avoir aperçu au milieu du cortège un de ces procureurs odieux mués en prêtre « il n’y a que la robe qui change ». J’ai entendu bien des fois le bruissement des critiques s’échanger en remuant mes cendres ; devisant de ma vie « Quelle mauvaise pièce mais quel acteur ! »

A Paris j’étais une algue de lumière déshabillé d’eau. La mer avait reflué et je craquais dans le vent. La seule trace de mon existence était l’agonie de cette algue : crissement du pas mêlé au sable. 


Mon départ vers la Hongrie a été commandé par ce prétexte de mourir, par ces bottes luisantes attachées à mon pied bot, à mon pied fier, je rangeais dans ses chaussures tous mes trésors. Tania, puis Elle. Cette envie de voyager, de découvrir des pays délimitées par des langues, aux géographies neuves et aux yeux irisés, fut précipité par l’organisation d’un mensonge. Le désespoir ce n’est jamais que de l’espoir dégénéré. La foi est le préalable essentiel à la chute.

Sans elle, je crois, que je serai resté ici, à vivre une vie morne, à me coucher tous les soirs sous un toit que j’aurais appelé ciel - ciel sans étoiles, nécessairement, plat, uniforme, vidé de surprises, sevré de Dieu depuis si longtemps- dans les bras froids de son austérité. Ma vie n’aurait jamais débuté et le rythme monotone du déclin m’aurait figé : l’habitude porte sur son front trois yeux aux pouvoirs de gorgones. Si je n’avais pas sacrifié des orgueils pour ses deux grandes mains calleuses, les deux doigts glacés de l’existence aurait pincé la flamme qui se tient au sommet de moi. Je serai devenu un cierge, c’est à dire ne brûlant que les soirs de fête ou de deuil. Mon désespoir sans être dompté aurait été rendu chose commune, naturelle, ma mélancolie une captive droguée aux médicaments, maudite chaque jour par ma fureur. Pis, peut-être n’aurai-je plus eu le temps de souffrir, tout parcouru d’informations, de volontés, de décisions, aurai-je été obsédé par des virtualités inconséquentes : riche. J’aurais feint longtemps encore de l’aimer, nous aurions eu une vie sexuelle sans excitation, sans déception, toute mesurée et indifférente.

Je lui mentais, je lui mentais non pour la jouer mais par nécessité de succomber à une douleur théâtrale. Je tenais un rapport détaillé de ses maladresses, de ses faillites, de mes dégoûts. Je les comptais, un par un, j’en faisais des mèches et des bouquets. Elle n’était que d’ici. Grise. Je crois que la seule couleur qui lui correspondait était celle-ci grise. Terne. Elle avait un visage éteint par la vie, trop idiote pour se rendre compte de ses douleurs. Son corps n’avait pas pris en moi, il me passait au travers : j’étais le vide. Nous baisions sans surprise et je lui racontais des émois traqués dans la mémoire pour vite lui manifester une reconnaissance dont Wendy était la seule digne. C’est pour elle et ses dix-sept ans que je feins d’avoir les entrailles molestées. Ma nymphette, j’aurais pu l’appeler Lo’ ou Francesca, je préférais la dire « Liberté ». Fille drôlesse, je regardais avec bienveillance ses caresses, son désir, tout ce qu’elle avait de méprisable, toute cette tombe que frénétiquement ses ongles creusaient pour moi. Elle ne m’enterrait pas, bien sûr, elle me taillait dans la nue une route qu’elle tapissait de mensonges, et de bêtises. Je l’aime pour toujours, parce qu’elle a agi comme un jouet remonté, arrêté une semaine trop tôt.


Margot était une source, un puits aux cent mille ans de douleur accumulée, eaux stagnantes, qu’elle ne sentait pas sourdre en elle. Ses sens inertes lui interdisaient d’entendre les colères de sa douleur. Elle s’y était faite, ne se révoltait contre rien que l’évidence. Sa rébellion portait l’uniforme. Dans mon Atlas je l’avais ainsi décrite « elle avait les yeux sombres qui ne pouvaient m’offrir que des molles passions ».

Dans ses bras j’ai imité la mort et je me suis aperçu du grotesque de la vie d’acteur. De cette incapacité permanente à vivre qui me contraignait à mettre en scène une mort permanente pour ne recueillir qu’un éloge critique et posthume.

Je sais déjà l’oraison : « la pièce était médiocre de calcul, mais quel acteur ! »


Ce mot me pesait trop lourd dans le cœur. Je lui ai tant formulé que mon corps le produisit en masse et le stockait comme une graisse médiatrice, infiltrée dans les organes, étouffant le coeur. Ce mot, délicieux au prononcé, doit franchir les lèvres où moment de sa création mystique, il ne se conserve pas et se découvre très vite des appétits de chair humaine et de douleur. Enfant-loup. La substance, délicieuse quand elle s’épanche, assassine lorsqu’on la retient. Elle a des fureurs de condamné à mort et tente de s’évader de mon corps comme d’une prison, elle y enfonce des tunnels, invente des évasions. Rebondit contre les os, les brise.

J’ai failli me laisser mourir sur scène. C’était le 19 octobre 2011. Je suis sorti, en silence, ce silence que j’ai appris en voyant les réfugiés poser l’index sur leurs douleurs, et j’ai marché jusqu’aux voies de chemin de fer qui frôlent ma ville. J’y suis allé découvert pour que l’automne et le froid m’habituent aux saisons changeantes de la mort, que j’en sache toute la fraicheur aigue. J’ai attendu, les bras étendus, le baiser glacé du métal. J’attendais d’hurler « La modernité m’a brisé le corps », mais rien n’est venu. Un mouvement social avait paralysé le fret. La grève m’aura sauvé la vie.

Margot ne disait rien et pourtant, pourtant je la trouvais bavarde. C’est sa voix voilée, retenue par des mains mortes, auxquelles elle ne pouvait pas échapper malgré les courses, les rages, et les envies. Son visage –comme sa voix- ne se dessinait que dans le drap pareil à des fantômes enfantins. Elle se demandait, sûrement, pourquoi la honte et l’angoisse s’étaient mélangés en un corps –le sien, elle se taisait et derrière sa voix d’aube grise on devinait le corps nu d’orgie veillant le corps lâche de paresse. Elle ne disait rien, et je ne la laissais pas dire. Je glissais des mots dans sa bouche, avant qu’elle ne se rappelle que derrière le voile il pouvait y avoir des illusions de pensées. Je ne voulais pas l’entendre, ce me rappelait qu’elle était sotte [question de la rédemption, si sotte, inerte, c'est-à-dire trop simple, ma croix a des clous de papier]



Que Margot ait précipité mon départ est une vérité imparfaite, le dégoût qu’elle m’inspirait –cette odeur de chair brûlée qui émanait d’elle- allumât un brasier sous moi. Elle mit le feu à l’essence. Mon départ est morcelé en personnages et en faits. J’ai eu à travailler, à me plonger dans le coma traitre de l’emploi, qui vous assomme par les sens, l’engourdissement est répandu à l’âme.

Il m’est arrivé de cesser d’écrire de longues semaines à cause du conflit qui oppose l’exaltation du poète à la mesure de la vie salariée. De rester des heures à comptabiliser les silences et les mots atrophiés de ne pouvoir jaillir. Je les avais habitués à la liberté, ils circulaient de mes rêves au réel, et du réel au rêve, pouvaient me déranger à toute heure du jour, de la nuit, j’avais des effets à leur consacrer, à les parer de beaux vêtements et de charmantes attentions. Les mots avaient l’importance d’une espèce de fleurs rares pour le botaniste qui regarde la variété inconnue et fragile avec autant de passions que d’inquiétudes muettes développer ses pétales aux couleurs éclatantes, roulant depuis les pensées fixes jusque dans le réel. Ma proximité avec eux me les rendait aussi proche que la mélancolie, et lorsque Tiphaine (je l’appelais Typhus) s’étonnait que j’écrive dans le noir le plus complet, je lui répondais « Je sais où sont les mots, je les entends qui me réclament».



La bile unit mes mots, cimente mes idées, pour en former des phrases. Elle est ma grammaire. 


Je suis parti en riant de cette chambre d’hôtel en disposant les objets de telle façon à ce qu’elle en prenne une photographie avec son appareil abîmé par tous les réglages, c’est un œil que l’on dévisse, que l’on truque, c’est un œil que l’on manipule et que l’on drogue de lumière, de profondeurs. Il voudrait voir, mais il n’a pas le droit de voir, il n’a pas le droit de voir, il doit être un instrument, un objet soumis. c'e

Je suis sorti en me tordant le ventre de rire devant les lacets de lumière. Je suis sorti en me tordant de rire devant le jour qui envahirait menaçant la chambre et le grand froid que mon rire laisserait. Souffle, soufle. Je suis sorti et j’ai laissé la peur à ma place, dans un grand corps d’air, j’ai laissé la peur pour qu’elle la découvre au réveil, je me suis vengé de tout son mépris futur, de toute son arrogance virtuose. Je me suis vengé d’avoir vingt ans.

Puis j’ai pleuré. J’ai pleuré au milieu de mes rires. Affirmer que je pleurais de rire serait un lieu commun de langage injuste et cruel. Je pleurais et je riais. Je riais de la voir tordue de craintes, cramponnée à ses désespoirs, et je pleurais des mêmes raisons. Je pleurais de son désamour constant, je pleurais de ses mains rassurantes. Je pleurais d’être moi. Empoisonné. Elle dans des draps de couleurs d’une télévision expressive. J’imaginais : si elle se réveille, seule, devant des dessins-animés sera-t-elle réconciliée avec elle-même ?

[partir parce que j’ai fait du mal, rédemption d’où Margot, Margot m’a purifié de moi-même, réorganiser le dessus chronologie Wendy est la matrice de Margot. Son revers, la mortification nécessaire pour guérir du mal de Wendy. Margot est la plaie qui se découvre sous le mensonge, la croute mal cicatrisée.]

 

III

 

L’Université, fut enfin l’ultime détail 

 

 

 

 

En décembre 2009, j’ai connu le froid, l’habitude et l’ennui.

 

J’ai quelques euros en poche dans un pays qui ne les admet qu’avec méfiance, c’est faire passer sur leurs terres hérissées de « magyaritude » un peu de cette Europe cosmopolite, aux saveurs diluées. Ils me regardent, quand ils apprennent que je ne suis pas riche comme ils auraient regardé avec des yeux d’Histoire un Turc qui vient étendre les jambes sur leur histoire, mais j’y reviendrai plus tard. Aujourd’hui je n’ai rien dans mes poches que 300€ pour espérer durer quelques semaines et résister à l’hiver qui, chassé de Paris, s’est précipité ici. La Hongrie est le refuge deu froid. Tant il pénètre, tant il agresse c’est une armée de résistance qui rebâtit ses rangs, recrute dans le gel et plonge dans le dédale des degrés celcius, ce puits profond et toujours plein. Le vertige de plonger dans des chiffres de froid insensé.

Il fait froid, froid, et je bavarde avec moi-même, mon éloquence est fendue, gercée plus de cris, ma bouche tremble et vibre, ne fait plus que ça trembler et vibre tellement il fait froid et tellement cette langue je ne peux pas la comprendre, tellement j’ai faim. Les voix qui sont là, qui bourdonnent autour de moi comme une migraine, qui transportent le langage et font avec la bouche les mêmes sons que les carioles sur le pavé. Putain de siècle dépassé, d’époque révolue, putain d’anachronismes, cette langue coupe, déchire, 

Qu’est ce que tu dis toi ? Tu chantes ? Tu parles ? Je ne sais pas, je ne sais pas ces rues, je ne sais pas ces visages, je ne sais pas lire à travers un corps entouré de tant de bandages et de traditions, de tant de méfiance qu’on croirait le cœur sous une arche de métal hérissé de défenses, creusé de fossé, de douves de mystères, comme une langue qui se fait dans son oralité avec les pleins et les déliés de l’écrit.

 Vous m’étouffez salauds, et vos bars me refusent et me servent des offenses. Je bois les tremblements qui me coulent du corps, qui dégoulinent, c'est du crachin. Je déglutis des libelles servis au pichet. Ici les étoiles ne brillent pas, on croirait des baves suspendues au ciel, des boules de gommes, grises comme des tempes d'usine qui pendent et se balancent. C’est ça la liberté ? Chez moi je l’appelais mépris. Il n'y a plus de Nord. et vos femmes me feront payer pour que je cherche sur leurs reins un peu de la chaleur humaine. Lorsque je rôderai avec ma faim pleine de gestes dépensiers on m’observera, gémir quoi de poésie, quoi de chemin inversé. Je dis le siècle à la tête en bas, je le remonte, je suis le négatif de tous les poètes qui s’exilèrent de l’Est glacé, pauvre pour danser dans les années folles dans les bras de leurs rimes, qui se mariaient à des belles sonorités d’ici, tous ceux-là procession roumaine, hongroise, les Tzara, les Luca, les Jozsef je les remonte, je les trace, je m’inverse leurs routes, et je les croise en songes, en intentions, en pensées toute ma longue faim, je les vois qui tentent eux d’y échapper et entrent chez moi. Ils frappent aux portes, ils font sortir des mères, croisent des hommes, ils durent, meurent, rentrent. Mais je les vois, l’espace a gardé la déformation de leurs pas empressés. J’ai la faim d’Attila Joszef au bout des nerfs, comme un jouet. 

Je vois une fille qui me jette des reflets inquiets, elle me parle, je crois. Je crois que je suis en uniforme pour eux, j'apporte l'Europe, pas l'Europe civilisatrice, les mains pleines de colonies  ; mais l'Europe dépouillée d'elle même, sans os, sans squelette, rien qu'un assemblage hétéroclites et sans valeurs de bavardages et de compromissions. Je ne peux la voir, pas aujourd’hui, je traîne deux valises qui à chaque pas me nécessitent un effort de concentration extrême, je suis un funambule des trottoirs défoncés et mon départ hésite toujours. Je suis arrivé à destination et mon départ continue d’hésiter. Chacun de mes mouvements semble avoir mariné dans du chloroforme, les nuages bas d’ici sont imprégnés de tous les liquides de la torpeur. Pluie immobile. Je crois que les empoisonneuses ont conquis dans le ciel bas de ce pays tous les secrets de l’engourdissement moral des princes. Pouah. Ce que j’ai de cris, pouah, ce que j’ai d’ivresses décomposées, et de recherches d’alcool. Je ne peux pas lui parler à elle là-bas, qui vient de se remaquiller, je le vois à ce que les cigarettes qu’elle jette ont le filtre rose, je le vois à ce que sa poche vacille de la lumière particulière des minuscules miroirs qui reçoivent

(Transition à rédiger ? récupérer ?)

Elle s’appelle Mirjam, Mirjam d’ici, Mirjam là bas. Elle s’appelle Mirjam et me renvoie à Paris, avec le français qu’elle apprit dans un demi-exil : L’Université. Elle connait la littérature française, les grands auteurs mis en perspective de ses grands auteurs. J’use tant de mots pour elle, des mots qui s’étiraient sur le trajet au point de se déchirer. Elle connait Paris, elle connait Rimbaud, l’a vu en rêve et me demande si ses grands yeux d’eau noient toujours les cœurs des enfants de Paris. Je lui dis oui qu'on dirait des pavés, je lui dis c’est le sang de Gavroche qui lui fusait des yeux, c’est le sang de l’Histoire qui lui durcit la jambe pour en faire un « ange boiteux ». « Rimbaud a rencontré Tania aussi ». Elle ne comprend pas, évidemment. Nous sommes tous amoureux de Rimbaud, et qu’importe qu’Aragon avarie le bateau ivre parce qu’elle, parce que moi, nous vivons des transports dans la houle de ces fleuves qui gonflent de mots et de bouillons. Nous vivons sur ce navire fendu par les âges, à travers les couleurs et les crépuscules qui baignent la Hongrie d’eaux mauves et navrantes. Bien sûr, que Mirjam me rend vivant, elle aurait pu être reine, et elle choisit ici d’être putain, parce que c’est tout ce qui reste de noble des coutumes de jadis, c’est l’accomplissement suprême de la déchéance de tapiner, un trône dans la misère, un triomphe dans le désespoir ! Elle tapine dans le noir, elle tapine dans le soir, parce que la nuit, dit-elle, « comme ton ombre » l’abrite à la manière d’un porche. C’est dangereux parfois, ça mutile un cri, ça lui pose une main velue de soir, la nuit, quand elle tombe sur des furieux obstinés. Mais c’est toujours mieux qu’un doigt tendu de réprobation un coup de poing, puis la nuit dissimule les bleus, les pleurs, ça voile le visage d'une innocence, ou d'une idée. La nuit ne révèle rien, ses suaires, son sépulcre sont des toiles à peindre de fantasmes, à mettre la couleur que l'on veut aux yeux, d'allonger les cils, de raboter le nez. Elle aime la nuit, dit-elle, parce qu'elle est douloureuse comme la poésie, inquiétante comme une rime hésitante, tremblotante au bout d'un vers. Elle me dit ça, elle aime la nuit, elle se sent comme l'ultime syllabe d'un poème, dans la nuit, au bord du vide.

Je lui ai dit que j’écrivais dans le noir « parce que je sais où sont les mots je n’ai pas besoin de les braconner à l’audace d’une bougie, d’une lampe de poche, de quelques flammèches insoucieuses de leurs fragilités, de toutes ces lueurs qui viennent les brûler comme du papier photo » elle répond en rigolant qu’elle baise dans le noir, parce qu’elle sait où est le vice. Le reste c’est bien inutile, de se voir c’est de la déception, on est toujours déçu de ce que la lumière révèle, de ce qu’elle pille à l’imagination, de ce visage que l’on peut réinventer sous ses doigts, qui se dessine selon des idées, sans nées, qui se renfoncent les joues, apparait comme un fantasme, une joie. Le jour broie tout, uniformise, la lumière rencontre des géométries, du scientifique, tout ce qui est obstiné, incontestable en un mot réel. Elle me dit que, parfois, elle se permet de brûler une chandelle pour les poètes « moi je ne sais pas où sont les mots J’ai besoin de les voir s'incruster le visage, s'inscrire sur la bougie, se poser sur les pommettes, s'instruire de silence.».

 

Elle a brûlé une chandelle.

 

Mes yeux ne battent plus. Ils se sont habitués à la paupière violette de l’insomnie, le monde je le vois à travers un prisme de sang mauve, deux cerceaux de flammes sans fauve. Je vois le monde à travers un cirque chargé de nuits, de rires et de tours. Je vois le monde comme un clown magicien qui tourne vite le sable de la vie pour en faire des diamants sales mais précieux à fiancer à des solitudes. Je le raconte à Mirjam qui s’esclaffe. Elle aime le mot « cirque » elle me dit que ça lui fait penser à des billes qui roulent en désordre multicolore sur la route les forains, que c’est très drôle de voir leurs longues processions de guirlandes ambulantes traverser les villes et partout colorer de blanc la nature. Ce sont tous des clowns, dit-elle, ils sont tous maquillés pour cacher l’horreur de la vie. En coulisses ils se frottent avec des gants d’escrocs pour faire sauter de leurs visages tous les désespoirs qui font partie des hommes. Il faut plaire, et donc paraître, sous la peau fétide, sur la structure creusée de mitraille.

« Je fais le même métier qu’eux, en plus libre, en plus violent ».

Je ne veux pas savoir ce qui l’a faite se mettre nue pour des hommes. Ce n’était pas le désir pas plus que le vice, l’orgueil, peut-être la faim, la faim qui asservit tout, qui brise les hommes  mieux que le temps. Peut-être l’époque, même. Encore insatisfaite de n’avoir pu devenir quelqu’un elle s’est résolue à être quelque chose, une reine des objets, un astre immobile au milieu des boules de plastique et des crachats cérémonieux, une fixité dans l’Univers des grouillants, des agités, des corps tendus, de toutes ces choses qui rendent vieux et bêtes. Elle était prostituée comme aristocrate, régnait sur un tertre de puanteur, décrétait ici, réglementait là, la loi dans toute sa forme, la loi pénale, de condamnation vertueuse, le juge au tribunal de vent. Qui assomme, où le pupitre est le corps ennemi, l’incarcération la bouche demie-ouverte

Je lui admets que je ne suis venu ici que pour deux choses et avant que je ne les énonce, tout son être se fait murmure « Les femmes et l'argent ».

Je n'ai pas pu lui répondre tout de suite « Attila Joszef et le hongrois ». Je n’étais venu ici jamais que pour la poésie, la poésie aux méandres de vers et de détresse, la poésie et ses chiens d’enfer aux têtes multiples couronnées de cheveux rois, aux mâchoires de piège. Je ne suis venu ici que pour chanter d’un lange de râles et d’agonisants, pour appréhender la liberté par le cœur, pour la savoir dans un cri souverain de fête qui, ému, dirait aux chaines de faner et aux fleurs de se répandre, de se répandre incrustés de mots, d’espoirs et de volonté, de s’exhaler de la terre morte, de s’exiler de ce bagne salaud qui rassemblait ma jeunesse, élevait de sa ruine maussade la soumission, la servilité et l’emploi.

Ce n’est pas gratuit la liberté, ce n’est pas gratuit, je le devine dans ses côtes rafistolées par le temps, la liberté est la même marâtre que la littérature, affamée d’échanges, parcourue de violence. Elle me montre les hommes libres d’ici «  Tiens. Regarde comme ils sont beaux tes hommes libres  ». Ses mains découvrent un cimetière, «  vois les gisants, les immobiles, vois ces corps figés, sous la terre, sens, respire, tu dois bien saisir le murmure de leurs plaintes, tu dois bien sentir l’étouffement du dernier cri, la nuque rompue d’indignation. Le pouvoir cette corde intense, systématique, où dansent les faillis  ». 

J’ai laissé à Paris le confort, l'argent, l'espoir aussi sûrement pour respirer ici de la liberté grise et glacée. La liberté sent la pisse, le tabac froid et, apparemment, se conserve l’hiver à moins dix degrés. La liberté a une voix, évidemment, comme toutes les idées son corps charnel et vengeur gargouille de la voix de la faim. Sa gueule est un ventre creux aux spasmes d’indigents.

Mirjam me présentera sa ville. Demain. Demain. Elle me donne déjà des indices de Buda et de Pest, les sème en petites pierres de celles qui ont fait les grands édifices, qui ont constitué par parcelles les statues que le vent a taillé. Vent d'Europe, me dit elle, « c'est la seule chose d'Europe que l'on tolère ici ». Il faudra que tu apprennes le Hongrois me disent ses mains avant de retrousser ses bas -ce sont les manches de la putain. Oui, il faut apprendre ce que les hommes ont pris pour une langue tandis que le diable poussait des hurlements de terreur. Il faudra savoir tous ces mots faits de couleurs, transparents comme du verre, coupants comme un appétit/. Il faudra mémoriser les réflexes de langage. Je sais déjà l'essentiel Szeretlek et búcsú :je les porte sur chacune de mes mains, en langage de morse, je montre l’une ou l’autre ; parfois les deux. « Je t’aime » « Adieu ». Ce sont les deux seuls mots utiles et nécessaires à une langue. Des mots que le corps sait dire, que les yeux ou le coeur vibrant d’hommage peuvent prononcer avec la même rigueur qu’un traité de grammaire. Une langue se consomme par la voix, son filament de vie y prend feu pour jeter sa lumière et dégager de la chaleur. Mais savoir sa bouche se tordre de douleur pour réciter chaque particule d'un adieu aux atomes nerveux, pour démembrer précisément le « je t'aime » et en peser la gravité de chaque syllabe pour offrir à l'amour le mot précis de son émoi, taillé et rempli du liquide amniotique nécessaire à son développement.

Deux jours que je n’ai pas vu Mirjam. Deux jours que je n’ai pas rencontré de voix proprement humaine pour me redissoudre dans le réel, pour appartenir au mouvement du vieillir et de l’âge, de la courbature et de l’effort. Deux jours que je n’ai pas affronté une autre conscience que la mienne, bien sûr je me suis opposé avec ardeur sur des corps, mais qu’est ce qu’un corps, qu’est ce qu’un corps sinon la grève de l’âme, le trou qu’elle taille au tangible, au naturel, pour apparaître, ce bout inerte de matière. Deux jours d’errance. J'ai trouvé d'autres objets pour accaparer mes yeux. Il manque ses mains moites de sexe d'homme et l'odeur caractéristique de dégoût qui s'est attachée à sa peau, toutefois la ville recèle de certaines surprises. Je suis étonné par le nombre de français qui vivent ici. Quoi que vivre ici n'est pas le terme approprié. Les français en Hongrie « dévisagent » et « comptent », ils sont obsédés par les chiffres et les femmes et ne passent de l'un que pour l'autre et, quand ils se rendent aux bordels secrets de la rue Szabo mêlent les deux, décomptent et baisent, et toujours le va-et-vient mesure, calcule, pèse, du même geste avare d’efforts que le gymnaste, à la sueur mesurée, au râle tarifé, le temps, le temps, le temps. Le plaisir optimise le profit, il ressoude l’être, le replace dans l’axe de l’objectif, petit profit, providence moderne. Il y a quelque chose, dans leur démarche d’exigences, d’exigences perpétuelles, répétées. Si la requête était un corps et la politesse la peau leurs voix seraient équarries.

Ce n’est pas gratuit la liberté, ce n’est pas gratuit, je le devine dans ses côtes rafistolées par le temps, la liberté est la même marâtre que la littérature, affamée d’échanges équivalents.

J’ai laissé à Paris le confort.

Bien sûr ces types peuvent payer, mais ils ne pourront pas m’acheter, depuis que je suis gosse j’escroqueBien sûr ils peuvent payer. Mais il ne peuvent pas m’acheter. Notre salaire ce sera leurs

Son rire revêt d’un éclat insolent le pêché dont la faim l’a parée. Elle le porte, ce sont deux ailles immondes, qui jettent une pénombre morcelée sur les gens qui la visitent. Elle fait, quelque part, partie des monuments et des attractions de ce coin gardé par des ombres vigilantes comme des macs, on voit pour que ses cris d’Hongrie, de meutes, lui rougissent les lèvres. Elle appartient à la ville, c’est l’une de ces peintures florentines faites pour l’éclat et la parure de la cité bariolée. Comme à Florence les mendiants et les nobles dorment sur son art à la poitrine ronde de liberté. Comme à Florence, elle appartient à la cité et rend les hommes meilleurs. [recherche sur Florence et les œuvres de Tintoretto qui sont l’un des organes de la ville, idée de gestation, de formation, les œuvres se sont construiets pour la ville mais la ville s’est prolongée dans la ville, l’interdépendance, symbiose, peut-être hors de la ville sa peau décolore, ses cheveux cassent, sa bouche tremble, ses pas de grace pèsent etc. ]

Les français parlent fort.

Ma mythologie est centrée sur moi-même, il n’en a jamais pu êter au moi, si j’ai pensé un regard bienveillant et fébrile sur le cou d’une divine, ce n’était que par un acte réflectif.

Fente, bande, barre, entaille, hachure, ligne, rai, rainure, rayure, ride, sillon, strie, trait, vergeture, zébrure creux, distance, espace, faille, fente, fissure, hiatus, interruption, intervalle, méat, pore,  trou.

Les entailles du soir ont des veines bleues

Rubans ! Rubans ! Rubans !


La peur n’effarouche pas des yeux libres. Poison inerte, insensiblement répandu, il glisse et dérape.

« Où croyais-tu aller ?

Où croyais-tu te rendre au milieu d’un désert de voix, tu espérais que je ne sache pas tendre l’oreille ? Je ne t’ai pas embrassée, Jonathan, je t’ai marquée. Je t’ai marquée de mon odeur. Tu me donnais des nouvelles ici sans le savoir, tu m’en donnais, quand l’écho de tes outrances ricochaient dans le tamis de la mémoire et y perçait. Dans le chas du temps, passait ce fil coutumier qui tissait dans le ciel nos souvcenirs. [description du phénomène de diffraction, de son étude, du déploiement de la lumière idée = à travers un trou d’aiguille les larmes épanouies ont ensorcelé le ciel]. »

Ce n’était pas une voix mais un rugissement, elle tenait dans sa bouche tout l’âge usé et les mots au contact de sa bouche se fissuraient, ébahis de douleur, écartelés par ses deux lèvres hostiles. Sa bouche était un piège à loup et ils jaillissaient, eux, pauvres mots déchaînés, drogués de colère, comme le bourreau à l’humanité deux fois couvertes  : par la capuche et par l’alcool…

J’ai de la fièvre, tellement de fièvre, tellement de fièvre de maladie, de membres incapables, le cœur terrifié, stupide, et les muscles énervés. J’ai tellement de fièvre qu’un poing me sort de la bouche, un poing qui se destine à Mirjam. Tu m’écoutes, Mirjam ? Tu écoutes ? Ma vie, mes vingt ans qui sont de l’ordure, mes vingt ans qui sont de la peste, ma peau qui est de la maladie. Je suis un garçon de cyanure, cendre et venin. Je n'aurais pas pu être autre chose, je suis trop fasciné par le mal absolu, par l'idée que le ventre chaud de l’univers –le centre de la Terre- est un brasier d'innocents que des mains de vices enflamment pour s'amuser des cris. Je suis venu ici pour parler cette langue échappée des forges du diable, dont il eut si peur qu'il la bannit de son royaume, de cette langue exilée qui trouva ton pays et tes poètes. Quand un enfant apprend le hongrois c'est son innocence qui meurt.

[manque]

Mirjam fais attention à toi, je suis trèssúlyos (sérieux), mon amour porte un costume à col raide, droit, fier, fais attention à toi. Tous les matins, il déclare, et se regarde dans le miroir pour recoiffer ses gestes, pour ordonner ses intonations, son salaire ce sont tes larmes, celles là oui, et la suivante, et le torrent festif des autres. Je l’ai prévenue, je la préviens encore. Mirjam, s’il te plaît, c’est un miracle de supporter mon amour et d’en triompher, un trophée que l’on peut ériger comme la tête de Méduse « Il m’a aimé et j’ai survécu ». Ceux qui n’ont pas d’amour habitent dans la nuit, c’est un gant pour le crime. Ce sont des putains. Pardon Mirjam tu es une putain, c’est vrai. Tu as un visage de muette, ce que tu dis a un poids, une valeur, ce ne sont pas des breloques aux petits avantages, tes mots ont des petits pieds de danseuses et des jupons gris. Tes jambes sont deux rivières d’argent. Tes mots je les mesure dans une pipette et je les mélange dans le creuset de ma tête pour fournir à ma bouche des chimies aux dards fatals. Ma bouche mastique le langage pour en faire des actes. J’ai aimé Wendy, elle en est à demie-morte. Ce n’était pas ma faute. Elle avait la mort en elle, elle avait tout ce chaos formidable au creux de la bouche, ça se tenait là, c’était un ulcère ou une fleur, oui une fleur. Mes mains étaient chaudes, chaudes et douces comme un printempsquand elles s’aventuraient dans son marécage : ses yeux. C’est la Hongrie mais Mirjam tu sens la Belgique, tu parles la Belgique, je vois Wendy quand tu me racontes les hommes et le désir, quand tu me racontes la bouche que tu as au ventre et ses volontés infernales. Wendy est morte dans mes bras et si je ne l’ai pas tuée je l’ai regardée mourir en riant.  Elle me suppliait des yeux, son corps disparaissait dans des bancs de sable dérobés sous son corps immobile. Elle me suppliait et je riais, je lui disais « suce » et elle suçait alors qu’elle ne pouvait plus respirer. Elle est morte, tu sais ? Morte, et tous les matins je me lève un peu en avance pour me recueillir sur elle. Je lui raconte comment je vis, comment je porte son souvenir comme une broche au milieu des blessures de mes vingt ans, je lui raconte que la flèche de son amour était douce, douce comme une morsure d’amour. Wendy est morte, mais je ne l’ai pas tuée, elle avait la mort en elle, comme une fleur que ma main attentive et injuste a engendré en jardin. La mort était un arbre et mes attentions, mes haines, ma jeunesse en ont fait une masse de pins. Le cœur de Wendy, le corps de Wendy c’est Cologne : forêt noire. Depuis tous les matins, je pose ma tête contre un mur de pierre, et je lâche cinq larmes du poids d’une vie. J’en ai volé des choses avec orgueil qui me trouaient les poches de leurs poids et de leurs nombres. Je n’ai jamais eu honte, jamais dit « je ne volerai plus » mais j’ai été complice du cambriolage d’une existence et le remords m’enfonce en enfer où il rejoint ma jambe de bois. Il a répandu des sables mouvants sous moi qui me drainent, lentement. Je ne peux pas assumer le poids d’une vie. Je ne pouvais pas supporter la mienne, seulement.

[manque]

J’ai usé en une nuit vingt ans de patiences et de silences. J’ai usé en une nuit vingt ans d’extases retenues. Tania m’avait enseigné la hargne des corps tristes ; Mirjam m’avait appris le corps joyeux. En une nuit de crises j’ai épuisé vingt ans de rages à me tenir en dehors de la vie.

[manque]

Libres comme une insulte, libres comme le feu qui brûle le bois des potences, libre, libre comme le libelle, comme le verbe sur les murs, comme la rage au bout des babines, comme la mort qui danse, et danse sur le catafalque sans jamais s’effondrer. Les pas sont des bougies aux mèches d’éternité, à la cire compacte de pleurs incolores. Nous serons libres. Libres !

[manque]

Mirjam, sa voix marine me roulait jusqu’au cœur pour l’engourdir. Mélodieuses sirènes…

[manque]

Je veux être un suicidé du prestige et de l’honneur, que ma gloire tombe en poussières, incapable de survivre en dehors du corps parasité. Je veux la gloire, colée à mon buste de gravats, et marcher, marcher et la voir me suivre amoureuse, neuve. Je veux la gloire et lui serrer la taille, lui bander les yeux. La gloire me dira « où va-t-on » je dirai « vers des pays libres et froids ». Elle croira les montagnes escarpées de Russie, l’ourlet des collines de neige que suppose l’Oural. J’attends la gloire non pour qu’elle sertisse mon front de ses pendants venimieux ou qu  mes yeux bleuissent d’orgueil beau. J’attends la gloire pour l’entraîner avec moi dans la mort. Arriver devant les portes de la tombe, je lui dirai « passe devant, gloire, il te faut ouvrir le chemin, couper la corde aux frontières ». Naïve comme une femme, ses yeux bandés, elle avancera…Oui, ce pays libre et froid se tient très loin d’ici, de l’autre côté du langage, à la froide extrémité des états. Ma vie je la guide dans le libelle, je l’éduque dans l’offense, je la tords le long du tuteur en bois vénéneux et nerveux qu’elle prenne la forme parfaite des forêts maussades où le poison et la puanteur flottent en un ballet infernal, où les mères assombrissent de leurs bouches de cendres les fronts saints d’enfants sales de religion. La gloire, je l’emmène sur les terres pourrissantes de la décadence, où tombent en morceaux ses mains de plâtres peintes en marbre, où ses seins terrassés par la faim donneront la nausée aux fébriles de l’ambition, qui s’ils voyaient la gloire -que je déformerai- surgir aux carreaux de leurs labeurs, la chasseraient d’un cri inquiet, horrifié, l’ambition menacée de l’odeur mélangée du mal et du baptême des rites occultes.

Je ferai de ma tombe un étroit appartement où mes chairs pourrissantes fusionneront si bien avec la femme conquise –la gloire, que l’on nous confondra, que les temples à sa gloire prendront un peu de mon visage immonde, de ma tête hirsute, coiffée de nuits et de la chevelure cruelle –et bouclée- du poète. J’habiterai plumes, notes, broderies, je serai dans la phrase, le sordide, et la gloire, morte, décomposée en moi, pleurera trois cris de soufre, couleur crépuscule, avant que de disperser tout à fait ce qu’il lui reste de miettes angoissées.


Adieu la gloire, adieu le jour, adieu la marée et le voyage, adieu la colère et les rires des marlous.
Toi, la guerre viens à moi, entre dans ma peau tes tissus de plomb. Je veux les rassembler tous ces fléaux, la faim, la nuit, la soif, la fatigue, je veux les faire ma peau et mes muscles, les sentir gorgés par l’encre, éclaboussés et bouillonnant. Ma sainteté je la puiserai dans les Eglises en miettes.

 

Budapest s’éveille et la ville échappe doucement à la torpeur de la nuit. Les immeubles font des petits pas timides dans la lumière. Certains, les plus hauts, tendent leurs cous de gargouille jusque dans le jour et font voir des grands fronts gris et courageux, ornés de leurs dentelles de pierre. Les bains silencieux lavent leurs aubes et les douleurs de vieillards craquent comme des fleurs séchées. Ils ont tenu la main de la nuit et la voient se colorer dans le jour. « Pour s’habituer aux deuils, disent-ils, je suis la nuit au tombeau de lumière ». Budapest, au matin, est une ville aux murmures de péchés, on devine sous la croûte rouge des aurores tous les crimes muets qui ont profané les lois, toutes les audaces cruelles qui ont vidé d’or les maisons lourdes de sommeil. Ces touristes un peu seuls, un peu tristes, qu’une charmante murmurant en anglais invitait dans un bar couver d’un rideau, qui Le jour bombe le ciel comme si des mains d’hommes accueillants l’avaient voûté pour y abriter Dieu et ses angelots. Mes pas y sonnent dans un bruit de métal infortuné, mes poches sont pleines de statuettes en plomb malade. Elles trébuchent en moi et sonnent dans les bars assez forts pour qu’on les imagine d’argent. Les baïonnettes de mes soldats de plombs déchirent la méfiance des tenanciers « Il peut payer ». L’apparence donne crédit, c’est une réputation gratuite.

Les premiers murmures s’échappent, enroués de sommeil, il n’y a personne encore que des hommes peints d’années dans la ville. Je fume une cigarette, enfin, je ne la fume pas, je la regarde mourir comme la nuit. Il y a toujours besoin de compagnon, dans la mort, la braise de ce clope lui fera une lanterne, une lune dans le landerneau/sépulcre du jour. Le Danube même ne croît pas, il prolonge le silence de ses pas discrets, et ses lèvres, sans maquillage d’écume, s’entrouvrent à peine en écluses pour laisser passer la ville. Les reins de pierre le contiennent de leur sévère étroitesse et l’écoulent sur des kilomètres. C’est une autre forme d’horizon qui se précipite, méandreuse, plate, le Danube est la plaie d’un corps insensible. Son sang épais rue 28km face au ciel en signe de défi et ne le rejoint nulle part. Il casse. Brusquement. Les mains des hommes –la civilisation- déguisées en barrage le stoppe.

Mirjam a glissé une lettre sous ma porte . Les caractères souples et serrés détachaient mon prénom. Jonatàn és Jeruzsálem. Je lui avais dit, à notre première rencontre, au moment de partir que je ne m’appelais pas vraiment Jonathan, que mon identité est dédoublée. Je m’appelle Najib, aussi. Najib et Jonathan. Jérusalem, c’est moi.

Mirjam, j’éduquais sa bouche et ses baisers comme un dresseur de serpents ses reptiles aux crochets inertes, ma voix montait en musique et chantait l’exacte mélodie de ses reflexes. Sa bouche se tendait et vibrait dans l’air, elle se tendait dans le geste désespéré du mendiant ou du mourant qui supplie la vie de faire charité d’un jour, pour réclamer la musique encore, la musique, tremblante d’images et d’émotions, la musique aux couleurs de mangue et de soleils cuivrés qui baladait dans mes clameurs poétisantes un peu de ses filets sans mailles. Mirjam regardait ma bouche prendre les formes des flûtes orientales et ses lèvres lui échappaient, elles dansaient en serpentins dans la nuit avec le même éclat brutal qu’un crépuscule éteint. Je vois bien sa bouche soumise aux caprices de mes hurlements, je vois bien. « Tu es le loup, tu es le loup qui habite dans l’orée de mon corps, sur la clairière vierge de légendes encore. Tu es le loup des fables qui prend des voix d’humain et entoure sa présence de la fourrure sauvage de la cruauté »

[lalalalalalla]

Mai.

Paris me manque. Le printemps est sec comme le verbe aimer ici. Les larmes qui le baignaient ont fini de se désarticuler, la lymphe, le placenta ont déserté du langage et la ville casse, rompu d’hiver comme la paix cruelle qui dépose son sédiment sur les plaines guerrières. Ce calme qui succède aux terreurs, aux fougues, aux effrois, ce calme qui n’est qu’épuisement. Les muscles tannés, fatigués ce n’est pas la fin des guerres que les armées usées jusqu’aux armures. Le printemps a les articulations vieilles, son poignet empoisonne les fragiles bourgeons, repliés sur eux-même, peureux de ces grincements de corps âgé. Le printemps n’est plus une mère, ici, c’est une nourrice mécanique, froide, dépourvue de tendresse. Les paysages sont aplatis, comme si l’organisation productive d’avoir quitté les sphères de l’Etat s’était trouvé un accueil aimable dans la nature. Les saisons sont des paysannes, elles ouvragent la terre et la cité du rythme indifférent du temps qui s’étonne. L’hiver couvre méthodiquement les trottoirs et les allées de galets blancs, l’hiver craque sous le printemps et sa bouche de douceur rosit le ciel et ses doigts aigus brûlent la peau. 

Budapest continue de bailler, d’étirer ses administrations paresseuses d’une extrémité à l’autre du fuseau horaire et des portes badgées. Le jour fait des flexions dans les chambres d’enfant, il pose sa main sévère à l’intérieur du rêve et le secoue pour le trouble des images. Elles s’emplissent des pas lourds qui les mène à des heures d’ennui et j’attends, j’attends en marquant les jours avec les dents la date de la prison.

La caresse est tombée.

J’avais raconté de mes crépuscules parisiens ce meurtre qui murissait en moi et sous ma peau était une cloque gorgée de peste. J’avais détaillé, je crois, quand mes nuits m’assourdissaient de révoltes de prisonniers ces chants de matons affalés dans la poussière d’un muscle. Je me souviens avoir dit à des rues de silence, ce qu’il y avait en moi de crimes à venir, ce que la nuit hongroise connaîtra de mes délires, la nuit. Je ne parlerai de langage qu’avec le corps, je réduirai son expression à sa plus exacte dimension. Je tuerai sans un mot, sans rien comprendre de la plainte horrible de l’autre. Tandis qu’il suppliera je croirai l’entendre me maudire et m’insulter de sa langue aux cépages brutaux. Je tuerai, les mains jointes dans une prière, toute la liturgie des criminels, des beaux criminels violents.

J’aime écrire c’est beau comme la mort, en tout aussi définitif, en un peu plus dramatique.

J’avais raconté dans Paris les crimes qui poussaient en moi et qui, avant de me revenir ont dû s’habituer à de nouvelles manières de prononcer l'audace, à de nouvelles horaires (malgré la faute, c’est plus beau).

 

Il m'est arrivé quelquefois de sentir l'homme. Je sortais alors du vice secret d'un amant. Le seul moyen d’avoir des virilités était de les emprunter sur la chair animale, presque sordide d’un amoureux d’un soir, d’un amoureux à l’existence brève, dont les contours ne peuvent se dessiner que sous l’éclairage bleuté de la nuit, dans les rayures de l’ombre qui revêtait leurs peaux de l’angoissante tenue des détenus symboliques. J’ai connu, ici, un de ces types vieux marins vivant de femmes et d’amitié, dormant dans des bras coupables d’argent, avec comme argument pour le déduit quelques vieilles manies apprises le long de ses dérives. Son pantalon de coutil, ne lui allait pas bien, il le portait comme une peine d’évadé, jamais purgée, comme des yeux tristes auxquels on ne refuse rien. Tout son être était de ce complet, de la matière filamenteuse de ces vêtements qui sent la misère raffinée, la misère des escrocs, qui empruntent et blâment le prêteur d’être si peu charitable que déjà il réduirait l’autre à sa dette. Quand je lui filais quelques  sous, il me reprochait d’être si avare de mon infortune «  tu es si pauvre qu’un peu moins ne te ferait pas grand mal  ; tandis qu’un peu plus me permettrait de conquérir des suffrages bien utiles à mon condition future  »

 

De la chambre où je dormais, qui malgré son étroitesse cumulait toutes les fonctions nécessaires à une existence spirituelle achevée servant tout à la fois de chapelle, cimetière, bureau et chambre à coucher, j’entendais remuer les corps au-dessus, à côté. Mes oreilles curieuses visitaient ce plaisir tarifé, observaient comme dans cette chambre d’enfant, le temps se délier, pas à pas, s’égoutter le long des amants unit des propriétés coalescentes de l’argent, des lèvres adhésives de la petite vertu. Je l’entendais qui roulait jusque mes pieds, le temps, qui les baignait comme de la mer et qui les ridait comme le corps longtemps maintenu dans l’eau, qui lui proposait des femmes comme une mère maquerelle qui traîne ici ses mignonnes. L’argent ouvre plus aisément les jupes que l’alcool. 

 

Dans les bras de Mirjam, ma sexualité n’a pas cette culpabilité de réprouvé infernal, jailli de la tripe fumante du vicieux dépit, ce n’est pas une femme qu’on achète mais du temps qu’on isole, que l’on retranche de la grande masse du quotidien, elle, extraite de la pierre des heures idiotes sous la pioche argentée pour en recueillir le précieux éclat, le métal rare de ses lèvres, l’écarlate rubis de son baiser. Il n’y avait plus à excuser d’heurter ce corps étranger, inamical, comme j’en avais la sensation systématique tandis que je baisais mes bourgeoises parisiennes, d’avoir attenté au cours normal d’un fleuve bien calme, bien prévisible, avec mes envies sans écluses. Je retenais mes «  pardon  » «  pardon de t’heurter, mignonne, pardon de ne pas savoir te caresser, pardon, c’est que j’essaie de passer dans l’extase moi aussi, c’est que dans l’architecture cosmique j’ai cru voir un passage pour moi étroit comme ton sexe.  »

C’est que je veux passer moi, pardon, mais je cherche la fente lugubre et poisseuse des jouissances, les pays aux feux cachés qui déploient en moi, quatre plumes grêles. Hé, je cherche à traverser vos temps de murmure, à pénétrer jusqu’au plaisir vos corps d’agonies, ne criez pas, ne jouissez pas, laissez moi tranquille, curieuses, laissez moi vous couvrir de mille délires, de souffles dépareillés, circonflexes et veinés. Vous étourdir de mes accents glorieux, croyant sur vos corps pâles, conquérir une toison, un privilège antique, rejailli depuis vos berges, sur la grève de vos lèvres fainéantes, dans les fleurs aux racines profondes, dont jusqu’en enfer retentissent leurs fébriles extrêmeités. Je veux plonger sans aucune pitié dans le sang mélangé de nos violences. Goûter dans l’entrechoc de vos genoux les débris d’un quartz animé d’horaires, où le bus travaille un chemin, où la plage iridescente burine le corps brutalisé par mes mains d’immoraliste. 

 

Tara qui me dit «  chaque fois que l’on s’en prend à ta prose, tu te révoltes  » Tara qui ne peut pas comprendre que ma prose comme elle dit avec le mépris de celle qui a des ambitions, des projets (l’écriture concentre l’immobilisme, fige sur un siège les caractères qui s’égrènent en misère), que ma prose est l’extension intangible de  mes virilités. Elle le dit, ma prose, avec le ton rogue et dédaigneux d’une employée modèle, d’une avocate presque, évertuée à traverser toutes les strates de la condition sociale, cueillir tour à tour chacune des consécrations salariées comme l’enfant bourgeois qui guette chaque récompense pour l’enfouir dans son calot. Tribun, censeur, princeps. Elle est là vigilante et le mot de promotion à son oreille est une musique galante, elle la saisit de toute son âme pour la voir danser contre elle, elle lui apprend les pas sévillans, ceux-là qu’elle ramenait de ses études passées sous le soleil de Grenade. Il y eut quelques évidences à détromper d’elle. A la convaincre qu’il existait autre chose à voir et à subir, une autre singularité à conquérir, assoiffée, creusant partout des puits et bâtissant les demeures du bouillonemment. Il y eut quelques refus à opposer comme des digues face à des fleuves de boue. J’ai toujours refusé l’abdication, 

 

 


Le temps sans les putains sent la tristesse, les désespérés ne peuvent lever que deux jupes  : les frous-frous de celles qu’ils payent

 

 

IV

 

HK

Dans mes bras je la sentais changeante, devenir femme, ses cheveux cassaient subtils d’odeurs retenues, elle semblait la nuit qui abrite des aubes à laquelle le temps avec la passion de l’archéologue dépoussière la cendre qui l’entoure afin que la lumière pointe. Nos caresses n’abimaient que moi, de sa part elles étaient tributs de l’admiration qu’elle me vouait, salaire généreux à mes délires la nuit sur la vie, la bourgeoisie et les révoltes.

 

Ce pays de pauvre.

Buda-Peste. Tout pue d’une certaine haine

J’ai des horreurs qui me renversent, je vois les pauvres adossés à leurs misères, écrasant de leurs poids stupides le plus pauvre, faisant porter au suivant son indigence, grandissant l’écart entre deux misères, le rendant plus insupportable encore. Ils sont pauvres qui p

 

 

 

 

Je n'ai pas un moi unique et homogène. J'en ai plusieurs et je dois m'occuper de ces différentes images.
Comment voulez - vous que je sois une personne. Je me sens souvent victime.

 

 

Le métro secoue ses cahots

 

 

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19 mars 2017

Les fenêtres de la maison

 

les fenêtres de la maison
8 rue victor hugo ########
sont ouvertes pour lutter contre l'humidité
il faudrait lessiver le plafond de la petite chambre
la VMC ne fonctionne pas correctement
l'infiltration d'eau bombe le plafond du salon
l'agence envoie le plombier
le plombier change les joints
tous les deux mois
on ne le laisse pas
faire son travail

malgré tout j'écris

21 octobre 2012

j'écris avec le clou des crucifixions

Une rémission.

D.

Pour son prénom.

Pour première syllabe

De ma

Défaite

 

Je suis de l'espèce des volcans inviolés.

 

J’écris avec le clou des crucifixions :

 

Soudain, j'avais assez souffert.

Je m'en étais défait. Enfin ! Je m'en étais défait, en cris inégaux, en gestes dépareillés -il faudra y mettre plus tard de l’ordre, peut-être dans un roman. Je m'en étais défait. Et comme le primitif qui fit le premier feu -et feu pourtant forcément pitoyable- je regardais incrédule mes doigts et ce qu'ils venaient de rendre possible. Mes chers doigts... Je l'avais quittée ! Avec ce geste calqué sur la nuit, démesuré et précis. Geste...geste à décrire cent fois, geste comparable aux manières de l’évadé, aux façons du tricheur à la table de jeu. Geste saint mais geste trompeur : un catholique se signe, voilà mon geste.

Dans sa tête, à ce moment là, les pensées banales qu'on a à dix-huit heures quand on ne se doute de rien : le repas du soir, le teint du ciel, le week-end à venir, peut-être un sourire par la magie de se souvenir. Elle viendra -elle vient déjà, j'entends dans ma tête le pouls de ses pas, je reconnais le « mi » très précis de son talon butant sur un trottoir imaginaire «ton coeur ?» «non pas mon coeur»-, l’œil ordinaire, prendre son courrier et ma stupeur -pleine du parfum familier des regrets, lui sautera au visage. Cette lettre qu'un baiser oblitère, cette lettre où son initiale dans sa majuscule grave -presque vivante, vivante forcément ; écrite avec mon sang- s’affole ! 

 

Tout à l’heure je rentrerai, je raconterai ma matinée, mon front pâle, mon front de mutilé de guerre, front de cimetière, honoré de roses mortes -toutes les roses mortes du monde- et de vodka.

 

Tout à l’heure :

 

Le clou volé à la crucifixion ;

 

Enfin, j'ai pu dire « je t'aime » et de la même foulée, trop dérangé par cet aveu d'impuissance, je l'ai résorbé dans le pas d'un adieu. Je l'aime, oui, et je m'en vais. Mieux, je l'aime, alors je m'en vais. Et pourquoi ? De n'en plus pouvoir de dire son prénom comme un prénom banal, de quitter son chez elle en murmurant trois fois, inaudible, « je t'aime » à sa porte. « je t'aime » discret, un «je t’aime» de désert, un « je t'aime » de soupirs, de buées, de givre. Mais un «je t’aime» fatigué du secret gardé pour de faux. 

Qui encore était dupe ? tous mes gestes depuis longtemps pesaient de cette nuit là, tout mon corps ployait sous l’aveu. Partout déjà elle avait pu déchiffrer les signes de mon amour. Mimant de n’avoir rien vu, revenant à moi dans la cordialité d’une ignorante, d’une innocente. 

 

N’est ce pas tu savais tout, tout, tout, depuis le début, depuis que j’avais récité devant tes yeux Baudelaire -pourtant je le hais, lui, ce faux-galeux, ce vrai chien, j’avais parlé de tes yeux avec ses vers à lui, et par ses rimes à lui et dans ma bouche à moi j’ai vu ton regard mûrir, devenir malade d’une lueur inaudible. Et à cause de ces vers là «tourne vers moi tes yeux plein d’azur et d’étoiles» tes yeux se sont posés sur ma langue et moi je n’ai pas pris garde à ce moustique insatiable, je n’ai pas pris garde à sa maladie pire que toutes les maladies tropicales. C’est à moi devenu voix récitant Baudelaire qu’ils ont pris ce pouvoir de bourreau, ce sortilège de sorcières. C’est Baudelaire qui a relâché toute la force, que tu ne te savais pas, Baudelaire avec ma bouche à moi -sale mort Baudelaire, sale mort.

 

Des mois durant, voleuse malhabile, fausse discrète, elle est passée lire ce que je laissais d’aveux – qu'importe le lieu et comment elle y eut accès, elle s'y rendit, me le dissimula, et tout ça je le sus. Je décrivais alors mon Amour-initiale : «D.», cheveux longs(I) tombant sur les épaules(a) comme un renard pris au piège(n), clavicule mûre comme un coeur(e)...C’était elle, désignée par mille soupçons .

 

Alors, ce matin, je me suis révolté contre cette fièvre, je me suis saisi de tous mes souvenirs, de tout mon amour ; je me suis saisi de toute mon impuissance, toute ma lâcheté. Voilà l’aveu dans ses chaînes. Son pas peureux, sa voix fragile. Le voilà lui et me voilà moi les yeux sales d’insomnie, les cernes comme des baisers commencés dans les rêves et jamais finis dans le concret, moi qui hurle avec toute ma peur, moi qui hurle pour les poètes avec mon foie, mes reins, avec mes ongles de naufragé, mes cheveux de péri, avec toute mon intimité moi qui hurle et étouffe...

 

Assez de dire « bonjour » comme on dit « bonjour » à tout ce qui ne compte pas vraiment, à tout ce qui n’est pas l'invraisemblable - toi. Assez de trembler par tous les membres à l'heure de te croiser, assez de tout cet effort vain pour priver ma voix de sa panique quand tu me rejoins - et me surprends, même à l’heure que je t’attends - pour un café désespérant, un dîner ennuyeux aux chandelles de tout ce qui va amoindrir le ciel. Assez de ce souffrir banal et quotidien. Je renverse la table, je renverse tous les mets fanés, tous les bâillements comestibles. Assez du vertige minuscule. Ce sera l’Univers ou rien.

 

D'un mot toutes les douleurs peuvent cesser je crois : « adieu » étrange pouvoir pareil au suicide dans les mains des désespérés. Silence. 

 

Mais je ne peux pas t’haïr, depuis le premier jour je n’ai pas pu, peut-être t’ai-je aimée pour cette raison ; de ne pouvoir laisser quiconque en dehors des grands sentiments, et ma haine, ma haine allait à toutes les choses, à ce qui fait que le temps passe, que c’est la nuit, qu’on est demain. Mais pas à toi, tu étais hors de ma haine, hors de ma force, tu as traversé ces marécages, ces pièges, cet Univers intérieur, sans t’en apercevoir et sans le vouloir tu t’es trouvée là, là dans ce périmètre minuscule de mes suffocations, au siège vacant de douleur, où les quatre lettres de MORT me dominent pour toute éternité.

 

Et ce mot d'amour, et ce mot d'adieu comment les avais-je poussés ?  J'ai étudié ma voix pour faire barrage à ma raison. J'ai regardé mes doigts se rendre, regardé ma bouche, ma bouche pitoyable, ma bouche effarée se convulser. J'ai pris les mots aux parfums désastreux, faits uniquement de terminaisons et de suffixes. On aurait pu dire «faits d’éclairs, du point calciné du réel». J'ai choisi la plus belle des façons et la plus belle des façons était aussi -par bonheur- la plus lâche. Combien il est commode de faire des aveux muets, combien il serait plus aisé de croire en Dieu avec les gesticulations propices à son adoration si prier n'était que gestes silencieux, paroles nécessaires. Correspondre... Mais il faut dire, confesser, chanter, gaspiller sa voix dans les «Te-Deum» comme autant de témoignages du mal. Dire...Toute cette fragilité qu'on montre de soi, qui nous franchit par les lèvres malgré nos dents fortifiées...la voix cette faiblesse que jamais on ne rattrape qui partout nous dépasse. On est toujours béant par le parler et l’on voit visible, brillante l’âme coupable. Toi qui bégaie, toi qui doute et puis qui ment, mais toi aussi que je reconnais et qui hurle. Ta colère c'est toujours ta faiblesse. Ta voix forcément découle d’un crime. Si j'avais pu naître muet, jamais je n'aurais pleuré.

 

Tout s’achève en un instant. Un geste nous échappe ; la pièce est jouée. Alors débute la tragédie véritable, dans le silence intime. Tout recommence mais en la forme obscure des rues coupe-gorge. Dans la loge du dedans, le sommeil impossible, les paupières brulantes. 

 

A l'heure de partir je me tiens là, Dans le hall de son chez elle. Prêt au désespoir. Il vient de se passer ceci :

Mes mains pour faire ma bouche. Je reconnais son nom sur la muraille des boites aux lettres et je le prends pour son corps. « Enfin je vais t'effleurer ». Enfin Je vais dire ce que trop j'ai tardé à dire mais que déjà pourtant elle sait -tu sais. Celle qui me hante me bouleverse. Tout ce bégaiement affranchi d’un seul gémissement. Gaspiller d'un seul spasme, d'un seul verbe, tout mon fardeau, tout ce que j’ai de nuit polaire. Voilà ce geste tant et tant entraîné qui me quitte. Un muscle, c’est un muscle que je dépose ici. « Le coeur ? » «Ne dis pas n’importe quoi, inconscient ». Je glisse dans la fente, au-dessus de ce nom tant chanté, mon long pleur contrarié. Cette lettre d'amour qui, pour ressembler à ma tragédie, pour devenir miroir et reflet, est aussi une lettre d’adieu. C'est une chose amusante -j’arrive encore dans cet état critique à rire, désespéré heureux, va- et qui lui donne un air de patronyme ; patronyme d'aimer. Je n'arrive plus à les imaginer autrement qu'ainsi fiancés « je t'aime-adieu » Comme un grand auteur, comme on ne sépare plus jamais « Victor d'Hugo » ou « Émile de Zola ». « Avenue je t'aime-adieu » dans les villes mal famées de l’amour. Je l'ai dit voilà, « je t'aime et adieu ». Synthèse de la longue orgie des douleurs et des luttes, abîmée dans un seul cri, dans un seul gouffre...

 

oui, je t'aime, et j'en meurs, et chaque seconde de ma peau est réglée sur ton méridien, je suis le mystère vaincu par la science, le soleil humilié par la nuit et la nuit surprise par le courant électrique mais tu ne pourras jamais me dominer. Je suis un ciel évadé. J'ai la couleur des matins étroits. Oui je te dis je suis ton esclave et je viens vers toi. Je viens sous le faix de ces chaînes, éclatant de mon fardeau, de ma sueur, beau comme une fiancée la bague au doigt. Mais moi, paré de douleur, je ne vais pas obéir, pas me soumettre, moi ainsi paré je suis encore un poète, encore un rebelle, et je me jette dans la nuit, dans le vide, dans ce qui va m’aspirer. Je me détourne de la raison, ta berge, je m’enfonce dans l’eau froide, profonde, je m’enfonce dans cette nuit liquide, insondable et tu vois s’effacer ma main. Enfin noyé, je te reprends le pouvoir que tu avais cru recevoir de mes «je t’aime». J'abolis tes mains, tes gestes, toute ta tyrannie par mon naufrage. Je suis esclave dans l'amour et affranchi dans l'adieu.

 

La lettre :

 

Tu te souviens ? Toujours je voyais à tes yeux allumés par la démence cet air de folle que tu n'as jamais su détromper avec ta bouche pleine d'arguments et de la logique raisonnable des insensés. Je te joins la « folle amoureuse » de Morand. Je le fais pour donner à ma lettre un air littéraire qu'elle n'a pas, pour te tromper en même temps que je te quitte. Quel amoureux ridicule je fais, je n'ai jamais connu tes bras et déjà je les ai trahis, et déjà je les ai fuis. 

 

Ce geste, ce geste..ce geste fabriqué de moi-même, ce brouillon de grandiose, ma fierté secrète...quand enfin on a dit qu'on aimait et qu'on laisse le sentiment pour dernier mot, pour limite au langage. L’étoile pour pierre tombale ; le ciel pour mausolée. Ce silence de la vie, quand elle soupire libérée de sa crampe immense «Le coeur ?» «Non pas le coeur». Un sentiment ça se porte bien, surtout la nuit, à des seuils d'abandon, comme une mésange faite de l'ombre de ses mains et qui chante des pensées ! La bouche bavarde enfin scellée ; la bouche prétentieuse étonnamment consolée par l’impuissance, et le merveilleux emplit le silence comme un ciel pâle. « Je t'aime et désormais je me promets de ne plus jamais rien te dire ». Ce « je t'aime » que j'ai voulu dans son habit de deuil, délicat dans ce magnifique jupon d'adieu qu'avec mes lèvres je lui mets. A-t-on vu souvent des « je t'aime » crêpés de noir, des je t'aime en soie livide ? Belle veuve ma passion. Mon triste « je t'aime » mon enfant de la catastrophe ! Splendeur deux fois et splendide surtout par son drame ! Enfin j'avais pu trouver un sens à ce cœur porté partout -asiles, baisers, opéras- douloureux et malade. Voilà sa vérité éclatante, voilà sa lumière déchiquetée : souffrir. 

Toute la vie je m'étais préparé à aimer, comme tous les maigres j’y cherchais mon appétit, ma force, ma colère. Je savais la nuit, l'ombre, les pleurs et toutes ces choses sensibles. J'ai lu les plaintes des poètes...mais je ne savais pas encore être poète.

Et puis que peut-on face à son goût du miracle, quand on joue depuis toujours à basculer son siège en arrière à la recherche du point prodigieux du vertige -malgré l'inquiète colère de la mère. Là où le coeur retient son souffle, où le ventre brûle de peur. Toute ma vie j'ai cherché ce moment de tension, cet instant de danger et de déraison.

Alors je me suis préparé à aimer (ou prier, ce qui pour les faillibles du coeur n'est que la conséquence la plus naturelle) avec ce soin de l'actrice dans la loge quand elle sent à ses mains faibles et son corps lâche que c'est pour la dernière -déjà- fois qu'elle joue. Pour ce dernier acte -de sa vie et de sa gloire mais sa gloire et sa vie se sont mêlés comme le monde et la scène confondus en l'espace qu'elle occupe (toujours scène, et toujours monde)-, elle rallume ses gestes et trouve dans sa volonté une nouvelle jeunesse -précaire, brûlante. La voilà qui se lance dans le feu, elle n’est plus que brûlure. Cernée de cendres, portant son propre deuil.

 

Je ne peux pas faire plus simple, j'ai trouvé toujours le banal et l'ordinaire vulgaires Ma vie je l'ai embarquée dans ce grotesque de l’extrémité, dans cette soute pleine à ras-bords de désastres dans tous les orients à toutes mes décisions j'ai donné le fracas d'une catastrophe même au banal d'avoir froid l'hiver je devais mettre un plein ciel de safran, un tremblement d'obsèques. Alors à aimer, à cette confluence de toutes les canicules comment peindre ses ongles d'une autre couleur que celle de démence ? Quel sacrilège serait-ce alors de dire « je-t-aime » seulement comme on déposerait son cœur dans le bocal de la grammaire. Dans l'ordre bien mis de la syntaxe honnête, ce dispositif des processions funèbres, cette détresse de défilé.

 

Je me suis souvent imaginé acteur de théâtre avec cette vie entière pour scène et entendant dans tous les bruits ordinaires une rumeur de public. Dans les grands éclats de voix des trains à suicidés le bavardage des critiques. Si seulement au dernier jour, parlant de ma vie, on pouvait graver à mon front épitaphe « Quelle mauvaise pièce, mais quel acteur ! »... Partout où il y avait du dramatique je me suis essayé, toutes les voix dans ma bouche je les ai portées et pour ce faire tant de lèvres goûtées. Des sucrées comme si elles avaient dix ans, des amères comme de l'aubépine en fleur, des austères aussi qui jamais n'avaient pu dire « je t'aime » sinon à la messe . J'ai goûté des bouches mutines et des marines si belles que je les appelais coquillages dérisoires. Tant j'ai vécu, tant ma vie a suivi sa route à sa déroute. A faire quoi d'autre que ce grand chant longtemps, toutes ces matières sonores à inventer dans ce grand rire content que mon cœur battant. Toujours dire « vivant » à chaque pas, à chaque fois que la démesure devait remplir mes paumes de frémir et ma gorge de cédilles. J'ai gardé les mains ouvertes pour accueillir tous les visages, tous les yeux de cruautés. Tous ces orphelins de la beauté, par mes phalanges désunies leur faire demeure. J'ai bu un vent si pur...un alcool merveilleux d’air. Vivre, vivre, vivre toujours et partout, j'ai suivi mon destin compliqué jusqu'à son terme, je me suis élevé bien haut et j'ai retenu la leçon, le ciel est rigide comme une paume sévère; aimer est l’extrémité d'un balbutiement. Si jusqu'à ce pleur longtemps contracté dans ma paupière et qui l'attendrit, j'ai donné un masque de tragédie c'est de ne connaître de suprême raffinement que dans le souffrir, de croire même souffrir le plus bel honneur aux belles, la plus belle fleur de son jardin intime, celle dont les racines plongent jusqu'en enfer. Tiens, colchiques de braises, chardons décapités, renoncule de lave...

 

Ne bornez rien ! Suffisent vos camisoles à l'infini, assez d'entraver. Libérez tout.

 

Il n’y a de jeunesse qu’à ce désespoir...cette extrémité de la sensation, hors du spectre de raison, pris à la palette des déments, ce bleu, ce bleu-roi, bleu de Klein, d’éclat, de fou. En mettre partout sur sa vie, tout peindre fût-ce sa cage. Je refuse d’être épargné par ma jeunesse, d’en éviter là par un bond habile -une prudence en vérité, une grâce de vieillard- la tempête. Je garde les cheveux longs pour les grandes expirations du vent, il faut être bien décoiffé pour être jeune. Toujours j’ai croisé quelques uns  «le feu au coeur», le pouvoir incorruptible de la jeunesse, la frontière jamais franchie. Pays, désert, ce que tu veux, mais infini. Ceux-là -témoins de cette nuit plus noire que la musique-  se raréfient, armée décimée par la mort, le mariage ou l’ambition. Les autres...comme je les trouve risibles. Ils jouent depuis le lycée l’âge adulte, raidissent leurs visages juvéniles, aggravent leurs doigts, mettent à leur gestes un tas de gravité comme on imaginerait les mains rauques d’un muet sérieux. Jeunesse...grand pays, grande mer, où brûle un soleil insubmersible. Oui soleil serpent affamé.

Vieillir c'est de l'orgueil et ça en a perdu ça dans son marécage des générations de poètes pour les faire minuscules, infirmes, et quand on coupe le costume d’adulte on arrange aussi l'homme, on lui raccourcit l'âme, on ne sait pas faire de col à idéaux, ni ce qu'il faut pour le sexe. Alors on tranche. On circoncit. Vieillir cette affreuse mutilation.

Montrez-les moi ces imbéciles modernes jurant  « ah c’est fini les rites initiatiques, les techniques du corps» et pourtant voilà la jeunesse, pour devenir adulte, mutilée, entaillée, blessée, ridée. Comme amour et adieu se confondent désormais je ne trouve pas le point de contact, l’endroit où les coutures se voient, pour lier «Diane» et ma jeunesse. Dire l’une c’est entraîner l’autre, me perpétuer dans la seconde c’est refuser sa disparition à la seconde. Je vis comme j’ai aimé. Pas un amour général, distribué à telle Marion, à telle Sandrine. Je vis comme j’ai aimé Diane. Comme «aimer» a trouvé son sens le plus pur, le plus touchant.

 

 C'est la moindre des choses d'étendre ce grand sentiment à ma vie, de plonger dans ce geste à l’infini, de me répéter par lui, d’y boire tout de l’existence : l’espoir, la peur, le cri. D’apprendre et réapprendre tous ses signes, y briser tous ses objets. Toujours le drame mais jamais la gravité, la gravité c'est âgé, ça se racle la gorge, ça sent le parfum très cher et prétentieux, insuffisant pourtant à sentir la seule marque valable « La Vie ». J’entends ce mot et je le sens se débattre comme une chose vivante, gorgée de sang, fruit inquiétant. La Vie.

J'aime, j'ai aimé, j'ai été brisé. Ce sentiment à quoi d'autre peut-il servir que vous donner le vermeil de la douleur ? Je suis fait pour souffrir Mon visage a déjà pris ses marques dans la douleur. J'ai cherché la poésie, et voilà mon coeur en miettes. M’achever. De toutes les façons possibles. Pour me compléter, me finir. Celle si loin de moi qu'aucun de mes gestes accomplis même dans le mensonge -qui n'est qu'un instrument d'optique de plus à l'usage du poète- ne peut atteindre vraiment. La douleur comme le désespoir nous élèvent, ils sont des professeurs d'esthétiques et leurs leçons se déroulent dans nos nerfs. Faculté sensible...La vie a entendu ma supplique, elle a pris en pitié mon gémissement, mon désir d'horreur. La vie a mis Diane sur ce chemin où je défaillis. Elle était là, avec ses cheveux prétentieux, ses doigts minuscules et sa voix trop aigüe, là, avec ses yeux surtout qui à l'instant que je les vis, eurent cet éclat de ma défaite. Un instant, pas assez pour y prendre garde, la lumière m’a gêné Je voulais être perdu, mais pas de n'importe quelle façon. Je ne suis pas seulement une victime, je suis un martyr. Si d’abord je n’ai rien compris de ce qui se passait en moi, malgré moi, en dehors de ma conscience et qui pourtant s’insinuait par tout mon vide, par tout mon manque, par tout ce que j’avais d’absent et d’ensommeillé. Partout infiltrée en moi ; présente en moi ; libre en moi. Je n’ai jamais su faire une prison à ta mesure. Je ne mets pas mes doigts dans son matériau premier : la morale. J’aurais trop peur d’en ressortir les mains sales, abimées, les mains croyantes. Si moi le manipulateur, moi le rieur, moi le cynique je me suis laissé prendre si facilement à ce piège naïf, si j’ignorais ses doigts de mort, si j’ignorais pouvoir me réveiller un matin la cible de ce jeu tout ça tient à une certaine forme d’horreur et de catastrohphe. Je veux dire par là de médiocrité : Margot. Si Margot affreuse n’avait pas ainsi saccagé mon être en même temps que je rencontrais Diane, la poésie compterait un poète de moi et la mort, et bien, un suicidé de plus. 

 

Je ne peux pas parler longtemps de Margot sans me boucher le nez, serrer les poings -tout comme je ne puis demeurer dans la pièce où l’on prononce le prénom de Diane sans défaillir. On peut écrire, même ainsi, même les doigts noués dans la colère.

Margot

Dix-sept ans

Cruelle comme l’innocence

A t’épuiser en moi en cris mignons

A t’abimer en mensonges ; souffrances archaïques

Nuit partout quand tu es là, tu baisses la lumière de toutes les choses

Du ciel, du matin, du baiser.

Jolie, jolie fleur sans parfum, sans magie, sans danger

Fleur des bouquets en plastique offertes aux mariées affreuses

Fruit sec, fruit peureux, tremble contre les dents.

Margot angoisse, jamais jolie, mes yeux n’étaient pas encore prêts à tout.

Margot, Mara Sans saveur. Epaules vulgaires. Margot aux yeux sombres, veinés de rien, nulle dans la folie, nulle dans la démence. Margot aux yeux sombres capable seulement de molles passions. Je n‘ai jamais eu les yeux tout à fait prêt à la médiocrité.

 

Regards de nuits fatiguées -surtout pas tragiques ou tragiques il y a longtemps avant ma septième naissance dans les rêves d’une mère qui ne sera pas la mienne, nuits déchiffrées puis défrichées -ou l’inverse. Sans mystère. Nuit d’une seule ligne ; point du jour. Margot. Regard de vierge mais pas regard de biche, pas regard d’asile, pas regard d’au-delà le bégaiement.

 

Margot, occupait toute ma force. Comme une tâche quotidienne vous expulse de la vie, un travail répétitif, d’ouvrier, gratifié pareil. Incapable -lâche comme tous les garçons- de m’en défaire, et puis comment se détacher de ce sexe gluant, purulent de désir. Margot...je ne pouvais pas la laisser sans une lutte, sans qu’un muscle ne battit «Le coeur ?» «Les paupières». Margot était l’enjeu d’une lutte avec qui deviendra mon ami, et entre nous toujours subsisteront des femmes. Nous jouions sans choisir qui Aragon, qui DRIEU et à la fin qui le mort ? Nous avons fait de cette fausse rivalité la condition de notre amitié. Je ne suis pas tant efféminé que je le prétends, par virilité je suis demeuré prisonnier d’un pari. On se tient là, et la vie passe, et Diane marche derrière moi, déjà son ombre humide me monte aux mollets et bientôt me noiera. Je ne sens rien. Quand la tempête surviendra, quand l’algue sera attachée à mes chevilles, toute ma force déjà aura été gaspillée dans cet amour ridicule pour Margot, dans cette lutte virile.

Ruses imparables de l’amour, le ciel tenait vraiment à faire de moi un poète.

 

J’étais prêt à l’amour ? Je l’attendais. Je traquais ma catastrophe avec mes sens nocturnes. Pas à Diane. Pas à cette voie insupportable. Pas à cet instant de ma faiblesse, pas à ce coeur vanné, nuits blanches, cris, secousses, nuits presque pour toujours parce que c’était l’hiver, quand le ciel a dix-sept heures déjà se trompe de cauchemars.. C’était l’hiver. novembre, quand il fait si triste. J’étais prêt à l’amour, pas à ces pièges d’acier et de bleu. Margot terrassée - et si mal encore- Diane aimée. Sans défense. Violé, encore une fois, violé. 

 

Le rire de Marguerite empli les pages et le lecteur ne se doute de rien, si ce n’est un frisson à l’instant d’avoir lu le mot «violé». 

 

Deux ans de drame, de courses, deux ans à haleter et haletant encore prononçant ton prénom. Comme un coeur bat. Comme un coeur souffre, se rappelle à toi par tous les bouts, tous les débris. Le monde -toute la beauté du monde- est un vestige de toi. 

 

D'accord je veux bien ma défaite en entier, je veux bien son vacarme, mon talon brisé, je veux bien mes paupières condamnées, mais pas n'importe comment. Qu'on me prive de voir seulement après m'avoir trop ébloui. La lumière est la seule que je laisserai me brûler les yeux. La beauté à elle je me soumets sans résistance, je lui offre mes poignets maigres, mes yeux insolents, tout ce qu'au reste du monde je ne sais présenter qu'avec effronterie.

 

Alors à cette humiliante confession, à cette rudimentaire génuflexion d'aimer -mon abîme ; mon suicide- j'ajoute l'explosion sinistre. A cette dissolution de moi j'adjoins l'attentat. Suicidé, certes, mais pas de n'importe quelle espèce. J'ai appris ma leçon de courage et d’extrémisme. Allah, l'amour...traduction approximative depuis mon arabe élémentaire.

 

« Je t'aime, mais adieu. Je me tue là en te le disant, mais je ne te laisse pas indemne ». Ce n'est pas grand chose pourrait on croire et j'entends déjà ceux qui ricanent, naïfs et méchants, « mais c'est toi qui l'aime, c'est quoi ton attentat qui ne touche qu'à toi». C'est qu'adieu ça ne se dit pas d'une voix paresseuse et digeste, à cet adieu j'ai mis tout le raffut rituel de la crucifixion toute l'accumulation splendide de ma rage. « Adieu, oui, parce que tu n'es à hauteur d'amour que dans mes pensées, il te faut cette estrade de ma poésie, cette paume de mon fantasme pour arriver à ma bouche, à mon aveu. Dans ta vérité, dans la lumière pertinente du soleil, pf, tu n'existes que de la façon méprisable qu'on a pour les autres. Sans moi tu es charnelle, je te confère l’éternité, l’infini dont tu te fiches» .

 

Je me répète :

 

J'ai aimé Diane pour l'inatteignable de sa jupe, pour son œil tremblant. J'ai aimé Diane le jour qu'elle m'a écrit « tu me bouleverses » et que sans faire exprès je l'avais émue. J'avais dit ce mot qu'elle n'avait plus lu depuis tellement longtemps, qu'elle ne connaissait qu'avec son air historique et fossile attaché aux frontons des édifices publics : « liberté ». Liberté dont on ne pouvait croire qu’il s’animerait un jour, s’arracherait comme un dragon de fable pour hanter le ciel.

 

Diane ma merveilleuse aventure, mon édifice impossible. Tout son visage reflue à ma bouche de noyé...

Son regard ; l’oeil obéissant, conforme à la coiffure, aux talons, au maquillage, l’oeil bien élevé, fixe sur le destin -cette chose atroce et obligatoire- cet oeil insensible à la poésie et à l’amour ; l’oeil révolté, remuant comme un coeur. Sauvage, fâché avec la morale et penche comme une fleur de désert vers moi. Cet oeil au charme des dents mal arrangées. Cet œil sans quoi je n'aurais pu l'aimer et cet oeil ; j’ai toujours aimé pour les mauvaises raisons. Il était couleur d'aurore émue, l'air toujours agacé contre la direction de son destin auquel rien ne pourrait le soustraire. Qu'est ce ça peut un œil tout seul? Le sien, éblouir, et c'est déjà bien davantage que la plupart des êtres. 

 

II

 

Et, sortant, enfin de cet immeuble libre de ma lettre mais non de mes pensées et non plus de mon amour, j’espère la croiser. Etre surpris, moi, tout haletant de mon geste, de mon sang, tout éclatant de cet air de crépuscule minaudant, forcément, jusque mon teint -il est impossible que sinon l’encre, au moins la douleur ne fasse passer sur soi un peu de l’infini. 

 

Viens faire ce que tu as toujours fait, viens me surprendre s’il te plaît, arrache de ma figure ce sourire victorieux, et puis victorieux de quoi ? D’avoir écrit, d’avoir pu aller jusque’à ce prolégomènes du courage ? Ridicule. Je suis hors de chez toi, tu n’es pas avertie où que tu te trouves par tes miroirs, tes amoureux chéris, eux qui toute la journée te félicitent et te flattent ? Tes miroirs complices de ta gloire à toi ; de mon désastre à moi. Tu ne sens pas mon odeur de propre, odeur quand je suis libéré de toi ? Donne à cette fin, ton front de statue, écrase dans ton rire cet avorton formidable -mon geste déplié jusque’à ce terme, cette fin ; ma fin- dont je suis si fier. Viens surprendre les caractères nerveux, insoupçonnables gravés dans mes yeux. Encore je te parle. Libre ? De quoi donc ? Appauvri au mieux de quelques feuilles de brouillon, d’un peu d’encre et d’un bouquin. Si tu venais maintenant et me voyais prisonnier de mon visage préparé pour toi...tu rirais, et tes yeux heureux -toujours heureux sans que jamais même je ne t’embrasse- me démaquilleraient de ce mensonge. Tu as toujours rendu sa vérité à mon existence, tu me détrempes, me détournes de tous les artifices. Grande eau trop pure. mer invasive, humide à nos cuisses avant même d’y avoir trempé les pieds, surprenante, oui, je l’ai déjà dit. Une mer qui vous prend et vous mouille, non pour flétrir mais pour purifier. Tu n’es pas là, et je ne peux pas attendre, ce ne fait pas partie de la pièce -je le sais je l’ai écrite- ni du rôle -je le sais, je l’ai choisi, je ne peux pas...mais si tu me touchais juste là, juste sur mon pouls -partout- moi encore fragile de ma splendeur en toc, je prendrai une couleur d’écume, une couleur de rêves d’enfants. 

 

Absente. Depuis le début, le premier jour, absente.

 

Bien entendu elle n’est pas là. Il est l’été, il fait un grand soleil, elle a le front quelque part humide  -pas de sueur- de son futur, le métro lui fait quelque chose, les autres corps. Je ne pouvais pas attendre très longtemps, à supplier sur ce trottoir du quinzième arrondissement pour mon asphyxie, à chercher une gamme de douleur.

« Torture moi. Étouffe moi ».

De l’autre côté du seuil. Personne. Le vent. La folie. Un faux espoir.

 

J’ouvre la porte de chez toi, celle qui donne vers le vide, vers le dehors, vers ton absence. Les paupières closes, pour jouer à avoir peur, comme l’hiver où l’on se fait avoir froid avant de trouver le sommeil. Je voulais tant ton témoignage à ce spectacle de l’adieu, à ce moment baroque -c’est à dire ridicule- sur lequel je ne peux pas revenir. Frémir encore de ton existence concrète, palpable, et parce que tout ça, parce qu’existence réelle, entière, alors toi douloureuse. Tu existes, c’est tout mon bonheur. Tu n’es pas là, toute ma douleur. Et moi je vais mourir, tu l’ignores, mais je ne peux pas vieillir, il y a un terme à mon existence, le ciel ne me laissera pas aller plus loin. Je le sais, tant d’angoisses font ma vie, je suis malade, malade de la tête, pas du corps. Bipolaire. Fou. Ca veut dire fou.

 

 

Je veux qu'elle soit là, à ce dernier moment de l'adieu, que ses yeux se posent sur moi, que sa bouche m'effleure/m'effrite, je veux ce dernier frisson de son existence. On croit avoir tué par ce mot répugnant qu'adieu et le corps indifférent à la blessure continue son spectacle ! Adieu cette dague ridicule des littérateurs et leurs crimes minables. Ce moignon d'agir qu'il y a dans l'écriture. Je ne peux pas effacer ce goût amer, ce goût de feu glacial et pourtant son existence véritable, son existence en dehors de celle que je lui ai prêtée, son cœur mis dans sa vraie draperie de sens, se perpétue. Et que son existence ne puisse être annulée par mon écriture, que cet amour qui a hanté mes nuits ne puisse, lorsqu'il arrive au dernier spasme de sa maladie, l'affecter elle est une injure, injure polie, injure mesurée, faite à tous les poètes rejetés. Comme à chaque fois que son bon sens vénéneux réduisait mes effusions à son périmètre ridicule, qu'elle exorcisait de mon chant toute l'arabesque pour en ramasser comme un débris, comme un limon ou une racine, le sens seul, le fond seulement. «Tu ergotes» dirait-elle, me lisant. 

 

Le vertige de la croiser combien il m'excite, oui, cet indispensable vertige... mais toute sa violence il la tient de l'imprévisible torsion de ses vertèbres, sa force c'est la surprise. On ne doit jamais se préparer à son supplice. S'y préparer c'est le diminuer. A demeurer là, immobile, attentif, à le provoquer vulgairement par ma patience j'en gâcherai toute la saveur, j'en frelaterai l’ivresse. Je veux préserver ce sortilège en ne déchiffrant rien de son antiquité, de sa mystique. C'est une obsession bien étrangère à moi-même que de tout vouloir traduire et si on avait pu rendre la musique banale comme un abécédaire sûrement l'aurait on fait. Avant toute cette mathématique ennuyeuse je veux ressentir, être envahi. Comprendre...la vie n'est pas une leçon de philosophie. C'est en voulant expliquer Dieu qu'on l'a tué. Alors je pars sans regarder derrière, sans surveiller autour de moi -dans l'horaire, dans les bars- les indices de sa présence. Je vais à cet endroit gigantesque et désert où elle n'a jamais mis les mains et que je ne peux pas quitter : moi-même.

 

Que fait-elle de son pas ? Pourquoi ne la mène t-il pas là où je l'espère ? Je me suis toujours cru la grande contrée, l'inévitable Amérique tout ce qu'on finit toujours par atteindre. La preuve elle avait été là, à un geste de ma vie et ce geste amer, allemand... Je désire sa présence, je suis affamé de vertige. Je presse l'impatience pour en goûter le jus. Alors comment un fantasme si solide, une idée si furieusement dessinée ne peut réaliser un corps tangible ? Il faut que les pensées restent dans leurs cloisons d'imaginaires... et qui enfin trouvera la clef pour les libérer, pour déverser tout son penchant, tout son vacarme intérieur dans le pays des formes ennuyeuses ? Animez vos pulsions. Faites tomber en cascade vos fureurs. Donnez leur des yeux, des mains, vos gestes si vous ne trouvez rien pour les arranger aussi bien que vous même. Greffez votre délire à ce réel infâme. 

 

Je suis nerveux. Mes pas sont lents. Tous les parfums l'esquissent. Je reconnais là un octave de sa voix, là une déclinaison de son soupir, je reconnais une mèche de ses cheveux dans le soleil marié dans mes yeux. Je marche pour oublier, et plus je marche plus je m'éloigne du danger. Et de la vie ? Et de la vie

 

 Qu'est ce que je fais ? Qu'est ce que je fais ? 

Qu’est ce que tu fous ?

 

Mes gestes, mon impatience, ma frénésie et cette façon de dire « je t'aime » presque pour se venger. Voilà, à quoi l'a réduite mon geste, un objet brisé, un souvenir J'aimerais que tout le monde comprenne, tous ces gens là dont je sens l'haleine de spectateurs et les yeux sales, tous ceux-là que je reconnais et qui n'ont pu empêcher le rire de borner leurs lèvres. Je veux la croiser pour un vertige de pleutre c'est vrai, pour un précipice en trompe-l’œil mais je n'espère rien d'autre que la croiser, si la folie devait lui percer les tympans, si la démence devait lui animer la bouche et  que, rompue de délire, trompée par un cœur devenu malade, elle s'écriait « je t'aime » moi du même pas je la fuirai, ma main gesticulerait du même au-revoir qu'aujourd'hui et peut-être même moins victorieusement exécuté. Je l’aime, oui, mais pas davantage, le couple, les histoires d’amour, c’est autre chose. 

 

J'ai mis mon corps hors de son pouvoir - pour survivre et je ne peux l’aimer que vivant -là où le sentiment avait déjà abdiqué en sa faveur, mille fois il l'a couronné, couvert de son hermine, de son sang mais à ce concile d'abandon où mes organes inconscients ont voté ma soumission je n’ai pas engagé ma volonté. Je n’ai pas dit «Très bien j’abandonne, fais de moi ce que tu veux même si ce n’est rien, exerce sur moi ton pouvoir même par le néant, même par le blanc, par l’absence».

 

Bien entendu il y a une lâcheté infinie à ce déni. Je refuserai que la vie la jette avec mépris contre moi et pourquoi faire ? La voir déformée par son exactitude, réformée par la laideur précise de son théorème de voix, de cheveux, de centimètres et de poids. Cherchant une mesure arrondie au centième ne vous jetez pas sous mes mains, elles sont pleines de sensations inexactes, mobiles, fausses même. Vos précisions malades et forcenées allez les traquer dans votre codex, vos casernes, tout votre état civil du réel. Ah, vous en avez fait de générations en générations des petits génocides marrants, des papillons à crucifier et pourquoi? Il fallait absolument mettre de l'ordre dans le réel, vous ne pouviez pas être bouleversé sans donner un nom, une explication, une loi à cette émotion. vos théorèmes me dégoutent ; mon coeur est un triangle rectangle rebelle ; angle coupant. Il fallait que ce soit profitable, rangé comme une chambre d'enfant docile. Que tout soit à sa place et même la peur ! Dans vos cinémas, vos légendes minuscules. Partout où il y avait de la nuit vous allumiez des torches effrayantes, vous avez fait la lumière de vos ampoules très petite pour oublier qu'autour de vous c'est l'abîme, l'abîme, l'abîme rauque et incorruptible. Je me souviens de terreurs nocturnes formidables, de cauchemars qu'aucun éclairage public n'aurait pu diluer. Quand nous sortions la nuit nous promener en forêt sans autres lueurs que nos pupilles dilatées, sans autre vigueur que notre effroi. Chaque bruit, chaque pas, chaque mouvement était l'impensable ! Laissez la nuit tranquille. Arrêtez de la vouloir apprivoiser, l'incroyable laissez le tout seul, il ne sera jamais au calme, jamais en paix, c'est un tumulte incessant, un grand ouragan de violence et d'éternité. Diane, sa splendeur elle la tient de l'imprévisible de son mirage, de tout ce que sa réalité se confond avec l'illusion par moi inventé.

 

Mon fantasme d'elle je lui ai donné un nom comme un fou furieux qui ne craint pas d'avouer que oui, celle qu'il aime n'est pas celle qui existe avec l'argile prévisible et impérieux du réel. « D. »/Diane Comme j'oubliais toujours avant la voir tout ce qui les faisait distinctes. Je l'oubliais dans le chemin qui me menait à nos salles de cours communes, à nos fêtes, à nos joies. Une vérité parfois ça s'égare comme un rire, une pièce de cuivre, un rivet qui tient le monde à la raison. C'est tant insuffisant les bornes d'un corps de nerf et de chair, des digues prosaïques. Pf. Le déluge n'y monte pas. Il faut des toits de certitudes, de la chaux ennuyeuse, des fenêtres de fatigue...

 

Elles se ressemblaient comme un reflet au miroir, comme un reflet au miroir à qui toujours manquera la voix, le parfum, la coiffure. Comme un reflet ça n'est qu'une monnaie rendue, un appoint de son visage. C'est fou comme aussi peu on peut être être l'exacte réplique de sa photographie. Il existe de chacun une infinité de visages, celui qu'on prépare à sa lumière de salle de bain, celui qui nous fait honte sous l'éclairage d'ascenseur, mais un seul véritable dont l’étrange pouvoir se libère dans l’étreinte.

 

Je l'ai taillée -devrais-je dire « elles » ? je ne veux pas- avec des instruments de fièvre, avec des compas d'hystérie, les équerres de la folie, j'ai fait ses yeux avec des larmes gelées, à elle j'ai répandu le parfum sauvage d'une première fois et j'ai cru trouver dans cette chimie son visage : l'eau forte de la folie. Mais ce n'était pas Diane, elles étaient assemblées de solides différents, de fluides impossibles, d'un métal conjuré. A celle-là tous les précieux du monde, toutes les matières d’invraisemblable pour lui faire bouche, pensées, voix. Des dents de diamant pour déchirer les choses de l'irréel, pour mordre dans l'infini et y laisser l'incroyable. Des mensurations de sonnet, des veines de déchirures où dix mille désespérés traînent dans leurs terreurs son cœur et son sang. 

Je dis : « Si je ferme les yeux qui vois-je ? Mon spectre inventé, ma statue de blessures et de cire, je vois ton visage à toi crêpé de noir, ton visage des jours de tragédie, ton visage qu'aucun miroir n'a pris à son piège de cristal poli, qu'aucune réalité n'a eu le courage de révéler. » Parfois, dans elle, j'ai cru surprendre ce linge de D., cette ligne de poésie ridicule. Ce n'était que coïncidence, espoir mal toussé. Des mots aux paupières closes. Tragédie, tragédie, à tous les théâtres il faut ces rideaux de chair

 

Je suis obsédé par les miroirs. Ces ombres colorés.

 

« Tu y avais, dans cette initiale à laquelle je te forçais -et qu'est ce que ce fut d'autre que toujours te déchirer sans un gémir, sans une douleur cet écrire depuis toi que tu regardais avec tes yeux d'effroi- tous les incarnats possibles. Tu avais des souliers d'ombre, tu paraissais à moi dans la démarche époustouflante d'une odeur, dans le bruissement des forêts ensanglantées, tes deux yeux je leur avais donné la beauté d'un vol, la gravité d'une chouette, je les incrustais à l'envers du papier à musique. Je te donnais un air de désordre et de foudre que tu n'as jamais eu qu'un jour en voyant ton reflet refuser tes gestes tant tu avais bue. Il était très tard et j'étais moi-même très tard. Francfort s'étirait et sans trop que je comprenne comment, tu t'es échappée d'un pas vaste -je me disais « quelle chose étrange que la Russie toute entière puisse tenir dans une foulée »- du groupe et je ne comprenais pas bien, tu es partie vite, comme on court vers la peur, comme on poursuit une idée, comme on fuit un e habitude -et peut-être était-ce ce que tu faisais- et je t'ai suivie dans ce pays d'étrange, ce pays qu'un banc formait. Il faisait froid mais le froid nous évitait. J'étais fâché de ce que tu parlais à « tes copines » de ce que j'écrivais, j'imaginais ta voix, les mots que tu disais, les rires que vous y mettiez. J'étais fâché, comme si de tout il fallait se défendre, que toujours dans écrire rimer ne récoltait que moqueries et parfums de rance Mendicité d'écrire. Et puis. Puis ce soir là « Bonne nuit Diane ; adieu D. » que je t'envoyais, comme on ferme la serrure d'un possible, comme on se bannit soit d’un ciel. Voilà la réalité, seulement la réalité, quelle tristesse. jardin public, comme on finit d'escalader un grillage improbable.

 

 

Je réfute sa voix en chantant très haut, parce que oui, si je crie forcément je chante. C'est ainsi qu'elle disparaît, je vais me souvenir de plus en plus mal de son ombre. Chaque pas que je fais trop bruyant recouvre et efface son corps, sa vie. Transparente, transparente, c'est de plus en plus transparente que je l'imagine derrière ma course. Mais, la semant en une multitude de pas qui va d'elle à moi même je peux, petit-poucet, remonter ces traces pour la retrouver et par là faire de ma fuite aussi aussi un chemin.

 

Ma vie va continuer, évidemment. Sans toi. Différente. Pas moins bien, pas meilleure. Seulement autre. Je ne sais plus qui écrivait « aimer c'est mourir deux fois » je crois que c'est aussi s'offrir le bonheur de ressusciter. N'est-ce pas la leçon de Christ ? Il a aimé et il en est mort et il en est revenu, pour aimer encore. 

 

Je sors.

 

Je t'invoque. Toutes les minutes je te parle. Tu me réponds. Tu n'as pas ta voix, tu parles comme si tu étais malade, mais c'est bien toi je reconnais tes yeux de perfection inhumaine.

 

 

Oublier :

 

Cette nuit je vais voir ma Emma rue notre-dame des victoires, défaire ses cheveux tristes, réunir son parfum et m'émouvoir quand par un accident des sens elle te ressemblera. Je l'ai choisie différente. Grande et les yeux sombres. Je l'appelle toujours ma nuit et le temps qu'on dure ensemble fait naître à mon visage des cernes pareilles à la mélancolie. Que la vie est belle quand tu es dans ma poitrine, je dégage une lumière impressionnante. Evidemment, je ne reste jamais longtemps dans les draps trop légers de femmes aimables mais que moi je n'aime pas. Elle me retranche si mal de la nuit, j'entends sa plainte qui me réclame, j'entends sa dentelle noire qui m'appelle. Ces bras là ne savent pas me garder bien longtemps, ils me mènent si mal au jour, j'y arrive tellement gris que le matin pourrait me fondre dans sa brume, me confondre avec Paris et m'emmener dans toutes les ruelles qui ont bien pris son noir éteint. ,

 

Tu me manques. Evidemment.

 

-J’ai une idée 

 

 

 

 

 

E. ne comprend pas et m'interroge. Mais qui pourrait comprendre ? E. ne comprend pas tous ce faux-incroyable, ce précieux imbécile et illusoire dont je m'efforce d'arranger ma vie. E. ne comprend pas que nous ne nous mêlâmes, que jamais je ne m'essayai à un de ces gestes comestibles par la réalité « Un mot, juste un mot, une phrase avec ta bouche, pourquoi pas ? ». E. comprend d'autant moins qu'un instant où nos corps pouvaient se compromettre, où tous nos gestes pouvaient se recouvrir, où nous aurions pu devenir interminables l'un par l'autre, je me suis échappé comme le soleil courbaturé de minuit. E. Ne peut pas comprendre «ta peur ?»  E. ne peut comprendre que la réalité est un passage trop étroit pour que j'accepte de l'emprunter. L'embrasser, l'abîmer, vulgairement la faire mienne -et je reste convaincu que ce n’aurait pas té possible, elle n’aurait pas voulu, jamais- c'était aussi nous rendre exacts et ordinaires, la précipiter au bas du vertige, à l'intérieur de l'étuve du réel où l'on s’assèche. Je refuse de perdre ce pouvoir de métamorphose qu'on a au rêve... Devenir définitif, habité par une vérité stricte et inflexible...je ne cherche pas à être si minuscule, à devenir un détail. Je suis trop lâche pour ne pas fuir un destin d'ordinaire ! Qui peut comprendre ? Que rien n'est pire que rendre son fantasme réel malgré soi, c'est à dire lui trouver une réalité hors de soi, hors de sa propre imagination. Surtout c'est risquer découvrir dans ses traits les minuscules détails-affronts ignorés -non, je ne l’aime que parfaite, je n’apprendrais pas à aimer ses défauts, je n’apprendrai pas à aimer ses ongles en deuil, ses ronflements, ses lectures médiocres- obsédé par le seul inaccessible des lèvres. La saisir, la sentir, établir la comptabilité de son parfum, mettre sa sueur au débit, sa colère au crédit, pouvoir démembrer son sommeil et en faire des tranches rassises à vous dégoûter du matin, comprendre que son visage certaines mauvaises nuits se froisse et se délabre, tout ça me révulse. L'extase qu'on limite, qu'on tempère et qu'on règle avec ce thermostat précis, pouah ! J'ai le goût de l'absolu et de l'interminable et si d'interminable on ne trouve que des abîmes c'est avec joie que je m'y jette, c'est une mode bien récente de n'avoir appris à compter qu'en positif ; de zéro vers le ciel. Je veux des vertiges qui ne finissent d'être vertiges que dévorés par eux-même, assez de ceux qui lentement s'épuisent dans un vieillir banal et linéaire, que fatiguent des riens du tout entassés en une pile de rien du tout que par des jeux d'ombre on va dire « dramatiques » ! Vie administrative, fonctionnaires de leurs sens, longue file d’attente avant d’atteindre la sensation. L'aimer décharnée -je veux dire sans sa propre chair, uniquement en son idée- c'est l'aimer immortelle. Comme on a fait des Chimène, des Roxane, qu'on les a mises bien à l'étroit dans des vers et que toujours par nos mains, nos cris elles ont débordé je fais Diane de la matière de ces mots arrachés au diable. Oui Diane, pareilles à elles débordera, m'excèdera, me dépassera, me noiera. Oubliée, inconsommable dans l’adieu, perpétuité de son souvenir. Ma poésie l'embaume pour toujours, rien ne rétrécira l’aura bleue dont je la biseaute, cette éternité de...déportée. Quand même ce visage aimé n'aura plus rien à voir avec son visage officiel, quand les photographies auront même commencé à l'oublier moi je me souviendrai, moi je me souviendrai ! L’âme est immortelle, et son visage dans ma mémoire c’est son âme.

 

Je t'aime, et jamais je ne ferai perdre à ce mot sa saveur, jamais je ne fanerai ton teint pervenche, ton ciel d'orage, t'aimer c'est formidable. Je ne savais pas qu’on pouvait avoir aussi mal et je ne savais pas qu’on pouvait survivre à semblable douleur.

Les péniches jonchées sur tes yeux me surprendront toujours

Comme tes cils d'acqueduc le parloir de ton rire

Ces cages à ronger.

 

 

son corps et moi :

 

A Francfort nous nous étions retrouvés seuls et ivres au très tard de la nuit et c'était cet instant, cet instant où il aurait suffi que le vent autrement souffle, que dedans le déluge de nos mains un aveu s'entende, qu'on y comprenne des mots décisifs...Des mots. Je ne veux pas abuser le lecteur un peu crédule, celui qui imagine au courage une vertu décisive. Cette nuit-là, prononçant les mots décisifs, les mots de faiblesse, rien n’aurait changé. Ou tout, mais non pas dans le sens attendu par la littérature, pas dans une interminable étreinte. Je suis tragique. Définitivement moi-même. Sans composé.

Nous nous étions retrouvés à cette distance parfaite, celle d'un baiser infranchissable. J'ai hésité et fatalement la minute du prodige est passée. Fatalement. Nous ne nous sommes croisés que par accident, dans ce long et étroit corridor de la vie, dans un de ces minuscules tubes où l'on ne peut passer qu'en se frôlant. Ne pouvant tout à fait nous éviter nous nous sommes effleurés. Tout le vertige de ce geste gêné et pourtant à demi volontaire...

La minute est passée et parce qu'elle est passée, plutôt que la chasser comme une proie grotesque je l'ai regardée mourir. Je l'ai vu défaire ses cheveux de poursuite, je l'ai vu expirer son chant d'oiseau définitif. Je n'ai pas voulu lever le flou de son visage. Je l'ai gardée intacte moi qui ne veut que rien ne soit intact, qui n'a de goût que de déchirer comme -ironie- la diane du poème. Il ne peut exister de moments aussi caniculaires que l'instant du non-agir. Ma peau a ri, mes lèvres ont renoncé et le moment est passé. Une minute, une seconde, par une maladresse de la nuit, par une mauvaise réverbération de la lumière peut être nous sommes nous aimés. Ca a duré cette minute, et la saisir en souvenir, déjà la brise.

 

Ce n’est pas un regret, une honte au plus Diane a fini de dire son texte, elle a rejoint la grande fresque invraissemblable des corps et des émois, et cette fresque achevée je ne peux m'empêcher de la toucher souvent, d'y poser les mains, la bouche, de respirer sa matière palpitante. Vivante. Incertaine, incessante.

«Comme un coeur ?»

«Cette fois, oui, comme un couer»

 

Je ne m'explique pas et pourquoi faire ? Je vous emmerde.

 

Je me souviens en couleurs. Plus précisément : en gris et en saison. De grands moments de ma vie sont une déclinaison de tous les automnes possibles. Ma jeunesse je l'ai passée à éclaircir la tristesse du ciel, à tenter d'y faire émerger un soleil. Quel dommage qu'il faille vieillir pour enfin connaître le bleu du ciel. Voilà que finalement la lumière y geint mais mes yeux d'enfants, ceux qui auraient su d'instinct sans émouvoir, sont perdus. Quel ciel sera d'avoir aimé ? Une grande nuit, une grande nuit étoilée.

 

 

Certains soirs que tu avais bu beaucoup de vin et que tes lèvres prenaient la couleur bleue-nuit des algues, je croyais que tu revenais de ta noyade.

 

Je ne veux pas vieillir. Pas oublier. Pas durer. Vieillir c'est s'habituer à la mort, c'est la régression du vivant, lentement cesser d'être, pour se réduire soi à sa portion congrue. Devenir sa fonction utile. Résorber l'enthousiasme en une minuscule chose, vieillir et devenir fragment de soi-même. Je refuse de faire comme vous avez fait au verbe vivre avec vos rites -que vos dites des lois- de tortionnaires. Cette langue d'après vingt ans qui bouge du même bruit visqueux dans vos voix ce bruit, cette plainte: « ma jeunesse je l'ai bien bue, je la rebouche pour toujours et plus jamais que dans l'hystérie je n'y toucherai, celle qu'on franchit après nos cheveux à quarante ans dans l'adultère, le divorce, les hurlements de faux-dément. Cette jeunesse qu'on effraie à vingt ans comme une biche craintive avec les fusils factices de l'ordre, et le bruit de bottes de la milice». A cette bouteille je boirai toujours sans peur de renverser la liqueur qui vous paraît si précieuse qu'on y touche jamais plus qu'en photographies, qu'avec les précautions d'un vendeur de constellations. Parce que ça existe oui les vendeurs de constellations ! Les publicitaires, mange ta jeunesse, bois ta jeunesse, lave toi de ta jeunesse. De ma jeunesse je vous tacherai, je salirai vos trottoirs qui sont aussi vos corps. Au café de vivre je dirai « Garçon encore à boire. Encore à voir. TOUJOURS A VOIR. ». et sur son plateau d'éclairs il m'apportera tous les alcools de vos caves secrètes, tous : le vin rouge de votre honte, le blanc de votre effroi, le vin bleu quand il a séché dans votre oubli.

J’aime pour vous tous.

 

A chaque instant de me rassembler après avoir aimé une fille, je ne peux m'empêcher de penser à tes cheveux couleur de forêt à son corps gonflé de lumière irrespirable. Emma (blablabla).

Je croyais derrière moi l'avoir semé mais elle continue de me hanter.

 

Elle se compose de bouffées d'inexactitudes, je l'assemble malgré moi, avec son œil terrible, son œil d'orage et de tempête. Et plus j'écris sur elle plus je crois écrire sur la Claire de Chardonne, je ne parle d'elle que comme morte et pourtant elle continue de répandre son prodige inexact sur une bouche, à faire entendre sa voix aigüe dans des réunions ennuyeuses. Morte seulement pour moi. 

Elle me manque. Je m'en doutais. Elle me manque. Tout son corps bouge malgré elle en moi-même respire dans mes gestes. Certaines nuits d'angoisse, quand j'ai éteint les lumières pour annoncer au rêve que je suis disponible par ce signe morose et que le sommeil est en retard, mon cœur tremble doucement de sa présence et ressemble à une barque mal amarrée qui tangue et heurte sans cesse le ponton de ma vie. Je la sens y frémir, y incliner la nuque, c'est de son poids imperceptible et mouvant, de son poids solennel et tranquille que cette barque s'enfonce dans les flots. Je reconnais sa présence à ceci que mon coeur-esquif est mouillé jusqu'à son quart.

 

Une journée où je n'ai pensé à elle m'apparait une journée perdue à dire « je n'ai pas été sensible »

 

 

Les journées sont jonchées de toi, débris de ton parfum, mèche de ta voix et regret de tes yeux.

 

Jamais on ne devrait se dissocier de l'étymologie du miracle.

Miracle, certes, mais pas uniquement : miraculé. Survivre à soi même, au temps, à ses déceptions, retrouver dans des visages, des yeux son origine, le primitif de ses gestes et quand tous les corps insatisfaisants vous seront passés entre les mains alors fabriquez les à partir de vos larmes gelées, rendez leurs des pleurs purs comme l'eau d'un mirage.

Vivant et soudain -enfin ! ce n'est plus seulement un mot.

 

Je suis de cette race des égarés. J'ai besoin de me tromper beaucoup et souvent avant d'arriver à moi-même, je me trouve au détour de sentiers improbables, je dois buter dans les impasses, atteindre des précipices pour seul sortir de  mon propre dédale. J'existe après l'erreur, elle me complète, je me tiens à son bout. Je ne suis véritablement que pour m'être trompé. Si je me trompe c'est que je vais me trouver.

 

Qu'on me reproche enfin de mentir souvent me paraît une chose aussi grotesque qu'amusante, voilà mon maquillage à moi, mon travestissement des nuits hirsutes. Si toi tant tu aimes la vérité, allez, va lui faire des petits, des baisers parfaits, et tu verras tu te retrouveras tout seul avec elle, dans cet hospice glacé d'amoureux austères. Comprenez ! Mentir c'est rendre à la vie son fantastique, c'est ne pas accepter la brique triste de la vérité, ses édifices précis et sans formidable, mentir c'est faire revenir Dieu de sa tombe de matières prétentieuses : la philosophie et la science dures comme des matières inertes. Inutiles. Le soleil ? C'est une croyance, et si ça te plaît d'imaginer le ciel assez malade pour l'y peindre c'est ton affaire, moi je te dis recrache toute ta cosmogonie imbécile, désapprends tes théorèmes prétentieux. Le soleil c'est ma bouche que je suspends au ciel pour le décorer un instant d'un chant de muet. Mentir c'est mettre la poésie à chaque seconde dans sa vie, articuler le désastre, la démence, c'est ouvrir son ventre comme on force la porte d'un asile. Que tous les furieux de moi-même filtrent vers vous, vous touchent, vous empoisonnent, que leurs mains pareilles aux dents des enragés vous contaminent. Mentir c'est ne plus s'occuper de cette chose commode et imbécile que la vérité et mieux l'ignorer comme un amant débile Je ne veux m'occuper que du merveilleux et du miracle mes très chers rois martyrisés. Jamais on ne devrait faire de nos gestes comme des denrées périssables à peser sur des balances précises pour en être mieux économe. Ne garde rien, gaspille tout. Le prodige c'est ta fortune illimitée. Le ciel est une paume, la mer une pierre insensée. BRISE LES. Je voudrais vous rendre malades du beau, du vertige et j'avais ce plan élaboré dans la fabrique de mon imaginaire de déposer sur chaque portière, à chaque entrée trop sérieuse, à chaque visage grave comme un portique de banque, un peu de LSD pour autoriser le délire partout, dans toutes les vies qui ont barricadé leurs sens, qui ne croient que par des verbes désuets et austères comme des parchemins illisibles. J'ai toute ma force à gâcher sur ton corps, sur tes mains, sur tes yeux. Je peux tout salir avec mon cœur.

 

Parler de D. c'est m'émouvoir.

 

Je suis parfumé d'étés lointains. Ceux capables - dans certaines régions très au nord de mon coeur - d'abolir la nuit.

 

 

Souvent, la vie est longue. Obligatoire. Partout on me parle de vacances, l'été est là et me soulage. Partout, on me parle de départs, de grands là bas dépareillés. ET j'écoute, attentif. Mais je ne me laisse plus tromper. Je sais que partout on porte soi avec soi-même, on affaiblit sa névrose, sa peur, mais on ne la perd pas. S'il existait de véritables vacances ce seraient celles de soi-même, on peut bien entendu imaginer la drogue ce minuscule interstice vers le repos de soi, mais ce n'est pas le cas. La drogue n'est, au mieux, que l'immense jouissance de son exactitude, sa réinvention. Le problème de vivre c'est qu'il le faut tous les jours, inexorablement. Au travail l'on peut se porter pâle à la vie l'on ne peut que se porter mort, aucune dispense ne la satisfait, aucune fatigue ne nous en épargne et -hélas ?- je préfère exister douloureusement que ne pas exister du tout.

 

 

 

 

 

 

 

J'ai la couleur du gibier incapturable.

Je suis vivant et finalement je suis entier. 

Cette vérité soudain : je suis aussi fait de ciel.

 

 

 

 

 

Toi aussi au bout de toi même tu n'as plus la force de te recommencer 

On ne nous a rien appris 

On nous a regardés gacher.

 

 

Théâtre :

 

Qu'est ce que tu vas faire maintenant ?

 

Continuer, forcément, continuer. Autrement, moins bien, moins fort, mais continuer. Comme toi tu as du continuer quand elle est partie, quand tu as compris que toute cette douleur te marquait pour la vie mais que quand même il fallait se poursuivre soi. Que mourir c'était une façon trop vulgaire de dire au revoir, un geste trop définitif, pas assez épique. Le poète c'est celui qui refuse toute la fatalité et malgré nous on a toujours eu cette barbe des inadaptés lyriques...

 

On continue pas, on essaye, on ment, on truque, on joue aux cartes. On a compris c'est un casino miteux. On a bien appris toute la vie les bons gestes, on les reprend, on se découvre une grande qualité de tricheur ! Et puis c'est le même métier de toutes façons, acteur, amant, tricheur. Qu'est ce qu'on imite bien. Ce texte ridicule qu'on a appris toute notre vie d'un œil las on lui trouve soudain une utilité. Ce vieux parchemin illisible. Regarde les, tous à parler de sciences, de molécules, de physique quantique et de philosophoe analytique. Quoi qu’il arrive, qu’on pose de nom sur la souffrance et qu’on en établisse la typologie, le terrain, les causes, tout ce qui la fabrique, on aura rien réglé. C’est la  poésie qui doit venir ici, mais elle aussi elle est impuissante, avec ses pleurs légers. Crève Baudelairechercher avec leur carbone 14 et toutes leurs obsessions maladives ce stupide chaînon manquant, mais le chaînon manquant c'est l'amoureux brisé quand il est réduit à ce chimpanzé mimétique. Alors oui, on va continuer à porter haut sa voix, et puis on a assez ri, la bouche s'en souvient. Le corps a plus de mémoire qu'on croit, il faut juste le plier, et le tordre. Et puis se tordre, se plier, elles nous y ont bien accoutumé. Allez on va être cette les jolis, les mous, les souples. Je suis content que tu me rejoignes dans la grande fonderie des désespérés. Cet asile de nos ombres. Tu vas voir toutes les formes qu’on peut prendre quand on en est au désespoir.

 

Continuer. C'est tout ce qu'on peut faire. C'est tout ce qui nous reste. Je ne veux pas croire qu'on va devenir des êtres restreints, qu'on va toujours regarder ce paysage englouti avec regret. La vie nous en a banni, et ces collines, ces souvenirs sont partout sous nos cris, partout sous nos poings. On ne peut rien y faire l'eau est montée jusqu'au cou, alors on va se rendre dans des ailleurs moins humides, on va quitter ces marécages là. Les semelles sales, peut-être même plus de semelles, et puis alors ? Parce qu'il faut continuer, on ira salir des visages, on terrera notre souffrir, on ne montrera rien. C'est secret, c'est caché, on se reconnaît entre nous, c'est une marque bien précise qui incruste son rubis à tous les déchirés. Voilà on est des déchirés.

 

Tu n'écoutes pas. J'ai marché partout où tu as marché et j'ai cru entrevoir la même voie que tu comptes emprunter...Si tu crois que se résoudre c'est aussi facile qu'une démonstration mathématique, qu'il suffit d'appliquer le théorème à cette géométrie que ton cœur forcément insoumis c'est que tu es encore tellement crédule... Le sentiment partout a semé des pièges contrariants. Son algèbre est pleine de retenues que tu ne remarques pas et tu arrives à son bord, à sa falaise, privé de toute ta force. Même pas assez pour t'en mettre au bas. Tout ça tu l'as perdu en chemin et tu te croyais immortel et tu te croyais immobile...Ça te met à genoux pendant des nuits et des nuits... tu vas découvrir des mots, des mots qui te feront peur quand ils se montreront avec leurs robes longues et accusatrices. Un jour tu arrêtes parce que tu n'en peux plus, et quand tu reprends tu es tellement changé que ce n'est plus vraiment toi. Tu ne continues pas, tu recommences, voilà, avec ce toujours goût de cendres qui te hante, et cette tête que tu ne peux pas t'empêcher de tourner sur ce bonheur dévasté. Tu as gardé ton état civil exact et précis, mais tu te reconnais mal sur les photographies et quand on t'appelle, quand ce n'est plus sa voix qui t'appelle parce que sa voix elle ne veut plus de ton prénom, plus jamais tu ne te tournes. Et parce que tu vas espérer ce sera souvent douloureux. Chaque fois que ce surviendra l'abîme te reprendra, toujours égal, pas méchant, constant comme une femme mariée qui connait son affaire. Ou une pute, voilà. Une pute. 

 

Continuer, c'est tout ce que je peux croire, que cette vie là ne va pas cesser pour se recommencer ailleurs en moins formidable, en plus mesurée. Je ne veux pas que mon âme trouve sa température stable et solide aux alentours de 37,5 degrés celcius, je veux toujours lui connaître sa chaleur de volcan perturbé. Dire «là où c’est chaud c’est mon âme ; le reste mon corps» Non, non, non ! comment ce qui doit tant nous élever peut autant nous écraser. L'amour c'est une presse sans pitié, on croit toujours que le malheur a réservé son ardeur à tous les autres, qu'à nous les grands champs de dorés, le plaisir infini, les soleils convulsés, les baisers de la nuit. Et soudain. Ce drame. Soudain on entend ce qu'on crût des constellations s'ébouler en un fracas mortel sur soi. Juste pour soi, seulement pour soi. Triste privilège. Tout l'infini qui s'en va du ciel pour nous huer, pour nous briser ! Infini loué ; traitre maintenant. Mauvais maître (comme tous les maitres) J'ai l'impression depuis que c'est terminé pour de vrai que je quitte, misérable et trempé, un pays d'infortune. Que toutes mes économies je les égare dans ma fuite. A ce lointain que les lendemains sans elle je ne parviens que démuni et informe. . Tous les jours je prends mon cœur dans ce chiffon de ma peau pour le mener à cette berge incertaine et décevante de l’aujourd’hui. Ce continent où se préparent toutes les défaites. Ou un jour attend la mort, patiente, jouant aux cartes avec elle-même, trichant sûrement même.

 

C'est toujours le même air connu et on l'apprend comme une chanson étrangère à l'école, on n'écoute pas vraiment les paroles. On l'a fredonnée mille fois pourtant sans y toucher vraiment. La mélodie triste est passée sur nos lèvres et nous n’avons rien compris. Trop confiants, trop prétentieux..on moquait les superstitieux et regarde nous à avoir tant cru au pouvoir illimité de notre jeunesse. Ça semblait d'un temps lointain, mythique ces tragédies-là. Des contes pour enfants ou pour religieux. Nous on avait... on avait la saison de notre immortalité. On était trop modestes pour croire que le destin s'emploierait à nous meurtrir avec cette hargne. Que souffrir nous empoignerait avec toute sa force antique et tout son cortège légendaire. Ah les bourreaux.

 

Comment tu t'en es sorti? Comment tu fais tous les jours ?

 

Je t'ai dit je fais semblant le plus souvent, mais parfois, c'est vrai, j'oublie. Ça ne dure jamais assez longtemps parce qu'on s'en souvient toujours. On devient étrange quand on oublie ; Pas heureux. Étrange, on a le front trempé de faux-calme. On est calme, mesuré, on fait comme les autre. 

 

Alors c'est ça...On étudie, on pleure, on feint de vivre, on découvre nos lèvres à moitié et on espère avoir brossé nos dents assez pour que personne n'en voit le charbon. On se débrouille, finalement vivre ce n'est que ça quand déjà on n'aime plus. Qu'on a usé frémir jusqu'à son terme. On se débrouille, on devient un peu banal, on a cet air de victime qu'ont tous les vaincus ordinaires, tous les passants, les mariés. Le quotidien c'est la pire des défaites. On va finir par leur ressembler quand on aura fini de se souvenir tu crois ? Quand notre cœur sera devenu régulier et praticable.

 

On ne s'en débarrasse jamais. C’est très facile à prouver. Regarde : DianeAlors qu'est ce que tu vas faire alors maintenant ? Tu vois l’état dans lequel ça te met. Ca te mettra toujours comme ça. Tu ne t’insensibiliseras jamais à son prénom, à tout ce qui reste de son existence, petit à petit tu te souviendras moins en détails, mais il y a des choses irréductibles, un prénom, son visage, son parfum. Tout ça, chaque fois que ça reviendra, et ça reviendra toujours.

 

J’ai toujours eu bonne mémoire.

 

Alors tu souffriras beaucoup

 

Mais moi je serai toujours vivant

 

Et vivant pour quoi ? Vers quoi ? Où est ce que tu vas diriger toute ta faiblesse ? Parce que ce n’est déjà plus une force, c’est ton amour dégénéré, de la faiblesse, tu seras pathétique, comme les autres. Mais je te connais, tu trouveras quelqu’un, tu lui diras «je t’aime» et elle t’aimera sûrement, elle aura de grands yeux bleus gentils, et des mains toutes petites, mais tu ne l’aimeras pas.

 

Elle est déjà là. Je l’appelle constellation.

 

Tu vois, tu la nies, comme Margot, tu lui interdis d’exister en elle même, tu l’as déportée, rejetée dans un autre prénom que tu as choisi, qui correspond à ta mystique, à ta poétique, à ce que toi tu veux, tu l’as déjà transmutée. Reste là. Tu ne vas pas t’en sortir comme ça. Ce n’est pas juste pour elle. Je ne suis pas moral. Ne me dis pas que tu retournes à ton désespoir, tu ne peux pas retourner à ce que jamais tu ne quittes, à ce qui te suit. Non, pas ce qui te suit, ce qui te constitue, tu ne peux pas fuir ta matière, même les yeux clos, même la conscience essoufflée par l’alcool. Ce sera toujours là. Sale lâche. Sale lâche. Tu vas faire souffrir une toute petite qui n’a demandé rien d’autre que de l’amour, et qui le crois là, qui l’entend qui arrive, qui doit écrire ton prénom partout où elle peut. Salaud. Ne me dis pas que tu fais ce qu’il faut, tu la déformes, tu en fais un prétexte, un poème. Ah, tu as beau dire avec des grands mots «j’ai fait de Diane un prétexte ; ta réalité n’est pas à hauteur d’amour» toujours est il que tout est depuis elle, toute ta vie. Tu crois que je ne le sais pas, quand tu fuis, quand tu es courageux, quand tu as peur, quand tu es fier, c’est toujours avec l’impression qu’elle te regarde. Reste là. Je suis fatigué, je ne vais pas te poursuivre comme ça longtemps encore. Qu’est ce que tu fous. Tu crois que c’est difficile pour toi seulement ? Tu crois que ça ne m’a rien fait quand E. Ne m’a pas choisi, quand elle m’ a refusé d’exister ? Mais pas ça, pas faire souffrir, pas se venger -oh tu diras ce n’est pas se venger- dans une autre. C’est fictif, factice, tu vas lui faire croire, et un jour tu n’auras plus la force, tu ne peux pas t’inventer une patience pour celle que tu n’aimes pas. Ca va se terminer dans ses pleurs. Dans ses pleurs. C’est cruel, si cruel...

 

 

 

 

Plus aucun son. Evidemment. Comment parler de «ça». Et quelles extrémités cette année je n'aurais atteintes ? Partout où il y avait des bordures, des corniches, des falaises, je me suis rendu. L'illimité... C'est le vide. Je l'ai appelé Diane, poèmes, catastrophes Tous les gouffres me sont des amoureuses. Je me suis jeté dans l'amour et pourquoi ? Pour l'allure de falaises des yeux bleus, des nez imparfaits. Je me suis effondré dans des vertiges, j'ai supplié l'abîme de me prendre et de me garder comme fait la mer de ses désespérés. J'ai cherché le traumatisme sur tous les visages, à tous les embranchements, dans les jungles lointaines même qui tant ressemblaient à des vulves. Partout je les ai suivis comme une rumeur, comme on veut un pouvoir quand on les épuise déjà tous de son orme. Ah, j'ai tant chanté, tant promené la vie sur mes lèvres, et c'était un immense chemin pour la vie, comme elle n'en avait jamais vu. Mon baiser...cette terminaison des éclairs. Et un matin, j'étais guéri, la forêt orgueilleuse m'avait pris mon éternité.

Je suis en chemin. Ce chemin est fait d'un seul phare « je ne veux pas mourir ».

Partout où il y avait du désastre je suis allé, pour moi me compléter de tout l'Orient de la légende, de tout l'infini qui me ressemble comme une soeur, un reflet. Alors désormais, je vais aller à la vie normale, la vie rangée, la vie avec sa natte prétentieuse et couarde. Voilà. Je vais retourner cette coutume du geste pour le défaire de tout son impossible lointain. J'abandonne le miracle de mes ongles, je délaisse ici la saveur comme on abdique. Ramasse la toi si tu veux, elle a cet aspect des fougères gisantes, des femmes qui n'aimeront plus jamais, des comme partout tu en vois quand elles ont fini d'avoir vingt ans. Vingt ans, quel âge trop poli, âge sournois, âge comme on a un matricule de bagnard. Tu reconnaitras facilement l’ardeur que j’abandonne ici, c'est tout ce qui ne te ressemble pas, c'est l'ombre parfaite dont je ne veux plus et qui ne suivra plus aucun corps. Je remplace mon corps par la robe d'avocat et plus aucun soleil ne me fabriquera une silhouette brûlée. Je veux être toute ma fonction. Un minuscule comme partout il y a des minuscules et cette dernière perversion, celle qui me manque, celle qui ne m'a jamais hantée pourtant, celle que je goûte dans vos yeux ennuyeux et dont je vais vous dire le nom effrayant et barbare : banalité, celle-là désormais j'en ferai mon destin. J'ai déjà appris vos dos d'esclaves, vos rires utiles, j'ai déjà retenu la leçon de vos cœurs paresseux, il y a longtemps j'ai appris vos versets de l'abandon, toute votre résignation moderne. Votre religion, votre liturgie d'impuissants. Allez, baptisez moi de votre matérialisme ! « Vivant » demain ce ne sera rien de plus qu'un mot et c'est tant mieux. Allez désespéré lyrique, range tes strophes, tes ongles, tes façons, ton adresse, deviens vulgaire c'est comme ça qu'on réussit. Viens, viens, pas pour te laver, pour te vider. J'ai fini d'aimer.

 

 

 

III

 

Depuis que je l'ai quittée six mois se sont passées. Mes façons ont buté sur son souvenir depuis cet instant, mais la blessure d'aimer a appris son silence, elle ne s'exprime plus qu'avec une grande patience. 

 

 

 

La vie a continué, je n'ai jamais voulu la laisser tranquille, je l'ai traitée comme une habitude, un costume à peine cher. La vie si elle doit être calme comme un fauve dressé je trouverais les ingrédients de son excitation, les parfums les plus sordides, tout son instinct primal à régénérer d'un cri. J'irai à tous les sommets, tous les sonnets, je traquerai l'endroit de sa métamorphose pour rendre encore éclatant son œil et sa dent cruelle. J'irai à la bouche des amoureuses sadiques prendre la perle parfaite du mal.

 

Ne pas se laisser faire.

 

Qu'est ce que ce sera d'autre que longtemps m'adresser à toi. Ecrire, forcément c'est tutoyer. « Tu » c'est le pivot d'écrire. Je dois fixer un objet sensible et rassurant. « Tu ». Comme c'est doux sur ma langue « tu », c'est certain, ça y traine ses longs plis, sa tendresse et son au-revoir, ton oeil, celui que j’aime.

 

 

23 novembre 2020

Le Cheyne et le Roseau - recueil en cours

Recueil - en cours

 

I.

 

ton baiser 
goutte à goutte
rompt le silence
_d’une pierre ?_ 
de la pierre
II.
le ciel 
cognait (heurtait?)
le ciel
le feuillage                      montait
                  parallèle au mot
feuillage


la grotte connaissait l’ombre mais
         la grotte
inconnue
         de l’ombre

rétrécissait jusqu’à l’ombre
un miroir d’ombre de pierre de traces
de fusain            on y lisait un mot
un seul mot
_oubli(e)_
III.
I




le mot devant toi


                          un étranger 


roche


sans nom


sans désir


sans rien


IV.




la vitesse du froid
forgée
par la fraicheur
du bronze



un peu 
         de
mousse
luit


le chêne 
                       connait
la rapacité de la nuit
V.
la nuit augmentée d'un jour


Perdu en grandes quantités
Le bloc demeure 
Bloc perdu


Bloc volé
 à vos yeux pendant une journée.

eau froide, pour étancher ma soif, je me hisse plus haut

l'audace des lacs me rapprochait des profondeurs
la grive frappait le ciel


qui étais-je?
après ce combat
une rencontre

Je n’ai pas vu mon visage à travers la roche, la roche elle-même est mon visage. Sans regarder en arrière, j’ai reconnu ma dent de pierre

l’herbe humide
première énergie
terrestre.

Pause dans laquelle la cible redevient
 apparente

quand ils sont venus, l'eau

Sage de tempête 

cogne

la pierre à la surface de la pierre

L'eau à la surface de l'eau 


Sous les décombres brille
 terre froide
une grive

 

2 juillet 2020

Se rater.

Son prénom, il ne sert à rien de le rapporter. C’était aux 30 ans de Magalie, sur la péniche des bords de Seine, à Suresnes. Le mec est blond, porte une casquette de mec, genre, qui aime l’électro. Va pas tout à fait en rave mais aurait pu. Il n’avait aucune chance et beaucoup d’espérance.
Il portait à mes yeux l’échec, une forme d’échec, de la vie occidentale, cette mollesse qui guette chacun ; de la graisse se forme. Le coeur a l’odeur du MacDonald. 


Probablement, c’est sûr même, il eût des grandes gloires au lycée. Il en conserve un genre d’assurance - défaite de plus en plus. Il connût, oui forcément, mais il y a longtemps déjà, le goût des victoires adolescentes. Les premières qui comptent. Il racontait à 14 piges, que ça y est il l’avait fait. Il l’avait fait ça voulait dire j’ai éjaculé dans une capote avec une fille c’était ouf. Oui voilà. Peut être pas la capote ou si. J’ai remarqué les gamins comme ça qui baisent tôt toujours ils utilisent des capotes. Ils en gardent l’usage longtemps. Sauf après, quelques uns qui pratiquent le stealthing ça veut dire le viol par surprise ça veut dire enlever la capote discrètement genre quand le mec est derrière la fille, quand elle peut pas voir. 


Lui, On le voit, il n’y arrivera plus jamais. Il a cru un moment qu’il lui suffirait d’être lui, de demeurer lui, pour que tout à son passage s’ouvre. Il manquait de talent ; il manquait de travail. Celleux de cette matière, pour qui tout semble s’ouvrir du simple sortilège de leur rire, travaillent des acharné·es c’est. Forgent leur chance et dissimulent ce travail et cette sueur sous une nonchalance truquée. J’en connais. Ielles passent leur temps à entretenir ce talent, inné peut-être, oui mais sans le travail acharné. Auraient fini là comme ce type un peu minable. Cette sécheresse, lui, qu’on porte tous en soi. 


Toute ta vie se tenait là, dans la cale de se bateau-là. Avec ton amie Claire tu te résumais. Comme tu paraissais inquiet, spectral. Homme à disparaître. Tu es de ceux là. Tu grattais, dans la cale, avide, ton pochon de cocaïne, tu disais à Claire, tu le disais dévasté, il en reste presque pas. Tu grattais quoi pour de vrai. Que ça ne finisse pas, je crois. C’était ta façon de fuir. Gratter. Il y a ce conte, ce gamin avec un cerveau en or. On lui racle la tête, il trouve une femme, vénale c’est entendu, elle demande des bijoux des parures il n’a plus de tête bientôt, demande des boucles d’oreilles et tombe, il tend sa main, mélange de sang et d’or (métaphore déjà des diamants ensanglantés du congo)


Il raclait, vraiment, comme un affamé peut-être, sa terre stérile. 
Le bateau parfois tanguait malgré son amarre, nous rappelant nos destins mal-amphibiques. Quand la vague frappait trop fort, tu devais craindre un peu plus que ne s’envole la poudre. 
Il a fait de son mieux, je crois. Là il raclait. Il y a cru. On lui disait. Tu vas le faire. On disait, mec ça va le faire.
Sauf que ça l’a pas fait, tu t’es pas donné assez de peine, le hasard tu n’as pas su le dresser. Informe, un jour il t’a laissé tomber.

Après, avoir tasséé sa petite trace, raclé comme un tox les rebords du plastique, après, avoir tassé sur la tablette en bois, ce qui te restait de cocaïne. Après, après il a scellé le petit pochon, le pochon vide, il a dit c’est vide. Peut-être il gardait pour pas donner à sa pote, Claire, il gardait une miette. Il avait des yeux, mon dieu, je me souviens quand il a dit y en a presque plus. Il avait des yeux…Des yeux qui disaient, il va falloir voir la vie comme elle est et merde. Il va falloir…et tout le devoir de ce mot l’accablait. L’accable encore, aujourd’hui, ce jeudi. 
J’ai vu la flamme du briquet s’approcher du plastique et le faire fondre juste assez pour qu’il se referme sur lui-même. Ainsi, clos, ce paquet qui abrita la came. Ainsi clos, il peut le sentir dans sa poche lorsque ne savait quoi faire de ses mains il les y plonge. Il sent la forme, ronde, un peu râpeuse et se dit, y en a encore, peut être. 
Un de mes amis, ça me fait penser à lui, au plus pâle de son existence, lui aussi quand il puait faut le dire la défaite, il faisait un truc un  peu comme ça. Il ouvrait et refermait le frigidaire. Il avait pas un clou pour se payer la bouffe. Alors il ouvrait et fermait comme s’il rendait un homme au frigidaire et qu’ainsi, à force d’être célébré par ce geste suppliant, il ferait bien apparaître un morceau de n’importe quoi. Le silence à 4° lui répondait. Invariablement. Dans le pochon, sûrement, reste-t-il de ce silence glacé. 


Claire dit je suis au chômage je dis ah c'est bien de rien faire elle dit je vais faire une formation je dis c'est bien de se motiver tout est bien maintenant de toutes façons pour moi elle dit oui de plomberie je dis ah oui c'est bien ça gagne plein dargent elle dit non le salaire c'est pas fou je dis oui mais à ton compte ohlalala elle dit oui c'est vrai après on rigole


Ce mec, le blond là, me fait peur aussi. Dans tous les ratés je vois un moi possible. J’imagine la forme potentielle de mon déclin. Il me métaphore, me précède et me garde. Dieu peut-être il existe me met ce genre de types sur le chemin pour dire, fais gaffe, mec, je t’avertis encore une fois, mais faut pas déconner, bientôt tu vas te débrouiller, le loto franchement compte pas dessus, je te le déconseille fortement. Alors, après avoir ce mec, pour m’éviter d’un jour me trouver dans le miroir avec une casquette laide, un pochon vide. Pour m’épargner ces sortes de crashs, je me suis remis à lire, travailler, penser. Pour cet homme je n’ai pas de pitié, pas de mépris, je le vois pour ce qu’il est, dépourvu de forces, faisant ce qu’il peut. Il m’a convaincu, de ça, de cette vie en lui tarie - non mort en germe - en me disant qu’il voulait faire un film j’ai demandé tu as déjà réalisé il a dit non il a dit j’ai besoin de 5 millions je me suis dit d’où tu tires ce chiffre je lui ai dit vraiment t’as rien fait si il a dit il a dit je me filme quand je fais du VTT avec ma gopro j’ai dit d’accord écris à tout le monde hésite pas franchement fais ça. 


Enfant, je ne mangeais rien, je repoussais l’assiette de n’importe quoi et vidais, déjà, les verres, de limonade c’était en ce temps là, gazouz on dit en arabe du maghreb - bonheur de ces langues qui savent encore l’onomatopée - je repoussais et dans la rue y avait un nain et ma mère moi je me rappelle pas elle a dit non c’était dans le bus en fait ma mère elle a dit tu vois si tu manges pas tu vas devenir comme lui tu vas pas grandir et moi c’est elle qui m’a dit j’ai éclaté de rire d’un rire impossible à arrêter et je le pointais du doigt incrédule peut être ou alors tout à fait convaincu m’imaginant ce destin, toute la vie, voir le monde à cette hauteur, après tout pourquoi aurais je du le craindre, c’était djéà comme ça que je voyais cette mise en garde voilà elle m’a pas fait peur dieu c’est une autre affaire faut le dire. 

 

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3 octobre 2020

Roman 7 : Amitié

Estelle a demandé à Etienne d’être à la maison ce soir. Elle lui a envoyé le lien vers sa page 6annonces, sa page de « pute », elle dit. C’est plus simple. Elle s’épargne la gêne du début, le moment du « oui tu sais…enfin, voilà…je suis pute »  et faire face à l'autre là qui prendrait un air circonspect et espérant, attendant qu’on lui dise « mais c’est une blague, t’es con!!! » pour qu’il réponde « putain tu m’as fait peur ». Il n’y a pas de blagues. En lui envoyant le lien, elle leur épargne ce malaise. On parlera direct de ce qui compte..

Qu’est ce que c’est stressant. Elle regarde l’heure sans cesse. Tente de s’occuper. Ca m’emmerde, putain. Elle donne un semblant de sens à ses gestes. Elle se fait couler un café qu’elle ne boit pas. La porte du frigo, s’ouvre, se referme. Elle n’en sort rien, n’y range rien.
C’est le bordel, putain. Elle range. Réorganise. Revient à l’ancienne version. Sans cesse. Elle rature l’appartement puis se met d’accord sur un nouveau brouillon.
Elle regarde son téléphone. Etienne a laissé un vocal « coucou ! déso pour ce soir je sais qu’on devait se faire une bouffe et tout…mais y a Salim qui passe à Paris, il a loué une énorme baraque ». Sa voix est gênée, il essaie de parler ample pour mimer le ravissement genre putain, je vais m’éclater avec Salim, rien à voir avec le lien que tu m’as envoyé. Il ne l’évoque pas. Elle se demande je lui en parle, ou quoi. Elle entre, dans sa chambre à lui, tant pis là. Elle ouvre le placard, il y range son whisky. C’est sa seule richesse genre. Elle se sert un grand verre. Putain c’est dégueulasse, comment il peut boire ça. Elle envoie une photo de son verre sur whatsapp. Voilà, j’ai besoin de parler. Vraiment. C’est pas des blagues. Rentre s’il te plaît.


Lui, il a la haine. Il éteint rageusement sa clope. Il dit à Salim, j’ai la haine putain. Elle m’emmerde. Je suis pas son père, je suis pas son mec quoi.Salim demande mais c’est quoi le problème ? Rien, rien, des affaires de fric / Tu sais moi je peux te dépanner si besoin / Non, non c’est vraiment autre chose, c’est une sale histoire / Tu peux me parler tu sais il dit Salim / Ouais, je sais, je sais, t'es un vrai pote...dis tu peux me prendre un truc au bar ? Je vais l’appeler vite fait. Il s’arrête. Ca te dérange si elle nous rejoint ce soir ? Tu déconnes, cette meuf est excellente. Vas-y qu’elle vienne. Dis lui d’être sexy hein !! Non, Salim, ça non. C’est compliqué, s’il te plaît viens tu lui parles pas de ce genre de trucs / Waaaa relou…vous êtes tous devenus comme ça à Paris, là. Vous avez paumé vos couilles ou ça se passe comment ? Juste lui en parle pas stp / Ouais, tranquille, tranquille. Salim part en soupirant. Il appelle. Bon. Elle répond dit. Je peux pas parler au tel. Ca coupe. Il dit dans le vide. Viens, ce soir dans la baraque c’est à Ville d’Avray. Il écrit « viens ce soir  ». Il ajoute. « Pour l’instant je peux pas te donner plus ». Il attend en tremblant que le « vu » s’affiche. Il a peur de je ne sais pas quoi. Il se sent pas à la hauteur.

Elle répond. Les trois petits points, là, qui s'affichent. Ca l’angoisse. C’est quoi ce sadisme. Elle dit d’accord.
Elle dit merci.
Elle dit
Je t’aime, vraiment tu sais.
Il dit moi aussi meuf;
Moi aussi t’es conne pfff

Salim revient. Il guettait sur le seuil du bar la conversation. Les réactions. Il voulait comprendre. Ca avait l'air grave, il veut faire gaffe. Ne pas poser trop de questions. Il préfère demeurer dans la périphérie des choses, ne pas trop s’investir. Donner l’impression de ne pas s’investir. Il veut être le meilleur copain de tout le monde. Le meilleur ami de personne.

Pour ça, il connait tout

Il se pose à la table.

Mais si elle propose de me sucer ou quoi, je réponds, "non, désolé je n'ai point le formulaire B-32 sur moi, ni l'autorisation de Madame Simone de Beauvoir ?

Putain, mais t'es vraiment trop con mec. 

 

20 avril 2023

Football Manager 23 (1)

Réussi à désinstaller Civilization VI aujourd’hui (mardi 18 avril, 01h52) ainsi que tous les mods qui, comme le précisent leurs éditeurs, améliorent la qualité de vie. Civilization n’améliore pas la qualité de vie, elle la prend, la vie, la protège, aussi, quand la détresse, sinon, vous laissant interdit avec votre douleur, abattrait votre vie comme un vieux chêne pourri. J’entretiens, avec les jeux-vidéos, ce rapport ambigu de salvation et de malédiction si semblable à celui qui, déchiré par la douleur, la pallie par l’usage d’opiacés. Une douleur pour une douleur ou, plutôt, le manque excepté - qui ne manque que peu avec les jeux - une suspension de la vie, une stase mais qui immobile trop longtemps pourrit, j'en sais quelque chose. 

Je lance une partie de Football Manager 23, premier jeu acheté, cet automne, depuis l’adolescence. Je n’avais jamais, jusqu’alors, disposé que de la version crackée du jeu et, toujours, je choisissais le PSG, ce depuis la version 2008 je crois, au temps où le PSG ne valait pas grand chose sportivement et économiquement. l’Olympique Lyonnais achevait son déclin, le club qui le fit sept fois de suite comme, en hommage aux septs titres consécutifs du club, le nom du fil de ses supporters sur le forum des cahiers du foot, ne gagne aujourd’hui plus rien et commence à être la risée du championnat parce que l'écart entre les performances du club (huitième) et son budget (le deuxième du championnat) le rend grotesque.

J’ai continué, après le rachat par les Qataris dans le monde réel, de jouer le PSG. Saveur changée, club riche à milliards, je réalisai, au moins, dans le monde virtuel, le rêve toujours déçu du club, de remporter la Ligue des Champions. Ligue des Champions dont l’hymne, mille fois célèbre, que je n’avais jamais écouté, comme beaucoup, nous n’entendions en lui que l’annonce du match, les frissons de la grande compétition. Cet hymne, en réalité, porte en trois langues ses paroles, français, anglais et allemand, difficiles à déchiffrer à cause de ce que c'est un chant lyrique et, surtout, un événement. 

Dans ma partie nouvelle de FM 23, j’ai choisi d’incarner un ancien joueur semi-professionnel à la retraite, sans aucune expérience ni diplôme en débutant sans emploi et postulant à tous ceux disponibles. Je lui ai donné une apparrence de Normie, en l'appelant Jeune Nullard, comme je me sens (jeunesse relative) en ce moment et comme j'évalue mes aptitudes d'entraîneur. Le jeu peut simuler notre réelle apparrence physique en prenant une photographie puis en la traitant pour correspondre à l'interface du jeu. Je m'y suis refusé. Je-une est un autre. 
Après une recherche vaine du mois d’août au mois d’octobre, le club d’Huder? (je ne parviens même pas encore à l’orthographier) me propose un entretien que j’accepte. Le poste m’est offert à condition de maintenir le club en V…North league, la sixième division anglaise. Les premiers matchs sont difficiles, les défaites s’enchaînent, j’assiste impuissant à la nullité totale de cette équipe que je tente de réparer par l’ajout de médiocres talents, piochés parmi les joueurs gratuits et errants.
Je finis, trouvant une tactique efficace la saison en boulet de canon, enchaînant les victoires à un rythme si effréné que je crois pouvoir accrocher une place en barrages. La promotion dans la ligue supérieure s’opère de deux manières le club arrivé en tête y accède directement, les sept suivants s’affrontent dans un mini-tournoi dont le vainqueur accompagne le club champion. Je me suis trouvé, après mon enchaînement de fin de saison, aux portes de ces barrages que je n’aurais sûrement pas remportés, équipe encore fragile, dysfonctionnelle. Mieux valait le repos  et la constitution d'un effectif valable et cohérent.

l’intersaison débute et avec elle son lot de mouvements, la construction d’un effectif, avec ses échecs, le budget serré, les joueurs sans contrat, payés aux matchs ou ceux, plus chanceux, disposant d’un CDD. Les salaires dans ces ligues inférieures, que l’on appelle non-league, peuvent étonner, ils atteignent régulièrement les 2000 euros par mois hors prime (plusieurs centaines d’euros par match). 

 Poésie des matchs champêtres, où les joueurs portent des noms qui semblent inventés et ne le sont pas. J’y croise Faulkner ou Huntington des prénoms plus curieux, Marquise ou Marvelous. Cette ligue inférieure compte essentiellement des joueurs anglais ou irlandais, quelques africains peuvent s’y glisser, ils sont rares. La chose intéressante, m’y confrontant, est de voir le nombre d’anglais noir, intéressant parce que la Premier League, championnat de l’élite anglaise et européenne, compte peu de personnes noires d’origine anglaise. Il en va de même pour l’équipe nationale d’Angleterre ou les deux seuls joueurs noirs (Saka a été victime de racisme après son pénalty manqué en finale de l'Euro 2020) sont extrêmement jeunes. J’ignore ce qui explique ce déséquilibre, cette sur-représentation des personnes noires dans les ligues inférieures et leur quasi-invisibilité au plus haut niveau. 

 Nous pourrions imaginer que les blancs, ne parvenant pas à accomplir une carrière de footballeur assez lucrative, se détournent du sport pour occuper un emploi plus ordinaire tandis que le racisme endémique fait que le sport, même de bas niveau (le foot en angleterre permet de "vivre"), présente de plus grands avantages. La couleur de peau ne fait pas obstacle à l'appréciation des qualités, le sport privilégie la performance avant tout ou, même s'il peut, reflet de la société, donner lieu à des remarques racistes, un entraîneur préférera quand même, fut-ce avec mépris, placer sur le terrain un racisé performant qu'un souchien nullard. Rare lieu de méritocraite. 

 J’y pense, aussi, en ce qu’ayant écouté un podcast sur la boxe, j’apprenais que la boxe, sport de prolétaire, était pratiqué avec une sorte de désespoir par les noirs et qu’ils en détournaient leurs enfants pour peu qu’ils y réussisassent assez. User son corps, pour l’abîmer, est une carrière peu enviable. 

Les noirs, je regarde à l’instant, constituent 3,3% de la population anglaise totale. Les statistiques ethniques étant interdites en France, nous ne pouvons pas, pour mieux comprendre la situation, établir une étude comparative.


Peut-être, aussi, le footballeur est-il mieux considéré en Angleterre, comme le rugby en France où la majorité des joueurs professionnels est blanche. Cette explication, par la valeur symbolique, peut expliquer la présence des blancs au plus haut niveau et des noirs dans les ligues inférieures. Les deux explications se combinent. L'équipe d'Angleterre étant le reflet de la population nationale où les blancs sont majoritaires, mais l'équipe d'Angleterre ne compte que les meilleurs, c'est à dire, encore, les blancs qui n'ont pas abandonné à cause de leurs échecs là où les noirs, eux, malgré un niveau insuffisant pour jouer au plus haut niveau s'obtinent. La forte valeur symbolique du football ne fait pas obstacle à sa pratique, y compris professionnelle, par les blancs, mais sa pratique semi-pro, insufissament rémunératrice, les en détournent, laissant, alors, à une autre démographie.  

 

Je lisais qu’un homme, pour assassiner sa compagne, cassa une vingtaine de comprimés de Lexomil et en mélangea la poudre mal pulvérisée à son café que, probablement, il lui prépara pour la première fois depuis toujours. Paresseux dans son crime il avouait aux enquêteurs que, trop pénible de concasser les comprimés jusqu’à l’invisible, il se contenta de l’effectuer grossièrement. Sa paresse, péché ajouté au crime, révéla à son épouse la bizarrerie. L’apparence pâteuse du café, au lieu de sa fluidité ordinaire, l’interrogea et son goût plus encore. Le mari avoua, grommelant, à je ne sais qui, le SAMU est venu, j’ignore qui les prévînt, et sauvèrent la femme. 

 

 J’ai regardé, comme souvent, si quelques comprimés de cette nature traînaient à la maison, j’ai redécouvert ce petit tas entassé sur l’étage de la bibliothèque, bleus blancs, ronds et ovales, que j’avais préparé la première fois que je voulais me suicider, avant, ce drame plus catastrophique de mars. Avant, ce moment là. Je les garde, souvenirs, dont je ne ferai ni ma mort ni un rosaire, il me semble que j’avais préparé quelques lignes, à ce moment là, quelque chose comme « ma puce etc » adressées à Marie-Anaïs, dans le téléphone je trouve aussi la vidéo que je commençai sans l’achever, la vidéo que je souhaitais envoyer à Marine Simon, je me souviens, le verre à bière, celui trouvé avec ses compères dans la rue Clauzel, jadis, rempli des comprimés, la bouteille de vodka à côté, l’alcool, je crois, décuple les effets, de tous les assassins chimiques et leurs disciples. Je voulais signifier, grand bang, à Marine Simon, ce que je sentais. Hier, d’avoir parlé toute la nuit, jusqu’à six heures, dans une étrange orgie de peaux, de caresses et de mots, avec J., de Spinoza, quelque chose en moi s’est apaisé sans s’éteindre. Un pas en avant, dépasser le feu qui tue. Marie-Anaïs, croyait, jadis, que je prévoyais, pour hurler contre Marine Simon, pour dire vois, de me pendre devant le lycée où elle enseigne. Dans le naufragé de Thomas Bernhard, le naufragé se pend à un arbre, devant l’école de musique ou chez sa soeur. Je ne sais plus exactement. Ici, à longueur de mots, mais ma folie rendait opaque l’intelligibilité, j’écrivais qu’écrire exorcisait et évitait de commettre. Dire, pour moi, je tue évite de tuer comme, pendant des années, la pensée du suicide me détournait de sa concrétion. Avant. Pour ceci. Pas pour le reste. 

Nous parlions de Spinoza avant et après avoir baisé. Persévérance de notre être. 

Après son suicide, la famille de Bruno, mon voisin du dessus, mît en ligne une sorte de stèle numérique où ceux qui le connurent, peuvent déposer des mots ou des photos, où la famille retranscrit aussi les mots, les leurs, qu’ils lurent, s’ils parvinrent alors à lire, dans l’Eglise, au moment de la cérémonie funéraire.

Il y a ces mots, je me souviens, sa soeur qui parle, dans une lettre si tendre, de la rue Clauzel qu’elle parcourait haletante avec son père, ce jour que Marie-Anaïs entendait une cavalcade dans l’escalier de l’immeuble sans comprendre. Rue Clauzel, depuis, pour moi, depuis que j’ai lu ceci, cette rue que j’adore, a les joues mouillées de larmes. J’ai peur, parfois, de ceci aussi, que si à mon tour je périssais, quelqu’un écrira rue Clauzel et ajoutera sa motte de sang à cette motte de sang. Rue Clauzel, qui est aussi, je le lisais dans un article, la rue où Johnny Halliday se rendait souvent pour prendre le goûter chez sa tante qui y vivait. J’ignore s’il a repensé parfois à la rue Clauzel avant de mourir

 

Quand je croyais mourir, qu’au téléphone Marie-Anaïs cherchait désespérément les secours et ma localisation, quand j’avais renoncé à mourir, je craignais plus que tout, que les pompiers pour me sauver défonçassent la porte de l’appartement, éventrant ma vie, j’ignorai alors qu’elle sera éventrée douze fois bientôt. J’ignorai comme toujours j’ignore. 

22 février 2017

Crache putain crache

Yeux Bandés

(poème écrit sans regarder l'écran
approchez approchez voir
le vers à barbe et la non-rime

la plus forte de Gitaine)

 

 

cinq heures du matin c'est pas une heure pour écrire il faudrait dormir attendre l'heure du réveil les siryne du métro toute la bonne vie civile tu sens le pain qui lève 
préfigure les hommes tout à l'heure touys


gueules cassées beaux gosses flemmards stagiaires la ribmambelle des humains on dirait une chaîne très tendue et longue des maillons très inégaux mais tous nécessaires c'est beau la solidarité quand même


ceux étudiants encore et rêvant d'un tas de fric ou rêvant pas quelque chose arrivera ills se disent et ils se tirreont loin une guerre pour les plus trtistes ici au moins quelque chose à faire un truc dans quoi shooter merde quoi celui qui écoute studieusement le cours de droit fiscal en L2 il veut s'en sortir il a eu son bac de justesse mais maintenant c'est du sérieux au quartier on compte sur lui faut être riche toi tu feras pas du rap t'as vu ta gueule pas du foot t'as vu ta frappe t'étudies tu buches tu finiras cadre sup' sûrement une bagnole une femme et même des putes si tu t'en sors bien et que t'adoucis un peu les préceptes de la tradition au fond t'es bien le dernier à y croire

L'autre s'en balance de toutes façons la vie il y croit pas vraiment il vient ici pour faire quelque chose chez lui il déprimerait à lire des mangas à mater tous les pornos de la terre "t'en as vu c'est toujours la même chose" préfère son imagination et fantasmer sur les gueules de suceuses des meufs de Tinder

il faut que le week end arrive j'entends l'écho des salles de réunion le momentde bonjour la fille angoissée qui simule au bureau qui simule quand elle a dit oui et pleure toute la nuit en partant très honteuse pourquoi elle sait pas dire non bordel ça m'énerve
je l'entnds "je suis super gaie" on la coupe de toutes façons qui ça intéresse quoi qu'un cul pareil si ça t'attrape pas tout de suite c'est perdu 
ça se transforme pour elle en la nuit de cauchemars des flashs pas agressée sexuellement mais cède toujours cède sinon ça fait trop peur les insinuation les mots alors elle s'en débarasse une fois pour toutes la réputation de salope c'est normal c'est rien 

qu'est ce qu'elle fout là elle avait pas le choix pas trop bête les meilleures notes a Janson le monde pas terrible hein mignonne ? être à peine amorcé etl'amour la sauvera mais il faut venir l'amour hé voyant s marabouts esprits djinns toute la clique imagnaire ramenez vous sauve là c'est le moindre des choses elle sait pas a jamais su quoi que ce soit
Je la prends pour un personnage de la nouvelle vague
c'est pas une héroïne c'est n'importe qui ta soeur ta cousine ou ta voisine tu crois ne pas en connaître de comme elles hein ? Sûrement c'est que tu les abuses toi aussi 
allez regarde un peu ici
Si le droit vraiment s'appliquait tu mangerais de la bite de black ou de rebeu à t'en défoncer la glotte
mais t'as de la chance les lois sont mal écrites ou mal appliquées
c'est comme ça la justice c'est très abstrait il faut quelques caractérisitques bien restreintes pour entrer de plein pied dans la criminalité
parfois quelques uns en rêvent s'inventant des méfaits et pas que les gamins des banlieues d'autres petits-bourgeois une canne-épée ça se change vite en contrebande d'armes de tous types pour massacre ethniques c'est facile de se prendre pour Rimbaud devant son ordinateur


L'autre pas pire pas mieux à la rue pas un repas chaud pas un repas tout court depuis il a pas compté la poubelle vide un demi sandwchi un peu de vomi c'ta sauce verte pauvre type t'as pas fait d'efforts regarde ce que tu deviendras si tu contonues de mal travailler à l'école petit con (tout à l'ehure c'était en voyant passer un éboueur) lui il va errer dormir il a son chez lui deux larges morceaux de carton une couverture pas assez épaisse mais hé c'est comme ça on a ce qu'on mérite dit le cadre dirigeant en toucant le cul de sa stagaire (la fille malaise de tout à l'heure il y a quatre ans ou l'autre sortie de SUPDECO ses yeux prêts à tout qui sera toujours une sale conne)


La réceptionniste sa vie de merde on t'appelle lumpen prolétariat et je devrai me battre pour toi voter pour tu fais tes ongles tu regardes passer Stephen et ses épaules de matador tu siffles dans ta tête plus hauc'est pas permis t'en parles à tes copines t'inquites il te baisera il te jettera dans les mêmes chittes que la capote dans le même soir tu crois quoi et il te dira bonjour hein le même bonjour qu'avant ce bonjour il en a des tonnes dans la poche intérieure Armani Hugo Boss ça dépend des jours pour toi jamais il ne sortira le sur-mesure hé


y a des humains je le sais mais pas des comme moi elle écrit ça sur un blog je la haïssais j'avais 15 ans elle aussi Arrête de te plaindre puis j'ai connu moi même la dépression ça c'est un commentaire sur un blog
alors je te comprends
On dit toujours qu'on comprend quand on pige que dalle 
Tu connais son rythme cardiaque tu comprends son hésitation au moment de boire une gorgée de plus et comme elle frémit en entendant le froissement d'ailes d'un pigeon ?
Nan tu connais les généralités et les catégories la définition biologique et fonctionnelle un peu de psychologie je t'offre même ça en bonus. Ton tableau périodique tu as fini par remarquer un jour que tout le monde dbordait la ptite case non ? T'es trop con pour ça ? Tu as besoin de mettre tes petits doigts dans la petite tête hein ? C'est de la merde
Même cette pute de réceptionniste doit être aimée si on la prend du bon côté pas la peine de faire des blagues sur ses plans culs son slide sur Happn

Le christ est mort sur la croix super bravo pour tous les hommes
donc aussi pour lui
(y)


Une rue strasbourg saint denis je sais pas quand on est j'entre dans les chiottes l'odeur me fout la gerbe j'ai tellement bu ce soir j'ai rigolé je crois pas sûr il faudra que je regarde sur mon téléphone la vidéo faite dans le bar ça s'appelait comment déjà on sen tape instagram facebook twitter un de mes avatars me renseignera. Putain de putes chinoises dégeueullasses qui font la gueule au moins les négresses de Château-Rouge, les bonnes esclaves t'appelles mon chéri quand tu les frôles pas trop près leSIDA avec ces meufs là ça s'attrape par le regard.



Pourquoi il a dit "Je" ce connard middle-class/average Joe je lui péterai les dents 
Si j'avais des poings à enfoncer quelque part je les lui foutrais dans la gueule jai déjà aboli la ponctuation et ça je tape sans regarder jamais alors ce sera en vrac expérience poétique ou flux de conscience ce que tu veux mobiliser Roland Barthes Todorov Bathkine je m'en fous au fond, la parole écrite pas imprimée hein bien légère volatile tu vois c'est la parole avec son bégaiement ses retours en arrière son inconstance la parole c'est ce qui brûle dit Barthes
et si je sors mon dictaphpne la caméra de mn iPhone passé de mode
hein ? Tu dis quoi contre ça Barthes
Tu dis quoi si je supprime ce que j'ai écrit si je déchire la seule page imprimée du rmoman pas écrit 
Tu te retrouves con plus con que quand renversé par une camion de blanchisseur
Roland Barthes PAS Roland Barthes

t'as la mort la moins cool de l'histoire des morts 
tu aurais pu faire un effort déguisé ça en suicide laisser traîner une lettre sur le bureau en pemrance au cas où dire que c'était trop diur
l'appeler la mort de l'auteur

mais t'as jamais rien su assumer au fond même pas être poète crétin rentre dans ta cage les étagères de bibli je te cracherai dessus à la BNF BSG PNL

Allez, je recommence ma socilogie urbaine et fantasmatique je réduis l'homme en son cliché possible celui qu'on reconnaîtra ey ouais mec maintenant on met sa caméra dans la rue on filme tout du réel sous-titre "histoire vraie"

J'ai une rangée de mots pour ça (je me suis remis à regarder l'écran pour écrire) 
- Pass navigo
- Une baguette pas trop cuite
- t'as vu le match hier ?
- ce que je lui ai mis à cette salope
- Il baise comme un pied mais au moins il a du fric
- Je crois que je suis amoureux.se
- Je pense qu'il me trompe
- Mais non
- Ma chérie
- Je vous fais une couleur ? 
- Un kebab sans oignon sauce blanche chef
- Tous pourris 
- Un expresso steplé

Mystère des objets en communication stellaire, ils formeront machine à café, ciseaux du coiffeur, pass magnétique une cosmogonie à part entière et l'on pressent leurs eclipses et leurs cataclysmes, on frémit d'assister à cette mise en mouvement les astéroïdes bombardées de rayons lumineux alpha gamma ceux qui brûlent et ceux qui ne brûlent pas.

Mais je ne parviens pas à ce point de rupture du langage, existe-t-il seulement déjà ? Oui je l'ai senti auparavant, chez quelques auteurs. Pas à confondre avec le point de fusion expression débile faite pour les gamins lyriques, hé le surréalisme ça marchait en 1920 à la mode psychanalytique Freud ajd c'est aussi cool que dire "t'es nouille". Jsais pas, essaie de faire une synthèse la théorie des blocs sémantiques et Donald Trump ça marchera super bien.

Putain je suis en train de faire comme un tas d'auteurs dramatiques à écrire de la merde comme ça me vient ça doit avoir un nom de connard genre l'hypersubjectivité, le gonzo foutu dans un théâtre ça a pas suffi une fois Las Vegas Parano ? Ca a fait des gamins en plus ? J'ai des frères et soeurs. Putain. 

Arrête de te regarder casse pas le miroir ça peut toujours servir plus tard pour trancher tes veines celle d'un autre ou juste t'assurer que le blazer tombe bien que t'as une gueule pas trop défoncée pour demander ton RSA. La réflexivité putain tout ce texte c'est un putain de miroir allez palais des glaces si tu veux te la jouer façon gigantisme
C'est fou ce que tu peux haïr quand ça a commencé pour être à ce point infusé en toi inépuisable et le considérer déjà comme substance dispensable c'est abuser le langage c'est employer une analogie d'ordre purement linguistique la haine c'est un sentiment un concept tu peux pas le vider il est abstrait tu peux toi mourir et lui cessera en toi voilà tu comprends alors arrête avec tes manies pré-scientifiques Bachelard est passé par là tu vas pas l'ignorer ?

Si j'avais su le gamin tout à l'heure qui disait négresse et se foutait de la gueule des putes chinoises j'aurais passé en rouge son récit tu vois encore une fois je me heurte à mes limites techniques j'aurais voulu donner à chacun sa consistance
Je vais imprimer ça tout molarder puis le scanner et le reposter sous cette forme quasi-organique

25 février 2017

Faut la supporter la merde

Faut en supporter de la merde
Incroyable comment ça pue ça colle aux pompes et putain je dois continuer à faire semblant comme si tout allait bien mais non t'inquiètes elle est super cool ta poésie continue tes rimes mais t'en fais pas je comprends pas le problème c'est très original on ne l'a fait que 2435198 fois avant toi alors fonce mais obstine toi dans cette sorte de variété française tout le monde adore regarde ######## elle t'a dit combien c'était bien mais arrête c'est pas de la poésie de prof de français que tu écris on dirait un peu du Baudelaire (pour l'odeur fils de pute)
Mais comment le supporter cet immobilisme, voilà mon vers reste bien sage, qu'il est mignon il a les yeux de sa pute de mère, on dirait son cousin mais si l'air niais quand il sourit. Bravo on dirait une chambre de gamine de sept ans et anémique l'enfant ah oui mannequin des défilés sordides et qui crève à la fin de la partie mais oui la robe tombe bien sur son corps les mots tombent bien sur le poème.
Cette odeur merde cadavres non-embaumés et vous vous promenez dans la puanteur bucolique lalala;

Mais on peut tous le faire ce désespoir de supermarché cette colère pour de faux ça déborde je clique sur ebay au hasard le poème sort et sort encore de la machine à sous et la française des jeux le meilleur de vos éditeurs chiffre d'affaire incroyable.

J'adore ce que tu écris on est un peu frères et soeurs parce que ma famille à moi la vraie la biologique c'est nulle banale des cadres comme il faut enfin je dis ça banal la famille mais pas pour lui il est adopté mais ça change rien ce qui compte c'est l'amour ouais moi l'amour c'était pas trop ça les coups de trique ça va te plaint pas moi c'était le viol répété voilà la première fois que j'en parle et ça brûle encore dans le cul mais attends d'accord la famille c'est cool sinon moi je connais pas ma mère attends c'est pas la majorité moi on dit que mes parents c'est des pédés (là c'est moi qui parle et alors tape les ces connards qui disent un coup de talon pour trouver le cerveau lobotomie expresse) la trop belle maison qu'on a tous ensemble allez une IRL partouze des eunuques ouais moi j'aime pas trop les filles je préfère les garçons mais ça nous dérange pas tant que t'écris de la poésie moi je suis un putain d'enculé qui méprise tout et tout le monde mais aimez moi aimez moi non non non pas aimable il y a des vilains hein connard putain c'est fou la médiocrité mais c'est quand la dernière fois que tu t'es mis face au poème à ta page à ton inspiration pour souffrir pour de vrai pour entrer dans quelque chose comme une lutte intellectuelle mais jamais jamais tu as fait ça parce que c'est grotesque les grandes emphases tu préfères les réserver à ton lyrisme de pacotille la ville allemande les gares d'où l'on part et mieux attends je sais l'amoooooooour
Je me parle à moi à moi d'il y a des années maintenant je lis ok je vais tout pulvériser

Toutes mes larmes versées
Ce corps las toutes les nuits
Le tremblement quand ta main
douce mais forte trouve enfin la
pointe de mes seins et je frémis
seconde naissance

Mais demain tu partiras
Ô soldat à la moustache
fragile je suis là sorte
D'Anémone sur le quai
de la gare Montparnasse
Je te fais signe de loin

Mais l'été qui monte doit bien servir à quelque chose
sinon pourquoi cette bouche ma bouche écrasée
rouge une cerise mordue le jus sur les lèvres
Aux amours peut-être dans cette gare infâme
De la première fois quand tu dis adieu pour rire
Sans jamais te retourner ce train je l'imagine sans
arrêt filant à travers rails, terres et villes il devra
repasser par ici et j'attends l'été le retour de l'été
Il doit bien servir à quelque chose l'été pour qui
vacille la bouche rouge trop mordue je serai
vieille avant nos baisers retrouvés le ventre
vide je ploie et battent les membres des enfants
non-nés l'absence de toi que je porte en moi


Surgiras-tu toi la nuit du recommencement ? Ta musique nous berce et nous délasse, tu nous promets le sommeil dans ta chair douce et molle. Mais pouvons nous croire à ton retour toi qui partis tant de fois ? Pour quelles contrées, berçant des pays lointains et des hommes jaloux. Tu entends le vent semeur d'obscur ? Il se réfugie dans chaque arbre et le sol labouré et les traces de pas. Je ne cesserai ma recherche de toi, j'errerai les pays lointains, leurs frontières closes, je franchirai les collines et tous les ciels. Je boirai à l'eau sale me nourissant des racines et des fruits maudits où tu as pénétré. Et mon cou frémir du souffle de toi et ta façon de soulever mes cheveux, sans y penser, le mouvement le plus naturel de la Terre. Tu ne peux fuir hors de moi je te porte et tu t'écoules larmes et sueurs. La ville n'importe laquelle s'anime à ton contact et ma bouche convoque ton nom, gagnant aux dés. Toutes les cartes où je dessine mène à toi. Ne fuis plus hors du monde insensé il existe ce chez nous quand le ciel se fait plus calme qu'il ressemble au roseau de la fable. Toi paysage des légendes faite dans les pliures de la grèce antique, Artémis à la robe pâle ou Diane les lèvres rouges.


Près des villes sans nom
Les amants marchent pas légers
De Sofia à Antioche la musique
Monte et ils dansent
Les corps s'arrangent jolis
La radio gémit une émission
en langue inconnue

Au matin la lumière
habille la fille sans nom
et l'ombre le garçon
Avant que la bruyère
sous leurs corps légers
feule

Tu aimes quand le train
lentement quitte la gare
Tu aimes
le mouvement des roues
transmis à la voiture-bar
le tremblement du wagon 7
où tu es assis après avoir cherché
La place 45 tu as dit excusez moi
je te connais par coeur et tu as
choisi la place du couloir pour ne
Pas déranger je te connais par coeur
Quelques pièces de monnaie
De quoi acheter un sandwich
un coca peut-être cet endroit impertinent
tu y ignores le prix des choses
Cette nuit mon ombre et ma voix
Je te les ai données qu'elles te suivent
longtemps
et te gardent de tous les dangers tranquilles
les périls sordides l'Egypte à pas de loups
et les saisons circulaires comme des planisphères


Pourquoi les choses amères d'ombre
etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc

Je me suis usé à me foutre de leur gueule me reste plus rien du feu épuisante à vomir votre merde je ne croyais pas si vous sortez de ça dans le même état que moi vous êtes plus laids à voir que je ne pouvais l'imaginer putain depuis deux semaines je suis saisi de vertiges après un effort physique intense et je croyais un défaut d'oreille interne et toutes la panopolie ORL HOPITAL SCANNER mais c'était simple le bouleversement ce déséquilibre vient du regard posé sur ça un mal de mer impossible de s'en défaire.
Je hais ce que vous écrivez

J'essaie de mettre des coups de pieds dans la langue
La colère qui m'habite rien ne l'use le couteau du boucher ou quoi que ce soit
les dents malheureuses d'un enfant de 7 ans ou le dentier chromé d'un rappeur
Ca ne part pas hier rue des martyrs j'ai renversé la table mise du restaurant FuXia
quand le serveur (encore lumpen prolétartiat j'ai décidé de ne pas vous sauver) sortit
tout en rage je lui ai parlé de sa mère et ses possibles activités nocturnes et personne
Ne se bat j'avais si peur avant de laisser déborder mon poing et mon cri si l'on déchire
mes belles chemises mon costume trois pièces si l'on marche sur mes bottes à 600 balles
Puis j'ai compris tout le monde a peur de ça si tu montres tes yeux de fou si tu exposes ça
TU CONNAIS CA HEIN CE TRUC QUI SERPENTE EN TOI ET NE TE LACHERA PAS
sa gueule de tête de mort qui roule à la place de ton coeur se déplace tranquille de ald roite
vers la gauche

Ma recherche formelle je la vois s'accomplir
La langue banale dont je me détache c'est la votre et je croyais
le français ordinaire celui par moi non-parlé pourtant ses proverbes
phrases toutes faites etc lui dont il fallait me départir mais l'erreur
comment se défaire de ce qu'on n'employa jamais c'est votre
poésie en toc toute feinte d'émotions mais peutêtre vous avez

pleuré des vraies larmes avant d'écrire mais vos larmes je m'en fous je ne suis pas votre psy pas votre mère sûrement pas votre copain.ine
Vincent Delerm VINCENTS DELERMS

Me voilà délié à nouveau abandonnant les derniers éclats de lyrisme
ceux nougats noisettes collés aux dents à coups d'ongles et de couteaux
je n'ai plus peur de rien désormais que l'on ma guéri ma sale maladie
la peur j'avance mâchoire toujours serrée plus ou moins aimable
tout dépend le regard et toujours je fixe dans les yeux bête lâchée dans la ville

Mais j'ai perdu mon travail
Pire chômage cette démarche
avortée déjà un coup de vis dans
le ventre à moi ça fait mal l'avortement
sauvage pratiqué à 2:12 sur un forum
obscur tellement mal j'y survivrai
le foetus violet-rouge je le garde
Un jour je te ranimerai toi pas gamin

 

2 novembre 2010

Elle.

Elle, que je ne nommerai jamais, m'offrait son corps comme une friandise, ou une consolation, les soirs tristes où mes vingt ans battaient plus fort qu'à l'accoutumée dans ma poitrine. Elle se déshabillait alors, dans un geste de mère qui vient prendre soin d'un jardin, et rendre ainsi à la nature environnante les couleurs volées par l'automne matinal. Je peux détailler chaque partie de son corps que j'aperçois toujours, en faction, dans le corps du reste de mes amours. Elles portent toutes les vestiges de sa présence et elles accueillent comme une urne la cendre du souvenir que déposent mes lèvres usées. J'aimais son calme dans ma furie, comme elle enroulait très précisément mes poings entre ses douceurs. Oui, c'était à la manière de la nuit qui pour vaincre le bruit de la ville, l'attaque par sa périphérie et en brûle lentement les contours jusqu'à tout à fait la posséder. Souvent, il est déjà l'aube, mais la nuit a vaincu quelques instants. De la même façon, elle suçait les venins de ma pauvre peau violette. Elle me tenait chaud la nuit, et je lui répétais toutes les nuits que je ne couchais avec des femmes que parce que j'avais trop froid dans la vie, qu'hors d'un corps de fille, les saisons de la mort ont de grandes dents de glace et une mâchoire de méchanceté. Je lui parlais encore, alors. Doucement nous nous sommes tus. Le silence impatient, le langage muet, qu'aucun maquillage ne pouvait poudrer, ni aucun artifice réparer, s'exhalait d'elle en invisibles perles. La sudation ne laissait aucune marque, le langage ne la frappait pas.
Des amants elle n'en oubliait aucun, elle refusait de ne garder d'eux que des nuits de plaisirs tressés, attachés, noués qui bétonnaient la route des âges d'années. Elle se souvient -aujourd'hui encore, j'en suis sûr- de chacun d’eux, de chacun d’eux au moins en sensation et n’en confond aucun. Elle les récite en jours, mois, semaines, elle les précise dans l’éclat de la lune, dans le gouffre céleste des étoiles, elle les raconte dans le haussement de sourcil d’un visage d’ange, où les muscles de cuivre d’un imbécile. Elle se souvient d’eux dans leur singularité et refuse d’en faire des masses indistinctes, agrégées de souvenirs et de râles. « Je n'en ferai pas de synthèse, pas plus que je ne les construirai en chapitre. A travers eux, j'étais quelqu'un, et non quelque chose, il y avait une voix singulière, une voix accordée à des doigts de musique, une voix qui suivait l'orchestre, la maladresse, l'assurance ou qu'importe les crues et les décrues. Je refuse d'oublier, je refuse de les associer, je refuse de disparaître, je ne serai morte qu'enterrée, et encore,encore ce jour là je te dirai de veiller sur ma tombe, d'y déposer un baquet d'eau que, quand fatiguée de la mort, j'ouvrirai les yeux, j'aurais besoin de nettoyer ce corps parasité par les bruits de l'enfer. J'inscrirai sur ma pierre tombale des mots, je dirai aux hommes « ne pleurez pas ici pour mon repos, je n'y dors pas, j'y pense ». Tu comprends, je refuse de me nier ». Elle conserve précieusement l'image des mentons fiers ou des gestes timides glissant vers les trésors convoités. Son appartement est une immense chambre noire où sa mémoire développe des instants comme des photographies.
Il lui est arrivé, sans donner de prénoms, de prendre l’accent d’un gitan qui la berçait de sa voix de guitare, elle m’a raconté ce soldat israélien, déserteur, les yeux jaunis de crimes pour qui son corps sentait la liberté et le sommeil. Elle prenait, raidissant ses membres, pour l'imiter l'allure d'un militaire hébété pour me dire ses cauchemars. Il lui avait raconté qu'il ne pouvait dormir, que les cris qui habitaient en lui se faisaient corps et matière, qu'ils avaient tous des prénoms d'Orient, pas de l'Orient des épices envoutantes et des mandolines, un Orient de poussières et de bombes. Elle me racontait avec son esprit délicat comme il lui était drôle qu'un juif cite l'Evangile malgré lui « Le Logos se fit chair ». Elle avait décidé, pour pousser l'ironie, de ne le voir qu'une fois par an le jour du Vendredi Saint, et tous les ans celui-ci lui répétait comme un psaume « J'ai deux morts, deux morts immortelles : l'enfance et le Christ ». Ils se verront dix fois, jusqu'à ce qu'il eut sa gloire minuscule dans l'actualité, les honneurs militaires. Il était schizophrène « les enfants que j'ai vu mourir habitent en moi, pensent en moi, pleurent et désesperent en moi. Je ne comprends pas leur langue ». C'était son dernier mot, d'une écriture précise, presque dactylographiée. Il est mort un vendredi saint.

30 juin 2011

N'a plus peur du voyage qui aime en silence.

 

Tu as une odeur de poudre et de plomb en stase, et dans tes veines, dans le bain de tes muscles, c'est le vin des victimes qui trempe et qui s'écoule en fredaine, c'est le cri de martyr, c'est la couverture du condamné à mort qui grelotte de froid dans un coin de la chambre. Mes mains, sur ta nuque, se serrent amoureusement. C'est la forme de corde d'un pendu mon étreinte. Tu donnes aliment à la nuit quand tu t'abandonnes à la fête, à l'alcool et aux jours en bouton.

Sous tes paupières le jour impressionné ne bouge plus. Tes dents claquent et déposent de l'écume de lumière. Ta chambre est un matin raté quand entre les stores de tes dents le soleil d'hiver veut s'y faire une place. Il a bu à des étoiles impotentes, il a bu des lueurs stridentes pour t'être reflet. Pour être au miroir même miracle que tu es à la vie.

 

J'ai vu avant toi bien des choses, et je les disais des amours, j'ai cru leurs yeux de poèmes, de rimes et de strophes et je ne savais rien la couleur délicate des filles de sacre, de la peinture d'huile farouche qui te monte sur le teint, des tons qui te dissolvent, qui te dilatent, et le blond, le bleu, l'auburn, les polissures des cheveux à ton cou, agenouillés à tes lois et pour ta grâce dociles.

 

Chaque matin, ce qui m'éveille, avant le balbutiement de l'aube, avant le ricanement des tramways, et les poumons d'encre des oiseaux, chaque matin ce qui m'éveille, qui me surprend dans mon sommeil,c'est la joie de te savoir faire de ton pas des gestes de peintre. De puiser dans les forges enrouées de Jijel des actions et des mouvements. Dans ta voix est venue la note primitive du chant grégorien, dans l'étuve de musique de ton corps, du sanglot sacristain de ton foie, avant que les rossignols ne viennent déranger la nef de nuit, c'est toi qui parjure le jour, toi qui couvre d'une eau neuve le sifflement brun de l'angélus..

 

Tu es à ma bouche le tourment des langages oubliées, le caractère muet du sanskrit. Cette sorte d'asile où mes hurlements à tes seins capitonnés bondissent, se résorbent, se réduisent, tu es mon audace malade où la folie diminue, s'éclaircit comme un ciel en juillet. Dessus les lèvres, la peau se couvre du duvet d'espoir, la truelle du peintre répand sur la palette les couleurs du bientôt, quand la confluence de l'encre et des larmes creusera un lac de doux matin. Que les pigments arrachés de soir quitteront les saisons pour faire des flanelles une demeure où l'on ne vit qu'à l'étroit. Tes yeux devinent tous mes gestes, les crachent lentement, les caresses je les donne mille fois, dans le désordre de mes cheveux fiers, je les donne en aveux, je les donne en prophéties, je les donne en effroi.

 

Je me souviens des lundis d'avril, tu faisais succomber la folie publique, avec tes rires soyeux. Sous tes semelles j'ai trouvé des baisers d'enfants interdits et des hommes étonnés de ne t'avoir ralentie, tu as marché dans tant de villes, que tes pas craquent du paysage toscan, on entend des murmures flamands dans ta course, et un peu du tambour d'Arcole. Tu fumais des Craven A et tu disais dégarnir tes poumons de la vie lourde à garder, tu voulais en raccourcir la natte pour la porter plus légèrement. Parfois tu tendais un verre de miracle, et je croyais que tu y avais pleuré. Je le buvais comme un vin de messe, psalmodiant les prières qu'on lit bien, les yeux étonnés d'absinthe. Au liquide consacré tu offrais ton mégot, pris d'ivresse il jetait son masque d'aurore. Le vin déboutonnait ton chemisier, les cigarettes rendaient tes doigts d'audace. Et moi avec des reliquats d'enfance, je tournais la tête, je disais « je crée, je crée, s'il te plaît  je crée, je dois fermer les yeux pour jeter des images de rêve ». Ce monde inerte, accompli, fatal, tu l'as transmuté en un espace de possible, enchevêtré au sommeil, pris dans une ronce de délire. Avec tes airs de garçon manqué, tu t'es mise en moi, tu as gonflé de morsures mes petits pas timides. Je crois, tes dents sont de rage. Tu es en moi, je suis incrusté de nuit, ça se soupire longtemps cet amour, ça fait de longues foulées autour d'un monde perpétuellement rénové. Qu'est ce que sont les kilomètres quand on sait s'aimer en silence...

15 mars 2017

Poème sans regarder 3

Ce sont des poèmes écrits les yeux bandés
à force d'avoir passé sa vie devant l'ordinateur
pour chercher l'amour et la vie
on parvint à ce niveau de maîtrise
des touches et donc d'une forme
particulière du langage comme quasiment
l'idéogramme la touche ici enfoncée
alors voilà joueur d'orgue pas tout
à fait laissé(e) au hasard

 

 

la ville a poyé encore unbe fois sous le même souffle qu'auapravant il y aviat un vent il avait la couleur dyeyx malades on l'a vu on la bien vu ici le texte derriere quoi devrait il disparaitre si j'écris mon nom en caract§res rayté si sur la couverture je limprime transparents sir par une voix synthétique je le fais prononcer sans upport matériel et l'impression simplement de sa confusion avec l'air 
Où sera l'auteur en dernier terme et où sera le texte ainsi défait de n'importe quel support traditionnel ou au moins apparrent le texte décharné jusqu'au bout voix pas voix humaine voix inconnue et mieux un jour traduction dans la langue des singes ou des cheins battus

le réseau des méraphires se rebatit pierre à pierre pas à pa as lettres après lettres in oarviuendra à nouveau certainemlent à recomposer depuis le métal et la tôle frappés des mots et une voix humaiune reoartuir deu corps dissout vers le corps reel imagine t on le christ oublié cette fois jamais aprè§s la ort descendu de la croix de plus en polus oourri sur sa croix et de sa altu§re luquide et de ses os rongés par le pus acide renaissant et ainsi bpateme dans cette puslsion maladive

 

la peste sûrement naquit un jour d'un oublié enragé sur la croix ou le supplice de son temps de soa culture sans aucun racisme 'aucune sorte arraché peut être à la torture de l'Inca ou au sacrifice de l'oiseau)miracle règnant sur le baasketball améridien

13 septembre 2019

Fou, fou, fou

Je préfère dire fou il y a dans fou une grâce demeurée 

 

Je préfère dire fou et disant fou sortant le fou du monde pathologique et clinique 

De l’entretien individuel et personnalisé aboutissant à l'ordonnance

au parcours de soins coordonné

à la médecine ambulatoire

dire fou et sortant le fou

Du parfum brutal de l’hôpital des blouses blanches et de la chimie néfaste, produite en grandes et inutiles quantités par l’avidité (vraie maladie psychiatrique nécessitant traitement de choc crucifixions enfermements ou pire châtiment : psychanalyse) de grands groupes privés (toujours scandaleux)

Dire fou nommer fou, le fou,  pour rendre grâce au fou, celui qui par tous les autres sera, quoi qu’il en décide, quoi qu'il en sache, dénommé, connoté et par là, du simple fait de cette interpellation insulté, mutilé, diminué
Handicapé non de sa condition objective ; non même de son ressenti, handicap non de ses mains, non handicap, le fou, de la vision de ses yeux ; handicapé, alourdi du mot-croix ; du jugement-faix. La déflagration que c'est "malade".

 

L’arracher a l’humiliant jargon des enfermeurs légaux ; l’arracher autant aux communautés imbéciles et satisfaites ; à cette mode nouvelle de dire, pour neutraliser la folie : neuro atypique(jamais neutre, la langue, rien, nulle part, neutre, transparent invisible, nulle part, sauf le sperme translucide des trop masturbés et des stériles) ; « neuro-atypie » comme si cette singularité conceptuelle, ce pas de côté ce renoncement total à la voyance (la possibilité soi-même de devenir soi-même Simon le Mage -simon le fou - volant très haut au niveau des coucous, des ailes brûlées et des aigles étonnés) comme si ce mot rétrécissant comme si ce mot diminuait, ce que le fou le mot fou désespérément dans un effort insensé de pure raison démente agrandissait. 

Rapatrier, en réalité, le fou dans l'usage ordinaire de l'existence. Le sortir de son enfer pour l'envoyer à l'autre enfer. Celui de tous les autres.

Clore cette paupière qui ne savait se clore ; rendre à l’iris son mécanisme biologique, son programme typique. Celui. Qui. Veut. Que. Lumière. Rétrecisse. Iris.Que. Obscurité. Agrandisse. Iris. 

Le fou, le fou avec son regard mental, le fou et son regard mental - yeux du dedans, disent poètes de jadis - se refuse à ces obéïssances et ces bassesses et que toujours, surtout dans la pleine lumière d’août, fait l’iris se dilate au-delà des possibles. Sa raison, sa raison de fou, la seule raison véritable, le fou sa raison toujours sous le feu dansant des foudroiements ; raison dansante l’enfer, qui n’est qu’un excès de lumière, et la vie.


Et lorsque je dis fou, je dis moi.

Disant moi je dis nous.

28 octobre 2020

Début -

Consigne : Première fois, incipit, genèse, aurore. Nous voulons des surprises, de l'agitation, des débuts et des enclenchements. Nous questionnons la notion de monde d'après : nous ne croyons pas à la rupture brutale mais à l'accumulation de petits mouvements qui constituent des départs de cycles.
long mur, long mur, main sur mur une puis deux main change au milieu du chemin
droite prenant place de la gauche gauche prenant place de droite mur effleuré le long mur traversé frôlement musique touche d’orgue la pierre dure lisse enfoncée
mur qui n’en finit pas
mur
bijou gêole
longe ton drame
aurore
de tes mains
une puis l’autre
longe effleure
la partition des éboulis
main droite puis gauche
puis aucune
la fatigue
mutile
la musique
mutique


Je règle l’alarme pour 9h30. Il y a longtemps que je n’ai pas eu à me lever aussi tôt. Tôt, ça ferait marrer n’importe qui. 

Je règle trois alarmes. Non, que j’éprouve la moindre difficulté à me réveiller quand le matin fouette mon derche, juste le plaisir inouï de pouvoir se rendormir. Un peu de résistance, de jubilation, de fuite avant la journée qui s’annonce avec ses lourdeurs sans joie. Moi ?
Je ne porte que des vêtements noirs. Le noir c’est ma fantaisie. Je me distingue par la banalité, excentrique de l’ordinaire poussé au degré d’absurdité dadaïste, je m’expose dans les soirées avec le triomphe de l’urinoir usagé. C’est mon truc, ma triche, ma trique.
tu vas à un enterrement frère 

Toujours Aubin me dit ça. Et toi connard tu sors d’une cure de McDo ? Aubin, s’assombrit, s’il proteste, je lui dis que je déconne ça va. Tout le monde lui dit ça, on déconne ça va gros porc.

Au fond je suis un chic type. 

Deathwing est trop fort. Deathwing surgit le tank ne fait rien. Il régenère ses points de vie. Putain notre heal à nous ? Le soin ça arrive SVP ? Merde, si vous jouiez plus en équipe au lieu de rush comme des cons. Ca va les débiles merde. Espèce d’autiste. Toi joue pas l’intello parce que t’écoutes du maupassant cousin. Moi je te nique. Allez…
Le raid échoue. 

Au début, dans WOW, Lardeur fracassait tous les joueurs. Lardeur, boss pour débutants, ravageait pourtant tous les nouveaux joueurs. Il a les stats les plus sauvages, meilleur que le meilleur joueur humain ou que les autres PNJ.

Lardeur, amas de lignes de code, existe, extension mythologique, dans le Lore de Warcraft. Il possède une biographie, inscrite dans l’Univers défini et en extesion de Warcraft. Dans son histoire il interragit avec d’autres personnages de son espècein-game.
(Lardeur appartient à la race des trolls il cohabite pacifiquement ou avec hostilité avec d’autres races, les humains, les orcs, les démons, les trolls sont une sous-espèce de monstres aux yeux des humains etc).

Lardeur existe aussi, autrement, plus retentissant, plus légendaire dans les discours des joueurs qui eurent à l’affronter. Il y a vingt ans, déjà, et sa légende triomphe encore, et ses hauts-faits s’affichent. Le milliard de joueurs de Warcraft périt au moins une fois de ses mains, de ses mains à lui qui les jetèrent tous dans l’incendie et les fit charpie.
longeant le mur mutilés le mur lamentable des résurrections.
Wesh Aubin, gros porc ça va ?

Ca y est t’es revenu de ton enterrement fils de pute ?
Tu dois être content maintenant McDo livre toute la nuit
T’y connais quoi en content gothique de mes couilles. 

Alors, là non, stp. Gothique non. Je m’enfonce pas mes ongles peints noirs en récitant du Edgar Allan Poe. Je chiale pas en faisant faisant couler mon maquillage Sephora deuxième prix.
Nuit suspendue

 Jour inadvenu
Il pleut
L’eau fuit
le puits
de mains tendues
de phalange sèche
paume(s)-sahara.


Ta première quête légendaire achevée seul, ta première arme volée en violation de toutes les règles du jeu. 


Tu as dans les mains ta première cigarette. Tu commences le tabagisme assez tard, après la vingtaine. Comme pour tes vêtements noirs et démodés. ; tu veux être en retard. Tu es en retard dans ta vie. A la naissance, tu as débuté après le top départ. Tu n’y peux rien et ça n’a aucune importance. Alors tu fumes cette cigarette, goût de tabac d’ambre, tu crois. Goût d’Amérique, d’épices. Tu es arrivé en retard dans ta propre vie. Quelle importance, tu la mènes autrement. Vingt ans, tu te dis déjà. Vingt, est-ce vraiment vingt ? En retard, encore et quand tu crois partir à temps, c’est faux départ, c’est grève, c’est un jour trop tôt, une semaine en avance, c’est seul sur le quai et ta vie s’envole. Au-delà du mur d’enceinte. Ta vie à toi, glisse sans flamber. Le mégot, tu le gardes dans ta main. Comme un pommeau vaincu, un socle désemparé. On lui a pris ce qui lui donnait sens. Voilà une autre existence, mégot, non moins valable, non résidu, non détritus, mégot, autre essence, mégot. Tu penses un instant, à toute une usine de mégots... Tu ne te mettras pas à collectionner ces débuts d’une autre sorte. Il serait exagérer de vous trouver une ressemblance. Tu as une pensée qui te traverse, c’est tout. Tu ne la notes nulle part. Elle s’envole. Main gauche, puis droite, effleure le clavier et au bout de la ligne plus rien ne touche. 

Aucune voix. La solitude se mérite et ne vient pas sans prix. Même pas le bruit de ma propre vie. Je longe le mur d’enceinte, ici je m’accroupis, mes mains effleurent la brique peinte, le goudron sec, une trace de mon existence. Je suis en retard. Mon réveil sonne trois fois. Les ongles écaillent le vernis du mur. Ma vie. 


Aubin a perdu son père, on dit qu’il mange pour compenser. Que tout ce qu’il accumule au-delà de ce que lui, Aubin était, du volume qu’était Aubin, accueille et engendre son père. Il fait une place à l’absent.

Il a dit

je veux multiplier la vie en moi
Ca s’appelle un cancer cousin
Alors ce sera un Cancer
tu dis de la merde.
mais ta gueule
tu lâches des trucs pf…pour faire ton intéressant ton mec daaaark
Il me regarde
va te faire foutre je lui dis va bien te faire foutre gros porc
produire dans sa graisse, dans son extension physique

 

1 novembre 2020

Aux Bains-Douches

Consigne : Première fois, incipit, genèse, aurore. Nous voulons des surprises, de l'agitation, des débuts et des enclenchements. Nous questionnons la notion de monde d'après : nous ne croyons pas à la rupture brutale mais à l'accumulation de petits mouvements qui constituent des départs de cycles.


long mur, long mur, main sur mur une puis deux main change au milieu du chemin

droite prenant place de la gauche gauche prenant place de droite mur effleuré le long mur traversé frôlement musique touche d’orgue la pierre dure lisse enfoncée
mur qui n’en finit pas
mur
bijou gêole
longe ton drame
aurore
de tes mains
une puis l’autre
longe effleure
la partition des éboulis
main droite puis gauche
puis aucune
la fatigue
mutile
la musique
mutique



Je règle l’alarme pour 9h30. Il y a longtemps que je n’ai pas eu à me lever aussi tôt. Tôt, ça ferait marrer n’importe qui.


Je règle trois alarmes. Non, que j’éprouve la moindre difficulté à me réveiller quand le matin fouette mon derche, juste le plaisir inouï de pouvoir se rendormir. Un peu de résistance, de jubilation, de fuite avant la journée qui s’annonce avec ses lourdeurs sans joie. Moi ?
Je ne porte que des vêtements noirs. Le noir c’est ma fantaisie. Je me distingue par la banalité, excentrique de l’ordinaire poussé au degré d’absurdité dadaïste, je m’expose dans les soirées avec le triomphe de l’urinoir usagé. C’est mon truc, ma triche, ma trique.
tu vas à un enterrement frère


Toujours Aubin me dit ça. Et toi connard tu sors d’une cure de McDo ? Aubin, s’assombrit, s’il proteste, je lui dis que je déconne ça va. Tout le monde lui dit ça, on déconne ça va gros porc.


Au fond je suis un chic type.


Deathwing est trop fort. Deathwing surgit le tank ne fait rien. Il régenère ses points de vie. Putain notre heal à nous ? Le soin ça arrive SVP ? Merde, si vous jouiez plus en équipe au lieu de rush comme des cons. Ca va les débiles merde. Espèce d’autiste. Toi joue pas l’intello parce que t’écoutes du maupassant cousin. Moi je te nique. Allez…
Le raid échoue.

Au début, dans WOW, Lardeur fracassait tous les joueurs. Lardeur, boss pour débutants, ravageait pourtant tous les nouveaux joueurs. Il a les stats les plus sauvages, meilleur que le meilleur joueur humain ou que les autres PNJ.


Lardeur, amas de lignes de code, existe, extension mythologique, dans le Lore de Warcraft. Il possède une biographie, inscrite dans l’Univers défini et en extesion de Warcraft. Dans son histoire il interragit avec d’autres personnages de son espècein-game.
(Lardeur appartient à la race des trolls il cohabite pacifiquement ou avec hostilité avec d’autres races, les humains, les orcs, les démons, les trolls sont une sous-espèce de monstres aux yeux des humains etc).


Lardeur existe aussi, autrement, plus retentissant, plus légendaire dans les discours des joueurs qui eurent à l’affronter. Il y a vingt ans, déjà, et sa légende triomphe encore, et ses hauts-faits s’affichent. Le milliard de joueurs de Warcraft périt au moins une fois de ses mains, de ses mains à lui qui les jetèrent tous dans l’incendie et les fit charpie.
longeant le mur mutilés le mur lamentable des résurrections.
Wesh Aubin, gros porc ça va ?


Ca y est t’es revenu de ton enterrement fils de pute ?
Tu dois être content maintenant McDo livre toute la nuit
T’y connais quoi en content gothique de mes couilles.


Alors, là non, stp. Gothique non. Je m’enfonce pas mes ongles peints noirs en récitant du Edgar Allan Poe. Je chiale pas en faisant faisant couler mon maquillage Sephora deuxième prix.
Nuit suspendue

 Jour inadvenu

Il pleut
L’eau fuit
le puits
de mains tendues
de phalange sèche
paume(s)-sahara.



Ta première quête légendaire achevée seul, ta première arme volée en violation de toutes les règles du jeu.



Tu as dans les mains ta première cigarette. Tu commences le tabagisme assez tard, après la vingtaine. Comme pour tes vêtements noirs et démodés. ; tu veux être en retard. Tu es en retard dans ta vie. A la naissance, tu as débuté après le top départ. Tu n’y peux rien et ça n’a aucune importance. Alors tu fumes cette cigarette, goût de tabac d’ambre, tu crois. Goût d’Amérique, d’épices. Tu es arrivé en retard dans ta propre vie. Quelle importance, tu la mènes autrement. Vingt ans, tu te dis déjà. Vingt, est-ce vraiment vingt ? En retard, encore et quand tu crois partir à temps, c’est faux départ, c’est grève, c’est un jour trop tôt, une semaine en avance, c’est seul sur le quai et ta vie s’envole. Au-delà du mur d’enceinte. Ta vie à toi, glisse sans flamber. Le mégot, tu le gardes dans ta main. Comme un pommeau vaincu, un socle désemparé. On lui a pris ce qui lui donnait sens. Voilà une autre existence, mégot, non moins valable, non résidu, non détritus, mégot, autre essence, mégot. Tu penses un instant, à toute une usine de mégots... Tu ne te mettras pas à collectionner ces débuts d’une autre sorte. Il serait exagérer de vous trouver une ressemblance. Tu as une pensée qui te traverse, c’est tout. Tu ne la notes nulle part. Elle s’envole. Main gauche, puis droite, effleure le clavier et au bout de la ligne plus rien ne touche.


Aucune voix. La solitude se mérite et ne vient pas sans prix. Même pas le bruit de ma propre vie. Je longe le mur d’enceinte, ici je m’accroupis, mes mains effleurent la brique peinte, le goudron sec, une trace de mon existence. Je suis en retard. Mon réveil sonne trois fois. Les ongles écaillent le vernis du mur. Ma vie.



Aubin a perdu son père, on dit qu’il mange pour compenser. Que tout ce qu’il accumule au-delà de ce que lui, Aubin était, du volume qu’était Aubin, accueille et engendre son père. Il fait une place à l’absent.

Il a dit


je veux multiplier la vie en moi
Ca s’appelle un cancer cousin
Alors ce sera un Cancer
tu dis de la merde.
mais ta gueule
tu lâches des trucs pf…pour faire ton intéressant ton mec daaaark
Il me regarde
va te faire foutre je lui dis va bien te faire foutre gros porc
produire dans sa graisse, dans son extension physique

12 novembre 2020

Atelier d'écriture - Chemin

Consigne : Ecrire à partir de 3 phrases, une au début, une au milieu, une à la fin. 




1. Et s'il était à refaire, je referais ce chemin.








Chemin filial, d’abord, ovule et spermatozoïde se faisant cour mutuelle, convolant en la juste convenable noce de la fécondation, chemin de ma biologie, du développement successif et en bon ordre, ouf, de tous mes organes. Chemin, âpre, dangereux, toujours inquiet, chemin sans cesse soumis aux éboulis, aux tremblements, à la chair de poule, aux inondations. Chemin, à refaire pourtant. Chemin, par où tout commence, dévalé ou non, à terme ou en avance. Chemin, du le cri, du cri féroce, du cri des bêtes, le cri hérité, les mains tendues, les mains mendiantes, tendues au milieu du chemin, chemin, fente, fendue.
Moi, jet jailli de ce chemin, moi crevant la forêt alentour, les conifères et les chênes, les plantes de montagne, les belvédères instables. Chemin à refaire par une autre route cette foi, moi creusant, moi cette fois faisant effort - elle surtout - chemin de la vie.
Des souvenirs. Le grand soleil avant les premières gelées. Un devoir, fililal, où l’on me conduisait. Mon père, pendant deux mois, creuse une tranchée dans le grand jardin - on dit un terrain quand on atteint cette taille.
Depuis 20 ans, pour des raisons sanitaires suspectes, la loi impose aux nouvelles constructions de se rattacher au tout à l’égout. Fin des fosses sceptiques, fin des camions une à deux fois par mois récoltant la merde humaine, les déchets humains, ce qui reste de bombance, de trop boire, de gastro-entérite.
Mon père creuse sous le soleil qui précède les premières gelées - l’herbe et la terre toujours durcissent en plein hiver - sa tranchée et me demande de l’accompagner, de bêcher avec lui, de déblayer puis de remblayer avec lui. Mon père ne voulait pas payer une de ces entreprises, toujours scélérates à ses yeux, pour s’occuper de ce qu’il savait faire. Mon père usa toute sa vie ses mains pour le bénéfice d’autres ; aujourd’hui, retraité, il redevient propriétaire de ses mains. Sa retraite n’en finit pas, lui demeure trop de forces, de puissance vitale pour qu’il n’emploie pas sa propre force, cette jeunesse du temps retrouvé, à de nouveaux efforts.
Trace chemin dans la cour, le jardin, le terrain, chemin parcouru, nommé : tranchée. Dix mètres de long, deux et demi de large ; dix mètres de chemin de boue, de terre, de pelles, dix mètres de centaines, de milliers, de mouvement, sans machine. Nos mains, mes mains, étais-je propriétaire de mes gestes, de mes mains, où, comme une dette du premier chemin traversé, du chemin séminal, on pourrait dire, remboursé ici. Pour être quitte de ce qui ne s’acquitte pas.




Chemin, toute la vie ce chemin. La petite ville, banlieue de Paris. Quittée voilà dix ans. Quitté, voilà dix ans, ce lieu vaste et étroit où les premières gelées peuvent anéantir les projets d’une année ; j’ai quitté, voilà dix ans, ce lieu où le thermomètre ne sert pas qu’à choisir entre la veste d’automne ou le manteau de demi-saison. J’ai quitté, voilà dix ans, ce lieu où je chemine toujours.
Marcher, reprendre, sur les talons, cette fois, le chemin ; s’ensevelir dans son propre pas s’enfoncer dans son empreinte inversée, la pointe du pied à l’endroit du talon ; le talon à l’endroit de la pointe de pied ; chaussure étroite, brillante, cirée dans l’empreinte de la basket.
Mon sillon sur les rails, mon sillon dans la gare, vingt minutes de voiture encore depuis la gare, je vois mon sillon, la première voiture, une Twingo défoncée, la gomme laissée des kilomètres de gomme pour quitter quitter le petit village pour la ville moyenne et la ville moyenne pour la grande ville et la suite ? Jusqu’où irai-je et jusqu’où reviendrai-je ? Quelle poussée en moi, quelle force secrète, ancienne, quel héritage. Mes racines, chemin discret, poussent jusqu’à mon passé, serrent.





  1. A l'état sauvage, le bulbe est très profondément enterré et, si l'on veut s'inspirer de la nature, il faut le planter dans le jardin à une profondeur d'au moins six à huit pouces.


Sauvagerie de la chose à naître, du bulbe retenant son premier cri, le sien, son cri, et les larmes brutales ; ô chemin six à huit pouces chemin descendant du ventre de maman, dans la pleine lumière, la lumière blanche et cruelle pareille à celle des premières gelées.
Toujours, notre vie, notre chemin, hésitera entre notre état sauvage et notre enfouissement dans le jardin où les premières gelées, sans la protection de chênes solennels, nous laissent au risque de la stérilité.
Arbre tordu, maladroit, dur, écorce humaine à peau tendre, bouche jamais en fleur avant mes dix-sept ans. Cri, cri du fin fond des entrailles, sur la place de l’Eglise, ou de l’autre côté de l’Eglise, le premier baiser, la diction de l’amour, la lèvre mordure, la mienne ou la sienne, la peur, les dents qui claquent de froid - les dernières gelées, la main tenue, le chemin, le pas ce soir, le pourquoi pas, la plage plus tard, le noeud des chemins, des routes, des impasses, les tâtonnements, le corps trouvé, le sien, le soleil précédant la première gelée, dix verres, l’adieu, le chemin jusqu’au rebord de la vie, le premier désespoir, le premier pour de vrai, la main, paume, la main poing, écrasée contre le mur, l’écran allumé, au secours, au secours, par la fenêtre la peau intacte du jardin, les bulbes arrachés.
Son chemin, l’écorchure, le froid qui brise, le SMS reçu, désolé mon vieux, les larmes, le SMS cette fois-ci envoyé, désolé ma vieille, SMS envoyé du côté des vainqueurs, du côté de la première gelée, du côté de la dernière gelée, va-te-faire foutre le soleil.




Celle qui jaillit un jour





robe
elle dit
mon éléphanteau
elle dit
ça
tu t’interromps
tu tâtes ton ventre plat
tes bras sans muscles
tu tâtes ton visage
sans gras
elle voit
tes gestes sur ton corps
sur ton corps tes gestes
elle dit
elle comprend
elle sait
elle dit
ça vient de Baudelaire
20 ans obligatoire
Baudelaire
Tu souris
Tu crois
qu’il faut
sourire




Elle, chemin, sens, direction, raison du chemin, elle, totalité du Chemin, elle,
ligne parallèle à la tienne ; une couche de verglas sur sa ligne ou sur la tienne, ton amie la gelée, qui dérape ? toi ou elle ? elle ou toi ?
Rencontre,




Le téléphone lumière dans la nuit, le téléphone, coucou des bonnes nouvelles, la crainte, ce matin là du funeste désolé.




Chemin, la tranchée a recommencé, une autre ; les rails d’autres, d’autres rails, la gomme de la voiture que tu ne voulais pas, un nouveau modèle, le chemin, dont tu n’es plus sûr et la gravité qui te mène vers une autre grisaille.
Toi, toi je veux dire, elle, je veux dire je ·e, tu ne crains rien depuis longtemps, depuis que tu as joué Antigone, le trou de mémoire devant le corps inerte de Polynice et tu as compris, compris devant ton silence que tu n’aurais pas pu joué plus juste que là, à ce moment là, le silence, alors tu ne doutes plus de rien. Lui, tu l’avais repéré dans l’amphitéâtre
tu l’avais vu qui ne disait rien, tu ne te diras pas, quand même, dès le début je le savais qu’il était pour moi que j’étais pour lui qu’on avait à cheminer l’éternité, il te rendait curieuse, c’est tout au début, comme Polynice ou pas du tout ; toi tu savais tout oser, alors un jour tu t’es plantée devant lui et tu as vu la peur dans ses yeux, la peur et ça t’amusait un peu, son envie de fuir et son sexe d’homme qui lui barrait le passage ; tu lui as demandé, comment tu t’appelles, il jouait l’homme, la contenance de l’homme, l’assurance de l’homme, fragile, fragile petit éléphanteau. Avant le premier baiser, le premier alcool fort, avant la braguette défaite, les bretelles desserrées tu n’as pas eu besoin d’insister très longtemps. C’était sa deuxième fois, ou troisième, il n’a pas osé te le dire tout de suite. Souvent il a pleuré - les dernières gelées - il disait.




Toute la vie, ça avait cette apparence là, l’éternité, ses yeux, tu croyais, tu lui disais toute la vie . Il t’avait promis, il avait dit, je viendrais, il allait venir et toi soudain, patatras, ou le contraire hourrah, la grande ville tu ne l’as vu que froide, que neiges éternelles, les fauteuils toujours pareils, les hommes aux visages d’hommes, les femmes aux visages de femme. Pas Antigone. Pas Polynice. Pas la vie. Tu dois le retrouver après les vacances d’été.
Cette ville où




Ton amie te traite de pute parce que tous les mecs te draguent, qui te traite de pute par SMS, tu es sur un fauteuil impersonnel, froid, de la ville froide, morne, de la trop grande de la très maudite ville. Soudain. Tout. Souffle retenu. Chemin dévalé. SMS. Désolé. Tu le bloques, tu as peur d’être trop faible, de ne pas pouvoir cette fois là, te planter devant lui comme la première fois, les premières gelées, il t’a parlé des premières gelées, tu n’es pas sûre de pouvoir, une résolution ça tient à rien, ton assurance…tant pis, tu dois penser à toi cette fois-ci. Ca ne vient pas sans larmes, évidemment. Désolé, alors. Plus un mot, le silence. La nuit. Fin des gelées. Tes deux mains frottées, le billet de train, acheté en ligne.
Désolé.




                                                                                                   

  1. Elle revit brusquement la place grise de Poitiers, le papier usé sur les murs de la chambre, elle respira tout d'un coup l'odeur de la province, et elle sourit.
2 décembre 2020

Rituels d'enfant -

666 mots - rituels d'enfant
 
je n’ai pas joué à la marelle
mon horreur des cases ou 
mon goût du débordement
m’empêchaient
de tenir
dans le 1, 2, 3
d’une algèbre sinistre. 
Aujourd’hui, encore
j’en ignore les règles
Il y avait dans la rue
Clauzel
une marelle
que la pluie 
a effacé à force
il n’en reste qu’une 
trace
quelques signes
comme ce qui demeure
d’enfance
après la dernière dent de lait
tombée
A l’école maternelle
En évitant soigneusement la marelle - et peut-être je me dis à l’instant c’est ainsi qu’on y joue
Vers 4 ou 5 ans j’étais convaincu que je pourrais voler. 
Vers 4 ou 5 ans, j’avais deux obsessions : voler - dans le ciel - et Allah.
Alors, je réunis les deux.
Convaincu qu’il suffirait de croire très fort
d’aimer Allah assez pour m’envoler
Musulman très prosélyte j’expliquais alors à Hervé et Marc
qu’il nous suffisait de dire Bismillah pour nous envoler
le miracle - comme la sociologie - n’étant pas une science exacte
il fallait recommencer l’expérience souvent
pas d’échec
ça ne marchait pas
c’est tout
parce que nous prononcions
avec l’accent français le nom divin
parce qu’ils ne croyaient pas assez.
Je me souviens
Nous montions sur une marche
et
nous exclamant bismillah
nous sautions
j’imagine aujourd’hui
l’effet bizarre que produirait
ces paroles
dans la bouche d’enfant
auprès des instit’.
convertissant
marc et hervé
aux sortilèges de l’Islam
la toute puissance 
des cieux
dégarnis ici
ô calvities sentimentales
Mon extrêmisme religieux me poussa
plus tard
à refuser une viande suspecte au centre aéré
malgré l’insistance des éducatrices
convaincu alors que j’étais
qu’elle résultait de l’abattage non rituel
d’une bête au sabot fendu
à l’inverse
Yannis
quand il eût l’occasion de manger du porc
à Grèce en Vercors - sûrement transgressant
par goût de la rime -
ne s’en priva pas
starfoullah
Un jour, dans la cour de l’école maternelle
où j’étais peu nombreux
je parvins à m’élever suffisamment haut
à commettre mon corps
parallèle au sol
avant
que d’avoir mal dit ma prière
je ne chute sur le ventre douloureux
je me souviens de ceci
comme d’une réussite
dans cette cour d’école
mon premier baiser malgré moi
Valérie qui me l’infligea
je n’avais pas dit
bismillah
Valérie
je ne suis pas sûr
je n’ai jamais aimé les jeux de
chapeau de paille
paille 
paille
j’aimais beaucoup l’élastique les garçons y jouaient avec timidité
avec l’air de s’en moquer que ce n’était pas sérieux vas y montre voir 
pff
comme la corde à sauter
qui très vite nous rassure
les boxeurs
être de la dernière violence
la pratique avec assiduité
enfant
je me souviens du jeu terrible
dangereux
que je jouais avec Dieu
disant - la nuit -
murmurant
dans le tard du sommeil
ma haine mon dégoût de Dieu
et mêlant
à cette parole atroce
un chant muet d’amour
pour le diable
superposant
ajoutant
à cette louange
celle
contrite pour Dieu
désolé
les larmes à l’âme
comme possédé
sûrement
est-ce ceci possédé
et Yannis connut en vérité
même chose à Grèce en Vercors
son diable à lui la rime en -or
Une nuit
le diable vint
agacé de ma louange contradictoire
voulant
comme une maîtresse agacée
s’assurer de la réalité de mes sentiments
à son endroit
et me réclama une preuve de mon amour
il exigea de moi que je tapasse ma soeur
je feignais le sommeil pour ne pas répondre
à son appel
sorte de batterie faible de l’époque. 
ce sommeil simulé 
devint une habitude
lorsque j’entendais la nuit
le bruit métallique 
des voleurs
qui n’ayant pas dit
bismillah ne parvinrent jamais
à s’introduire autre part
que dans ma terreur
ainsi
ma peur préservait le peu de bien de mes parents
ma quiétude, seul butin de ces voleurs apostats
De l’enfance le Joker est indiscernable
Enfant
il me terrorisait
tant
que ma peur ne trouvant pas en moi
terre assez vaste
s’empara de Myriam aussi
qui le vit
une nuit
Pour m’endormir
je comptais
les Joker tombant
des toits de Gotham City
comme on compte les moutons
à Grèce en Vercors

 

13 janvier 2021

L'homme périmé

Je voulais rédiger le manifeste de l’homme périmé, homme passé-simple dépourvu de langage
l’homme périmé a des douleurs
qui n’ont plus de nom
Je voulus les dire avant de me rendre compte
que je n’avais encore
de colère que contrite. 
J’extrais des fragments de ce manifeste non-né. 
Je me souviens de la violence forcée, ce qu’on exigea de mes poings. Tommy, Nicolas, Guillaume souhaitaient me mettre en miettes, il y avait un jeu, l’humiliation dont le prix, sûrement, était ma peur. Ma peur, je la vendais cher mais trois bourgeois ont beaucoup de moyens. Ils m’usèrent, longtemps. Se distrayaient ensemble et je résistais seul. Un jour, je cédai à la violence physique et j’eus la paix. Il me fallait prouver, pour avoir la paix, que j’étais un homme. A priori on me déniait la qualité de mon genre et, par voie de conséquence, ma qualité d'être humain. Soupçonné de contrefaçon, en quelque sorte, je devais apporter d'épuisantes preuves, sonnantes et trébuchantes comme un coup de poing. 
 
cette douleur c'est le
moi-même
qu'on tente de tordre
et qui ne peut ni plier
ni rompre
qui fait mal
Ce que tu perds ici, à ces moments là, dans leurs tentatives de négation de ton je, de ton je singulier, aussi singulier que possible, de ton je en dehors de considérations raciales, ce que tu perds en dehors de ça, ce que tu perds au moment de cette atteinte à ton je c’est la possibilité d’entrer en relation avec l’Autre. La possibilité de comprendre les règles qui commandent aux usages. L'impossible lien avec le monde, avant le moment de la dispute. Pour rompre il faut déjà nouer une relation. Alors, tu n'apprends jamais le bon usage, les bonnes manières des êtres humains ; plus difficiles encore que les bonnes manières des classes très méprisantes. Au final, on te prive de la société, toi, ta force tu l’emploies à résister, à te défendre, à te battre eux…à savoir. Tu es contaminé par la méfiance. C’est important, on s’en servira contre toi.
Le temps passe, tu échappes aux premières négations :
Tu discernes des mots, ils dansent devant toi, sans former de blocs de sens. Te manque la grammaire secrète des gens populaires. Longtemps tu ne comprendras pas l’ordre des mots de ces phrases là. Tu as le parler préhistorique.
le long du majeur court
la cicatrice remonte
de l’os carpien à la dernière pliure 
du majeur
la cicatrice tourne ici 
à la droite du majeur gauche
insensible au froid
au chaud
au reste
écho ma chair
la plaie du monde 
Tu manques de subtilité, de doigté. Avant de t’exprimer il y a toujours pour toi une opération de traduction, un temps de réflexion qui ôte tout naturel à ton attitude. Te voilà au milieu du monde ta main enrouée d’une impardonnable maladresse, tu es gauche, empâté. Tu as beau mieux connaître la grammaire tu parleras toute la vie cette langue, leur langue, avec un inexcusable accent. 
Ce n’est pas au niveau de la classe. C’est plus profond. Plus profond ton inaccès à l’humanité. Plus profond tu n’en sauras jamais la raison sinon qu’on ne te sent pas. On ne te sentira jamais vraiment. Même après la guérison. Il reste une cicatrice impardonnable. La cicatrice agace le bourreau.
Je me souviens avoir admiré l’aisance sociale de certains, leur inimitable sens de l’orientation. Ils ont passé leur vie à arpenter les lieux dans lesquels ils parlaient la bonne langue. Ils y ont vécu mille expériences désormais sédimentées en eux, de là vient leur succès en tout, leur façon de commander et de savoir, toujours, qu’ils seront exaucés. Leur langue ignore le doute, ils ont arraché à leurs mains le tremblement.
moi 
fracturé 
je
forcé
mis en vrac avant 
de se former
je
recomposé depuis
mal 
à toute allure
matériaux trop bon marché
pour durer
je
effondré
on t'en veut de pencher 
de côté là
ou d'un autre
toi on ne te passera rien
tu ne sais pas quand arrêter
de faire des blagues
de l'ironie alors on se dit
il est odieux ce type
Je pense à Mickael et je pourrais ici penser à moi. Bien plus que moi, Mickael a été mis a la marge et aux décharges. C’est un garçon qui se montre toujours odieux, se contentant toujours du pire. Je le vois mal dégourdi, il fait ce qu’il peut. Souvent, à ces gens, au lieu de seulement refuser de les fréquenter, on prête des essences. Ces essences sont ce que la vie leur a fait.
Les sutures ne me font plus mal
les points de contact autour de ces brisures
les milliers de points de contact
forment amas
de peau 
insensible
Gauthier qui parvint presque à prendre serrer casser entre ses mains mon être et que je sus chasser à son grand désespoir. Violence et j'étais à ses yeux le traître. Violence contre ceux qui m'ayant déterminé une biologie séparée de la leur croyait avoir en même temps établi entre eux et moi une indiscutable hiérarchie. 
Je frappe Thomas dans le plexus qui se courbe en deux de douleur. Je frappe Milan dans les tibias de mes grosses Timberland, je frappe à coups répétés. Jamais la paix, toujours le cessez-le-feu.
Ils ne parvinrent pas à leur fin déclarée, je n’avais pas peur d’eux et je savais me battre. Si…j’ai eu peur parfois, si, j'ai eu peur, j’ai été épuisé, j’ai tenu bon. Ils parvinrent à une autre fin, celle qui met au dehors, en quelque sorte, du genre humain. Celle qui met au dehors pour bien longtemps après leur passage. 
On te met hors du lieu humain où s'apprennent les gestes de la vie. Là-bas ils répètent le rôle à tenir et moi je me cachais le plus loin possible de la scène. Ils répètent et quand tu entres, on finit par entrer, un jour, on te blâme de si mal connaître ce qu'ils répètent depuis la naissance. Il y a pire. On te blâme aussi de ne jouer à la perfection le rôle qu’ils voulurent pour toi. Ta liberté, comme ta révolte, sont coupables et le demeureront.
Subissant la cruauté et croyant que ma propre humanité était à ce prix je suis devenu cruel et cette cruauté me procura du plaisir et me donna du pouvoir ; j’ai joui de ce pouvoir par quoi je me reconnaissais enfin un homme comme les autres. Plaisir fade, pour rien, plaisir qui disait encore le triomphe du monde-qui-brise sur moi-même. Je me croyais au terme du succès en devenant le briseur ; fort de ce côté là de la fissure et de la force.
J'ai désormais quitté ces lieux d’échouage, je crois. Peut-être je me suis trouvé d'autres pays, d'autres mers et peut-être un peu de moi-même.
Tu n’es pas mis en morceaux à ce moment là, quand on t'empêche d'entrer dans le monde, on ne brise pas tant qu’on ne t'empêche, qu’on ne t'immobilise. On te laisse à la traîne et quand tu crois rattraper ton retard, on soupire de te trouver ainsi essoufflé. Tu caches la douleur du point de côté et on t’en veut de ta grimace. Tu entends les mots à voix basse qui disent encore ta mauvaise biologie. Tu ne dissipes jamais tout à fait le soupçon. Je me souviens d’une soirée chez moi, un an déjà, un ami et moi jouions à nous vanner. Quelqu’un intervient, quelqu’un dont la gentillesse et la douceur ne font aucun doute, et me reproche à moi une sorte de mal-essence. Je ne me souviens plus des mots exactement, je me souviens du reproche ontologique, disons, qu’ils contenaient. Quelque chose qui voulait dire qu’à ses yeux, c’était sûr, moi je ne jouais pas vraiment. Plaie, ouverte. Elle a dit peut-être, je ne te sens pas. Elle a sûrement oublié depuis cette parole-en-l’air.
on lit en petites lettres
le mot je
formé
autrement
aujourd'hui
je
qui touche à son but
détour par d’autres apnées
La sueur après la course, le sang caillé de la main juste cicatrisée, l’accent à l’haleine douteuse, toi
je
je moment de dire je
tu es revenu de bien des misères
et quand tu crois enfin qu’on ne te reconnaîtra plus
ains plâtré
poudré
On finit par dire de toi
je ne le sens pas
c’est le contraire 
je sens trop
je sens
la peur
et le pus
qui fuit encore par
moments
d’entre les sutures
les gens les plus tendres
disent et pensent
je ne te sens pas
qu'importe
Si tu fais de ton mieux ou
non
Tu pues du plus profond de toi
de la chose végétale morte née
son interminable pourrissement
Alors j’exhale la plante morte
la vie non-vécue.
les personnalités avortées
les je mis au néant
non en raison
de classe
race
genre
etc

 

16 février 2021

Novlangage.

Je n'aborde pas l'aspect politique de la langue de façon générale et de la langue inclusive a fortiori. Celle-ci ne faisant plus débat que chez d'indécrottables imbéciles. Il s'agit d'illustrer combien, en rien, le langage inclusif n'est PAS une novlangue. 
Le danger de la novlangue tient, nous nous accordons toustes à le reconnaitre, au rétrécissement du monde qu’elle implique, réduisant, par son étroitesse, nos possibilités imaginatives ; ainsi, certain·es croient voir dans la langue inclusive le danger imminent de la mort du langage et, ce faisant, l’incarnation la plus décisive de la novlangue. 

Rien n’est plus faux. La novlangue, en quelque sorte fait coïncider les mots et les choses ou, plus certainement, permet, dans notre société occidentale, l’adhésion la plus totale entre les nombres-prix et les objets-produits. Ce faisant, deux choses, le langage ainsi appauvri prive ses locuteurices de l’accès à une pensée complexe qui, comme il l’a été démontré par une cohorte d’intellectuel·les plus ou moins lisibles, passe par le médium de la langue et, ainsi privé·es, les locuteurices deviennent inaptes à la critique et donc à la résistance ; aussi, surtout, ce langage ainsi simplifié n’a de telos qu’instrumental, il permet de mettre en rapport une offre et une demande, son seul horizon est marchand. Pur instrument de commerce, cette novlangue existe partout autour de nous, y compris dans en nous-mêmes, elle s’appelle le business english, sans rapport sérieux avec l’anglais, réduisant celui-ci à sa portion pécuniaire et son air d’expert comptable. Les plus chanceuxses, s’accommodent de ce langage, naviguant dans le spread et les closing ; bookant une chambre au Waldorf ou au Hilton - disséminés partout où le business english a cours, sorte de concrétion de cette langue en ****, couettes en plume d’oie, oreillers rembourrés, continental breakfast et room service, touche 0 pour la réception etc.
Danger oui, danger mortel, peut-être vivipare éclosant sous les ailes protectrices des business angels ou dans le chaud cocon des incubateurs à start-up.





Il existe, près de cette langue délabrée, une langue en quelque sorte rivale malgré ce qu’on pourrait leur croire de semblable : le langage informatique, le langage de la programmation qui, si dans son expression la plus basique peut sembler une pauvre combinatoire de symboles peu variés, ne permettant aucunement de nous réconcilier avec la philosophie ou la poésie, il n’en est rien, le langage informatique ouvre l’espace d’une expressivité infinie, nous donne le pouvoir de réinventer notre langue dans les marges des lignes de code et le if, omniprésent dans cette parole informatique, nous assure de tous les possibles. Si…et le monde enfourche le bel esqu-if.


Cette langue peut servir tous les intérêts et tous les destins comme le français a pu servir à la déclaration de guerre du 20 avril 1792 autant qu’à la poésie de Louise Labbé ou au chant quasi-martial de Sonny Labou Tansi. 
Facebook et Wikipedia
Instagram et Philippe de Jonckhere. 


D’autre part :
Certain·es croient voir dans le langage inclusif la novlange et n’ont pas de mots assez durs ni de tribunes assez ennuyeuses pour exprimer leur désapprobation face à ce crétinisme rampant ou, incarnant très bien le crétinisme elleux-même, comparent le langage inclusif à un fascisme certain·es qu’ielles sont que chaque point médian résonne comme le bruit des bottes de Mussollini 28 octobre 1922. Imaginez


Or, pour peu que l’on aime vraiment la littérature, on ne peut ignorer l’aspect exploratoire de celle-ci, on ne peut chasser au-devant de soi, l’inquiétude qu’elle porte quant au sens des choses et de nos usages. Si l’on considère vraiment la littérature non comme un cadavre mais une chose vivante, triomphante toujours, échappant à la barbarie réelle celle-ci, des disruptions - sorte d’éruption de néant couvrant l’âme d’une poussière suspendue - alors on ne peut qu’adhérer à l’apparition salvatrice de cette langue inclusive. Au-delà de sa nécessité politique qui a été traitée avec science et raison - nous savons historiquement combien la raison ne peut rien face à la bêtise qui se pare des habits nobles de la tradition usurpée - j’y vois un potentiel créatif d’une fécondité inouïe ; la même langue augmentée, comme si le français soudain - en mouvement depuis la première geste - connaissait une immense crue fertilisatrice des mots que l’on croyait condamnés à la fossilité.

Mieux encore, nous pouvons manipuler cette foudre nouvelle pour revisiter des formes passées qui, si les réactionnaires tenaient tant à la tradition, susciterait leurs hourrah ; bon retour chez toi, cher sonnet, poésie baroque, formes exténuées n’appartenant qu’au savoir scolaire, aux pupitres gravées des signes d’ennui ; bienvenue à vous toutes les formes condamnées, salut à toi ô l’ode et Homer·e je t’en prie reprends la traversée interrompue et vous aussi les Argonautes et vos suiveuresses. Nous pouvons retrouver, face à cette novlangue infecte du business english, une résistance en redonnant à ces formes négligées une nouvelle nécessité, repenser l’alexandrin et le pentamètre iambique, réinventer le rythme et la perfection plastique de la Pléäide.



Car et c’est bien le travers depuis la nuit des temps des réactionnaires ielles n’aiment rien tant que se poser vigie - bossues - et déplorer de cette bassesse le monde qui finit. Voyant leurs habitudes aborder un nouveau rivage, pleurent la fin de la traversée comme si cette fin signalait le terme ultime, ce sans voir que tout rivage abordé fait signe vers un monde nouveau, riche de fruits inconnus. Et, elleux, gargouilles inertes, meurent du scorbut. 




On peut noter que l’exemple des Argonautes trouvent un retentissement particulier, navire aux pièces changées tout au long de sa traversée et conservant toujours le même nom, ainsi nous le remettons à la mer avec son équipage de matelot·es. 




contenait la fin de tout sans voir que le rivage abordé donne à voir et à explorer une contrée nouvelle, riche de fruits inconnus. Alors ielles meurent du scorbut. 



Et ielles ne se rendent pas compte combien elleux appauvrissent en réalité elleux-mêmes la langue et la pensées qu’ielles pensent ainsi défendre. Ne connaissant plus d’usage que la féroce ironie qui signe toujours la défaite et la résignation, solidaire indissociable de la lose. Voilà que quelques ouvrages ironiques paraissent, quelques vidéos moqueuses d’acteurices à la lèvre torve et nous les regardons avec pitié du rivage nouveau. 

 

29 avril 2021

Twitter 26 Avril 2021

Lundi 26 avril - 16h00 
état du monde
#ENHYPEN

Il est magnifique le clip #Enhypen, s’exclama Lana au milieu de l’après-midi, lundi. Ses 4 amies et elles mangeaient un sandwich libanais dans un parc peu connu, proche de la rue Doudeauville, dans le 18ème. Lana, répétait : il est magnifique et tendait son téléphone à ses amies qui partageaient, avec moins d’entrain, son enthousiasme. Cette partie là, i n c r o y a b l e, disait-elle en désignant l’écran ce qui fit rougir Ophélie qui, honteuse de sa honte, demanda on a toute eu la même réaction ? Personne ne lui répondit, les autres filles observaient Lana et ses yeux scintillants de lumière bleue. Lana rêvait aux embrassades avec son chanteur préféré et n’accordait ni à la honte ni à la parole d’Ophélie la moindre attention. Si les autres lui parlaient, Lana se contentait d’une molle approbation.

Elle s’abandonnait à la seule activité sérieuse et importante ; caresser en pensées le corps de #Heeseung, là, presque réel sur l’écran animé. Lana, à force de répétitions, de rêveries, de recherches google image connaissait, mieux que son médecin, l’anatomie de #Heeseung. Elle pouvait deviner, malgré le maquillage et les effets spéciaux des clips, l’état de santé véritable de son idole. Elle en pouvait mesurer les moindres variations, s’en inquiéter et envoyer à la boite de production des recommandations douces mais fermes. 

Les images qui traversaient Lana étaient sans contours, inexactes en quelque sorte ; son désir ne se composait pas d’une série de gestes, il consistait en une succession d’impressions et de secousses internes.

Lana quitta brutalement ses amies, déçue, sûrement, de les voir si peu partager son excitation. Elle marcha vite, sans se retourner, comme pour les devancer si jamais, au bout de la rue, #Heeseung devait apparaître. Oui, dans ce cas, Ophélie ne l’aurait pas, avec ses longs ongles peints à la mode et ses talons transparents. Elle prendrait #Heeseung par le bras - ou se laisserait prendre par lui - et l’entraînerait dans les ruelles compliquées de Paris…Au croisement du boulevard Barbès et du boulevard de Rochechouart elle entendit une sorte de clameur s’approcher d’elle qui la figea. Prise par ses fantasmes elle ne pouvait imaginer d’autre objet à la clameur que la présence d’#Heeseung. Ses amies, à ce moment là, la rejoignaient essoufflées et Lana pesta. 


Anissa si on te dérange dis le hein. C’est pas ça, je croyais…Le cortège du #lesbianvisibilyday approchait, chantant et agitant des bannières et des pancartes. 
Voilà d’où venait ce vacarme, au plus grand désarroi de Lana. Lou applaudissait discrètement au passage de ce groupe de femmes qui criaient, riaient, certaines rouges de colère ou de fatigue, d’autres la mine inquiète, jetant à droite et à gauche des regards redoutables. Des femmes aux cheveux longs et des femmes aux cheveux courts marchaient, main dans la main, les mains serrées, plus que jamais, des mains amoureusement accrochées, sans peur, parmi la foule des autres femmes qui tenaient amoureusement des mains. 


Les autres filles de la bande de Lana baillaient, Chiara, petite, brune, sentant bon le cèdre et le lilas, chantonnait You promised the world and I fell for it de #Séléna Gomez. Lana leva les yeux au ciel, activa le haut-parleur de son iPhone et diffusa le premier clip de l’album #Border Carnival en bafouillant les paroles qu’elle n’avait pas encore eu le temps d’apprendre. Tout, plutôt que de laisser la voix impie de #Séléna Gomez couvrir dans son esprit le doux souvenir de #Heeseung. La chanson finie, avant que Lana n’ait le temps de ranger son téléphone ou de changer de vidéo, une pub orange hurla depuis l’application YouTube, le joueur du PSG #Kimpembe hurlait quelque chose de vague à propos de la 5G. Chiara, piquée et piquante, ah, c’est mieux que ce qui était juste avant ça. Sans en rien laisser paraître Lana boue et rit avec Chiara puis se plaint de cette incompréhensible #rentrée scolaire, pour nous les lycéennes c’est devenu incompréhensible. Anissa poursuit…et encore toi t’as pas un frère qui passe sa journée à te parler de foot ou de #Ratchet et Clank. C’est quoi #Ratchet et Clank demande Lana, par politesse. Je sais pas, je sais pas. Les filles rient. 
Lou qui ne parle jamais dit aux filles, je me suis lancée dans l’ASMR. 
Aucune réaction. Lou est transparente, sa voix trop douce, trop timide, transparente comme une séance d’ASMR réussie.
Lou reprend…vous savez qu’aujourd’hui
#tchernobyl
Lana, regain d’intérêt : nan ! y a une nouvelle saison ?? 
Chiara :  t’es trop bête toi
Lana : Quoi je suis bête
Chiara : #Tchernobyl c’est un vrai truc hein
Lana : jure 
Lana : jure la vie de ta mère
Lou a perdu la parole
Lana : Les bougs vraiment ils ont périmé là ?
Anissa : toi à part #BTS tu connais rien
Lana : #Enhypen
Chiara : « #Enhypen » elle dit en moquant l’accent
Lana à Anissa : Je suis sûr tu connaissais pas
Anissa : Si !! C’est comme Fusushimi !!
Ophélie : Oui « FU SU SHI MI »
Anissa ne comprend pas la moquerie, 
Anissa : voilà, voilà, tu vois
Lana : Ouais…

 

29 avril 2021

Twitter 28 avril 2021


Twitter 28 avril 16h32



Le match de #Benzema avait ravi Max, cte contrôle de la tête bim reprise de volée dans la mère à Mendy. Mais le score ne lui convenait pas 1-1 à domicile c’est la merde…twettait-il dans l’indifférence générale. Ses tweets ne perçaient jamais, un de ses amis, un jour, l’avait raillé à ce sujet t’as 3500 tweets et 75 abonnés…le même ratio que #Werner devant le but. Max n’avait su quoi répondre, la répartie n’était pas son fort et il ne trouvait, dans le meilleur des cas, le bon mot que des mois après l’événement. Max détestait sa soeur Lana il la trouvait superficielle, ridicule, il haïssait la K-Pop qu’elle écoutait à longueur de journée et prenait un malin plaisir à taper contre le mur séparant leurs deux chambres lorsque, invitant une amie, Lana voulait s’ambiancer avec sa copine. Max se montrait particulièrement pointilleux quant au volume lorsqu’Ophélie rejoignait sa soeur, la voix de #Joonie, toujours, se trouvait interrompue par ce martèlement frénétique. Chiara, un jour, demanda à Lana je peux le défoncer stp ? Lana, fit un geste de la main, laisse tomber. De toutes façons y a que quand Ophélie et là qu’il s’arrête pas. Là t’inquiètes.

Un soir, après le départ d’Ophélie, Lana fit remarquer à son frère, d’un air mi-amusé, mi dégoûté, tu la kiffes hein ? Max bégaya, rouge de honte, les yeux haineux, cette pute ? puis il rejoignit sa chambre, claqua la porte, poussa la puissance de ses enceintes au maximum pour écouter #Kendrick. Lana, soupira. Max pensait prouver, par ces coups brutaux, sa virilité, il imaginait que ces gestes vifs et bruyants feraient de lui, aux yeux d’Ophélie, un mâle alpha irrésistible. Elle le faisait fantasmer à cause de son jeune âge et d’une lointaine ressemblance avec #Rina Sawayama. Sur le forum #jvxcom, dans la rubrique sexualité, il rédigeait parfois de longs posts pour demander conseil les kheys la pote trop bonne de ma soeur mineure me fait des avances de fou. Les membres l’incitaient à profiter, quelques uns lui proposaient d’inclure la soeur, d’autres de filmer le tout.

Ophélie trouvait Max chelou et, sans qu’elle ne l’avoua directement à Lana, vraiment malaisant. Ophélie n’en cessa pas pour autant ses visites hebdomadaires chez Lana, Ophélie aimait et admirait Lana, son assurance, cette inflexibilité quant à ses goûts même les plus clivants, sa capacité à dire je ne sais pas ou je m’en fous. Lana donne du courage, par son exemple, à Ophélie et le jour où des garçons de la classe tournait le viol en dérision pour défendre #Moha la Squale, Lana gifla le meneur puis repartit comme une #queen comme le dirent les autres filles de classe. Ophélie puise à ce souvenir lorsque la peur la paralyse et y trouve la force d’agir.

Lana aime Ophélie, sans aucun doute. Lana jalouse Ophélie, elle lui envie son goût sûr et simple, ses longues jambes, son beau visage et se console de posséder, elle, une plus jolie poitrine que celle d’Ophélie. Un jour Lana, un peu défoncée, avait persiflé auprès de Chiara Ophélie, on lui colle un sticker quicksilver ça fait une planche de surf. Chiara ne répondit rien, elle écarquilla ses grands yeux noirs, et le répéta dès qu’elle le put à Ophélie qui pleura beaucoup. Personne n’en tint rigueur à personne, Lana, le lendemain, mouilla le beau visage d’Ophélie de baisers et de larmes, et Ophélie pleurait et ses cheveux étaient humides et Chiara patronnait la scène en pleurant elle aussi. 

Max ne parvient pas à se trouver une place dans le monde, il a redoublé deux fois sa L1 de droit et ne se rend plus à l’Université, il socialisait peu avant le Covid et a désormais une excuse pour ne rien faire. Sa mère s’en désole, son père s’indiffère. Deux fois par an il le traite de parasite. Sa mère cherche des solutions, elle épluche les offres de formation courte et professionalisante, tiens regarde ce #BTS à quoi il répond d’un rire méchant et méprisant tu me prends pour qui ? pour un enfant de #Dole ?
Sa force le quitte chaque fois qu’il entreprend quoi que ce soit de sérieux et durable alors il se laisse entraîner par certaines sirènes, il se trouve intéressant et se croit edgy en défendant Zemmour ou le #soutiensauxgénéraux factieux. A force, ces idées le pénètrent et ce qu’il défendait pour la blague, pour se rendre intéressant, l’enserre ; il se trouve noyé par le liquide où pour rire il s’était immergé. 
Max refuse de regarder en face son état de dépérissement, des éclairs de lucidité peuvent le saisir qu’il noie en s’abrutissant devant les écrans. Il joue aux jeux-vidéos sans réel talent, il aime, en eux, surtout leur capacité à dissoudre le temps, la souffrance, l’échec.
Il passe des nuits entières sur Twitch à supporter la #Kcorp, l’équipe montante formée par #Kameto en se moquant des rivaux nuls de #Solary. Il se croit une force virile lorsqu’il raide, à l’initiative d’un autre streamer, les chaines des femmes en #bikini. Il rappelle, à ce moment là, les guidelines de Twitch qui interdisent le contenu sexuel !!! Il ajoute, au  milieu du brouhaha des raids, je suis juriste. 

Lana connaît à peu près le comportement de son frère sur Internet et sait pertinemment qu’elle ne pourra pas le changer. Elle ne peut arracher Max à sa chute ni même ralentir celle-ci, elle a essayé il y a deux ans, au début, quand Max commençait seulement à déchoir. Il la repoussa avec haine, il voyait en elle quelque chose qui le rendait fou de rage, il traitait l’amour de sa soeur comme une charité humiliante. Alors, l’amour enfantin pour ce frère jadis aimé devint une vague indifférence puis un grand dégoût lorsqu’elle l’entendit défendre la pédophilie sur le #discord consacré aux scans de manga où ils participaient tous les deux. Elle quitta le #discord aussitôt, se souvenant avec horreur des arguments avancés par son frère. Chaque fois que dans l’actualité, une affaire de cette nature ressort, elle pense à son frère, le regarde avec colère, la mâchoire serrée, bougeant de droite à gauche dans un grincement méchant. 


Lana avait pesté contre son frère après la conversation de la veille et le soir elle reçoit un SMS d'Ophélie


Dis, tu crois pas qu’il fait une dépression Max ?

 

29 avril 2021

Twitter 29 avril 2021

Twitter 29 avril
15h44

Anissa s’ennuie follement en classe, le sort a voulu que de toutes ses amies les plus proches elle soit la seule à se retrouver dans le groupe B. Elle envoie aux filles des messages toute la matinée en les suppliant de la retrouver devant le lycée à midi. Elle écrit surtout à Lana qui est un peu la cheffe, elle structure le groupe, organise les activités communes. Les jours où Lana est malade tout le groupe se grippe et personne, même pas Ophélie, ne parvient à diriger et maintenir l’ensemble. Les filles restent seules ou, au mieux, vont par deux. A 10h30 Anissa reçoit un Snap de Chiara avec un filtre qui la fait apparaître au côté du chanteur #btob. Avant qu’elle n’aie le temps de lui répondre le prof de philo, M. Feumer, aperçoit Anissa sur son téléphone, il soupire, prononce un peu fort son prénom Anissa…elle s’excuse, désolé Monsieur il répond je sais que ce n’est facile pour personne en ce moment, je te demande juste de tenir un peu…pour nous non plus c’est pas simple regarde ce ce #Blanquer…il montre les fenêtres #Blanquerdelair ! On attend toujours les purificateurs ! La classe rit de voir ce professeur, si souvent caustique, se plaindre aussi ouvertement du ministre. Les élèves partagent, vaguement, cette détestation envers Blanquer, il est pour elles et eux, moins un ministre qui parle sur #europe1 qu’un meme Twitter qui joue à la corde à sauter avec des enfants de 5 ans ou rate des divisions sur #BFM.

Anissa range son téléphone avec mauvaise humeur. 

M. Feumer est un prof plutôt apprécié, le #confinement et, surtout, les cours en demi-groupe ont contribué à améliorer encore son image. 
Avec vous monsieur on apprend des vrais trucs avait dit Rayan. M. Feumer l’avait remercié et il avait ajouté, narquois et complice, ce serait bien que tu me le montres dans tes copies Rayan. Un oh le bâtard rieur et bon enfant s’était élevé de la classe puis le cours avait repris, plutôt calmement. 

Anissa n’aime pas trop l’école, elle s’est toujours sentie un peu une intruse dans le système scolaire. Elle n’a suivi le cursus général qu’à cause de l’insistance désespérée de sa mère qui craignait de la voir finir, comme elle, femme de ménage. Anissa s’est battue pour satisfaire sa mère, elle a choisi les mêmes spécialités que ses copines, humanités littérature et philosophie pour ne pas finir encore plus perdue. Elle stresse pour le bac dont elle ne comprend pas les modalités pour cette année, le discours politique change, toujours, comme le #déconfinement dont on ne comprend s’il sera le #19mai en #juin ou #jamais. 
Anissa attend la fin du cours, la fin de la journée, la fin de la semaine, la fin de l’année scolaire. Elle espère rejoindre les copines bientôt, parler de l’album de #Damso avec Lou qui est fan et  d’avance s’amuse autant qu’elle s’agace de la réaction de Lana qui lui sortira les nominations au #BBMAS et la place qu’y occupe #BTS cette année :


-Top Social Artist
-Top Duo Group
-Top Selling Artist
-Top Selling Song

Elle ajoutera il est où Damso ? et #BTSPAVEDTHEWAY

Anissa ne tient pas en place et sort, dix minutes après la remarque du prof, son téléphone, sur lequel elle ouvre #wattpad. Elle lit beaucoup sur #wattpad, elle y écrit encore plus. 
C’est le point commun qu’elle partage avec la discrète Lou. Lou, en seconde, alors qu’elles ne se connaissaient pas avait surpris sur le téléphone d’Anissa l’application #Wattpad ouverte et lui avait dit, surprise de sa propre audace, Oh moi aussi j’adore #Wattpad. Anissa, l’étonnement passé, lui a donné son pseudo afin qu’elles puissent se lire mutuellement. Anissa ne formulait cette proposition que par politesse, elle était mal à l’aise à l’idée qu’on sache qu’elle écrivait et en voulait un peu à Lou de l’avoir ainsi dévoilée.

Le soir, après avoir bloqué une heure sans écrire, Anissa se rappela de son interaction du matin et se mit à lire les écrits de lou des bois comme Lou se désignait sur la plateforme. Elle y passa la nuit. Elle adorait tout ce que Lou écrivait. Ses poèmes, ses nouvelles, ses romans avortés et en cours et une sorte de romance homosexuelle bizarre avec #EmmanuelMacron et une petite frappe d’Amiens nommé #billie.
Le lendemain de sa lecture nocturne, épuisée et surexcitée, elle sauta littéralement au coup de Lou pour lui dire J’adore !! J’adore !! J’adore !! et, avec la démesure propre au manque de sommeil, tu es mon écrivaine préférée !! Lou rougit de honte, ne sut pas quoi répondre, Anissa ajoutait, comprenant trop bien le malaise de Lou, vraiment, c’est génial, j’ai pas encore tout lu hein, mais wah la claque. Lou, reconnaissante, lui promit de la lire aussi. Anissa, un peu sombre, c’est nul tu sais…

A partir de ce moment là Anissa intégra Lou au groupe de ses amies qui, de peur de gêner, prit le moins de place possible. Le jour des vacances scolaires, Lana invita la bande chez elle et parla de 420 avec de gros éclats de rire ce que Lou ne comprit pas du tout, elle les accompagna, préférant largement leur compagnie à la solitude qui fut toujours son lot. L’appartement était vide pour le week-end. Max squattait chez Laure, sa copine, la seule qu’il eût jamais, et les parents ne rentreraient que bien plus tard. Quand Lana se mit à rouler Lou ouvrit grand les yeux, très inquiète devant le geste illégal, et voulut partir mais se ravisa de peur de perdre ses nouvelles amies. Lou refusa de fumer et Lana, défoncée, n’insista pas mais lui dit je croyais trop t’étais une vieille meuf prétentieuse. Le visage de Lou se contracta, elle hésitait entre le sourire soumis et les larmes angoissées qui lui montaient. Anissa, arriva, la prit dans ses bras et dit à Lana, t’abuses !! Lana, rit du rire mou et enroué de la beuh et s’excusa je te kiffe maintenant hein. 

De leur passion pour l’écriture, Lou et Anissa ne s’ouvrent que peu auprès des autres filles, aucune d’entre elles ne l’ignore, évidemment. A cette pratique personne n’assigne aucune valeur positive ou négative, elle est un fait, à égalité avec la passion de Lana pour la #K-Pop ou la pratique semi-virtuose d’Ophélie sur Instagram. Si écrire peut faire l’objet de moqueries ce n’est jamais que pour rire, de la même façon qu’on se moque de la superficialité d’Ophélie et d’Instagram ou du fanatisme religieux de Lana pour tout ce qui est sud-coréen. Chiara, durant l’été 2019, avait envoyé un snap depuis le Barbecue Coréen où elle dînait avec ses parents et, sur la photo où les tranches de viande grillaient, écrivit : le harem de Lana. 


La cloche sonne enfin, Anissa murmure Ya Rahbi Rayan l’entend et mime l’horreur starf une islamo-gauchiste Anissa, en même temps qu’elle prend ses affaires, tu dis starf et tu parles ? Rayan ahahah, je fais #ramadan c’est pour ça. Il lui demande tu fais quoi après ? Anissa rougit un peu et sans la laisser répondre il reprend avec un faux détachement Tu rejoins Lana ? Anissa n’est pas particulièrement intéressée par Rayan mais ça la vexe quand même, Ouais enfin pas sûr pourquoi ? Rayan pour rien, pour rien, juste comme ça. Il va dire quelque chose puis se ravise Anissa demande T’allais dire quoi ? il répond rien, rien t’inquiètes puis agite la main en direction de deux garçons près de la porte ehhh malik ça dit quoi ? Anissa entend le mot #PSG et le groupe des garçons disparaît. 
4 septembre 2021

L'amour, la mort, les vagues

Le bonheur, jamais, ne constitua pour moi une recherche centrale, digne d’intérêt ou d’entrain. Le bonheur, pour moi, toujours se montra évident, rayonnant ou obscur, sans devoir résulter d’une lutte, victorieuse ou pas - toujours menacée, d’avec le malheur son heureux rival.

être là

Une sorte de vieille rumeur, colportée de dictons en bouches champêtres, de gratte-ciels en ondes radio, évoque, pour dire la chance et le bonheur, un être là au bon moment qui, pour moi, a valeur de pléonasme ; être là suffit. 


Être, pour moi, en mon existence particulière - non généralisable aux forêts vierges ou aux idoles détruites - ne se déroule, ne se vit jamais qu’au bon moment. Chaque geste, donc, porte et étend le bonheur d’être là. Tout le perpétue.

Le bonheur ne m’apparaît jamais comme une chose revêche, dangereuse ou boudeuse. Je le saisis, sans délicatesse ou science particulière. Je garde, en la matière, loin de moi le geste pernicieux de l’archéologue ou celui, plus sordide, de l’amoureux. 


Ne connaissé-je pas la détresse ?


Si, plus qu’à mon tour, depuis toujours, sans que les spectres et toute la matière abrasive qui, souvent, en moi, s’élit domicile, n’entament en rien le bonheur, qui, si je dois aller plus loin, se confond avec la joie.

J’appelle, il me semble, au fur et à mesure que je le déroule, bonheur cette sorte d’inépuisable confiance en la vie. Le noyau dur, impénétrable, sans qu’aucun acte positif ne contribua à cette résistance ; ni herses montées, ni alliage de fer, de carbone, d’argile ou de courage. 

Aucune aiguille aussi fine ou vicieuse soit-elle n’y peut entrer ou, du moins - surtout, n’y saurait laisser son empreinte. 

La douleur ne se confond pas, à mes yeux, avec le malheur. Elle me traverse, la douleur, comme si moi, matière transparente ou souple, semblable à de la gomme à mâcher, ne pouvait connaître la cicatrice qui, du fait de sa permanente redondance (cauchemar, la nuit, ou points de suture le long du majeur), constitue la vraie mesure de la douleur.

La blessure, toujours, apparaît comme un doute, trop brusque, trop intense, trop énorme pour être saisie dans sa vérité. Elle existe moins comme sensation présente que comme souvenir. Nous somme bien davantage certains d'avoir été blessés que d'être blessés ; il faut attendre le spasm post-traumatique, les trois gouttes de sang échappées de la blessure ne valent rien, fausse monnaie de la douleur. 


Si je continue de dérouler ce rapport au bonheur et à la douleur ou, plutôt, si j’en remonte le fil en quelque sorte biographique, je tombe, au milieu de la fouille, sur la question de l’origine à laquelle, paradoxalement, je ne porte qu’un intérêt limité et, au pire, purement intellectuel. Je crois, même, que ce point là, ou ce refus d’un endroit matriciel, explique, en partie cet inextinguible du bonheur. Des choses horribles, objectivement, je veux dire selon les critères de l’horreur mesurable, médicale, sociale pourtant survinrent, m’arrivèrent, je puis en faire le récit très tragique or, celui-ci, se trouverait très vide de larmes, de sang ou d’encre. Il imiterait, afin de se conformer, les attitudes, voutées ou tragiques, du malheur prescrit.

Je me remonte, sans cesse, comme un jeu, si j’explore mon passé pour retrouver mon présent c’est, souvent, par un chemin différent qui change, sans le changer vraiment, mon je actuel. Je reviens au moi contemporain par d’éventuels détours, délesté de certaines vérités peu décisives, enrichi d’autres. Mon origine ne connait pas de point de départ, le je se rebrousse instantanément, touche un point déterminé (connu ou non, sur la grande carte de soi-même, toujours des destinations inconnues) et, à ce point parvenu, ce souvenir, je reviens au présent pour me réatteindre (me recommencer?) je randonne en moi-même. 

Egouts, voies rapides, chemins vicinaux, cohabitent.

Sur l’origine la relecture de Freud me fascine. Voilà un homme qui convainquît d’autres de ses congénères que sa conception poétique du monde et des êtres humains valait science et vérité. Poésie du je, donc poésie lyrique.  

La question du suicide si, régulièrement, depuis aussi longtemps que je crois pouvoir me souvenir, m’habite, elle m’habite sans…maladie, sans contagion, sans prolifération douloureuse. Elle appartient, comme celle de la faim, de l’amour, du travail ou de l’art, à un choix de vie qui à ce titre se discute, trouve, en moi, dans mon interprétation du monde, de solides arguments.
Je compte le suicide au nombre des destins acceptables. 

Je n’accorde pas, excepté par goût du spectacle, quelque importance à l’épitaphe et, si par devoir romanesque, je me décidai à en choisir une elle serait : tout va bien, tout ira bien.
Celle-ci, non moins vraie qu’importerait la raison de ma mort. Que cette morte résulte d’un suicide, d’un duel à l’épée émoussée, de m’être hissé, sans me voûter, à l’âge vénérable de 99 ans et, à cet âge, veille de mes cent-ans, anonyme ou non, trébucher, sciemment ou pas, sur une plaque de verglas devenue, même en mai, banales comme, peut-être, seront banals les billets de 500.


Au terme de cette sorte de narration du bonheur, ce jeu, de ce moi remonté, cette illusion de deux pages, ce chemin tortueux d’italiques, de choix arbitraires qui, pour l’heure, constitueront une partie de ma périssable vérité. 

15 novembre 2021

Loriane

Un matin, novembre c’est Loriane dans la cour de l’école primaire. Elle me parle, je n’entends plus, de si loin, les paroles. Sa voix fait comme une marrée, un bruit de vagues. 
A mon poignet flotte ma montre toute neuve, une casio noire à affichage digital. Sa main touche - ne finit pas de toucher - ma main. Se déplace et, sans que je n’ai rien demandé, resserre à mon poignet le bracelet. 
Marque d’amour la marque le soir retrouvée sur le bras.
 
Je me souviens, la vague de chaleur blême qui me parcourt, je me souviens le lieu exact la cour de récréation, les arbres, la saison, la foudre. Pas la première foudre, certes, le plus puissant, vertige. Pour longtemps. 

Le premier émoi, plus tôt, c’était vers quatre ans, dans la cour de l’école maternelle, elle s’appelait Sandra. Brune, très jolie, toute petite je dis, écris jolie petite brune, m’étonne de dire, jolie petite brune pour dire le visage imprécis, prisonnier des yeux de la mémoire. Visage oublié et souvenu en même temps. 

Sandra, que je croise au supermarché Champion
avec mes parents
 Souhaitais-je, plus tard, volant plus qu’à mon tour
 dans les supermarchés,
elle la dérober et par le geste malandrin 
mon enfance recouvrer ?



Longtemps, je portai mal montre pour que Loriane ou, plus tard, toutes les figures aimées, en pensées, en désir, renouent à mon poignet ce premier geste d’amour. 
J’ai été amoureux, comme toute l’école, de Loriane pendant des années. 
En CE1 un jour que mon institutrice se trouvait malade nous dûmes être dispersés dans les classes d’autres enseignants. Mme Pichly, maîtresse Minotaure, terrorisait tous les enfants moi y compris. Elle portait de grosses boucles d’oreille dorées, des tailleurs aux tons marines et, surtout, était la maîtresse de Loriane ce qui la rachetait d’à peu près tout. Je décidai, au soulagement, de quelques autres, de me porter volontaire pour la classe de Loriane-Pichly. Doux espace. 

A l’école, j’adorais jouer avec les filles (je jouais au football à la cité) parce que j’adorais la corde à sauter et l’élastique. Loriane et moi jouions ensemble, souvent jusqu’à ce que…je ne sais quoi de laid, de pleutre en moi, d’un orgueil blessé et blessé jamais d’autre chose que de ma propre couardise. Je ne sais pourquoi, j’ai mimé la détestation à sa plus grande surprise. Longtemps, cette pente si banale, cette pente de gâchis - et de sa propre vie - je la suivis…

Plus tard, des années après, j’écrivais à la fille que j’aimais et que je fuyais

déplaire est mon plaisir 

et elle de répondre 


ce n’est pas mon plaisir que tu me déplaises

Longtemps, je mis à la remonter, cette pente. 

Loriane et moi furent dans la même classe en CM1. Sur la photo de classe de ce temps-là tous les visages, malgré le temps, demeurent intacts à l’exception du sien qu’immédiatement, j’avais effacé. Je crois en utilisant un peu de salive - baiser malade ? et mon ongle pour gratter. Arrachant, copeaux d’image, l’incarnant sous ma peau, dans mon système, passant dans le sang, mouvant, aujourd’hui encore.
Elle règne, sur la photo, fantôme plus vivant que les visages confus, devenus indistincts de l’enfance. 
Eternité curieuse à quoi je l’ai consacrée. Une ombre très pâle, la même qui toujours à mon poignet resserre la montre défaite. 

Ce petit espace, là, entre la peau et le bracelet
l’interstice de l’amour
17 novembre 2021

Sofiane

 Je me souviens de Sofiane et de sa console Nintendo Nes. Sofiane avait deux ans de moins que moi et m’imitait en tout. Il vivait dans l’immeuble voisin du notre. Il buvait du Cherry Coke parce que je buvais du Cherry Coke et ajoutait du ketchup à ses pâtes parce que j’ajoutais du ketchup à mes pâtes - des années plus tard, Louis, m’expliqua avec effroi combien ceci lui apparaît dégoûtant.

Avec Sofiane nous jouions chez lui à Mario Bros. Dans une pièce qui n’était pas sa chambre, au fond du couloir, à droite, sombre et tapissée. Après avoir vaincu le premier boss, un garçon-champignon nous gratifiait d’un thank you ! or, en ce temps, nous ne disposions pas du moindre rudiment d’anglais 

(en CM1 je lisais le petit Nicolas et ce mot, rudiment,
pour parler de l’anglais 
était associé au bon élève de la classe 
qui se prévalait, lui aussi, de rudiments 
et ceux-là valaient à peu près les miens
il parlait le rudiment
comme moi) 

        Moi, devant faire honneur autant à mon aînesse qu’à mon magistère, et qu’importe que le prix en fut la duperie, dît à Sofiane que nous allions obtenir, prochainement, comme récompense de nos habiletés, un tank - puisque c'était à la fois le mot le plus proche dans notre langue et l'objet le plus excitant dont nous pouvions rêver. Le père de Sofiane nous indiqua, un jour, gâchant le charme des mythes - les adultes s’obstinent par nature à gâcher la légende et ne lèguent de mondes que tristes, inhabitables et pollués de réalité - que ce petit bonhomme champignon nous remerciait en anglais ce qui, assurément, quoi que trouvant l’urbanité nécessaire à la vie collective, se trouve beaucoup moins utile qu’un tank. Surtout pour combattre Bowser, un dragon harceleur de princesse, et sa clique de plantes carnivores et de chaussons sur pattes aux sourcils froncés.

        Le père de Sofiane était tourneur-fraiseur et je ne comprenais pas bien ce que le mot fraiseur représentait. Il travaillait à l’usine et c’était dur ceci je l’avais compris, à cause de son air las lorsque lui-même en parlait. Tourneur-fraiseur et je ne pouvais m’empêcher d’imaginer, au milieu du bruit des machines, un coin de bois, de ronces où parmi les angles métalliques, poussaient je ne sais quels fruits doux, sucrés, tendres et juteux. Je voyais aussi, lorsqu’il entrait dans les détails plus techniques, parce que je l’interrogeais, les étincelles flamboyantes crachées par la vitesse contenue dans le mot-profession de tourneur. Enfant, ma curiosité, trait général des enfants je crois, se contenait mal, malgré la sévérité de ma mère et son envie, toujours, que nous paraissions bien, c’est-à-dire nous taisions, ne réclamant rien, disant toujours non. Je n’ai guère perdu, sincère curiosité, le goût des questions indiscrètes, prétend-on, profondes selon moi. 
        La patrie imaginaire me plaisait bien et la réalité m’indifférait beaucoup, je racontais à Sofiane que le monde intérieur, le mien, se trouvait être un pays véritable dans lequel d’autres moi que moi vivaient et qui n’étaient pas moi, ces autres moi, vraiment. Je pouvais moi me rendre dans moi et, pour donner le change au dehors, aux adultes, surtout eux redoutant par trop les disparitions d’enfant, me substituer un alter venu de mes confins intérieurs. Ces autres moi, de même apparence extérieure mais possédée d’une autre âme, tenaient en des fonctions assez basiques, SINGE, sorte de bouffon ne vivant que pour la farce et la gaudriole, NINJA, habité par la violence qui me permettait, de rosser qui me déplaisait et d’autres dont j’ai gardé souvenir moins marquant.
       
     Un jour, après une partie de billes disputée où nous ne savions trancher vraiment qui de Sofiane et moi fut le vainqueur, Sofiane joua de sa connaissance de mon secret et menaça de révéler ma terre d’exil à ses parents et aux miens ce que je le suppliai de ne pas faire. Trop paniqué je ne pensai pas à convoquer l’argument moral, m'indignant de sa félonie d'un je te faisais confiance cinglant, comment oses-tu. Je le suppliai donc non parce qu’ainsi, trahi, mes parents m’interdiraient l’accès à ce pays seul précieux mais parce que mes parents, trahissant la vérité - spécialité, nous l'avons déjà constaté, des adultes -  abolirait ce pays en lui et, par extension, pour moi. Eglise ne tenant que par et à sa foi. 

 

 

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  • une fleur qui a poussé d'entre les lézardes du béton, un sourire qui ressemble à une brèche. Des pétales disloqués sur les pavés à 6 sous. J'entends la criée, et le baluchon qu'on brûle. Myself dans un monde de yourself.
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