Chapitre Bonus - Roman
il a écrit aujourd’hui sans son journal intime : n’ayez pas peur, comme toujours, je ne dirai rien de clair, rien qui ne soit discernable à qui déjà ne sait pas tout, il dit, pourtant vous craignez je ne sais quelles explosions, ma parole se contient dans les bornes que vous lui infligez.
Sélim, qui voit le passage insensé, le tirage infernal, les lecteurs scrutateurs, comme s’il s’apprêtait à rédiger une lettre ouverte à destination du monde, à dénoncer, cruellement, sans vergogne ni limites quelque acte dont il se sentirait la victime. Sélim ne pense pas à ça, pas une seule seconde, en fait, il ne pense que ce cas, individuel, singulier, ne mérite un traitement public. Il croit, encore, Sélim, que les conflits, souvent, se règlent, dans le huis clos des intimités. Tout intervenant extérieur, soutien partial d’un récit partiel — récit connu que de paroles rapportés et non des mouvements minuscules qui animaient une relation vécue quotidiennement — empêche la résolution sereine des disputes.
Sélim, six mois, après la rupture, la rupture relationnelle, d’abord, la rupture psychique, aussi il faut le dire, écrit à Sââna, il faudrait qu’on parle de notre sexualité…ces dernières années…comment ça s’est passé…je me suis forcé…tu en penses quoi toi ? Sélim rapporte le message, comme ça, il omet, sûrement, forcément, une partie de sa violence qui, plus que violence, est, douleur. La violence, qui sera appelée perversion, par des intrus, la
Whataboutism
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- C'est drôle, mais je ne me souviens pas que les médias aient été si énervés à propos de la décision tout aussi stupide de Barack Obama de retirer une force résiduelle d'Irak. » Rich Lowry, éditeur d'un magazine d'information républicain après la vague de critiques suscitées par l'annonce par Donald Trump du retrait des troupes américaines de Syrie le 19 décembre 201815.
douleur, conditionne les formes d’expression, plus encore que folie, il semble, qui prétend canaliser le cri ? Sélim se demande ça sérieusement. Est-ce que le cri de qui trouve à son coeur une plaie doit, avant de le pousser, en trouver la retenue ? Quand cette douleur tue depuis longtemps, purule, le sang coule par où il peut. S’il salit les vêtements neufs de la vertu retrouvée, il n’y peut rien, le sang, de perler ainsi.
Les intrus, Sélim s’en convainct, n’eurent jamais du intégrer la discussion, sauf si Sââna, par leur délégation, cherchait l’absolution. Elle ne réclame pas leur analyse mais leur pitié, pas la justice mais le pardon.
c’est un pervers pour les montagnards, un fou pour les girondins. Quoi qu’il advienne, Sélim le sent bien, plus que sa parole sans valeur il est lui-même dépourvu de valeur. Sélim, après la rafale subie, la rafale de mépris, de déni, de silence, les mots de la vraie violence, s’excuse parce qu’il se dit, Sélim, que Sââna ne lui peut vouloir du mal — Sââna et ses amis, eux, la protègent en l’assurant qu’il lui veut du mal, qu’il cherche à la heurter, que sa motivation se trouve non dans la question posée, dans la réponse cherchée, mais dans les effets délétères de ceux-là.
Sélim écrit à son amie Sarah, très proche, qui reçut, un jour, des mots couperets (cruels, d’une cruauté indiscutable), elle aussi, de la part de son ex, il lui écrit, Sélim, à Sarah, parce qu’il redoute, depuis le départ, dès avant d’écrire le premier message il redoutait d’agir comme lui, d’envoyer, pour blesser, que, même, ça jouait, longtemps, dans cette retenue…ça cède un jour. Ca ne peut pas être sa faute à lui. Ca ne peut pas.
sa réponse, la réponse de Sarah, quelque part, le rassure, parce qu’elle donne de la hauteur, que, surplombant, elle le replace, aussi, à la dignité humaine, non Sélim ne se comportait pas avec cruauté, barbarie. Sarah efface le mot pervers. Efface le mot fou :
Non je ne suis pas sûre que tu m'en aies parlé en ces termes. Mais je sais que tu n'avais plus de désir pour elle à un moment ou même très tôt dans la relation. Je peux imaginer combien c'est blessant d'entendre ça. Et en même temps si tu as besoin d'en parler tu as raison de l'exprimer. Faire une X c'est avoir des motivations sous jacentes malhonnêtes : blesser, reprendre. Et tu sais ce qu'il en est des tiennes non ? Toute motivation honnête donne des actes honnêtes donc ne t'en veux pas trop. Mais comprends sa position aussi : putain c'est dur d'entendre ça.
Ce dont Sélim s’aperçoit c’est bien ceci, il fait au mieux, et cette fois-ci, de façon indiscutable, il se trouve, et sont les autres qui établirent l’échelle ! du côté de ceux qui subirent, que, personne, il l’a assez entendu, ne peut supposer à sa parole un arrière-texte ou un fou-texte. Sélim s’incline, c’est un défaut, devant la force, il la confond avec la justice, parce que toute justice découle de la force, alors quand il se voit insulté de pervers avec vigueur, il y croit un instant. Sélim a besoin de temps pour reprendre contact avec sa réalité, avec son être, pour ne pas être entièrement absorbé par le mot. Pervers, comme si, chose en gestation, au prononcé, comme certaines formules magiques, le font éclore, le mot, en lui, le confondant, désormais avec lui.
Devant le mot de pervers il se remit pourtant en question, d’où, le message à Sarah, la peur d’agir comme X, peur qui le tenaillait depuis le départ, Sarah le rassure en ce que l’anamnèse qu’elle le conduit à faire, l’éclaire sur ses propres intentions à lui, il en venait à douter, à ne plus savoir ce qu’il cherchait vraiment, quelle folie, il se dit, quelle folie, ce mot pervers ce qu’il fait…ça se pardonne, ça ?
Parole, la sienne, motivée par un besoin, besoin récent, bien entendu, demeuré secret, auparavant, un travail lent et permanent, accéléré ces derniers mois parce que lui aussi subît des accusations graves. Accéléré parce que Sââna le conduisit dans une cellule d’introspection, étroite, humide, violente, où des cauchemars renaissaient, où une vie engloutie, enfuie, pas grave, comme il le pensait à l’époque, enflait, la nuit, régulièrement, maintenant, au moment de s’endormir, il sentait un bassin s’écraser sur sa figure et il tombait dans le sommeil, asphyxié plus qu’endormi.
Sélim obéît, se cloîtra, s’interrogea. Personne ne peut lui dénier, alors, son courage. Sââna, et tous les autres, d’ailleurs, ceux qui le désignent sous le vocable de pervers, le menèrent à un certain endroit du monde, orientèrent son regard de telle façon à ce qu’il comprenne l’ordonnancement, le nouvel ordonnancement du réel en un sens qu’il ignorait ou se dissimulait, un endroit d’où on lui demandait de se voir, de se juger, voire de se condamner. On le traîna, ici, sous le couteau de valeurs pas tellement nouvelles qu’aiguisées plus que jamais.
Et, d’être traîné ici, lui aussi se met à revisiter, réécrire, reconstituer, avec leurs mots, leurs images, leurs qualificatifs sa vie à lui, sa vie dans laquelle Sââna prît une place, dans laquelle le corps de Sââna accompagnait le sien, que le corps de Sââna, réclamait, que cette exigence se trouvait des insistances diluées certes répétées surtout, les tu sens bon qui exprimaient son désir, les j’ai besoin d’être désirée pour me sentir belle les ça me rend malheureuse . Des années. Des années de ce discours, il éructe, Sélim.
Alors, celui qui le traite de pervers prononce la phrase perverse, hypocrite, une phrase sans prix, une phrase que Sélim n’oubliera jamais :
tu ne me feras pas croire qu’elle t’a mis le couteau sous la gorge.
Ca interpelle Sélim, cette phrase, qui se voit placer un couteau sous la gorge avant un rapport sexuel ? céder n’est pas consentir il croyait qu’il fallait faire tout droit, toute honneur à cette phrase, qu’elle ne possédait pas de genre ou que, du moins, sa véracité ne dépendait pas des acteurs. Elle trônait, sommet des hiérarchies morales. Est-ce que c’est un couteau sous la gorge le jour où Sylvain insiste parce que Violette accepte de coucher avec lui ? Comment ça s’appelle ? Surtout comment ça s’appelle quand ça dure des années ? Parce que, Sélim le comprend, là, en train de flipper dans sa chambre, que le dur vient de la répétition dans le temps, de ce que est-ce que ce serait grave pour elle si elle savait qu’il se forçait et est-ce qu’elle pouvait le savoir ? Voilà les questions. Elle choisît de les traiter comme des prétextes. Sélim a pris rendez-vous pour 10h30 chez le psychiatre et la psychologue. Il y avait longtemps que ça n’avait pas éclos en lui, bouquet de fleurs funestes, tout un abri de lys, d’oeillets et de chrysanthèmes.
Le type a ajouté :
tu ne me feras pas croire que tu avais peur
et ça, alors, je ne sais pas, se sentir coupable de ne pas donner du sexe c’est pas aussi une injonction ? Il se souvient qu’il a lu, ça, sur Instagram. Différentes formes, ces pressions. Au départ, au départ, il ne savait pas, comme s’il devenait convaincu à force d’être nié. Le processus de radicalisation…ahaha, avec un prénom comme Sélim, il se marre, radicalisé.
Faustine dit à Sélim t’aurais du lui dire à ce mec qui te tetraite de pervers : va te faire enculer mouche à merde, c’est vrai. va te faire enculer mouche à merde.
Alors, Sélim, après la culpabilité, celle d’avoir heurté, mal dit, d’avoir peut-être ressemblé à X. explose, quelque part, il explose à retardement pour être sûr, il demande autour de lui est-ce que je suis fou, est-ce que je ne vous disais pas déjà ça à l’époque ? Ses amis le rassurent, plusieurs, d’autres il ne leur demande pas parce que, proches de Sââna, il ne veut pas salir son image, il ne veut pas ajouter à la conversation, cette fois non des intrus mais des amis, forcer, encore, à choisir un camp, ceux qui s’épuisèrent déjà, ou qui, préservés, méritent un calme identique.
Sélim réclamait, tout simplement, une écoute, une clarification, quitte à être contredit, il ne prétendait pas établir inaltérable son récit, attendant l’assentiment et la contrition.
Aujourd’hui, il est de plus en plus sûr, de plus en plus sûr en recomptant les témoignages, parce qu’aujourd’hui sa parole à lui ne vaut rien, qu’il doit convoquer sans cesse les tiers, les témoins de moralité, les images inaltérées, le parfait screenshot. Qui, pour preuves, ne constituent aux yeux des autres aucune vérité. Seules les croyances comptent. Et on ne le croit pas. Sélim ne peut pas écrire trop de messages à Sââna sinon, quoi qu’il veuille s’expliquer, Sââna se persuade, et les autres avec elle, qu’il la harcèle. Ca aussi, ça lui semble bizarre, sa peur, à elle.
Le pervers lui avait écrit un jour bien avant
il y a des faits
Ici, Sélim, à son tour, de dire :
il y a des faits.
d’ajouter :
il y a aussi des témoins.
Sélim peste, alors, donc, cet endroit, cet endroit de moralité, où on le menait se gère selon une règle variable, défavorable, forcément à lui, qui, coupable une première fois, jugé tel, perd à tout jamais la possibilité, de se plaindre, de ressentir, que rien ne pouvait lui être épargné, même pas la réalité de sa douleur, même pas la vérité de son cauchemar. Alors, il demande, oui, Sélim, à ses amis, s’il n’est pas fou. Ils lui disent, ces amis, tous, tu n’es pas fou ou Oui, tu me l’as dit. Il envoie ça à Sââna qui partage à tous les autres intrus, convaincue, Sââna, et eux avec elle, que Sélim n’agit de la sorte que, pour, encore, l’enfouir sous des tonnes de son âme à lui, détritus organiques, quand, il montre, lui, par là, ce qu’il signifie tu vois bien Sââna, je ne te mens pas, je demande TA vérité. Parce qu’il sait, Sélim, depuis longtemps maintenant, le sort réservé aux coupables d’avance, inécouté, trop gravement affecté par la tache, lui confondu avec la marque, le stigma diabolicum. Des années, il dit, pourtant, des années de ça. Sélim repense, les images réapparaissent brutales, indiscutables devant le refus d’être discutées. La négation, les insultes, cristallisent plus assurément les faits, ils deviennent incontournables, durcis.
D’abord les cauchemars, connexions nerveuses désagréables, se muent en réalité concrète. Alors, oui Sélim l’affirme, c’est de sa compétence à elle, Sââna, de sa compétence parce que de son fait, six ou sept années, de ces gestes répétés qui, aujourd’hui, explosent en cauchemars, relèvent de sa responsabilité à elle que son refus d’en discuter la rend responsable de ce dont, si elle avait répondu, eût été parfaitement — possiblement parfaitement — innocente.
Il ne partage pas, Sélim, les réalités matérielles, le contenu de ces réalités, les faits exacts, il ne le fait pas et peut-être de cette description imprécise, de demeurer dans l’état abstrait, se rend louche à leurs yeux, laisse un espace interprétatif à sa défaveur ? On n’imagine son silence une faille quand Sélim s’en abstient parce qu’il trouve que là, ce serait cruel, de décrire tout à fait exactement, secondes par secondes, ce qu’il ressentait, ce qu’il a vécu.
Il peut en faire le découpage 24 images/seconde, rapporter des textures, les rapprocher d’émotions et surtout, surtout, ce qu’aujourd’hui ça touche de concret en lui, l’obstacle réel dans sa sexualité, les gestes qu’il se met à éviter, les détours pris, les réminiscences, il ne dit rien de tout ça. Il ne dit pas parce qu’il sait que s’il entrait dans les détails — ce texte ne comporte aucun des détails dont il est question — alors, là, vraiment, il casserait quelque chose et que, ceci, oui, il en est sûr, n’est pas son but, il ne souhaite interrompre aucune vie, il souhaite continuer la sienne, la reprendre après qu’on le traînait là. A ce point du monde, qu’on dit meilleur pour tous. Il compte encore parmi le monde. Il a droit à sa part.
Le monde déteignit sur lui et lui aussi, il déteint.
sélim se souvient amer des vidéos qui limitent sa responsabilité, la diminuent au point exact de sa déclaration. Pas en deça, il l’accepte, ça, toute l’étendue de ce « ça » mais pas plus cf. la vidéo, il se dit, cocidille mentale. sélim, à cet endroit là il se met à bouillir, le refus de tout élément, objectif même, dès qu’il provient de lui comme si lui Sélim putréfiait lui qu’importe que l’autre cette fille là la glaçante avouait explicitement explicitement