Le vent, le vent sauvage
Je veux toutes les choses au fond de vos yeux au fond de vos bouches au fond de vos veines
Le chemin calciné de vos voix
L’iris dilaté par la peur et la langue humide de nuit
La belle angoisse quand tu renverses ton corps et l’alcool
Le frémissement de ton haleine quand tu approches
La buée de tes bras autour de la taille
Toi, drôle de brume d’une saison qui n’existe pas
Je te veux
Toi et
Les cris et les baisers et les pleurs et les joies et l'infini et le ciel effondré des paupières
Les traces du chant dans la peau les ongles dépeints la pierre effritée des lèvres
Je veux le
premier balbutiement
De l’alphabet, la musique
Le saccage des montagnes et les mers calmées
Les bec cloués
les corbeaux gaspillés
Par la foudre et la chasse
Le feu roulant des baisers
Le cri de mitraille quand deux corps
S’aiment se délivrent se perdent, se cherchent
Dans le noir complet, partout
Eclairé par la bouche ouverte
Rouge-rose-pourpre (lumière à la fraise, à la braise, au poivre)
J'ai entendu souvent la promenade nocturne
des chauves-souris
accrochées peut-être à des ronces mentales
à des épines de roses prises pour les cheveux longs parfumés des filles amoureuses
et je connais le drôle de murmure qu'on dit toujours quand il est la nuit
qu’on a retenu les pleurs en se croyant hier
Sur le calendrier
Je connais le mot dit à l’heure erronée
Le prénom maudit qui blesse la bouche
Brûle la langue
Souvent comme dans un rêve passèrent devant moi des amoureuses avec sous les bras une porcelaine en miettes, une sorte de coquillage brisé très semblable à un coeur
Souvent des amoureuses passèrent devant moi
Comme les étoiles du rêve
Pâles déchirées hésitantes
Malades de cette drôle d'angine blanche qu'on attrape
Dans la saison glacée des cauchemars
La sueur crépusculaire
L'effroi la terreur
L'hiver muet
Sans même un murmure de chaleur
Je veux moi l’interminable
Profondeur des pupilles
Le souffle chaud
Dans les paumes glacées
La vie passée comme une insomnie
Toutes les formes étranges du rêve et
les gestes inconnus du veilleur
Trésor indéchiffrable des somnambules
Enfin dehors la lumière recommencée du jour
Et le soleil se lève lent élégant pareil
Au pas épuisé de l’amoureuse, le lendemain
Du verbe
La lumière recommencée du jour les yeux fermés le coeur vivant
Je suis amoureux des images et j'irai à travers tous les déserts, ces sortes de miroir, à la recherche des mots dangereux où l'amour se baigne. Je ne crains rien des tempêtes de vivre quand le vent dans la neige trace la mémoire
Il y a dans le monde un chant
On sort de l'angoisse
Comme d'une pièce étroite
Fermée du double-tour
De l'imagination et de l'oubli
On sort de l'angoisse comme d'une cage
et
le gêolier, distrait par l'été peut-être
Ebloui par la foudre, oui,
N'en a pas tiré la chaîne
On sort, un matin, sous le ciel neuf
Et des bottes de sept lieues à chaque
Battement de coeur
Font entrer le bonheur
Dans la vie
On sort de l'angoisse
Comme d'une caserne
Une permission offerte
par on ne sait quel lieutenant
Invisible
Mais on ne s'échappe qu'un temps
de l'uniforme
On sort de l'angoisse
Comme l'agonisant,
Parfois s'arrache à la douleur de son mourir
Et adore ces quelques secondes comme un Dieu
Il
Hurle les mots, les mots du miracle
et des pages déchirées
Jette toute sa force un instant revenue
vers le ciel
Enfin miséricordieux
Et ne se doute pas alors écarter par chaque geste
Les bras
Comme pour mieux retrouver
La croix
On ne sort qu'une seconde de l'angoisse
Comme le rêve n'échappe à la vie
Que le temps du sommeil
Il y aura bientôt pour moi aussi une
Espagne des miracles
Au monde je suis déjà le spectateur d'un
Guernica moral
Une toile lacérée où
Les visages fument entre-espacés
Par de grands morceaux de vide
Une habitude dit-on, cette mitraille invisiblement
Tombée d'un interminable or-
Age
Toutes les figures ont perdu le sens du mur-
mure.
Je bouge devant la grande grande grande peinture
Cette lanterne magique, le monde
Cette gare bondée
Où sur les écrans publicitaires
la même image; toutes les secondes, reparaît :
Et l'on entend le survol des avions allemands
Les paniers renversés par la hâte
Des femmes raides, belles
Comme des forêts brisées par le
Feu
Les enfants à peau mate
Souriants
En chemin vers la mort
La drôle d'agonie
Pareille à la première extase
La ville transpercée
Le front malade
De l'aube
Et
Le poème mis en cendres
Avant d'avoir été écrit
Comme fermer les yeux
A l'approche des miroirs
Pour ne jamais voir
Le reflet raté
La rime d'être.
(et d'autres disent
Comme fermer les yeux
A l'idée d'exister)
Il y aura pour moi aussi un
Chili
J'entends dans la mer les R roulés,
scandés
L'accent souleveurs de jupe des buveurs de mezcal
Le mot amor tourmenté par une vague
J'entends sur la mer
Les pas
De ce Christ pour rire
Ce réincarné du sable et du sang
D'Atacama
(étonné par l'ombre gigantesque d'un Rio Brûlant, il lève la tête et découvre son visage gigantesque, mais habitué qu'il est à se mirer dans le ciel, à peine la surprise passée, le voilà à nouveau dans la poussière du monde)
Ce pélerin des grandes étendues gelées
Ce marcheur dans la toundra moderne
Parcourant le coeur humain, cette
Sibérie de marécage, tremblant
En ses paumes gelées il croit sentir
Les clous de l'an trente trois ressuscités avec lui
Et lui-même charnel encore et mortel encore
Mais à l'instant de la mise en croix
Alors se dit-il
"A nouveau l'immense chemin"
Et la foule revenue
reconnaissable à cette puanteur toujours la même depuis
Deux mille ans
L'enfer même n'y changea rien.
"Mon père pourquoi m'as-tu abandonné"
Et il ne peut être le sauveur ; il n'y a plus rien à
Sauver
Pas même moi.
J'ai le sens du
Destin
Et
Les boucles du
Christ
Cette toute puissance étrange que
"JE"
Inquiet seulement devant les miroirs
brisés,
La mystérieuse prophétie
du reflet
Cet autre soi-même
Mis en miettes
Que m'importe le monde
En ce moi-même changeant
Prisonnier du chant et de la fable
L'Univers
Mue Rampe Reflue
Bouge
Interminable
D'images
Je serrerai les dents cinq ans peut-être et quand l'habitude croira m'avoir pris à son piège, quand le monde entier, ce Guernica comme j'ai dit déjà tentera de me donner un rôle dans la difformité, quand tout sera asséché par tous les COMME IL FAUT du présent, quand tout aura l'air enfin à sa place et que la pièce -cet étroit chemin qui se jette dans une mer d'ordures- débutera, je m'en irai loin là-bas, dans mon
Espagne miraculeusement sortie des flots de l'âme.
Avec la marque solaire des vivants
Le coeur battant.
Cinq ans, j'étoufferai la voix, j'étranglerai le chant, cinq ans durant s'accumulera en moi la haine des plus pures altitudes. Cinq ans, je serrerai les dents aux railleries des copains qui diront "alors, ça y est, tu es là bas" cinq ans j'entendrai ricaner ceux qui diront "alors tu vois, finalement tu es comme nous, viens ici lécher nos bubons infections, partager nos perversions, te repaître de l'horreur confite". Cinq ans durant, oui, je serai exilé de moi-même, cette seule Patrie valable, où tout depuis toujours m'étonne et m'enchante, cinq ans j'irai hors du refuge de solitude, hors mes dents de loup, hors mes ongles de carnage, hors, hors moi-même pour aller au monde dépouillé de ma chaleur. J'irai oui, hors du naufrage intérieur pour accoster ces rivages sevrés de prières, pour toucher les pierres desséchées et inutiles des hautes chose, dans un monde où l'on ne bâtit de cathédrale plus que pour sanctifier les choses banales.
Cinq ans oui, et qu'importe le cérémonial du temps qui passe, le tic-tac, les points lumineux dans les cadrans, les chiffres digitaux, le rituel, les pages froissées des almanachs mais ah on s'est trompé d'époque, les commutateurs célestes -non des pièces au plafond bas!- tournés, je dis cinq ans parce qu'il faut désigner dans le ciel une étoile, je dis cinq ans comme une quantité mesurable et c'eût pu être une quantité de soleils, de précipitations, de cheveux, de larmes, de désespoirs, de théâtre mais quand débute le décompte, je perds l'instrument des mesures sensibles : mon âme. Cinq ans durant, je délaisserai l'âme (et elle ira son chemin profond, raviné, rencontrant peut-être d'autres formes infinies, le Dieu enfui du ciel depuis si longtemps et caché par un long manteau pour regarder les nuages nus -Dieu aussi a ses perversions. L'âme creusera le monde souterrain et muet aussi proche de la mort et du silence que de la nuit, découvrira au rebord de chaque instant des endroits dangereux, découvrira peut-être ce lieu d'obscurité totale imposée par la poésie élémentaire. Et l'âme reviendra en moi la peau brûlée des gemmes du ciel, les mains dures comme une pierre fervente, l'âme reviendra en moi, agrandie, blessée, immense amoureuse) (oui, je laisse à mon âme les yeux où se versent les soleils aux muscles brutaux : où marchent les pluies odorantes ; où la menthe fraiche pousse et rafraichit le rêveur un instant menacé par ses songes).
Le calendrier en voilà une chose comme il faut et sa face de notaire. Lui aussi , je le trahirai, et avec quel courage. Enfin, je trahirai avec le corps présent, je trahirai comme Christ se sacrifia, comme il se jeta sur la croix je me lancerai dans l'abîme, par ma chair vivante, mon hurlement et ma colère. J'imagine, dans cinq ans, la face des hommes contrefaits, lorsque dans un éclat de rire ou peut-être par un baiser sur le front, je dirai Voilà l'Espagne, et pour être compris de tous, j'emploirai les mots officiels selon la religion "Adieu, Démission, Meurtre, Suicide". Personne ne comprendra jamais (sauf, l'AMoureuse, mais elle est dans ce monde intérieur, elle vit en moi, sans aucune parole, et son absence, ah torture sensible, mais cinq ans durant j'aurai une complice muette, une AMoureuse, toujours présente dans le complot immense tracé dans une écorce inexistante) et l'amitié à l'inverse de l'amour ne confond pas les individus en une substance unique, ne les mêle pas en un seul nerf sympathique, ils demeurent déterminés en leurs individualités hostiles, en leurs puanteurs propres, en leurs haleines inutilement différentes, distincts toujours, distants hélas (et cette distance infranchissable est celle qui séparera toujours le juge de la justice ; la distance d'un baiser. Le juge n'a pas de lèvres)
L'amitié s'apparrente à l'entrée d'une pierre dans l'eau calme ; l'ami alors est le cercle concentrique le plus proche du point de pénétration mais sans jamais pouvoir être confondu ni avec la pierre, ni avec "l'endroit brutal du choc" (c'est à dire respectivement l'être du dehors et l'être du dedans). L'ami le mieux intentionné, né d'un heurt ancien dans une source toujours neuve ne comprendra pourtant jamais tout. Parce qu'il ne peut, étant lui-même, pierre, c'est à dire "JE" admettre qu'un autre choc, qu'une autre force, qu'un autre poids, entre dans le monde avec un fracas au moins égal et le produise lui, ami, comme conséquence alors qu'il est convaincu depuis toujours d'être la cause de tout, la pierre dans l'eau. Enfin, l'incompréhension tient à ceci que chacun, même le moins violent des hommes, pénètre dans l'eau à sa façon, avec sa forme sensible et son poids particulier lourd ou creux de toute une Histoire propre. Toute substitution est rendue impossible, par cette seule spécificité, et l'empathie entre des choses si différentes par leur nature, leur force, leurs allergies, devient impossible. Et le baiser, seul apte, à tout réconcilier n'est plus possible depuis si longtemps qu'on se demande si les hommes ne s'embrassèrent jamais.
Alors. Cinq ans durant, les camarades pris comme des soi de rechange (un soir qu'on crut de pleine lune, mais on y voyait seulement grâce aux pierres blanches, semées partout), s'écarteront en mots en gestes, leurs visages s'entrecouperont de ces sortes de rides qu'ils croiront eux des paroles et des gestes, mais que je saurai moi entendre comme la forme concrète de leur incompréhension. Le cercle concentrique le plus lointain fut un jour le plus proche. Cinq ans, je répondrai et se peindront sur leurs lèvres droites tendues (la forme épaissie du mépris) une espèce de dégoût inspirés par ce qu'ils nommeront je crois UNE TRAHISON.
Tandis. Que je n'agis ainsi (le mouvement a débuté en moi, et je vois la couleur tiède des changements envahir le matin, avec son front d'enfant malade) que pour l'infini le plus haut et je trouve des indices de l'infini dans ce monde infect, A SA PUANTEUR MEME, JE TROUVE DANS LES EGOUTS DANS L HUILE USAGEE UNE TRACE DE LA BRULURE PRIMITIVE.
Mais je n'agis jamais qu'en moi-même
Pour moi-même
Afin de satisfaire toutes les images
Oui
Accueillies, offertes, Douloureuses
Quand les Narcisses de Pacotille s'admirent dans les miroirs minuscules du poudrier
Je vais me mirer
Dans l'Océan
vidé
(tout est découvert)
Cinq ans pour fouiller tous les désordres tranquilles, trouver la force incroyable, cinq ans pour arracher à ce désert de la vie le mirage puissant, l'eau du cactus nourri de songes et l'ombre des femmes empoisonnées. Cinq ans, je boiterai comme tout le monde, claudiquant de l'âme, de la parole et du destin. Digne d'Espagne, je m'inspire des pas mortels du toreros et à la fin le sang m'éblouit.
Quand il faut crier, je tremble. Je sens en moi cette révolte du sang, la tension de la force. Cinq ans, oui, je serai un misérable, une de ces formes soldées du vertige, je grimperai par l'ascenseur la falaise imitée pour arriver au plus vite à cette hauteur FALSIFIEE, et au sommet je l'éboulerai sur le monde qu'elle toise. Le néant écrasé par le néant.
Cinq ans, pour trouver
Mon Espagne
Partisane
Fasciste
Que m'importe
Tant que l'Univers remue encore
Eclate en deltas profonds
Se sépare
En branches chargées
Des couleurs d'amour
Tant que l'Univers dévale les monts calmes
jusque dans le Je, infini
Torrentiel
Mais la jeunesse renaîtra autrement
J'en ai gâché la première forme
Qui me tomba dans les mains
Sans que je ne sus quoi faire
De toute cette beauté desespérée
Mais l'Espagne, dessine doucement
Sur la carte mentale
Ses frontières nouvelles
Et la jeunesse, ma jeunesse
Se forme
Dans cinq ans l'enfant aura la force
Du voyage
A travers le grand désert
Des âmes
J'exige les baisers cruels
jamais offerts
ou
Si parfois, peut-être, dans une vie à ce point oubliée
Qu'en se penchant pour y voir
La nuque se tourne, douloureuse et
La vue vient à manquer
Des baisers
d'il y a si longtemps
Qu'on ne s'en souvient plus que par les
Photographies
L'eau chante dans la bouilloire, l'expression te ressemble, elle a ton âge
Et le percolateur (ou l'amour) t'est aussi familier qu'à moi-même
Le café instantané
Le temps a emporté les nuits de ta jeunesse
Hors du monde et de ta mémoire
Hors du monde et de ta mémoire
Tes nuits démolies, démodées
Ont été emportées par le temps.
Tandis qu'en moi
L'inspiration
monte, monte comme une nuit vengée, un crépuscule sauvage
Les crocs du fauve dans le langage
La grande carcasse du ciel
La crinière tachée
de mélancolie parfois
De grêle et de fleurs demain.
Ici, le sang s'arrête un instant. Tout à l'heure, autrement métamorphosé, il reprendra l'histoire.
Tout à l'heure, les mots paraissaient la mauvaise herbe d'une mémoire, la pierre effritée des vies trop longues, les mots semblaient...mais
Les voilà changés par la maladie ; la mauvaise saison débute où tout se change en désert. Une suffocation. La toux tonne dans tout l'acte et les tuberculeux, en retard, enfuis du sanatorium prennent la place vide du choeur. Enfin, de la musique.
Je reconnais ton odeur et je remonte la piste avec les doigts mais déjà tu te méprends tu imagines à mon geste je ne sais quelle intention
frivole
comme si une
Caresse maladroitement
Prononcée
déliait mes phalanges
Tu imagines mon doigt parcourant l'espace entre nous
A la recherche d'une réalité
D'un de ces débris,
un mot de tendresse
le langage cal-
-caire
Tu imagines tout ceci
Parce qu'un jour tu m'as entendu
Demander le retour de mon enfance partie dans je ne sais quelle foule
Avec mes premières dents
Tu m'as entendu demander les gestes de la sensation
Pure
Tu as cru tout comprendre
De mon vouloir des baisers cruels
Mais je les exige exaucés par des lèvres
De drame
Une bouche
Tendrement bleuïe par la marée
des songes
je veux cet instant de toi
Où tes paupières changent
en la pierre
Stricte des Morts
J'aime l'odeur dans tes yeux, cette pourriture extrême qu'on appelle
L'âme humaine
Une eau bénite
Dans une Eglise déserte
et toi accroupie dans ce silence lointain, toi dans cette nef sans bruit,
tu n'entends pas le froissement de mes os contre l'idée de tes mains
Tu n'entends pas ma prière sans cesse interrompue par l'aube
Ni la nuit errante, pourchasée par le jour.
J'ai suivi ton parfum jusqu'en
La fin étrange du monde
Cet endroit de miroir, infranchissable
Eau close à la force, la colère et toutes les chaleurs
A l'infini encore je bute sur l'ombre de moi-même
Reflet de vivre
Triste reliquat d'exister
Un "Je" manqué.
Oui. Je suis comme ça. Les mains tachées de feu
Un volcan pour rire
Ma voix arrachée de l'écorce terrestre
Du noyau brûlant, du langage paniqué
Prononce des mots de fièvre
Et d'angoisse
Abandonnez par pitié ce port de tête instable, cet air souvent que vous prenez comme si vous n'étiez au monde que pour passer. Solitude, peste de notre siècle, épidémie mentale. J'ai vu dans tous vos yeux mes épouvantes et je connais je crois le tremblement de vos nerfs, le murmure comme une prière païenne au lever des cauchemars. La neige fanée, rosée étrange des paniques, coule sur le front ; à cette heure des aubes et des ombres, la saison la pire, le froid mortel comme un adieu, hante la vie.
Mais c'est toujours la solitude arrangée de miroirs, augmentée de reflets, ces pauvres Narcisse sans danger -une bosse contre l'eau dure du psyché.
La lumière contrefaite des amours qui ne sont pas toi (et les deux premières lettres d'AMour, ton prénom pris au piège des diffractions), drôles de bougies ces corps froids, lumière glacée, plus inquiétante parfois que la nuit enfantine.
En ta présence
Hurler
Hurler
Passer sur les lèvres amantes
Les morceaux épais
Le métal dur
La pierre sèche
De la vie
Ces formes connues
De ferveur
Vous parlez de vous comme muni d'un pouvoir incroyable, mais votre pouvoir immense c'est le sable inutile des déserts.
La lumière imbécile des cages d'escalier, l'alcool et la voix aiguë.
La nuit à pas bruyants il vous semble entendre des mots d'amour. Des paroles hurlées. Vous dites. De vos gorges enrouées. Vous prononcez l'angine blanche. On appellerait HURLER cet appel au secours ? HURLER. ?
Vos voix me paraissent le cri des gibiers traqués. Un coin d'ombre et de chaleur et vous le nommez Amour. J'ai nommé moi aussi ces caves insalubres, ces déserts sensibles, ces flaches d'eau croupies, j'ai nommé moi aussi les ombres de ces lieux du nom, oh prenez pitié, d'amour. Je prenais un râle d'égorgé et le claquement des fouets pour l'Opéra. Ah, je croyais reconnaître dans le faux accord des muscles, le point incandescent du langage. Qu'était-ce ? Du temps perdu. Et le temps perdu porte des prénoms oubliés, des initiales mal effacées -les rides de plus tard.
(sur le visage des vieillards se déchiffrent des prénoms enlacés, les caractères du temps perdu)
Jadis les cailloux trouvés dans le noir sentaient bons le chant des fleurs recluses
Mais aujourd'hui est un champ de parfum, un grand ciel et toute la
Nuit
Entrecoupée de foudre
Et de mer heurtée
(comme on se souvient des mensonges du temps passé ; ces marques inconnues dans l'argile sèche, ces miroirs de plâtre, ce monde de verre brisé, de douleurs apprises par coeur et récitées le souffle court. Un mauvais livre vaut mieux que ces amourettes)
Vous êtes seuls. Seuls dans la décadence et seuls dans la peur. Seuls seuls, seuls, seuls dans le grand vide des mots, dans la soif féroce des images.
La poésie tombe d'un autre ciel ;
En orage de grêle
Mais pauvres bourreaux, le "JE" par vous traîné à la torture.
Votre narcissisme étroit, blasphème
On l'entend aimer le
Reflet d'un miroir de poche
Tu entends ?
On dirait le ciel
Qui marche
dans le miroir
Comme dans une mer
Hantée
Il est comme je serai tout à l'heure
Quand cet étrange moi sera né
Ce reflet tiré
de l'eau heurtée par la foudre
et le feu
Ce moi-même dans les songes
Accouché par l'orage
Surgi
des nuages pur-
-gés
Tout à l'heure quand j'irai parcourir l'absence de toi,
Le désert dans la tête et les mille formes de sécheresse
Et seulement les sources où tu te mires désaltèrent cette sorte de soif
Tout à l'heure comme parfois je croiserai la sensation de la mort
Tu entends ?
La pluie très tardivement tombée
Comme un pas somnambule
Foulant le silence
Tu entends ?
Un bijou détaché
Un cristal perdu
Un foulard dénoué
Les songes forcés
je ne peux sans rugir laisser dire que vieillir comporte ses avantages comme je ne pourrai le laisser dire des pires saisons avec leurs sapins bariolés, leurs fêtes, leurs solstices de noir ; il y fait un froid de missel, un froid de croyant comme dans vieillir.
Je me fiche de la lumière dans les yeux des vieillards et ma vocifération prend ce tour là ridicule pour toujours, cette outrance de cabotin. J’aime les brûlures, le ventre cerclé de rouge -je porte entre le nombril et le pubis un signe d’amour, une marque fragile ; souvenir banal d’une conjurée- par le bavardage calciné de l’enfer.
Je serai
Un grand incendie dans un minuit de janvier et de gel
Changé en brasier je tolérerai
L’existence nocturne la moins miséricordieuse.
(mais tout ceci ce sont des mots et quoi choisir entre deux mauvaises herbes ; entre la parole et le tremblement. Laquelle aux flammes obscènes et laquelle mêlée aux chardons ? Qui peut ? On se trompe toujours. Je ne suis pas un paumé, je suis un désespéré heureux. Dans la vie je flâne et je paresse, longtemps j’ai cueilli les fleurs inutiles ou recluses, longtemps j’ai trouvé beau les cailloux parce qu’un instant ils retinrent le regard d'une amante. Précieux, précieux de ses yeux décomposés).
Vieillir...
Mais moi je suis devenu fou, fou terrible il y a quelques années déjà quand autour de moi chaque personne se changeait en adulte comme si une épidémie de la peste la pire ravageait toutes les jeunesses. Et les âmes, les âmes flottaient comme des angines blanches, s'agitaient tourments insolaires.
Moi avec mes yeux de fou je les imaginais se lécher leurs bubons infectieux, se transmettre en baisers leurs salives perverses et leurs secrets contagieux.
Je les voyais vieillir
C’est à dire
Sûrement
Vivre sans rage
Guéris de la tempête primitive
Le coeur joli et dangereux
Prisonnier
Comme un lion de dompteur
Dans le cercle de feu
A quelle vitesse, avec quelle hâte n’ont ils atteint les abysses hantés de l’habitude. Se lestant le cou pour y parvenir au plus tôt, et à ce point de vase, prononcer les formules d'une religion inconnue. Dire une langue stérile, de pierre, d’édifices publics dire pour les fantômes.
Mais j'aimais avant de devenir fou le mot d'amour
Le mot d'amour bruyant
Et son fracas
Son sable
De mouvement
J'aimais le mot d'amour
Dévié par le regard
De D.
J’aimais Diane d’un amour dangereux parce qu’elle avait les yeux les plus étranges de ce temps. Un loup peut-être, mais assoiffé alors et malade d’une maladie de loup -et peut-être suis-je écrivain mais vétérinaire certainement pas, alors je dis une maladie de loup, une maladie avec des dents ébréchées et le pelage un peu râpé comme d’avoir marché longtemps dans une forêt étroite de pins et de branches ; aux arbres toujours plus bas semblable à une nuit tombante -et la forêt ce sont mes cheveux et le loup de ses yeux s’y est promené, emmêlé, écorché, entêté.
Vieillir, vainc jusque dans ses mains. Vainc oui avec cette sorte d’orthographe à la mèche défaite.
C’était un soir, une presque nuit, et nous dînions. Ils organisaient des dîners, eux, les adultes et j’y participais. Et ce jour dans mon assiette je vis comme une espèce de cartilage et dans mon verre un bâillement éventé. Mais personne ne protestait et mes yeux horrifiés personne non plus ne les remarquait. Le langage sénile persévérait dans l'incontinence. Et moi, moi, je me suis senti mal comme au bord de mourir, comme au rebord d'une autre vie, comme debout, là, sur une falaise, mais sur une falaise sans vertige, une falaise qui donnerait non pas sur du vide, non pas sur du néant, une falaise qui donnerait sur l'absence.
Je suis parti. Après tout ça, je suis parti pour fuir ce monde de rides, de pièges, ce monde d’ennui.
Je suis parti en Asie quelques mois, suspendant mes études, abandonnant la langue. J’errais dans la jungle tropicale, sur les plages, je me peignais en presque soleil avec les couleurs trempées de mousson. Mais je ne vivais pas non plus.
J’ai revu Diane il y a quelques semaines, ce que je raconte c’était il y a deux ans, il y a deux ans j’haletais mimant l'effort de l'acteur, je souffrais avec quelles pâleurs oubliées..
J’ai revu Diane et oh visage de carnage
Vitrail brisé
Ô ma très sainte Diane saccagée
Par ah je sais très bien l’hérésiarque
Le poing sacrilège traversa de haine contractée
Le souvenir
Et l’on peut dire d’elle présente
déjà
«elle dut être belle»
Mais les miroirs déjà n'en ont plus qu'un souvenir
Un certain port de tête peut-être
La rondeur encore neuve des épaules
Mais le reste comme un naufrage
Un navire couvert d'algues rutilantes
De coquillages pétrifiées
Gigantesque avarie.
Ce visage comme il a plié sous les pas d'oubli, de l'oubli lourd comme un soc, l'oubli entré profondément dans cette vie toute couverte de tourbe et d'argile fanée.
J’avais juré au plus triste de mon amour -longue, longue et inutile chanson- de la préserver intacte dans la mémoire.
J'avais juré sur les lettres d'amour de garder en moi-même son visage vierge des outrages mignons
Promis, promis d'ignorer les paroles des miroirs volages
Promis promis de résister mieux que l'encre des photographies
Où le portrait déjà a couleur bleu
et sévère.
J'avais cru ma folie l'ambre la plus précieuse
Mais je croyais aimer
Et ce n'était que le mot d'amour.
Aujourd'hui voilà comme résonne aimer :
Mais pour déchiffrer ce langage il faut d'autres yeux.
Par amour
pour le mot d'amour en vérité
C'est à dire
Le ventre altéré
Les mains affamées
Toute la douleur concentrée en un seul point
La bouche ou bien le regard
Ou plus en détail
Les lèvres et les yeux
Ou plus sensiblement
Dans l'odeur bruyante
Du cri des pleurs
et de la haine.
Regarde
Ma peau a passé de mode
Mes yeux sont d'un autre temps
Anaïs hier m'a parlé
De sa mort prochaine
J'écoutais émerveillé cette matière précaire
Ce corprs délabré, pourrissant, ce corps à ce point crépusculaire
D'eau morte, gelée, d'eau noire, de tourbe
Emerveillé
Comme enfant imaginant le bruit menaçant des stukas sur la campagne française
Les femmes abusées et leur air de morte
Les enfants troués par une mitraille au hasard semée
Les officiers allemands au moment de jouir
Beaux et sévères
comme leurs cousins
Bourreaux du peloton d'exécution
avant de faire
FEU
Mais j'ai perdu le temps présent
et
le mot d'amour
Je remonte la pousisère méntale
La farine des jours
l'effort de la meule
Sur la vie
La parole broyée
Sur les blés et l'orge
rongés
J'en étais à je ne sais quelle syllabe déjà perdue
De mon gémissement de jais
Je te parle à toi oh il y aurait à dire encore
Pour ton air noyé, quand tu te couches dans les draps
A la recherche de la mer
A te dire, quand tu t'apprêtes à
Mais un je ne sais quoi t'arrête
Un souvenir peut-être
Qui te fige comme une peur
Pour le mot d'amour, moi :
J'ai traversé des étendues de désastre, des chemins de cendre, des années entières de neige. J'ai traversé des époques d'angoisse. Toute la France et le monde en entier. J'ai parcouru j'allais dire le vaste vaste monde comme s'il était tout un, le vaste monde des objets et le monde aussi intérieur des douleurs. J'ai parcouru toute l'étendue du langage ; j'ai atteint l'abîme du silence.
J'ai marché contre le miroir, buté sur le miroir, fasciné par paysage réflechi mais ce n'était que la lumière contrefaite, que la faïence de la salle de bain mal comprise par la surface polie. Ce n'était pas les seins de Marion, pas les yeux de Diane, pas les mains d'Elise, pas, pas, pas. Ce n'était qu'un mot d'orgueil. Une sensation, un reste crédule lentemant fanant dans ma barbe.
Dans le mot d'amour
Miroir falsifié
J'appelais cet autre-moi, ce double tronqué, cet être de froid
Marion, Diane, Elise
Et j'aimais du reflet cet
air de jeune homme éternel
Sa pochette de crises
Pliée dans la poche
Ou froissée peut-être
mais comme une
croyance
J'aimais, j'aimais
Ah ses cheveux, ses yeux, et le bruit de foule dans ses pas
Je voulais être celui-là
Narcisse de pluie fine
Etranger, je me suis plu étranger.
J'ai cru comme toi ah moi aussi
Mesurer mon amour au sonomètre
Exposer brûlures et décibels
Gorges enrouées des lendemains
De haine
Comme preuves d'amour.
L'amour qui n'est pas un mot
cette chanson sans paroles.
Je suis volage jusqu'aux plus absurdes compromissions et mon coeur bat et bout dans cette poitrine de carnage, d'incendies ou de suffocation. Aujourd'hui la peau tâchée de mort du code de procédure pénale, ses cheveux teints en sang, son langage d'incandescence, de chiffre, d'angoisse. Son interminable litanie d'être et ses mille façons de pute bourgeoise me paraissent la parole enfin déchiffrée d'une amoureuse. Je suis une femme frivole et la robe noire de ces presques nonnes, ah comme je la vois bien se soulever dans la poussière de nos procés-flamenco intentés au ciel pâle, aux anges de poussière et de miséricorde. Je me vois devant les miroirs dans l'habit de ces tragiques, tragiques seulement dans ces Eglises pour de faux -et les plaintes des condamnés unies aux pleurs des victimes, orgue vivante de nerfs, tonnent comme le cri d'un Dieu crucifié-
Par bonheur hélas, bientôt je longerai les ruines douloureuses d'Amérique. Loin de l'Europe où l'on sait trop bien mourir.
J'irai parcourant les crevasses du Mexique, ramassant le sable meurtri par les pas des pumas. J'irai crever de soif, piétiné par la course des mirages du désert d'Atacama. Les nuits dureront peut-être couleur d'insomnie, dureront peut-être glacées et dangereuses comme le cerne d'un poète.
Dans ces contrées sans dompteur, je réécrirai la loi pénale. Je désignerai le ciel immense, vide ; je désignerai l'océan profond, abandonné ; je désignerai le désert interminable, dépeuplé. Je tracerai avec mes pas dans le sable chaud et innocent des prénoms d'amoureuses, je jetterai à la mer des pierres peintes d'initiales, je lancerai vers le ciel un soleil neuf et pur. Je dirai de toutes ces choses vierges, voilà le code pénal de désormais. Réformé pour tous les vivants, les tremblants, les peureux. Voilà un monde pour vous, de signes étranges, de balafres belles. Voilà un monde pour les réprouvés, les criminels, voilà le monde des bagnards déchaînés, des crimes peints en blanc par le baiser d'un amour. Voilà la cage de Dieu, crachez en passant, du fond de vos poumons, du fond de vos mémoires, crachez, crachez votre peur de mourir et toute votre espérance. Crachez, crachez; il y a ici des siècles pour s'aimer. alors crachez, crachez.
Dieu comme tu as changé
Je me dis à moi-même
Etrange murmure de solitude
Ces traces sur ton visage
L'air vieilli de tes yeux
Tes lèvres presque fânées
Couleur d'un rose d'antan
Je me dis à moi-même
Etrange murmure de solitude
Comme tu as changé
Et ce visage presque laid
porte les marques de mon oubli.
J'ai oublié oui, sans faire exprès, un matin de désordre.
Les cheveux si mal peignés qu'on aurait pu croire que je sortais
Du fond des âges pour la destruction, la honte ou l'amour.
J'ai oublié d'abord ton nez, les grains de beauté de ton dos
Ah comme on se souvient bien en prononçant "j'ai oublié".
J'ai oublié, la forme de tes seins
La longueur insatisfaite de tes cheveux
Ton regard destabilisé
Lorsque le soleil sèche si lentement
Dans le ciel d'automne.
Comme le temps a passé sur toi et ton visage n'est plus déjà le visage de mes poèmes
De :
Mes crises
Mon hystérie
Ma frénésie
Mon lexique psychatrique inventé pour déchirer
Ton ventre
Dans un mouvement compliqué
De haine.
Dans cette longue nuit qu'on prend parfois pour la vie
Nulle voix pour arracher à la terreur, un peu de lumière.
Il est trois heures
j'ai très faim
j'ignore le nom du repas pris si tard.
Peut-être déjà est-ce le matin
Un matin d'hiver, dehors il fait noir, et la lune brûle
sans bruit
Etrange combustion
du silence.
C'est le matin peut-être
mais d'une autre saison
et j'ignore toujours le nom
de mon geste inconnu
Parcourant la nuit tiède
Humide
Solitaire
Comme un estomac
Affamé.
Je c'est le début de l'Univers
La première phrase du désir
De l'angoisse et du rire
C'est moi
Moi au moment de pousser la parole
Hors de mon corps
Ce corps, blasphème.
J'aime les putes
aux grands yeux de carnage
Les filles pleine des brûlures
Amantes des miroirs
Au rire si vite changé en eau
D'un geste d'amour pur.
Le grand néant de l'Univers
c'est à dire
Le regard des femmes
et leur sexe.
Déjà j'ai sacrifié à l'au-delà du miroir, une ligne de trop. J'en reviens au pouls de l'Univers. JE infect et beau comme l'amour trempé d'Avril.
Mon narcissisme, plus courageux que toutes les choses béates dont on pare les héros, suffoque et désespère HEUREUX (il est trop facile d'avoir de grands gestes sur le champ de bataille, au rebord de l'abîme, dans la chute des falaises et il est autrement moins aisé de s'arracher à la tourbe, au monde lent, enfin, d'aller gesticuler dans la poésie, quand le ciel est si bas. Dans un monde de carnage, de cendres et de bombes, de choléra et d'infection, l'infini tombe de lui-même dans les paumes du dormeur. Le ciel se dresse comme un condor, s'éploie gigantesque.
Aujourd'hui tout le monde nous assomme d'écologie, de réchauffement climatique, de couche d'ozone raréfiée, mais le ciel dans sa clôture, l'infini à l'asile et l'enfer au ban ah, ça personne ne s'en soucie, même on est soulagés. On a des guenilles de ciel, de manuel scolaire pour en parler).
Je ne crains pas l'obscurité des hommes, cette grande solitude au bout de toutes les nuits, quand chacun déjà somnole d'avoir cherché -en vain, toujours- son âme. Cherché dans l'alcool, dans les regards étrangers, au terme d'une caresse, au nadir d'un baiser, au zénith d'une parole, dans la haine du désir. Cherché nulle part et tout figure pourtant au même lieu prisonnier des songes, reflet tranquille, mer démontée des images.
Je me fiche des cages, des prisons, des solitudes terribles, des grandes pestes physiques et des incendies humains, si me demeurent les miroirs. Peuple de verre, de quartz brisé, de roches transparentes, peau des morts, un monde de moi-même ; de moi-même mis en miettes, en cendres, en poussières, moi rayé, violé, brisé, fendu, entier, double et triple, moi poussé à toutes les extrémités, brûlé à la bouche, enflé jusqu’à l’enfer, rompu à la première neige. Univers de mon âme en souffrance, galerie des «JE» sensibles, palais des enfances mortelles.
Je ne m’enferme dans nulle case, je m’en vais dans les miroirs, derrière les paupières. Je suis libre pour toujours si je peux fermer les yeux, parler à moi-même à l’instant fragile de sommeil, à l’instant de la longue peur.
Puis je sens la haine, le corbeau malade
Et la bouche des blasphèmes, pria
Je viens ici hisser mes hurlements
Très anciens et fameux jadis
(prisonniers de missels hérétiques
on les murmure encore parfois
aux bûchers prisonniers des
Songes)
J'ai été habile crieur (écumes, morves et pitié)
et piètre rieur
Arrachant à l'infini les
Pourrissantes fleurs d'agonies
Aux parfums de pluie et de rimes
Piétinées.
Je reviens depuis très loin, depuis derrière la nuit très amère. Ma mère peut-être ou mon enfant mort-né, la nuit. Je viens exposer mes lèvres brûlées, mon langage saccagé de bonheur (couleur des matins d'hiver, de la bûche trop vite dévorée par le feu de la Noël).
Depuis un an, je vis dans la lumière, la lumière fameuse du Gel (l'ombre) et de Dieu (le corps). La lumière calme, pâle murmure de la mer insomniaque.
Je viens ici pour retrouver ce mot minuscule, imbécile : écrire. Je viens le trouver avec toutes ses chaînes, ses boulets, la fureur, le chagrin, l'alcool jamais assez.
Je viens ici vous prendre votre part de nuit, votre couleur de cerne, votre goût de manque.
Je cherche la nuit où mon âme (yeux crevés, crucifiée à la grande ourse, lueur impossible du cauchemar) se tord et gémit.
Je cherche la nuit, la nuit immense, sans espoir. La nuit des sortilèges manqués, des amants trompés, la nuit impatiente (vierge de soleil).
J'avancerai, craintif mais heureux jusqu'à atteindre le point le plus sombre, le plus cruel de la Nuit, fut-elle la Mort impudique.
J'avancerai dans la nuit oubliant le matin.
J'avancerai dans la nuit à la recherche de l'obscurité, des ténèbres de la légende
J'avancerai dans la nuit jusqu'à mon anéantissement.
Je suis de ceux dévorés par les dessous de velours
De la nuit.
Quand Artaud emploie le mot "Sexe" une odeur criminelle, absolument criminelle s'en dégage. Quand il utilise le mot "Vierge", aussi, celle-ci n'étant que le crime à rebours. La vierge d'Artaud, fausse-sainte, putain en gésine, crucifie la chasteté originelle.
Sexe lorsque moi je le dis, je veux alors signifier l'important l'essentiel, la chair par où elle compte et non toute la matière excrémentielle : ongles peints, cheveux teints, dents vernies.
Je dis "sexe mutilé"
et je dis encore, cette fois avec des mots souterrains, "sexe méprisable" et donc encore mutilé mais mutilé autrement, par une autre forme de rage.
Les rêves sans sexe sont des rêves sans
Images
Des rêves muets, éteints, gris
Etendue de néant, préface de la
Mort
Où le sexe absent
Rampe dans le Rien.
Sexe a chez moi un sens particulier qui pourrait s'approcher de celui de "virilité" s'il n'était exclusivement masculin. Sexe, je le prononce toujours à regret, afin d'indiquer l'absence, la grande zone calcinée de l'être humain non fait de ciel.
Je dis Sexe, comme je pourrais dire : Coeur.
Sexe, voilà, une façon de Coeur Obscène.
Coeur après minuit, mon sexe
Ci dessous :
Artaud in fragments oubliés
ce sont les écrits sortis de sa mémoire lorsque les docteurs posèrent sur son crâne leurs électrodes dangereuses
ici on a pu récolter le langage prisonnier des décharges
et on le restitue tel que
avec son odeur d'orage
de mort
de torture
et de foutre
Vous haïssez la Vie (sanguinolente à l'extrême ; c'est à dire sensible)
Avec vos mots qui sont aussi vos âmes
Précaires
Et vos corps
Insalubres
Parfaits pour des âmes comme les vôtres
On trouve dans votre bouche l'état le plus avancé, le plus forcé de décomposition
Une forme de putréfaction intime
Cette maladie mentale, la morale et
Votre langage suinte le
Sommeil
le sommeil atroce, lent, morceau choisi de la mort votre sommeil
Loque d'éternité
Mutilé de son sexe, de ses songes et de ses peurs.
Lâches, incapables d'assumer cette progéniture, votre langue, vous inventâtes en place de généalogie mot plus criminel encore
Etymologie
Le dictionnaire : coffre de votre saleté
Saleté
Gardée, protégée,
Je remplace toute langue par le cri funeste, l'immense hurlement, la sainte mélodie : JE JE JE JE JE JE JE JE.
Te-Deum des miroirs et des incendies ; des livres ouverts à l'endroit d'exister
Je écrit en tout à fait sang, en brûlures et soleils.
Je suis pour la vie émue jusqu'au
Mal et son ombre le diable
Pour les lèvres douloureuses de tous les amoureux
Trahis
Puis
Trahis
Encore
Et
Enfin
Pendus
N'avez vous jamais envié l'angoisse du ciel
Le soleil humide comme un coeur brisé
A l'instant de crépuscule ?
Jamais ? Comme ça vous ressemble, ce mot, jamais. Jamais on dirait tes mains, ton visage, ton sexe. Toi et toute ta famille, ton étymologie.
Chaque fois qu'il fût question d'infini vous mîtes entre lui et vous une croix, un désert, une constitution, vos deux mains obstacles et toute votre perversion. Chaque jour, pour exister, vous creusez de nouveaux et très originaux charniers.
(certains dit-on tentèrent d'y enfouir le soleil, le saisir de leurs mains insensibles, mais lui agile s'enfuit très haut dans le ciel)
J'y ai gémi plus qu'à mon tour, moi exilé de toutes les terres
Banni du ventre
Maternel.
Moi
Apprends toi-même ton propre hurlement c'est je crois la maxime de Delphes, déformé par les siècles et les philosophes.
Allez. Remue de l'âme, sors de ce corps, cette rue, cette
Impasse.
Aujourd'hui l'on guillotine avec des mots
Mais on ne trouve plus de vivants nulle part
Pour tromper leur ennui les bourreaux jouent entre eux
Le rôle des fantômes Le rôle des victimes
Assis sur le billot, dans le panier de Mort
Quelquefois on entend se débattre le Temps, la Nuit
On devine
L'Aristocratie du crime et quelques gueuses
On reconnait croit-on la République
Non, dit l'Amour, ses souliers sont trop propres.
Sa bosse trop exemplaire
"C'était le Vice, son demi-frère."
Et éclatent de rire les guillotines
Peuple de ce désert Etrange
Nommé jadis La Vie
Ou Le Sang.
Nous allons être avocats
Toi, tu seras -comme il faut toujours en droit et dans la vie- notre témoin.
Toi, désigné par mon Toi, tu es le ciel mourant ; un monde d'algues inquiètes.
Toi ce sont toutes les heures alentour de moi
Paniquées de ne pas parvenir à me briser.
Les heures fauves étranges
Aux dents ébrechées
Aux rugissements éventrés
Aux crinières brûlées par la cire des bougies (au XVIIème siècle quand tant de chefs-d'oeuvre se firent par les flammes ; je ne dis pas à la lueur des mèches, mais en Enfer, ainsi est devenue bien plus tard une oeuvre d'Art la main de Van Gogh cette immense brûlure trempée dans la lumière)
Nous allons être avocats.
Il faut chaque fois une sainte, demie-traînée (demie signifiant ici "pour rire" car on y entend glisser par on ne sait quelle ruse le même air qu'il y a en disant "Dieu") très ébouriffée et ce sera toi. Prends, si tu veux jouer bien ton rôle dans cette grande scène sans lumières, ces gueunilles, ces baisers. Je veux dire alors par tous ces mots étranges, prends la marque, fissure de mon coeur, cet éclair tombé à l'endroit du désir, toujours à courir et toujours revenant sur ses pas. Interminable routine de l'orage.
Les concepts et les mots trouvèrent ma Chair Infaillible close à double tour, marquée par les caresses du diable
Je suis l'Intact aux yeux purs ; les étoiles un jour d'Enfer -ces jours où tu pleures, toi, et où toi aussi, et où toi tu meurs parce que tu ne savais pas durer- vinrent me les crever de leurs "NOIRS BRASIERS" (ici tintent les éperons d'une homophonie étrange)
Trop pur hélas, je ne puis te donner tout ce que tu mérites, le pus d'un destin, les maladies vénériennes (le mariage, la pire de toute). Ces armoiries de l'amour.
Ni la vie ni la mort ne tournent plus autour de moi leurs doigts ensanglantés.
Un temps où "je" se disait de toutes les syllabes du mauve, une main creusa dans moi jusqu'au refuge d'ambre de la vie et de la mort (traquées me dirent-elles par les religions, et on entend derrière elles remuer les ombres inquiétantes, les torches de la Saint-Jean et les mains iconoclastes de la Mecque). Main si belle je ne pus m'en défendre. Et les lèvres de la vie et de la mort pour la première fois se délièrent, articulant l'Homme, le Mal toutes les gargouilles qui depuis Dix Mille Ans hantent le monde et les cimetières ( à l'entrée desquels on aura peint à l'encre sympathique : sortie de secours)
Nous allons être avocats.
Epuisé, dans cette forme solennelle de l'Homme aux yeux cernés, je dis : MERDE.
Je me prépapre au jour des serments à réciter cette prière des regrets. A prononcer ce sédiment de vie et de mort ; les injures de vivants, des bruits de foudres (qui sont des bruits d'invasion), de feu refleurissant.
Merde dirai-je devant ce peuple de disparu qui ne me fera pas face.
Mes lèvres ce jour là peintes en presque soleil
Où l'aube revenant de sa promenade des bords de Seine
Se promènera encore.
Ainsi par exemple parce que nous sommes poètes et poètes exclusivement de tout autre genre (citoyen, ouvrier, condamné), nous n'avons ni Patrie ni Nation nous avons la Majuscule. VINGT SIX quand nous sommes éveillés, plein de l'alphabet législatif et cent-soixante-dix-neuf au plus profond de nos sommeils stupéfaits