Liberté retrouvée, en quelque sorte, de moi, vivre ainsi délié qui, en mon cas, ne signifie ni sans lien, ni sans responsabilités, qui réfère, plutôt, à une expérience du monde légèrement amorale ; se souciant, certes, immensément même, des autres, sans, adhérer, pour autant, à aucune règle non énoncée, patiemment, par moi.
Ceci, me fait du bien, retrouver, comme avec J., cette nuit-là, une heure du matin, au Bo-Zinc, les pas hasardeux sous l’iridescence des alcools fiévreux, sous le regard d’Alexandra, Bostonienne, d’origine italienne, vivant en France, et de Bonnie, styliste de mode, d’Afrique du Sud (Johannesburg ? Pretoria ?), de 68 ans et qui se prit de passion pour moi d’abord - cheveux fous chemise bariolée - pour J., ensuite - incandescente, joyeuse, gracieuse. Bonnie and J. échangent en italien - qu’elles maîtrisent toutes les deux - parce qu’elles parlent lentement, je comprends à peu près et, par brèves syllabes, réponds parfois, avec un semblant d’accent. Lorsque je me suis assis, après les premiers éclats de Bonnie, Alexandra remarquait que je saignais de la main - veste orange tachée de sang, chemise tachée, pantalon jaune Saint-Laurent taché - parce que chez elle J., de son chant irrésistible, me fendit le coeur et brisa du même éclat aimant, une bouteille de Campari - ou bien l’ivresse y commandait ? dont je ramassai les ultimes débris, l’un d’eux, pour me faire mémoire de ces ivresses évaporantes, se ficha dans ma peau et saigna abondamment. J’enserrai le pouce dans la pochette en soie bleue et jaune 100% soie, Saint-Laurent, aussi. Perdue depuis. Alexandra se prit de passion pour ce pousse sanguinolent interpella les serveurs, trouva des compresses et des pansements et, en même temps qu’elle serrait ma plaie dans sa main, nous parlait de ses aventures, jadis, de secouristes, Alexandra a cinquante ans, et semble plutôt de mon âge, elle a de beaux yeux gris, étonnant, et un visage où les pommettes, comme j’aime, saillent, serrant le pouce palpitant, souvenirs pour elle, sûrement, comme cette nuit, en entier d’une jeunesse. Mais je lui dis, je ne sais même plus pourquoi, flatteur, peut-être, automate des politesses, en toi elle ne passera jamais la jeunesse.
De la soirée je conserve quelques photos et les vidéos qu’Alexandra, tandis que nous dansions sur le trottoir avec J., prenait. Nous parlons, par WhatsApp avec Alexandra qui reviendra, me dit-elle, fin juillet à Paris, en vacances actuellement, elle cite Joseph Roth et m’envoie de sa bibliothèque les quelques livres de lui qu’elle lit. Elle propose un rendez-vous, plus tard. Pour nous deux. Eventuellement avec J. - J. et ses fortunes de vertu eût bien aimé, pour la poésie ou le désir, ça je l’ignore, que Bonnie, la plus âgée des deux, nous rejoigne, la nuit, pour dormir à trois, dans le lit Queen Size (160*200) Emma qu’elle possède.
Alexandra travaille dans l’événementiel, travaillait et travaillera, plutôt, malade, actuellement, de la maladie que Marie-Anaïs, crût, un jour, à cause de ses douleurs articulaires, souffrir : polyarthrite rhumatoïde.
Sur sa photo de profil WhatsApp, Alexandra porte un chapeau de paille, derrière elle, un coucher de soleil sur la mer ou l’océan, elle marche, la peau toute bronzée, qui semble douce, au milieu de rochers, elle porte des sandales nouées à la cheville et fendues au niveau de l’hallux - le gros orteil - elle porte un short en jean, très court et délavé, probablement issu d’un jean usé, coupé pour l’été, un chemiser blanc noué à la taille, les cheveux longs et bruns tombent en deux masses sur les pans du chemisier. Je me demande voyant sa peau si pleine de soleil comment elle sent, si elle sent l’été, le monoï et le baume, j’ignore qui a pris la photo, son bras droit - que je vois à gauche - cherche l’équilibre, sa main, ouverte et les doigts repliés semblent s’accrocher, dans l’air, à une rampe imaginaire, l’autre bras, lui, pend le long de la jambe, la main à peine recourbée, les deux manches relevées, soigneusement, en de plis réguliers, d’hauteur semblable, sa jambe gauche, au moment de la photo, suspendue, tient dans l’air, on ne voit pas ses yeux - que je sais gris, lorsque je lui demande, au café, la couleur de ses yeux, elle me dit, ça change, je me demande, au coucher de soleil, comment ils sont, si la lumière extérieure commande à la couleur ou si l’humeur intérieure, cette obscurité souvent, en dirige les phares - sa tête inclinée vers le bas, le chapeau les masque, on devine l’air concentré et patient, tout obsédé par l’envie de ne pas chuter.
Délié, ainsi, moi, dans le brouhaha des villes, retrouvant, cette liberté dans le rejet, total, de la honte, l’expérience du spectacle et ce qu’il frôle aussi de scandale, fait pour le grand air, moi, grand air aussi, bien entendu, celui des foires, plus tard, de la galerie, avec J., qui hier progressa, sembla-t-il par bonds.
J. m’arrache à ce poison là, la honte, parce qu’avant tout, en moi elle brise la retenue, cette digue érigée pour d’autres, insoucieux, quant à moi, des dégâts provoqués à moi-même, je me risquais à bien des périls que je dus, par souci de l’autre réprimer, ceci, faisant, me nier. Il est à croire qu’anges et démons à cause de leur origine commune partagent des ailes semblables et qui condamne, à cause de leur teinte, celles des seconds, bannissent, en réalité, le vertige.
Je déploie, à nouveau, ce que je croyais, perdu, honteux, même presque et coupable, à tout jamais. Parce que là, J., quand, posé au café, elle se mit à danser, enlevant ses talons inconfortables, mouvante, dans sa robe blanche de gitane, premier geste moi - en ceci moi mutilé, apercevant cette circoncision dedans - de retrait, d’embarras, de désolé, comme si cet avant m’empoisonnait encore ces réserves si, tellement non moi puis, me percevant ainsi, détournant les yeux, je me repris aussitôt, se reprendre, drôle, ce mot, encore, dans la polysémie en entier m’attrape, reprendre ses esprits, se retrouver dans se reprendre, se récupérer, se reprendre, aussi, comme se recoudre, je m’étends dans toute l’aire du verbe. Alors dépassant la honte j’entrais à nouveau dans la vie, je franchissais le seuil, les joues chaudes pour la rejoindre, ces quelques mètres de la chaise du café à sa compagnie dansante. La vie. Je ne crains pas le scandale mais je redoute le ridicule, le second ne me vient que dans les faux semblants, quand je triche ou je mens, suivant J., je ne truquais pas, je me glissais avec elle, dans ce vrai scandaleux, et, les gens, autour, quand ils dirent, même des autres tables, que nous étions beaux, ça m’a fait plaisir, moi, parce que je craignais, vraiment, qu’ils se moquent. Encore un peu de chemin, à n’accepter désormais que les éloges et des tomates pourries ou des pierres, ignorer la dureté.
Dans le manga Seven Deadly Sins, le roi des forêts et des fées, King ou Harlequin, ne possède pas d’ailes, contrairement à sa race, ce qui, malgré son titre et son grand pouvoir, lui fait ressentir grande honte ces ailes, par culpabilité, comme des dents qui refusent de pousser à cause de ce que ça voudrait dire devenir enfant puis adulte - se perdre nourrisson puis mourir encore de se perdre enfant - réprima la pousse de ses ailes. Un jour elles sortent. Le voilà complet. Il sauvera, de ce pouvoir retrouvé, le monde. A commencer par lui-même.
La drôle de soirée, l’appartement de papa comme elle dit, et l’immense jardin attenant, la lumière qui baisse jusqu’à minuit, les bougies envahissant la table jusqu’à ne plus suffire.
Puis, nous quittons la rue de L., pour aller au Flore comme J. aime m’y emmener, avec j’ignore quelle quantité de rire et quelle quantité de plaisir sincère, elle tient, toute entière, dans, justement, ce dédoublement,. Sur le chemin, au feu rouge, de grands éclats de voix, le vrombissement d’une moto et des hurlements, on va voir ? je dis à J. qui, pourtant, jamais avare de secours, se sent pour une fois une grande flemme - rôles habituellement inversés - bête dispute, un type s’énerve, avec un accent de racaille, contre une automobiliste en Smart, qui aurait rayé sa voiture. Il hurle, elle panique, panique totalement. Nous intervenons avec retenue. Elle qui pleure. Lui qui hurle. A un moment, on ne sait pas pourquoi le mec enlève son casque. Il montait une grosse et belle et chère moto à la peinture bleue métallisée. On s’attendait, avec la façon qu’il avait de parler, à un arabe de cité, en colère, avec le coup de couteau facile. Il découvre le visage d’un bourgeois à peine fini, portant au dessus de la lèvre le duvet incommode à l’élégance, J., s’exclame mais c’est un bourge puis je me retourne, le vois, son duvet minuscule qui, symboliquement dévore tout son visage, et je reprends son exclamation c’est un bourge. La situation, sorte de racisme social ou racisme tout court, se calme immédiatement pour nous, une méfiance retombe, nous pouvons le dresser, ce que, effectivement, nous faisons. Jeanne me cite François Damiens, l’humoriste belge génial, qui refuse de vendre à de jeunes gens bourgeois, des pass des skis, et s’exclame un moment Ludovic tu te calmes, après notre départ, elle regrette de n’avoir employé la même expression. J., se montre…persuasive, devant l’insistance du duvet, désormais qu’il ne représente aucun danger, nul grand frère, nulle lame. Il finit par déguerpir, le soulagement de la jeune fille, je suis jeune conductrice les larmes lentement séchantes. J’espère qu’un thread sur Twitter nous sera consacré.
au flore on croise Marie-Lucile qui parle comme dans un film de Varda, toute petite, habillée en propre, elle mendie, porte sur ses épaules de gros sacs, dont deux en cuir (un très ample, un petit à main), très bon état, elle ne semble pas dormir à la rue, elle porte, aussi, parmi son fatras, une petite cage en toile percé de trous, celles pour les petits animaux, elle me fait remarquer que je suis beau que ma chemise est trop ouverte J. approuve elle me trouve obscène ainsi décolleté, je n’aime rien que plaire de ce déplaisir, elle me dit que je suis trop poilu, J. s’en agace, elle va trop loin, je lui demande si elle a un chat dans la cage, elle me dit non, c’est mon pigeon, nous réagissons, avec un air, justement, hébété, roucoulant, oui mon pigeon, il a dix ans, je l’ai eu à Marseille, J. veut s’approcher du pigeon qui, à travers la petite grille, lui donne un coup de bec.
J’envoie à J., la chanson de Johnny, l’envie d’avoir envie parce que, tout à fait, en moi, elle dépose ceci, retend en moi la corde que je croyais brisée, la renoue peut-être et la lie. Ensemble, aussi, nous tâtonnons, fixant tour à tour l’autre et soi-même - ce qui en nos cas, êtres si semblables, nous fait perdre quoi reflet quoi corps.