08 mars 2021

Tokyo - Toilettes Transparentes

Consigne : Décrire un homme qui (a) va aux toilettes, (b) vomit, (c) tue un enfant

 

 

Les toilettes publiques et transparentes ouvertes à Tokyo visent à prévenir le viol. Des hommes se cachaient pour violer. Voilà leur plan contrarié. Le crime n’est pas suspendu pour autant au Japon. Martin Hideguchi, se dit, que la mort illégale encore peut sévir et se voir infligée, le viol pareillement, les toilettes ne constituant qu'un lieu marginal du viol. Martin Hideguchi s'indiffère de la symbolique du monde et de ce que les toilettes transparentes deviennent un symbole d'une société plus protectrice des femmes. 

Martin Hideguchi a souffert de l’extrême opacité du monde, le silence brutal, infligé à chacune de ses prises de parole jusqu’à lui devenir d’une transparence de chiottes. Comme il dit. Martin Hideguchi tremble et sa rage fertile, semblable aux crues génératives du Nil, élève des rosiers monstrueux. 

 

Il se mord la langue très fort, il sent le palpitement de toute sa dégénerescence, le désordre lymphatique, le pantalon plus jamais tendu, les matins à l’érection molle. Il sent dans son corps cette ombre de mort qu’il porte et qu’on lui martèle. Il voit les chiottes transparentes de Tokyo, là, cinq-cents, quatre-cents mètres etc. Il s’approche, trois-cents, deux-cents, transparence.

 

Ses intestins à moitié corrompus malgré le régime draconien de son frustré de père, tel père tel fils dit-il sans rire. Fils de pute, il murmure, en touchant la porte des toilettes qui s’obscurcissent sitôt qu’il y entre. Le silence opaque et ses intestins, la merde répandue, la haine, aussi, la haine jamais partie, la haine liquide, malade. La haine, toujours là, la haine,  son corps qui souhaite abandonner sa fonction de corps, qui se répand là, qui répand sa journée, sa douleur et plutôt que de l’en séparer par cet épandage, la multiplie. La brûlure se fait plus nette, son corps se rend capable de fractures au-delà du monde osseux et caverneux il se fracture, invisible à la radio, autre chose que le fémur et l’occiput et les noms savants des squelettes accrochés, au fond de la classe, 4eC pour souffrance.

 

Lorsqu’il quitte les toilettes, il titube de la haine encore là, du monde qui l’écrase, de ces chiennes de femmes qui jamais ne le sucent, sauf s’il paye, et même s’il paye…il ne peut pas payer pour passer du flasque au rigide, la pression sanguine et ses possibilités génératives. Son corps même refuse sa multiplication, sa division, sa profusion, seule la douleur et la haine connaissent ces stades biologiques de mitose et de cancer.

Il est un cas, un symptôme, il cumule en lui tout ce que le monde se peut de maladies, de virus, de formes mortelles. Il n’est plus que ceci une forme mortelle qui refuse de mourir seule. Alors, il saisit sa haine, la tord, la forge, il lui donne la forme et la force d’une chose fatale, il se lèche les babines de cette mort qui enfle, matérielle, le sang, là, déposé sur le crime, le mot crime devenu criminel même. Il éclate de rire, il est rentré chez lui, avec sa haine à tuer. Pourtant, quelque chose, quelque chose d’enfance survient et crie au secours en lui, crie, non, non et du fond des âges, ce non des maladies, de sa préhistoire humaine, le non du lieu intact du Je pur, d’avant la souffrance, l’écrasement, les érections impossibles,  avant son devenir multiple de coups et d’humiliations. Quelque chose, rond, parfait, enfantin, ce point là, rond, bouche du premier mot, non. Il vomit, il vomit devant ces images, devant son désir, devant son arme, son crime à venir, il vomit devant cet inéluctable, ce lui-même qui va tuer, au hasard, tuer dans la rue les premières innocences venues, il faut que le crime et le meurtre soient les plus atroces, touchent à ces points abjects et sans pardon. Il vomit, il vomit de toutes ses formes et ses fractures, son fémur, son occiput tout trouve bouche et purge, vomir, vomir. Il vomit de partout comme une blessure de bile ouverte en lui d’où coule la haine fanée…Pourtant, il va tuer, il va tuer et l’innocence en lui continue d’hurler au secours, au secours, hurler au-secours face au crime, à l’arme née de la haine…Il se saisit de son crime, ce lourd poignard ou ce pistolet acquis au marché noir, chez les clandestins philippins dont on ne sait s’ils les trafiquent pour se protéger ou pour banditer…Le pistolet est léger et la lame lourde. Il compte les balles, il n’a jamais tiré. Par la fenêtre il entend des cris d’enfant, il vise. Il a tiré. Il est mort. 

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16 février 2021

Novlangage.

Je n'aborde pas l'aspect politique de la langue de façon générale et de la langue inclusive a fortiori. Celle-ci ne faisant plus débat que chez d'indécrottables imbéciles. Il s'agit d'illustrer combien, en rien, le langage inclusif n'est PAS une novlangue. 
Le danger de la novlangue tient, nous nous accordons toustes à le reconnaitre, au rétrécissement du monde qu’elle implique, réduisant, par son étroitesse, nos possibilités imaginatives ; ainsi, certain·es croient voir dans la langue inclusive le danger imminent de la mort du langage et, ce faisant, l’incarnation la plus décisive de la novlangue. 

Rien n’est plus faux. La novlangue, en quelque sorte fait coïncider les mots et les choses ou, plus certainement, permet, dans notre société occidentale, l’adhésion la plus totale entre les nombres-prix et les objets-produits. Ce faisant, deux choses, le langage ainsi appauvri prive ses locuteurices de l’accès à une pensée complexe qui, comme il l’a été démontré par une cohorte d’intellectuel·les plus ou moins lisibles, passe par le médium de la langue et, ainsi privé·es, les locuteurices deviennent inaptes à la critique et donc à la résistance ; aussi, surtout, ce langage ainsi simplifié n’a de telos qu’instrumental, il permet de mettre en rapport une offre et une demande, son seul horizon est marchand. Pur instrument de commerce, cette novlangue existe partout autour de nous, y compris dans en nous-mêmes, elle s’appelle le business english, sans rapport sérieux avec l’anglais, réduisant celui-ci à sa portion pécuniaire et son air d’expert comptable. Les plus chanceuxses, s’accommodent de ce langage, naviguant dans le spread et les closing ; bookant une chambre au Waldorf ou au Hilton - disséminés partout où le business english a cours, sorte de concrétion de cette langue en ****, couettes en plume d’oie, oreillers rembourrés, continental breakfast et room service, touche 0 pour la réception etc.
Danger oui, danger mortel, peut-être vivipare éclosant sous les ailes protectrices des business angels ou dans le chaud cocon des incubateurs à start-up.





Il existe, près de cette langue délabrée, une langue en quelque sorte rivale malgré ce qu’on pourrait leur croire de semblable : le langage informatique, le langage de la programmation qui, si dans son expression la plus basique peut sembler une pauvre combinatoire de symboles peu variés, ne permettant aucunement de nous réconcilier avec la philosophie ou la poésie, il n’en est rien, le langage informatique ouvre l’espace d’une expressivité infinie, nous donne le pouvoir de réinventer notre langue dans les marges des lignes de code et le if, omniprésent dans cette parole informatique, nous assure de tous les possibles. Si…et le monde enfourche le bel esqu-if.


Cette langue peut servir tous les intérêts et tous les destins comme le français a pu servir à la déclaration de guerre du 20 avril 1792 autant qu’à la poésie de Louise Labbé ou au chant quasi-martial de Sonny Labou Tansi. 
Facebook et Wikipedia
Instagram et Philippe de Jonckhere. 


D’autre part :
Certain·es croient voir dans le langage inclusif la novlange et n’ont pas de mots assez durs ni de tribunes assez ennuyeuses pour exprimer leur désapprobation face à ce crétinisme rampant ou, incarnant très bien le crétinisme elleux-même, comparent le langage inclusif à un fascisme certain·es qu’ielles sont que chaque point médian résonne comme le bruit des bottes de Mussollini 28 octobre 1922. Imaginez


Or, pour peu que l’on aime vraiment la littérature, on ne peut ignorer l’aspect exploratoire de celle-ci, on ne peut chasser au-devant de soi, l’inquiétude qu’elle porte quant au sens des choses et de nos usages. Si l’on considère vraiment la littérature non comme un cadavre mais une chose vivante, triomphante toujours, échappant à la barbarie réelle celle-ci, des disruptions - sorte d’éruption de néant couvrant l’âme d’une poussière suspendue - alors on ne peut qu’adhérer à l’apparition salvatrice de cette langue inclusive. Au-delà de sa nécessité politique qui a été traitée avec science et raison - nous savons historiquement combien la raison ne peut rien face à la bêtise qui se pare des habits nobles de la tradition usurpée - j’y vois un potentiel créatif d’une fécondité inouïe ; la même langue augmentée, comme si le français soudain - en mouvement depuis la première geste - connaissait une immense crue fertilisatrice des mots que l’on croyait condamnés à la fossilité.

Mieux encore, nous pouvons manipuler cette foudre nouvelle pour revisiter des formes passées qui, si les réactionnaires tenaient tant à la tradition, susciterait leurs hourrah ; bon retour chez toi, cher sonnet, poésie baroque, formes exténuées n’appartenant qu’au savoir scolaire, aux pupitres gravées des signes d’ennui ; bienvenue à vous toutes les formes condamnées, salut à toi ô l’ode et Homer·e je t’en prie reprends la traversée interrompue et vous aussi les Argonautes et vos suiveuresses. Nous pouvons retrouver, face à cette novlangue infecte du business english, une résistance en redonnant à ces formes négligées une nouvelle nécessité, repenser l’alexandrin et le pentamètre iambique, réinventer le rythme et la perfection plastique de la Pléäide.



Car et c’est bien le travers depuis la nuit des temps des réactionnaires ielles n’aiment rien tant que se poser vigie - bossues - et déplorer de cette bassesse le monde qui finit. Voyant leurs habitudes aborder un nouveau rivage, pleurent la fin de la traversée comme si cette fin signalait le terme ultime, ce sans voir que tout rivage abordé fait signe vers un monde nouveau, riche de fruits inconnus. Et, elleux, gargouilles inertes, meurent du scorbut. 




On peut noter que l’exemple des Argonautes trouvent un retentissement particulier, navire aux pièces changées tout au long de sa traversée et conservant toujours le même nom, ainsi nous le remettons à la mer avec son équipage de matelot·es. 




contenait la fin de tout sans voir que le rivage abordé donne à voir et à explorer une contrée nouvelle, riche de fruits inconnus. Alors ielles meurent du scorbut. 



Et ielles ne se rendent pas compte combien elleux appauvrissent en réalité elleux-mêmes la langue et la pensées qu’ielles pensent ainsi défendre. Ne connaissant plus d’usage que la féroce ironie qui signe toujours la défaite et la résignation, solidaire indissociable de la lose. Voilà que quelques ouvrages ironiques paraissent, quelques vidéos moqueuses d’acteurices à la lèvre torve et nous les regardons avec pitié du rivage nouveau. 

 

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15 février 2021

La fête

Chapitre 9 - Tentative de restitution de l'écho de la fête
Tard, dans la fête, dans une grande maison louée pour l'occasion, on y trouve de tout. Le narrateur et Sélim, un de ses amis, finissent par se retrouver. Déambulation dans le bruit. 
la fête :
donne un soin
je me connecte
le cuir du
 bangladesh
je le vois comme si c’était une part de vous
D’occase’
je vois légère
à sa place
la nouvelle boutique de Laura … 
la nouvelle collection
La marque admise
appris à penser résultat net pas CA
haha
(fa dièse)
dis siri évolution du…
depuis 2009
Le Zimbabwe
L’évolution du Bitcoin et des cryptomonnaies en général
les musulmans les juifs les féministes
sur rouge
oh fuck
E||-----------5--7------------7--|--8---------8--2----------2--|--0---------------0--------|
B||--------5------------5--------|------5-------------3--------|------1-----1--------1-----|
shi shi shi shi
Versets
fais gaffe
chez moi
uber
rien ne bouge
clés de notre vie est dans
la contemplation.
shadenfreunde
to 
dix ans de marketing, un passage par Singapour,
la faillite, le privilège, fooding, beaucoup de travail
heaven
le CICE (note pour la postérité)
Un cré
les profs
je suis
heeeeey devine dans
Le CDI, les paresseux
immobilier
le relou
oh non
méfie toi
hihi
ordel de m
as qui je suis
ques tce qu iest pl usét hi queen tre uncu ir de s yn thès eet lec uir lep lus pr o pre
la scène revient en boucle
souche mutante
pas sûr, je ne suis pas sûr de
à ce qui paraît
…pales 2024
haine amour passsion changement disruption transformation
sous deux formes :
  • Hey ! Je te cherche partout, on m’a dit y a un mec chelou qui se pose à côté de nous…qui dit rien, qui se barre. Je me suis dit, ça peut être que toi ça…
  • Ouais…
  • J’ai suivi la rumeur haha t’as laissé une piste en pointillés de rumeur
  • …pointillés de rumeur tu parles bien dis moi.
  • Oh !
  • t’avais qu’à remonter la piste…facile
  • Facile !
  • Ouais, bravo le chasseur…
  • Merci, merci ! J’aime qu’on reconnaisse mon talent
  • Bon, t’as pas une chienne à chasser là
  • Oh…ouais non…elle m’a un peu fait chier charlotte là…puis je suis plutôt sur Estelle là…
  • Haha mec…
  • Quoi haha
  • Mec…
  • Quoi mec…
  • Bref
  • Non pas bref, vas y exprime toi
  • Vas-y je me barre, t’auras qu’à remonter la prochaine piste les « pointillés de rumeur »
  • Tu casses les couilles là…
  • Ouais, voilà…par contre lâche moi…Sélim, j’aime pas trop quand tu fais ça
  • Euh…je te tiens pas…t’as pris un truc ou quoi ?
  • La vie, Sélim, la vie
  • Haha, t’es trop con…tu parles de mes phrases et tu lâches « la vie Sélim, la vie »
  • Oui, bon, on va pas rester dans le drame…
  • Bref Estelle…
  • Ecoute…vas-y vas te casser les dents, ça me fera rire ça.
  • J’ai bien éclaté le fiak de Lu…
  • C’est pas Lucile, Estelle. C’est une vraie personne Estelle.
  • Pas moi ?
  • Oh mec, viens on va se défoncer ou quoi là tu me gonfles.
  • Vas y fais pas la gueule, désolé…paye moi un taz, on fera des câlins. 

Corps nus indistincts, lumière aiguisée, regards, peaux.
discours scandé je ne parviens pas à articuler la protestation j’entends le discours parasite, là, qui gâche mon extase
Un personnage très iconique et intemporel, qui puise sa force dans un domaine particulier.
Il est là en face de moi. Je le vois comme je vous vois et je sais que c’est une part de vous.La personne, souvent enfant, dans une scène de vie semblant surgir d’un souvenir.
Cette scène revient en boucle, comme si elle était marquée au fond de son âme, tel un leitmotiv.
Très souvent, je vois la personne dans la nature : elle y est exaltée, légère, à sa place.
Quand je partage ces visions, je me confronte souvent au fait que la personne vive en ville, travaille beaucoup et ne prenne pas souvent le temps pour sortir de son environnement direct, loin des préoccupations du quotidien.
Mais Prendre un moment où personne n’attendra rien de vous. Où votre seule mission sera de sortir de chez vous et vous immerger dans le beau.
Marcher dans une forêt, regarder le ciel, nager dans la mer ou gravir une montagne n’est pas juste un hobby, c’est un moyen de vous reconnecter à vous et remettre les pendules à l’heure.
Eté comme hiver, il est important de prendre ce temps.
-
Vidéo : Col de la Bonette, juillet 2020
Musique : Pyramid Song - Voces8 (Radiohead cover)
J'hallucine un cours
de marketing digitial
une conférence
j'hallucine une messe
instagram
- je kiffe

 

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10 février 2021

A toi, le prince des monte en l'air

Cher as de la Cambriole, 

toi l’ouvreur de mon courrier toi celui qui furètes contre ma porte

toi qui déjà me dérobas quelques lettres

je te prie de revoir tes ambitions à la baisse

et d’éviter de pousser ton intrusion jusque dans mon intimité. 

  

Sache que je n’ai pas la miséricorde de Brassens qui, pardonnant, le larcin chantait Stances à un Cambrioleur. Tu ne recevrais de moi qu’imprécations et colère. 

Tu n’aurais, de toutes façons, à ne voler ici que des dizaines de recueils de poésie, un peu de bazar et peut-être un potimarron. Quelque chose me dit que tu ne cherches ni un libraire, ni un primeur ; pour arranger le bazar ne t’en fais pas - merci de ta considération - je m’y retrouve.

 

De même pour mon courrier tu n’y découvrirais que quelques revues de littérature, certaines décevantes, parfois la presse ou même des factures - tu peux t’en acquitter.

Si tu aimes tant la poésie tu peux aller me lire ici proses.canalblog.com on y trouve toutes sortes de vers et même 

un avertissement pour un cambrioleur

Peut-être te reconnaitras tu ?

 

Le plus souvent, je me trouve chez moi - c’est ainsi que je t’ai entendu après que tu dérobais mon courrier - et je sais les gens de ta sorte trop timide pour ne pas craindre les rencontres. Alors…ne viens plus, j’aimerais t’épargner cet embarras autant que le goût du laiton ma canne. Je ne saurais te dire le pire entre ta honte, douleur morale et la douleur physique d’un coup bien visé.

Ton goût pour le risque, ne le pousse pas jusqu’à cette expérience. L’ignorance peut-être une vertu et le savoir un poison. 

 

Je n’aime pas faire la leçon, vois-tu, mais…nécessité fait loi. Et celle-ci a parfois les rigueurs d’une lèvre fendue. 

 

Pas du tout bien à toi,

 

Jonathan

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07 février 2021

Cuisine

Atelier d'écriture : Thème Cuisine. 

 

Tu découvres un jour la mandoline ou le rasoir à légumes. L’économe toujours te faisait perdre ton temps. Il demandait une agilité formée depuis l’enfance et l’enfance tu l’avais passée sur les terrains de football. T’imaginant selon la saison Porato ou Ronaldhino  ; d’autres imaginations te traversèrent, évidemment, jamais celle du maniement de l’économe qui, par jour de disette, faisait office de rapière un peu grotesque pour les bagarres où dix mille Dartagnan s’affrontaient dans le battle royale de la récréation de 10h.
Le rasoir à légumes s’appelle Castor si tu en parles à de plus expérimentés, d’une autre génération, il y a longtemps qu’ils le connaissent et l’emploient sans jamais avoir rien dit de leur secret. L’économe, instrument de torture qui, plutôt qu’à la cuisine saine conduit au McDo. 

 

Comme tu n’es pas parfait, même retouché, tu as commandé le rasoir à légumes Castor sur Amazon. Petit appareil en inox au manche mal fichu…au début, franchement, tu n’as pas été convaincu. Parce que tu l’avais payé, deux euros seulement, certes, tu l’essaies et la peau des légumes, comme pétales arrachés par les prières d’amants, en délaisse la chair. La courge butternut c’est le boss final des peaux de légumes. Tu lis sur Internet, sur le blog d’amandinecooking ou des sites plus institutionnels comme marmiton qu’il faut passer la courge butternut au microondes pour affaiblir ses défenses extérieures et la bête encore chaude y plonger l’économe avec la vigueur de ton dartagnisme d’enfant. Tu vaincs cette croûte, c’est sûr, et à quel prix…Pyrhus ne connut pas de victoire plus aisée. 

Tu fais passer le rasoir à légumes castor, deux euros sur Amazon, le long de la courge butternut et la courge butternut cède comme cède à la flatterie les hôtes de ces bois. Nouvelle fable le castor et la courge, la caresse de métal et l’éclat de l’inox. 

Tu as aussi acheté un set de couteau allemand et un aiguiseur. Tu apprends, avec l’âge, que la longue tige, qu’on appelle un fusil, et contre quoi les cuisineurs bateleurs frottent leurs lames, ne sert à rien. Le fusil redresse la lame sans lui rendre son tranchant. Au final…il ne s’agit que de folklore. Ton aiguiseur impressionne moins, on glisse la lame dans une sorte de gaine et on frotte. Ca n’a pas le charme antique du fusil ni celui de la roue en pierre des forgeries. Minuscule outil qui ne va pas sans honte et qu’on dérobe à la vue. C’est que tu souhaites garder un peu de mystère. 

Comment veux-tu que je te blâme moi qui manie le micro-ondes avec une adresse inquiète m’étonnant chaque fois de ce que

Les micro-ondes sont des rayonnements électromagnétiques1 de longueur d'onde intermédiaire entre l'infrarouge et les ondes de radiodiffusion.

dont le miracle vaut, il faut le dire, l’acharnement inutile de la lame contre le fusil. 

Comment veux-tu moi qui passai ma vie à attendre à table que maman sorte du four ses trois heures de travail et moi qui rouspétait de la tiédeur du plat ou, plus criminel tu me l’accorderas, la surabondance de courgettes.
Maman, pour me faire passer le dégoût des haricots verts, disait du jardin comme si de venir de je ne sais trop quel arrière-cour de je ne sais trop quel arrière-pays m’éviterait le dégoût. Je me demande ce que l’on pourrait ainsi faire sortir du jardin ? Et si devant le juge dans sa douloureuse hermine je disais désormais mon crime venu du jardin ? éviterais-je ma peine ? Le code pénal, peut-être prévoit, une circonstance atténuante ou tout à fait exclusive pour ce qui vient du jardin. Comme l’abolition du discernement vous exempte de toute peine. Ainsi, criminels, gardez toujours sur vous un peu de terre au moment de vos meurtres expliquant que tout ceci, la terre et le geste, vient du jardin. 

Toi, tu n’en es pas là. Tu laves ta planche à découper le soir même, parfois. Le plus souvent à midi en pestant. La table du salon tu la laisse jonchée de restes de la veille. C’est une façon de te dire que tu as un passé, de maintenir de la veille, la réalité de ta performance. Tous les matins, on retrouve les reliefs des repas comme on écrivait dans la littérature du XIXème, tu expliques que ce sont comme des ruines, des témoins et si on t’objecte que ce ne sont jamais les mêmes, que les ruines n’ont de sens que dans la durée, tu rétorques, un peu méprisant, que ce sont des ruines de tes gestes et non de la chose. 

Tu soupires souvent à défaut de roter. Notre culture occidentale admet mal nos existences gazeuses. La civilisation Occidentale est lourde de ses pets retenus. Elle va, péter sur d’autres continents depuis longtemps maintenant, des voyages de Bougainvillier à l’invasion de l’Algérie et les tapis de bombe de la guerre irakienne. L’Occident, ah qui l’eut cru, une indigestion. 

 

Tu regardes d’un oeil la recette du soir. Tu as épluché tes pommes de terre, Belle du Fontenay, tu fais attention aux AOP, maintenant, je ne sais quoi en penser de mon côté, avec ton castor à deux euros de chez Amazon. La recette te demande de les rhabiller, elle dit en robe de chambre et hésite avec robe des champs. Tu enserres la pomme de Terre, nue, puis changée, en une nouvelle toilette. 

 

D’autres parleront avec abondance ou de fromage ou de truffe ou de sushis. Qui, à leur manière, sont des miracles. Miracles trop ordinaires, comme le fusil où étincelle pour rien la lame du couteau. Toi tu as choisi les petites choses qui ne demandent pas d’agilité particulière, les légumes simples du jardin et les tubercules que rien ne gâchent. Tu as fait le même choix en poésie, la chose simple et facile, dire tu à chaque ligne pour charmer l’oreille ainsi qu’on recouvre de sucre certaines fadeurs leur donnant un instant la couleur de l’amour. 

 

 

 

 

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02 février 2021

St. Georges

Saint-Georges
Dimanche 31 Janvier 2021 - 23h21 -
Ligne 12
La ligne 12 traverse Paris du Nord au Sud et se distingue des autres lignes du réseau métropolitain parisien. Contrairement aux autres, exploitées et fondées par la Compagnie Métropolitaine du Chemin de Fer, la régie de la ligne 12 était échue au Réseau de la Société Nord-Sud. Pour cette raison cette ligne 12 - ligne A de l’ancienne nomenclature - conserve des originalités rendant ses stations, en quelque sorte, plus charmantes. On y trouve une multitude de faïences, de petits carreaux colorés dans le style Art Déco - je suis un grand fan - le nom des Stations se constitue de mosaïques tout à fait hors-sujet. Qui se donnent des airs d’une antiquité romaine. Rappel de ce que le métro parisien a bien un siècle et qu’il y a un siècle, déjà, on voulait faire ancien.
Aujourd’hui, lorsqu’on rénove ces stations on leur garde au mieux leur apparence préhistorique pour une mise en spectacle du passé. Restauration d’une autre sorte.
Ici pour qui veut effectuer l’archéologie on trouve l’Histoire en délogeant quelques morceaux secrets de faïence là, le petit sigle NS, qui témoigne d’une propriété caduque, est gravé sous le nom des stations.
Ma présence sur le quai se justifiait : je devais retrouver l’amoureuse dont le train, en provenance de Nice, entrait en Gare de Lyon avec 2h10 de retard. Comme je venais de rater mon métro il me fallait attendre 9 minutes sur le quai alors j’ai décidé, pour m’occuper, de découvrir la station au-delà des mosaïques, des faïences, de l’article Wikipédia et son savoir technique. Au cours de l’entreprise je pus établir un certain état du monde contemporain. Trouvant, dans les éléments divers (pas tant que ça) la synthèse de mon époque.
Ce qui m’a saisi d’abord c’est cet affichage là s’inquiétant du sort des femmes dans les pays francophones et demandant aux gens pareille inquiétude active :
Appeler ceci publicité apporte toujours du trouble. Qu’est ce qu’une publicité. Son statut se définit-il par son objectif : vendre un produit, faire connaître une marque ? Ou par son contexte disons…d’énonciation se retrouver dans le lieu déclaré de la publicité ?
La publicité ce n’est plus aujourd’hui, comme à son origine, simplement rendre public, porter à la connaissance de, mais infléchir et orienter des comportements. La publicité reproduite ici poursuit aussi ce but : orienter des comportements (vers le mieux, l'éthique, la protection).
Autre chose encore m’a intéressé ici. Cette affiche a été investie par des individus sans que très clairement je ne saisisse le sens des différentes interventions. Celle, radicale, en lettres capitales dit « à force de dire aux femmes qu’elles sont faibles elles finiront par le croire » et je ne sais s’il s’agit d’un discours féministe ou, à l’inverse, d’un discours prétendant que les femmes étant déjà assez reconnues dans le système actuel il ne sert à rien de défendre spécifiquement leur cause - il signe au masculin me laissant penser que la deuxième lecture est juste. Une réponse critique et fâchée y est apportée.
Soit.
J’ai décidé d’observer de plus près cette publicité. Non pour fournir une analyse des codes et de la mise en scène qui y commandent mais pour observer ses marges. Ce qui n’appartient pas au message explicitement porté tout en se trouvant bien là, inconsciemment. 
Ici, littéralement dans la marge, on lit le nom du cabinet qui a réalisé cette publicité donne son nom.
Mlle Pitch.
 Mademoiselle cette publicité, qui très clairement s’inscrit dans une dynamique féministe en appelle à une agence dont le nom même contrevient au message. Mademoiselle. Plus loin, encore, est inscrit le nom du photographe : Fred Leveugie. Un homme.
On trouve déjà, ici, une synthèse et un commentaire : une affiche féministe, un débat entre des individus en lettres capitales et rageuses, des auteurs pas si féministes que ça.
On y trouve une autre idée : chaque fois, dans les stations de métro, une des publicités a bonne conscience, qu’elle défende une cause humanitaire, informe sur un désastre, demande des financements.
il faut mettre au jour l'inconscient des formes. 
(ouh)
Alors, j’ai continué ma marche dans la station - 90 mètres pour découvrir un peu plus ce qui habite mon époque. J’ai découvert Tiphaine, 52 ans :
directrice d’une société de 500 salariés en Bretagne. Tiphaine a donné 2000 euros pour réaménager l’espace parents-enfants du centre de santé proche de chez elle.
Puis, le slogan « être Mécénactrice c’est investir pour l’avenir ».
80% des entreprises mécènes choisissent de financer localement des projets sur leur territoire.
On y trouve des choses joyeuses : la mise en avant d’une femme, noire, la solidarité des cheffes 
d’entreprise, l’aspect local des initiatives afin de cibler des besoins particuliers…
Oui.
Mais.
Mais.
Il s’agit d’un centre de santé et sa gestion devrait, doit, absolument, impérativement, exclusivement, appartenir à l’Etat. Ici, on me dit l’immixtion du privé dans le public, on me dit la dépendance du service public, donc de l’accès à un soin de qualité, à des choix particuliers.
Au-delà de la belle histoire de Tiphaine en creux s’annonce l’effacement de l’Etat seul garant de l’égalité entre les territoires…Alors, si dans la Creuse ou en Seine-Saint Denis à l’horizon l’espace parents enfants du centre de santé proche d’aucune Tiphaine continue à se désagréger…
Les stations produisent du sens en dehors des publicités. Face à la mort habituelle et la mise en garde commune du ne pas descendre sur les voies s’affiche désormais le virus mortel qui parasite nos vies. Le nouveau danger échappant à la mort commune se rappelle partout, descend jusque sur le quai du métro et dans la rame. Moins létal que le coup de semonce du métro cependant. Omniprésent.
D’autres publicités parlent du monde qui nous entoure.
Celle proposant une application sportive. Qui dit à la fois la sédentarisation des activités (faire du sport chez soi) la quête de bonne santé, la numérisation de nos pratiques (une application). C’est une publicité de l’air du temps comme en d’autres époques une publicité pour le Yoga, autre mode, autre bien-être.
La publicité pour food chéri s’inscrit dans la même dynamique, mieux manger, mieux 
consommer, utiliser son application tout ça avec la grâce ludique du jeu de mot.
On y trouve aussi le truisme publicitaire, celui qu’on attend les fameuses publicités culturelles, on annonce une production artistique, un film grand public, une pièce de théâtre…Ca nous dit que la création ne cesse pas, que des objets culturels continuent d’être produits et que des manifestations publiques se tiennent - se tiendront - encore. On pourrait analyser le contenu de ces publicités, montrer les trajectoires que prend le cinéma grand public et tous ces trucs qui appartiennent aux professionnels de l’ennui - je ne saurais me compter parmi eux étant chaussé, déambulant sur le quai, de bottes Jeffery West en (fausse) peau de serpent et peuplées de (vrais) clous.
On trouve d’autres publicités à visée humanitaire qui ne manquent de nous serrer le ventre et perdent hélas l’essentiel de leur impact de côtoyer food chéri et fizzup comme si je peux alors éviter de me confronter directement à cet immense violence, distrait que je serais par les couleurs criardes et le ridicule de toutes les autres publicités. Diversion…La fondation Abbé Pierre fait ce qu’elle peut et raconte, elle aussi, plus tragiquement encore, l’échec du Service Public. Des être humains vivent et meurent dans la rue et des associations tentent de toute leur force - jusqu’à la publicité - de les faire durer. Sûrement Tiphaine donne mensuellement ou ponctuellement, avec un abattement fiscal de 66%, une partie de ses ressources à Amnesty International.
D’autres publicités visent - avec homme noir à tresses antithèse du bon citoyen il y a 10 ans - la bonne conscience écologique et nous incitent à mieux jeter ce qu’on a mieux consommer. Une cohérence apparaît : faire du sport, avoir faim, jeter. ô cercle parfait des contemporanéïtés. La perfection moderne, c’est pas des lol. L'exactitude de ce système me donne un instant envie d’y croire et de m'y fondre (voir le PS)
Je crois que cette promenade souterraine m’a beaucoup instruit.
Le métro arrive, je changerai à Madeleine pour prendre la ligne 14, la première automatisée de Paris, celle qui n’a pas un siècle, ne fait pas de bruit. Encore un commentaire du présent. Décidément.
PS : Souscrivez à la banque la moins chère pour la 14ème année consécutive. Code promo en MP et argumentaire de vente pour la souscription d’un contrat d’assurance vie recommandé par Rotschild (52,29% sur 30 ans).
                                                                             

 

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29 janvier 2021

YouTube - expropriation

Au printemps 2017, dégoûté par l’écriture lyrique que j’ai pratiquée pendant 15 ans, j’ai eu le bonheur de rencontrer les objectivistes américains. J’ignore franchement ce qu’a été précisément leur esthétique, s’ils écrivirent ou non un manifeste conceptualisant une démarche, l’inscrivant dans le blabla généalogique. 
Je les interprétais librement par les bribes lues, et faisant, surtout, de leur nom la base de ma démarche.
L’objectivisme s’oppose, littéralement, dans sa dénomination même, au lyrisme. Processus de décentrement, de mise à distance du sujet, repoussant le je - le suspendant à un croc de boucher - aussi loin que possible. Je qui n’a eu cesse de pourrir de ses misérables affects dont il imaginait les miasmes de la dernière importance - il fallait partager la puanteur et Dieu jamais je n’ai été aussi prodigue de ma vie. Alors. Les objectivistes. Pound (qui n’en était pas) Reznikoff (qui en était) me permirent de brûler ce que j’avais aimé - la fougère surréaliste - et, surtout, résidu de feu lyrique et de l’histrion en moi qui ne laissera jamais ses habits de cirque, l’utiliser pour mener la guerre contre les autres auteurices du forum. 
Il était temps de faire feu, j’assemblais en un petit bûcher les gares où les trains ont des mines tragiques et les bagages toujours lourds de secrets et de mensonges - toujours le poème trébuche sur le quai et la valise révèle son imbécile excès - j’ajoutais pour combustible les métaphores insipides - transparentes jusqu’au trouble-ment - qui agissaient comme les bonimenteurs. On fait croire à la foule impressionnable je ne sais quoi, le miracle du produit, le ressenti, puis on réussit la vente, le poème a plié bagage, on s’est fait arnaquer, on fait comme si non - comme après un mauvais spectacle auquel on trouve toujours du miracle parce que la place était chère. Poèmes-trucages. 
L’objectivisme m’offrait aussi - plaisir des vaniteux - le prestige de la nouveauté qui ne va pas sans risque - autre prestige. L’accusation de moderniste - cocasse pour un mouvement du milieu du 20ème - pèse toujours sur les expérimentations, on les disqualifie à cause de ce qu’elles jurent trop, toute l’incrédulité que l’on devrait avoir pour le bonimenteur s’exerce ici. 
Moi, j’adoptais la posture du minoritaire, je dessinais les positions, je traçais les frontières, je plaçais les termes du débat. C’est le luxe du dominer de pouvoir découper l’espace, il manifeste et pose les termes de la discussion, c'est lui qui nomme le eux et nous qui, aux yeux des dominants, est toujours caché, implicite. Le dominé sert de révélateur. La frontière est tracée on ne peut plus l'ignorer. La guerre commence. 
Puis j’ai fait feu. On a aussi fait feu. 
Mon frère l’année précédente m’avait offert un recueil d’un poète que je ne connaissais pas : Xavier Bordes. J’avais négligé le livre dont le titre, dans mon souvenir, était une sorte de parodie involontaire de Celan, quelque chose comme Pierre de Personne - dans ce genre de poésie tout devient Nom Propre comme si Dieu toujours rôdait pas loin et qu'il fallait, par anticipation, préparer la louange.
 
 L'objet tombait à pic.
Pour augmenter le feu objectiviste - crépitement silencieux du pixel - je m’étais filmé lisant certains poèmes de son recueil. Je me tenais très droit, adoptant la posture des lectures officielles, et après chaque poème je déchirais la page qui l’abritait et chaque lecture entraînait une déchirure plus rageuse jusqu’à ce que je me débarrasse par la fenêtre du recueil tout entier. Cette vidéo je l’avais publiée à l’été 2017 sur youtube, accessible depuis un QR code semé un peu partout, y compris sur le blog de xavier bordes. J’écris ceci alors que l’affrontement, ici, sur le forum a expiré - lien mort. A cette violence a fait suite l’hybridation, la synthèse des esthétiques, en somme je suis intégré au canon, on discerne encore la marque de la frontière mais, disons, que désormais nous sommes de la même nation et de régions différentes - frontière comme cicatrice, nous nous souvenons.
J’écris ceci parce que j’ai reçu une notification de YouTube m’annonçant que, parce qu’elle incitait au harcèlement, ma vidéo allait être supprimée sous sept jours, qu’elle avait quitté son statut public pour n’être visible pendant ce temps que par moi. Une sorte de procédure d’expulsion, en somme, on me permet de ramasser mes affaires avant que je ne doive débarrasser le plancher - se pose la question de notre dépendance à des plateformes omnipotentes, juge et partie. Ceci me donne aussi l’occasion de réinterroger, explicitement, mon rapport au je qui, par haine de ce je lyrique, avait contaminé toutes les écritures de soi qui me paraissaient toujours insupportables et bonimenteuses.
"mise en garde"
"supprimé
"cyberharcèlement intimidation"
les termes me terrifient
je suis celui-là rrr
Aujourd’hui, des esthétiques du je peuvent me parler et me saisir. Je n’ai pas encore lu Annie Ernaux qui, si j’en crois ce qui se raconte - et de conteuses fiables - appartient à cette trempe. J’ai lu Marie Calloway et je lis actuellement Maggie Nelson qui rendent au je à l’écriture de soi, quelque chose de vrai, à quoi et qui je peux faire confiance. Le je lyrique est un jeu menteur qui n’a pas la grâce du je rimbaldien, vrai travail, vraie question sur la langue. Pour les lyriques Il ne s’agit que de faire semblant sans l’admettre, de jouer très sérieusement à faire semblant, donc à tromper. Le bobard métaphysique des ronces et des rossignols. Le but c'est d'impressionner et de se flatter soi-même d'être si sensible.
Ce que j’admire chez Mary Calloway autant que chez Maggie Nelson c’est que quelque chose va m’atteindre, m’être absolument intelligible malgré ce qui devrait nous séparer (Maggie Nelson cite une phrase de Wittgenstein qu'elle habite tout au long de son livre "l'inexprimable est contenu dans l'exprimé, elle s'arrange tout au long du livre avec cette phrase). Leur écriture, au delà de sa beauté, fait signe vers moi, va, clémente, jusqu’à m'atteindre moi qui me trouve pourtant de l’autre côté du genre, donc de leur expérience, moi même qui écrit en une autre langue et, parfois, à une autre époque (mediums, au sens mystique?)
Il y a autre chose encore, encore. Ces écritures pensent et se pensent. Se pensent au delà du simple travail formel, se pensent à l’intérieur d’elles-mêmes et se pensent dans le monde, en interaction avec lui. Ecritures responsables (?). Elles questionnent le narcissisme inhérent à toute écriture de soi, elles posent la question, le problème si on peut dire, de la culpabilité intrinsèque liée à cette écriture. 
Quant à s’écrire soi pèse toujours le pénible poncif d’Adorno après Auschwitz fin de la poésie question réglée, au suivant. 
Pourtant quelque chose de juste, de nécessaire, se tient ici, dans cette question, dans ce poncif quelque chose qu’on doit interroger, pour le surmonter ou non. Est-ce que j’ai le droit de m’écrire quand d’autres souffrances, des souffrances qui touchent la vie même, qui touchent la durée immédiate d’autres individus, cohabitent avec moi - ou, même, surtout, ne cohabitent pas. 
ce ?
de la question
le
?
a la forme d’une oreille
(je joue)
il est entente
écoute
?
cette question
écoute
bienveillante
me fait place
?

Camille traite, d’une certaine façon, cette question dans l’un de ses textes sur le forum. Elle travaillait je crois dans une association accompagnant des personnes précaires, d’une précarité extrême touchant, au delà de leur existence purement matérielle - se vêtir, se nourrir, s’abriter - leur présence ici, sur le territoire. Présence réelle, concrète, présence sur laquelle pèsent les centres de rétention, les vols charters, les décisions administratives obligation de quitter le territoire français sous un mois. Non pas la Présence de Xavier Bordes. 
 
(si P majuscule
P de Pré-fecture de Police)
Face à ces situations l’écriture, l’art, au delà du terme un peu stupide d’indécence, se présente dans toute son absurdité. Commettre ce geste, d’écrire, de commenter, de parler de soi quand d’autres, leurs gestes, se dirigent exclusivement vers la survie, la durée, la fuite, quand le sentiment premier, manifeste c’est toujours la peur, la peur primordiale. Et pourtant…pourtant immédiatement après avoir écrit ceci, parler de leurs peurs, les rendre, eux des autres je dis, suis en train d'avouer, dans toute sa totalitaire puissance ma (notre) position de privilégiée. Ces personnes conservent une intériorité intacte - menacée - des rêves, de la colère, la vie toute puissante - attaquée.
L’administration ne parvient jamais tout à fait à les en dépeupler. Même à Auschwitz. Même à Auschwitz. On a pas exproprié la vie et donc le poème. 
 
Ces questions nous concernent bien davantage qu’elleux, nous nous les posons à nous mêmes, c’est nous qu’elles animent et qu’elles déterminent dans, entre autre, notre rapport à l’écriture. Ces questions comptent absolument. Elles sont primordiales, au sens strict, elles précèdent le reste, c’est le je qui en résulte qui nous conserve notre humanité, qui nous distingue du je lyrique, inerte, méchant.
Maggie Nelson traite cette question dans les Argonautes. Elle ne la prend pas directement, en charge et fait parler d’autres autrices. Elle l’énonce de biais, par la voix d’autres femmes, sans qu'il fasse aucun doute qu'elle en soit à égalité l'énonciatrice.
Chose intéressante, ce sont toujours des femmes qui parlent de ces choses, qui les abordent en tant que ce qu’elles sont, là, des choses, matériellement, devant nous, ces vies en périls et font face à notre (leur?) énonciation de soi, de nos (leurs) problèmes, de nos (leurs?) peurs et nos phobies- est ce que cet enfant me ressemblera (elle pose la question), est-ce que j’ai le droit d’aimer quelqu’un du même genre, Trump ou Biden etc - (leurs.)
Derrida a beau conceptualiser, de façon très belle et pertinente, le concept d’Hospitalité, il ne peut s’empêcher d’y ajouter la majuscule qui en fait un lieu inhabitable, inhospitalier qui perd sa réalité. 
 
(Maggie Nelson, lorsqu’elle convoque des Concepts s’appuient essentiellement sur des hommes.)
L’enjeu tient dans cette question, le fait de nous la poser, elle qui nous sidère, qui nous offre le doute, nous épargne la chose la plus toxique : l’évidence. 
Si la question sidère
L'évidence fige rigidité
des morts.
On ne la dépasse pas, la question, on vit avec, comme une conscience, ni mauvaise, ni bonne. C’est ce doute, je crois, qui me donne à vivre leur écriture comme vraie. Qui me fait saisir l’universalité de leur position, de ce qui ne pourra jamais me concerner directement, être enceinte, être harcelée, avoir peur du viol, être libre en étant enceinte, vivre avec le paradoxe de vouloir être libre et vouloir un gosse - question omniprésente. 
C’est ce doute qui donne à ces écritures un je véritable. 
je n’a pas la forme d’une fougère engourdie sur le divan du psychanalyste. 
Je pense ici à 
La phrase de Valéry que cite Miyazaki dans le vent se lève. 
Le vent se lève, il faut tenter de vivre
Je crois que ces écritures, et donc ces écrivaines, tentent de vivre. Les deux verbes comptent à égalité tenter et vivre. 

ici, je suis saisi par mon intellectualisme forcené, l’envie soudaine de produire une analyse de ce qu’un verbe, tenter, est précédé d’un auxiliaire et l’autre infinitif radical. 
Une interprétation qui ne répondrait pas aux règles strictes de la grammaire réelle mais davantage d’une sorte de logique de psychanalyste. C’est à dire extorquer un sens possible et délirant d’un corps qui ne demandait pas grand chose. C’est à dire que je suis un homme et que je ne peux m’empêcher d’écrire Vivre.  
La question, le doute, ne s’expose pas explicitement, à chaque page. Ce doute n’est pas le sujet de leur écriture.
L’une des façons de la dépasser, qu’on observe chez Maggie Nelson - et qu’on trouve chez Foucault qui est aussi un être de majuscules ; les siennes plus pertinentes et Foucault, de façon citée ou non, irrigue Maggie Nelson - c’est d’admettre qu’on ne fait jamais que l’expérience de sa propre subjectivité et, par là, de sa propre douleur ce qui nous mène à la traiter avec le dernier des sérieux. La bienveillance que l’on s’impose n’est pas une discipline moins difficile qu’une Hospitalité abstraite et, ce souci de soi, est, je crois, la meilleure école de la bienveillance et du souci des autres, le laboratoire, en quelque sorte, de notre humanité que l’on répand, ensuite, dans nos livres, nos paroles ou nos gestes. A la fois aux guichets devant la CAF, dans nos rêves et dans notre propre durée qui a, aussi, la valeur la plus absolue.

S’il y a une honte, je ne démords pas, au fond, de ma colère antilyrique, ce serait de ne pas poser la question. Ne pas la poser c’est considérer, au fond, que n’existe réellement que notre propre subjectivité, que notre propre expérience est la seule réelle et valable. 
Je crois, au fond, que je développe une certaine jalousie pour ces écritures, pour ces finesses, pour ces majuscules abolies. Elles me renvoient à ma position qui ne peut qu’interroger abstraitement sans toucher pour de vrai et me contenter de tricher, de donner le change, au fond, ne me distinguant des lyriques que par une lucidité de dernière minute. Parce qu’hélas la conscience de ce qu’on porte de gestes ne nous empêche jamais de les commettre. Je fais l’expérience, douloureuse je crois, de ne pouvoir dire ça. Ou plutôt ça. 

 

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24 janvier 2021

Roman - Chapitre non classé - Trahison d'Etienne

Trahison d'Etienne (passage qui ne suit pas directement les chapitres précédents, les groupes d'amis éclatent toujours, les ambitions et les forces deviennent asymétriques, on ne veut plus la même vie ; on ne la peut plus, surtout)
Il faisait désormais partie des prêts à tout, ses yeux étaient prêts à tout. Son ambition c’était la gloire, devenir BHL, disputer avec Zemmour, écrire de petits opuscules à succès, rempli d’une morale banale et satisfaite. Il avait raison, après tout, mieux vaut être BHL, que l’errant les revues, les petites 
salles de théâtre, le monde misérable, dépouillé, sans caractère. Ce qu'il y a prendre, le prendre, le prestige et toutes ces choses "nourri de grec et de latin, je suis mort de faim" les abandonner. 
Dans son livre "Argent" Christophe Hanna classe, selon leurs revenus, une certaine quantité de gens dont de nombreux artistes. Tarkos est à 407 et ouvre le livre. Lui, ne souhaite qu'une place. La dernière, la dernière encore sur une page imprimée, encore dans la littérature. La dernière. Les yeux prêts à tout, ça veut dire la fête s'il faut les drogues s'il faut, connaître le tour à la mode et s'y exercer. Jamais en avance, surtout pas en retard, pile dans son époque. Les femmes, les hommes. L'éclat artificiel des yeux morts ou désirants, la rivalité avec les autres, les autres au regard prêt à tout. Les flatteurs ratés les robes fanées. Il avait compris assez rapidement, juste assez tôt - toujours à l'heure, pile poil - qu'il ne parierait pas son avenir pour une hypothétique statue de bronze. Il dit, j'accepte ma médiocrité, en riant, il le dit avant de nous dire adieu. Je veux être le champion de l'imposture, le génie de la duplicité. Je suis à vendre, je suis à vendre et on me paiera cher parce que des yeux comme ça, des yeux prêts à tout, ça vaut tout l'argent du présent. 
Aucun scrupule à devenir Yann Moix, à me rendre en séminaire puis en pèlerinage chez Bernard-Henri Levy. Ecrire dans sa revue, la règle du jeu, trouver le ton, le ton pile à l'heure qui sent le foutre distingué et se pourlécher les babines de ce jus de triomphe pour moi aussi, un jour, être du côté des cracheurs...Alors, vous pouvez me mépriser, ravalant votre haine déçue. Je vous aurais oublié, le champagne m'aura donné de l'amnésie. Je ne serai pas triste, je serai accompli. A la fin de ma vie, très satisfait de moi-même, j'écrirai mes mémoires tremblants, racontant, l'air faussement amer, ce tournant dans ma vie. Vous qui n'avez pas su me suivre...Je ne citerai pas vos noms, vous n'aurez pas une minute de ma gloire c'est aussi ça...On la garde chichement, comme tous les riches, on ne partage pas, on est redevable de personne. Sauf de Bernard-Henri Levy.
Il n'avait pas menti. Il a tenu sa partie jusqu'au bout. Génialement, ayant beaucoup d'opinions politiques, passant de l'écologisme tiède au féminisme fade, le quasi-antiracisme et l'air toujours indigné. 

On a pu le lire en nous marrant dans la règle du jeu de BHL ces phrases. Son adhésion totale au cynisme ne laisse aucun doute, jamais il n'a laissé quelque part une trace de la machination...Acteur si parfait qu'il se prît au jeu. 
"Quand Bernard Henri-Levy montre la lune, les rentiers de l'exotisme regardent le doigt"
"Bernard-Henri Levy au secours des ouïghours"
"Bernard-Henri Levy, la planète lui dit au secours"
"Bernard-Henri Lévy consacrait dans Le Monde un long reportage de terrain au Liban, sur les désastres commis par la tripartition du pays. Le texte, ainsi que les images, étaient limpides et accablants."
La signature Etienne Fromant s'élevait partout. Elle avait un prix, se vendait chère. Nous n'avions pas les moyens du moindre rendez-vous. Il nous avait prévenu. 
Seul Sélim aurait pu encore être digne de sa compagnie, après tout. Il la lui refusait. C'était sa seule défaite...Il n'en gardait aucune amertume, il la fit fructifier comme le reste. Seul ami du temps d'avant qu'il acceptait de citer, comme lui reconnaissant une égale dignité, il en parlait comme d'une blessure. Marquait un temps de pause dramatique avant de reprendre la parole une fois qu'il avait dit son nom. 
Il avait un secrétaire qu'il arborait comme une légion d'honneur. Ne lui restait plus qu'à être académicien pour tout à fait appartenir au néant. 

 

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13 janvier 2021

L'homme périmé

Je voulais rédiger le manifeste de l’homme périmé, homme passé-simple dépourvu de langage
l’homme périmé a des douleurs
qui n’ont plus de nom
Je voulus les dire avant de me rendre compte
que je n’avais encore
de colère que contrite. 
J’extrais des fragments de ce manifeste non-né. 
Je me souviens de la violence forcée, ce qu’on exigea de mes poings. Tommy, Nicolas, Guillaume souhaitaient me mettre en miettes, il y avait un jeu, l’humiliation dont le prix, sûrement, était ma peur. Ma peur, je la vendais cher mais trois bourgeois ont beaucoup de moyens. Ils m’usèrent, longtemps. Se distrayaient ensemble et je résistais seul. Un jour, je cédai à la violence physique et j’eus la paix. Il me fallait prouver, pour avoir la paix, que j’étais un homme. A priori on me déniait la qualité de mon genre et, par voie de conséquence, ma qualité d'être humain. Soupçonné de contrefaçon, en quelque sorte, je devais apporter d'épuisantes preuves, sonnantes et trébuchantes comme un coup de poing. 
 
cette douleur c'est le
moi-même
qu'on tente de tordre
et qui ne peut ni plier
ni rompre
qui fait mal
Ce que tu perds ici, à ces moments là, dans leurs tentatives de négation de ton je, de ton je singulier, aussi singulier que possible, de ton je en dehors de considérations raciales, ce que tu perds en dehors de ça, ce que tu perds au moment de cette atteinte à ton je c’est la possibilité d’entrer en relation avec l’Autre. La possibilité de comprendre les règles qui commandent aux usages. L'impossible lien avec le monde, avant le moment de la dispute. Pour rompre il faut déjà nouer une relation. Alors, tu n'apprends jamais le bon usage, les bonnes manières des êtres humains ; plus difficiles encore que les bonnes manières des classes très méprisantes. Au final, on te prive de la société, toi, ta force tu l’emploies à résister, à te défendre, à te battre eux…à savoir. Tu es contaminé par la méfiance. C’est important, on s’en servira contre toi.
Le temps passe, tu échappes aux premières négations :
Tu discernes des mots, ils dansent devant toi, sans former de blocs de sens. Te manque la grammaire secrète des gens populaires. Longtemps tu ne comprendras pas l’ordre des mots de ces phrases là. Tu as le parler préhistorique.
le long du majeur court
la cicatrice remonte
de l’os carpien à la dernière pliure 
du majeur
la cicatrice tourne ici 
à la droite du majeur gauche
insensible au froid
au chaud
au reste
écho ma chair
la plaie du monde 
Tu manques de subtilité, de doigté. Avant de t’exprimer il y a toujours pour toi une opération de traduction, un temps de réflexion qui ôte tout naturel à ton attitude. Te voilà au milieu du monde ta main enrouée d’une impardonnable maladresse, tu es gauche, empâté. Tu as beau mieux connaître la grammaire tu parleras toute la vie cette langue, leur langue, avec un inexcusable accent. 
Ce n’est pas au niveau de la classe. C’est plus profond. Plus profond ton inaccès à l’humanité. Plus profond tu n’en sauras jamais la raison sinon qu’on ne te sent pas. On ne te sentira jamais vraiment. Même après la guérison. Il reste une cicatrice impardonnable. La cicatrice agace le bourreau.
Je me souviens avoir admiré l’aisance sociale de certains, leur inimitable sens de l’orientation. Ils ont passé leur vie à arpenter les lieux dans lesquels ils parlaient la bonne langue. Ils y ont vécu mille expériences désormais sédimentées en eux, de là vient leur succès en tout, leur façon de commander et de savoir, toujours, qu’ils seront exaucés. Leur langue ignore le doute, ils ont arraché à leurs mains le tremblement.
moi 
fracturé 
je
forcé
mis en vrac avant 
de se former
je
recomposé depuis
mal 
à toute allure
matériaux trop bon marché
pour durer
je
effondré
on t'en veut de pencher 
de côté là
ou d'un autre
toi on ne te passera rien
tu ne sais pas quand arrêter
de faire des blagues
de l'ironie alors on se dit
il est odieux ce type
Je pense à Mickael et je pourrais ici penser à moi. Bien plus que moi, Mickael a été mis a la marge et aux décharges. C’est un garçon qui se montre toujours odieux, se contentant toujours du pire. Je le vois mal dégourdi, il fait ce qu’il peut. Souvent, à ces gens, au lieu de seulement refuser de les fréquenter, on prête des essences. Ces essences sont ce que la vie leur a fait.
Les sutures ne me font plus mal
les points de contact autour de ces brisures
les milliers de points de contact
forment amas
de peau 
insensible
Gauthier qui parvint presque à prendre serrer casser entre ses mains mon être et que je sus chasser à son grand désespoir. Violence et j'étais à ses yeux le traître. Violence contre ceux qui m'ayant déterminé une biologie séparée de la leur croyait avoir en même temps établi entre eux et moi une indiscutable hiérarchie. 
Je frappe Thomas dans le plexus qui se courbe en deux de douleur. Je frappe Milan dans les tibias de mes grosses Timberland, je frappe à coups répétés. Jamais la paix, toujours le cessez-le-feu.
Ils ne parvinrent pas à leur fin déclarée, je n’avais pas peur d’eux et je savais me battre. Si…j’ai eu peur parfois, si, j'ai eu peur, j’ai été épuisé, j’ai tenu bon. Ils parvinrent à une autre fin, celle qui met au dehors, en quelque sorte, du genre humain. Celle qui met au dehors pour bien longtemps après leur passage. 
On te met hors du lieu humain où s'apprennent les gestes de la vie. Là-bas ils répètent le rôle à tenir et moi je me cachais le plus loin possible de la scène. Ils répètent et quand tu entres, on finit par entrer, un jour, on te blâme de si mal connaître ce qu'ils répètent depuis la naissance. Il y a pire. On te blâme aussi de ne jouer à la perfection le rôle qu’ils voulurent pour toi. Ta liberté, comme ta révolte, sont coupables et le demeureront.
Subissant la cruauté et croyant que ma propre humanité était à ce prix je suis devenu cruel et cette cruauté me procura du plaisir et me donna du pouvoir ; j’ai joui de ce pouvoir par quoi je me reconnaissais enfin un homme comme les autres. Plaisir fade, pour rien, plaisir qui disait encore le triomphe du monde-qui-brise sur moi-même. Je me croyais au terme du succès en devenant le briseur ; fort de ce côté là de la fissure et de la force.
J'ai désormais quitté ces lieux d’échouage, je crois. Peut-être je me suis trouvé d'autres pays, d'autres mers et peut-être un peu de moi-même.
Tu n’es pas mis en morceaux à ce moment là, quand on t'empêche d'entrer dans le monde, on ne brise pas tant qu’on ne t'empêche, qu’on ne t'immobilise. On te laisse à la traîne et quand tu crois rattraper ton retard, on soupire de te trouver ainsi essoufflé. Tu caches la douleur du point de côté et on t’en veut de ta grimace. Tu entends les mots à voix basse qui disent encore ta mauvaise biologie. Tu ne dissipes jamais tout à fait le soupçon. Je me souviens d’une soirée chez moi, un an déjà, un ami et moi jouions à nous vanner. Quelqu’un intervient, quelqu’un dont la gentillesse et la douceur ne font aucun doute, et me reproche à moi une sorte de mal-essence. Je ne me souviens plus des mots exactement, je me souviens du reproche ontologique, disons, qu’ils contenaient. Quelque chose qui voulait dire qu’à ses yeux, c’était sûr, moi je ne jouais pas vraiment. Plaie, ouverte. Elle a dit peut-être, je ne te sens pas. Elle a sûrement oublié depuis cette parole-en-l’air.
on lit en petites lettres
le mot je
formé
autrement
aujourd'hui
je
qui touche à son but
détour par d’autres apnées
La sueur après la course, le sang caillé de la main juste cicatrisée, l’accent à l’haleine douteuse, toi
je
je moment de dire je
tu es revenu de bien des misères
et quand tu crois enfin qu’on ne te reconnaîtra plus
ains plâtré
poudré
On finit par dire de toi
je ne le sens pas
c’est le contraire 
je sens trop
je sens
la peur
et le pus
qui fuit encore par
moments
d’entre les sutures
les gens les plus tendres
disent et pensent
je ne te sens pas
qu'importe
Si tu fais de ton mieux ou
non
Tu pues du plus profond de toi
de la chose végétale morte née
son interminable pourrissement
Alors j’exhale la plante morte
la vie non-vécue.
les personnalités avortées
les je mis au néant
non en raison
de classe
race
genre
etc

 

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05 janvier 2021

La sève

Valentin a un mot pour dire que
nos pensées
nous accompagnent,
indélébiles,
en toutes les circonstances. 
s’agrumer 
s’agrumer
se conjugue
comme les autres verbes du premier groupe
(dont je soupçonne qu’il fut le premier)
mot perdu sûrement qui exista
au temps d’autres nécessités
Valentin
dans le hall vide
d’un hôtel du Nord de l’Europe.
trouvant ce mot
nous rendait visible
la perte
La perte
grandes lettres capitales
La perte non du mot
qu’un Valentin d’une autre
septentrionalité
forgerait 
La perte réelle
de soi-même
le jour du non-agrume
connaissant le mot
désormais
nous vivons dans la terreur
de sa perte




Je ne me suis jamais perdu
pourtant je me cherche
sans parvenir à me trouver
Comme si j’étais
une intuition
une hypothèse
Je ne me suis pas perdu
sans parvenir à me prouver. 




Je suis partout et de nulle part
comme les exilés le plus souvent
quittant une terre et n’abordant jamais plus que
des rivages incertains
la boue n’est l’argile
d’aucun continent
nul chez soi
érigé hors du marécage
de rives inhospitalières
ma vie vie alors
faite d’étapes
ponctuées de silence
le bruit des rames
la douleur
de l’impact
remontant toute la colonne
vertébrale




J’ai perdu plus qu’à mon tour
je ne saurai pas faire le 
compte
de ces pertes
de ma perte même j’ai perdu
le compte
sans moi me perdre
perte
perdue dans le
double-fond de la mémoire
je crois qu’on dit quelque part
l’inconscient
à ce terme technique je préfère
celui
du marchand qui truque sa balance
ses faux poids
le langage complice
des tavernes
le casino illégal
on joue
on perd
langage perdu


on a vidé la cour des miracles
et le miracle avec elle s’en est allé
la rue de la grande truanderie
ne connaît plus que le poste de police
l’inflexible boussole des matraques
télescopiques




Souvent, je me dis
tu as perdu
sans savoir exactement
la nature du pari 
ni les rivaux
ni si j’ai tout risqué
disant tapis
à un jeu dont je ne savais pas les règles
ni les tours des mages
leurs manches troubles


tapis
à la fin de la partie
je retrouve ma mise
la dernière pièce du juke-box envoie
la musique que je choisis 
parce que
l’avant-dernière 
glissée avec une prière
ô mur des lamentations
dans la fente de la machine à sous
me rendait ma monnaie
alors je vis à somme nulle
Un jeu de somme nulle est un jeu où la somme des gains et des pertes de tous les joueurs est égale à 0




et je craignais bien plus d’être volé
que de me perdre
alors
j’ai pris les devants
et j'ai volé
qu’on ne me vole
que mes larcins
le jeu à somme nulle




J’ai tenté de me perdre 
à la fin j’étais toujours moi
loques et splendeurs
tout ce que je peux pouvais
tout ce que je peux pourrais




et la rue de la grande truanderie




malgré les liqueurs et l'alcool
l’espoir de la perte
déçue
une main d’adulte 
retient
le jargon de la raison
je parle encore
la langue de Descartes
au plus profond du gouffre 
et sauterai-je du dôme le plus haut
encore me retiendrait par la taille
l’élastique d’acier

 

Posté par boudi à 15:13 - Commentaires [0] - Permalien [#]
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